Les bitumeuses

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Trois ex-prostitués – enfin, pas toutes ex – sont contraintes de se revoir quinze ans après leur vie de “bitumeuses”. La sortie de prison de leur ancien souteneur va les replonger dans de vieux souvenirs pas très catholiques. Ces femmes d’un âge certain, c’est-à-dire bien au-dessus de la fameuse ménagère de moins de 50 ans, vont se raconter leurs parcours accidentés avec gouaille, dérision et nostalgie, tout en essayant par tous les moyens d’échapper au chantage et à la prison. “Les Bitumeuses” sont avant tout trois beaux personnages de femmes mûres, à la fois drôles et touchantes.

Rita un client, près de la porte d’entrée du bar) - Bonne nuit Gérard ! Oui, oui, c’est ça, à demain ! (Maugréant.) Oh ! celui-là, toujours à attendre qu’on le foute à la porte ! Il me fatigue ! Un vrai puits sans fond. Pour rien au monde j’accepterais son foie en greffe. Plutôt crever ! son mari, dans une pièce à côté.) Hein, Georges ? Tu dors ? (Pas de réponse.) Ouais, il dort, comme d’hab’, et ça ne va pas s’arranger malheureusement… (Elle ferme la porte d’entrée à clé, se dirige vers le bar, allume la radio et commence à nettoyer les verres et le comptoir. Puis, à elle-même plus qu’à son mari.) Hein, mon Georges, on pourrait pas se mettre au vert ? On l’a bien mérité, non ? Depuis le temps qu’on trime et puis toi qu’es au bout, là, en fin de parcours, rongé aux poumons, tu n’aurais pas envie qu’on s’autorise un peu de verdure, un peu de ciel bleu ? Je larguerais bien tout pour un petit bout de terrain, pas loin de la mer, tu vois. Un endroit où on entendrait juste les oiseaux et les chats sauvages. Ça me changerait des piliers de bar et des brèves de comptoir. Hein, mon Georges ? On va mourir comme on a vécu : dans la fumée de gauloises et les vapeurs d’alcool bon marché. Georges ? (Elle sort dans la cuisine puis revient. D’abord en off puis sur scène.) Oui, c’est vrai, mon pauvre malheureux, comme on devient ! Ça me déprime de te voir dans cet état. J’espère que Caro va venir te voir ce week-end. Il n’y en aura sûrement pas beaucoup d’autres… Ouais, un peu de verdure, un peu de ciel bleu, ça ne nous ferait pas de mal… C’est ça qu’il nous faut… (On entend frapper à la porte. C’est une femme assez élégamment vêtue.) C’est fermé ! (La femme insiste et frappe à nouveau à la porte d’entrée.) Je vous dis que c’est fermé, bordel de merde ! Vous pensez que je bosse pas assez ou quoi ?!

Jenny (off) - Rita, ouvre, bon sang !

Rita (intriguée, se dirigeant vers la porte) - Qui c’est ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

Jenny (off) - Rita, ouvre, enfin ! C’est moi !

Rita finit par ouvrir la porte et Jenny entre dans le bar.

Rita - Je peux savoir ce que vous me voulez à cette heure-ci ? Bonsoir madame, je suis désolée mais la maison est fermée. Et puis, c’est pas un endroit pour quelqu’un comme vous.

Jenny - Mais Rita, t’as la cataracte ou quoi ? C’est moi !

Rita dévisage Jenny sans la reconnaître.

Rita - Madame, vous devez vous tromper de personne et c’est pas un quartier pour vous ici ! (Réalisant.) Comment vous connaissez mon prénom, d’abord ?

Jenny - Mais Rita, c’est moi, Jeanne, enfin Jenny… Tu ne me reconnais pas ?

Rita - On s’est connues à l’école ?

Jenny - À l’école ?! Sur le trottoir, oui ! Tu rigoles ou quoi ? J’ai changé à ce point-là ? Je suis Jenny. Jenny « la chaude galette bretonne ». (Elle chante vaguement.) « Les bitumeuses ! On y va au charbon, on n’est pas paresseuses pour toucher le pompon ! »

Rita - Non ! C’est pas vrai ?! Jenny ! La vache ! Qu’est-ce que tu fais là ? Ça fait des siècles !

Elles s’embrassent affectueusement.

Jenny - Au moins quinze ans, non ? C’est sûr, ça fait un bail.

Rita - Je ne t’avais pas reconnue ! T’as changé carrément de style, dis donc. Tu fais dans le haut de gamme maintenant ?

