Les joyeuses commères de Windsor

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Cette farce exauce le voeu d’une reine. Ayant découvert Falstaff dans les deux parties d’Henry IV, avant que Shakespeare le fasse mourir dans Henry V, Elisabeth Ier voulait revoir sur scène le plantureux chevalier, amoureux cette fois. Et à Windsor, ce n’est pas la Cour que fréquente l’ancien compagnon de débauche du prince héritier, mais la petite société comique d’une ville de province, avec des étrangers – un pasteur gallois, un médecin français – qui massacrent l’anglais, et des bourgeois locaux, tels ces Lepage et Duflot dont Falstaff, nobliau sans le sou, guigne les femmes et la fortune. Courtisées en même temps, les deux joyeuses épouses mènent ensemble l’intrigue, de piège en piège, jusqu’à confondre, par une nuit de sabbat, au fond du parc royal, le vieux “cerf” en rut qui les poursuit, alors qu’une jeune “biche”, la fille des Lepage, en profite pour s’enfuir avec son amoureux…

 

ACTE I

 

Au lever du rideau tous tes personnages sont en scène.

Tous -

Nous, les habitants de Windsor,

Malgré notre château sévère

Où mijotent la pourpre et l’or,

Nous n’avons pas l’humeur austère.

La Cour ne nous empêche pas

De vivre tout à notre guise

A terre ou bien sur la Tamise.

Les petits valent les grands plats.

Nous nous roulons dans l’abondance

La bonne humeur et l’appétit

De la chair comme de l’esprit

Honni soit donc qui mal y pense.

Ils sortent.

 

PREMIER TABLEAU

 

A Windsor, devant la maison des Page. Le Juge Shallow, Slender et Sir Hugues Evans entrent.

Shallow (à Sir Evans) - Assez, assez, vous dis-je ! Au tribunal !

Slender - Doucement, doucement…

Shallow - Au tribunal, au tribunal !

Slender - Cousin, calmez-vous, vous avez les basses aussi fortes que les aiguës…

Shallow - La colère me fait vibrer comme un orgue, petit cousin. Prenez garde de ne pas vous trouver sur l’air de mes tuyaux ou je vous emporterai comme un fétu !

Slender - Il est fétu.

Shallow - Au tribunal, au tribunal ! Ce Falstaff ne m’insultera pas ! J’ai du sang bleu dans l’esprit.

Slender - Cousin, vous voilà sur le chemin de la congestion.

Shallow - Congestion, absorption, digestion… Je n’en ferai qu’une bouchée, moi, de cette grosse bulle !

Slender - Sir Juge, mordre les bulles est un exercice particulièrement délicat. Elles éclatent avant que les dents s’y enfoncent. Coquines de bulles !

Shallow - Petit cousin, vous êtes léger. Je suis juge de paix, moi.

Slender - Et juge de poids !

Shallow - Juge de paix Coram.

Slender - Et colegram.

Shallow - Au tribunal, au tribunal !

Evans - Par Notre-Tame te la Pascule, si Sir Falstaff fous a manqué, en ma qualité t’homme t’éklisse, che serais rafi te fous offrir mon entremisse et te fous intuire en réconciliation.

Shallow - Non, non, merci. Rengainez votre Notre-Dame. J’irai au tribunal, au tribunal ! Il y a scandale !

Evans - Il ne faut pas que le tribunal entende barler te scantale. Il préfère, foyez-fous, entendre barler te la crainte te Dieu, car il aime la crainte te Dieu.

Shallow - Ah ! sacre de sacre ! Si j’étais encore jeune, je traiterais cette affaire à l’épée !

Evans - Fos amis feront l’ébée. Et puis, ma tête héperge une itée qui peut afoir te pons effets. Fous connaissez la betite Anne Pache, la fille de Maître Thomas Pache. C’est une pelle bucelle, non ?

Slender - Mlle Anne Page ? Celle qui a une voix de femme ?

Evans - Chustement.

Slender - Et des cheveux ?

Evans - Foui, fous êtes tompé à pic. Son krand-bère sur son lit te mort – que Tieu lui accorde une résurrection choyeusse ! – lui a léké sept cent livres en or et archent qu’elle recefra le chour te ses dix-sept ans.

Slender - Ce sera un beau jour pour elle.

Evans - Et pour fous aussi beut-être.

Slender - Pour moi ?

Evans - Foui, car l’idée que ch’héperge, c’est un mariache entre elle et fous.

Slender - Ah ! Oh ! Ah ! Oh !

Evans - Foui.

Shallow - Son grand-père lui a légué sept cents livres ?

Evans - Foui, et son bère n’est pas cousu te haricots.

Shallow - C’est une fille douée.

Evans - Fous l’afez tit. Et la nature l’a aussi kâtée, elle a une pelle champe.

Slender - L’autre n’est pas mal non plus.

Evans - Naturellement. Et toutes ses formes qui s’annoncent, s’annoncent pien.

Shallow - Homme d’Eglise, à quoi pensez-vous ?

Evans - Ce que Tieu a réussi me bréoccube autant que ce qu’il a manqué. Elle a…

Shallow - Vous ferez l’inventaire une autre fois. Allons voir Maître Page.

Evans - Allons le foir.

Shallow - Et Falstaff ? Où est Falstaff ? Au tribunal, au tribunal !

Slender - Il a envie d’un tribunal.

Shallow - Où est Falstaff ? Par Notre-Dame de la Bascule, Curé, dites-moi où il est !

Evans - Che ne fous cacherai pas la férité car bour moi mentir est mentir et on ne beut bas mentir en tissant la vérité. Est-ce clair ?

Slender - Non, c’est en tissant la vérité qu’on fait les plus beaux mensonges.

Evans - Slender, fous êtes patin. Fous sétuirez Mlle Pache.

Shallow - Curé, dites-moi où est Falstaff ou je vous…

Evans - Il est ici. Mais laissez-nous tiriger les obérations, Sir Shallow, fous serez un anche. Et même un chérupin. Che vais frabber à la porte tes Pache. (Il frappe.) Holà ! Ho ! Que Tieu arrose cette maison te ses pénétiction. (Page entre.) Maître Pache, c’est Tieu qui fous enfoie.

Page - Dieu lui-même ?

Evans - Foui.

Page - A qui revient l’honneur ? A vous ou à moi ?

Evans - Par Notre-Tame te la Pascule, aux teux. Il a choisi les fisiteurs et le fissité. Che vous présente le cheune Maître Slenter.

Page - Je suis très heureux de recevoir votre Auguste Trinité.

Evans - Le nompre trois est un nompre tifin. Il n’apporte que rencontre et choie.

Slender - Oui, c’est le nombre de l’adultère.

Evans - Slenter, on tirait que fotre cerfelle est le reflet te fos pieds.

Slender - Excusez-moi. J’ai toujours admiré les gens qui disent ce qu’ils veulent dire. Mes phrases à moi sont pleines de mots qui font les francs-tireurs.

Evans - Fous fouliez tire que nous ressemplons aux trois Rois Maches ?

Slender - Oui.

Evans - Effitemment, fous étiez loin tu compte. Parce que nous apportons en cateau un choli petit prochet ?

Slender - Oui.

Page - Un quoi ?

Evans - Un prochet.

Page - Un brochet ! Je vous remercie, Maître Shallow, vous m’avez déjà envoyé du gibier.

Slender - Vous, c’est sur la pelure des mots que vous glissez.

Evans - Foui. Non. Che ne feux pas parler t’un prochet qu’on met tans le court-pouillon, mais t’un prochet qu’on a tans la tête.

Page - Ah ! d’un projet…

Evans - Foui. T’un prochet sbéculatif.

Page - Il s’agit d’argent ?

Evans - Non, mais c’est un prochet qui temante encore un peu te soleil avant te laisser tékacher tout son parfum.

Page - Sir Evans, l’habitude du mystère vous rend
mystérieux…

Evans - On m’a tit que c’était mon charme.

Shallow - Monsieur Page, comment va l’excellente Mme Page ? Mon gibier lui a-t-il plu ? Il avait été mal tiré…

Page - Mais il a été bien mangé.

Shallow - J’en suis ravi. Monsieur Page, pouvez-vous me dire où se trouve Sir Jean Falstaff ?

Page - Il est tout près et je suis heureux de vous offrir mes bons offi­ces à tous les deux.

Evans - Fous êtes un frai homme et un chaud chrétien.

Shallow - Monsieur Page, Sir Falstaff m’a offensé.

Page - Il n’est pas sans le confesser.

Shallow - Confesser n’est pas réparer. Il m’a outragé, Monsieur Page, outragé. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier cet outrage. Vous avez devant vous un homme outragé.

Slender - Voilà de la belle outrage !

Evans - Slender, fous êtes patin. Fous sétuirez…

Sir Jean Falstaff, Bardolph, Mym et Pistolet entrent.

Falstaff - Saluez !

Les trois ensemble - Saluons !