Jenny - J’ai arrêté il y a un moment…

Rita - Comme moi mais, au lit ou au comptoir, c’est les mêmes têtes de cons !

Jenny - J’imagine… C’est quand même mieux, non ?

Rita - Disons que c’est différent… Je t’offre un verre ? Un petit blanc comme au bon vieux temps ?

Jenny - Je ne bois que très rarement maintenant.

Rita - Ne fais pas ta bourgeoise, Jenny !

Jenny - Jeanne. J’ai repris mon vrai prénom.

Rita - O.K., Jeanne, si tu veux ! Alors, je te sers ?

Jenny - Merci Rita.

Rita sert deux verres et Jenny boit le sien d’une traite.

Rita - Tu fais quoi alors maintenant ?

Jenny - Je me suis mariée avec Jacques, je ne sais pas si tu te souviens de lui, un ancien client…

Rita - Ouais, je me souviens bien. T’es pas la seule à l’avoir connu, fillette… C’est une histoire qui dure, alors ?

Jenny - Écoute, oui, il m’adore, on a une jolie maison pas très loin de Paris et on a trois enfants : deux garçons, une fille. Pour l’aîné de seize ans, François, je ne suis pas sûre à cent pour cent mais lui, il l’est, c’est le principal !!!

Rita - Je suis d’accord : on n’est pas obligé de toujours tout savoir de l’autre dans les moindres détails pour bien l’aimer ! Et puis, c’est lui qui l’élève et c’est ce qui compte le plus !

Jenny - C’est entièrement vrai ! Et toi ? Toujours avec le Sénégalais ?

Rita - Ah non ! Penses-tu, ça fait longtemps que je ne suis plus avec le trépied !

Jenny - Il portait bien son surnom celui-là ! (Elle rit.) Moi aussi, je l’ai bien connu !

Rita - Il s’est fait descendre pour une histoire de came il y a au moins dix ans. Non, moi, j’ai épousé ce bon vieux Georges ! Georges.) Eh, Georges, devine qui vient nous rendre une petite visite ! Jenny.) Excuse-le mais il passe son temps à roupiller, il est très mal en point, tu sais, j’ai bien peur que ça sente le sapin très fort.

Jenny - Qu’est-ce qu’il a ?

Rita - Cancer des poumons.

Jenny - Je suis désolée. Un bon bonhomme ce Georges. Jamais une parole ou un geste déplacé avec les femmes.

Rita - C’est vraiment une maladie de merde !

Jenny - Parce que tu crois qu’il y a des maladies sympas ?

Rita - Non, mais il en existe de pires que d’autres quand même au niveau de la souffrance et de l’espérance de vie… Je ne le reconnais pas mon Georges, lui si costaud, si grande gueule… Il est vraiment diminué. Il a perdu quinze kilos, c’est l’ombre de lui-même…

Jenny - Pauvre Georges… Quel âge ça lui fait ?

Rita - Soixante-quinze ! Tu sais, c’est lui qui m’a sortie de ce merdier et il a même adopté ma fille Caroline. Elle l’adore ! C’est son gros papa d’amour, comme elle l’appelle. Ça va être très dur pour elle quand il va passer l’arme à gauche. Encore plus que pour moi… J’appréhende un peu…

Jenny - Normal ma Rita ! Ce n’est jamais facile à vivre ce genre de chose…Tu sais, ça me fait vraiment plaisir de te revoir !!! (Elle embrasse à nouveau Rita chaleureusement.)

Rita - Mais dis donc, qu’est-ce que tu viens foutre à Paname toute seule à cette heure-ci ? C’est pas juste pour revoir une ex-collègue de trottoir, quand même ?

Jenny - Ben, tu dois bien le savoir, non ?

Rita - Je ne te le demanderais pas si je le savais, ma poule !

Jenny - La lettre.

Rita - Quelle lettre ?

Jenny - La lettre de Michel.

Rita - Michel qui ?

Jenny - Le Boiteux.

Rita - C’est quoi ce bordel ? Il est en taule le Boiteux !

Jenny - Il est sorti.

Rita - Je croyais qu’il s’était pris quinze ans ?

Jenny - Ben, oui…

Rita - Le temps passe trop vite.

Jenny - C’est sûr, oui…

Rita - Et alors ? C’est quoi cette foutue lettre ?

Jenny - Il m’a donné rendez-vous ici. En gros, si on ne se retrouvait pas ici maintenant toutes les trois, il nous balançait direct.

Rita - Putain, ça doit être Georges qu’a...

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