Bardolph (à Page) - Votre Magnificence…

Nym (à Shallow) - Votre Fureur…

Pistolet (à Evans) - Votre Verdeur…

Nym (à Slender) - Votre Indolence…

Falstaff - Excusez le quatuor, Messieurs, je me déplace volontiers précédé d’une musique légère. Ça me donne des ailes et j’en ai bien besoin. Ainsi, Maître Shallow, vous voulez vous plaindre de moi à Sa Majesté ?

Shallow - Chevalier, vous avez rossé mes gens, tué mes cerfs et forcé mon pavillon.

Falstaff - Mais la fille de votre garde est intacte.

Shallow - La belle affaire !

Falstaff - Et c’est l’essentiel, car les coups se digèrent, le cerf se mange et ce genre de serrure se répare.

Shallow - Vous répondrez de tout cela.

Falstaff - C’est fait.

Shallow - Devant le Conseil.

Falstaff - Conseil pour conseil, si vous voulez sauver la face, mettez tout ça dans la poche avec un gros mouchoir dessus.

Evans - « Pauca ferpa », Sir Chean.

Falstaff - Et toi, « multum silentium », veux-tu, bonhomme. Slender, vous à qui j’ai rompu la tête, sur quelle matière en avez-vous contre moi ?

Slender - Sur la matière grise que vous m’avez bousculée.

Falstaff - « Quand tu me bouscules, tu me stimules » dit la chanson. Ensuite ?

Slender - Ensuite, vos trois larrons…

Falstaff - Les larrons marchent par paires. Le nombre trois est divin. Il n’apporte que rencontre et joie. Le père Evans a dû vous le dire. « Tout ce qui marche par trois est bon. Les trois Krâsses, les neuf Muses qui sont trois fois trois, les trois Parques qui nous télivrent de tous nos maux, bien t’autres encore et Tieu lui-même qui s’est mis en trois. »

Evans - Non. En croix.

Pistolet, Nym et Bardolph -

Dans nos moments d’allegretto

Si la musique nous rassemble

Car nous aimons le bel canto

Dans nos affaires in petto

Nous n’opérons jamais ensemble

Nous ne sommes pas un trio.

Pistolet -

Chacun de nous à sa manière

J’œuvre en force et dans le compact.

Nym -

Je suis tout esprit et tout tact

J’effleure à peine la matière.

Bardolph -

J’aime le mouvement tournant

Celui de l’ivresse qui gire.

C’est la spirale qui m’inspire

Et tout ce que j’obtiens de grand

C’est par elle que je l’aspire.

Pistolet, Nym et Bardolph -

Dans nos moments d’allegretto

Si la musique nous rassemble

Dans nos affaires in petto

Nous n’opérons jamais ensemble

Nous ne sommes pas un trio.

Falstaff - Alors, qu’as-tu à reprocher à mes gens ?

Slender - De m’avoir entraîné au cabaret, de m’avoir saoulé et de m’avoir fait les poches.

Bardolph - Tais-toi. Quand tu parles, j’ai l’impression de voir couler un fromage.

Pistolet - Regarde-moi cette petite fourmi qui veut tramer un mensonge dix fois plus gros qu’elle !

Slender - Messieurs, vous voyez…

Nym - Tais-toi, cafard !

Shallow - Au tribunal, au tribunal !

Evans - Paix. Par Notre-Tame te la Pascule, paix. Laissez-moi m’entremettre.

Falstaff - Vous êtes trop mince, on ne s’en apercevra pas. Pistolet, avez-vous travaillé à la tire sur le Sieur Slender ?

Slender - Oui.

Falstaff - Taisez-vous !

Slender - Il m’a volé sept pièces d’argent et deux d’or.

Falstaff - Est-ce vrai, Pistolet ? Mais c’est très laid !

Pistolet - Sir Falstaff, vous ne voyez pas qu’il a les oreilles en forme de point d’interrogation, ce qui est la marque des menteurs ? J’ai fait des études là-dessus, quand j’étais à l’armée, pour trier les recrues

Slender - Alors, si ce n’est vous, c’est vous.

Nym - Moi, Monsieur ? Si vous me piquez, c’est à vous qu’il en cuira !

Slender - Alors, si ce n’est vous, c’est vous.

Bardolph - Ce n’est pas en sautant d’un agneau à l’autre que vous trouverez le loup.

Falstaff - Alors, Slender, qu’est-ce que ça signifie tout ça ?

Bardolph - Monsieur a dû se saouler au point d’en perdre les cinq sentences.

Evans - « Les cinq sens », ignorant.

Bardolph - Ignorant vous-même ! J’ai dit « les cinq sentences » qui sont : « la fermer quand on sait, par prudence », « la fermer quand on ne sait pas, par humilité », et trois autres semblables que j’ai oubliées mais qui sont aussi véridiques.

Pistolet - Et s’il s’agissait des cinq sens, permettez-moi de vous faire re­marquer que chez ce monsieur ils ne sont pas très développés. Le nez est gros mais complètement creux. Les yeux se sont vidés de leur regard, on dirait des moules. La langue m’a l’air poreuse, la peau complètement imperméable. Quant aux oreilles, j’en ai déjà parlé.

Nym - Comment voulez-vous vous fier à de pareils instruments ?

Slender - Les serpents ont la langue bien pendue, c’est connu.

Nym - Mais ils se mordent la queue. Serpent vous-même.

Slender - Sir Evans, je fais devant vous un serpent solennel… Non, un serment solennel, que je vous prie de transmettre à Dieu, si vous avez les moyens de l’atteindre…

Evans - Foui. Par Notre-Tame te la Pascule et son Petit Chésus. C’est tirect.

Slender - Je jure de ne plus jamais me saouler qu’en honnête et pieuse compagnie.

Evans - Foilà te la fraie vertu.

Slender - On ne peut se fier qu’aux gens qui ont la crainte de Dieu.

Evans - Che fous le tisais. On en refient touchours à la crainte te Tieu.

Falstaff - Quand Dieu entre en scène, la pièce est finie ; il n’y a plus qu’à tirer le rideau. La cause est entendue.

Shallow - Au tribunal, au tribunal !

Mme Ford et Mme Page entrent, ainsi qu’Anne Page, apportant du vin.

Page (à Anne) - Remporte ce vin, nous le boirons à
l’intérieur.

Anne sort.

Slender - Oh ! Ciel ! C’était Mlle Anne Page… Mon esprit bat la campagne. Ces bandits n’auraient-ils pas raison ? Mes cinq sens ne sont-ils pas en léthargie ?

Page - Comment allez-vous, Madame Ford ?

Mme Ford - Bien, je vous remercie.

Falstaff - En vérité, Madame Ford, je suis ravi de vous rencontrer. Avec votre permission… (Il l’embrasse.)

Page - Madame Page, veuillez souhaiter à ces messieurs la bienvenue chez nous. Entrez. Nous avons un pâté de venaison qu’il faut manger chaud et promettez-moi de boire de quoi noyer toutes ces petites histoires.

Tous - On vous le promet !

Ils sortent, à l’exception de Shallow, Slender et Evans…

Slender - Je donnerais gros pour avoir mon recueil de bonnes histoires. Où est mon valet ? Simple ! Simple ! C’est curieux comme ceux qui ne savent pas se servir eux-mêmes sont mal servis. Simple ! Simple !… Ah ! te voilà ! (Simple entre.) Où as-tu mis mon recueil de bonnes histoires ? L’as-tu sur toi ?

Simple - Non. Vous l’avez prêté pour la Toussaint à Alice Shortcake. Depuis, d’ailleurs, elle a mal tourné.

Slender - Tu n’es bon à rien. Va te cacher !

Shallow - Petit cousin Abraham, à quoi rêvez-vous ? Etes-vous dans l’exercice d’un sixième sens ?

Evans - On tirait que la petite Anne Pache fous a touché.

Shallow - Vous l’avez vue, cousin. Etes-vous prêt à l’aimer ?

Slender - Ma foi…

Evans - La tésirez-fous ?

Slender - Ma foi…

Shallow - Comment la trouvez-vous ?

Slender - Ma foi…

Evans - Par Notre-Tame te la Pascule, répondez clairement.

Slender -

C’est justement cette Notre-Dame-là qui m’inspire je

balance.

Je suis le siège trouble et c’est là ma détresse,

D’un mécanisme étrange et quasi horloger.

Je ne sais pas vers qui je dois pencher.

Et pourtant je penche sans cesse.

Mon Dieu, vous qu’on dit influent

Accordez-moi le penchant dominant.

Ma volonté ressemble aux algues trop flexibles

Seul un liquide arrive à les faire dresser

Mais le flot clair de mon esprit léger

A des hauts et des bas terribles.

Mon Dieu, vous qu’on dit constructif,

Accordez-moi ce niveau définitif.

Shallow - Voulez-vous épouser Anne Page avec une belle dot ?

Slender - Si vous y tenez.

Shallow - Ce que j’en dis est pour vous, Abraham.

Evans - Nous foulons le savoir de fotre pouche ou de fos lèfres puisque plusieurs philosophes prétentent que les lèfres font partie te la pouche.

Slender - Je veux bien l’épouser. Si l’amour est...

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