Une clinique sous tension

Un directeur de clinique est retrouvé mort dans une salle de soins. Suicide ou meurtre ? La police mène l’enquête. Entre médecins volages et patients en pleine crise, l’inspecteur et son adjoint auront bien du mal à démasquer les coupables.

ACTE I

 

Mme Lambert, en robe de chambre, est en train de frotter vigoureusement l’encadrement de la porte qui se trouve en fond, côté jardin. Un chariot roulant sur lequel sont disposés des produits d’entretien est à côté d’elle.

Mme Lambert. – Purifier ! Il faut purifier ! Ne pas laisser le sang impur abreuver nos sillons… Aux armes ! Aux armes ! Purifions ! Purifions ! (Elle remet du produit puis frotte de plus belle.) Propre ! Propre ! Tout doit être propre.

Arrivée de Fabienne, la cadre de santé. Absorbée par la lecture d’une note de service, elle ne voit pas tout de suite Mme Lambert. Elle se fige quelques instants lorsqu’elle se rend compte de sa présence, puis réagit.

Fabienne. – Madame Lambert ! Qu’est-ce que vous faites ? C’est insensé ! Voulez-vous arrêter, s’il vous plaît ?

Mme Lambert. – Purifier ! Il faut purifier, laver le sang de nos péchés. (Elle s’acharne à frotter.)

Fabienne. – Madame Lambert ! Voulez-vous bien lâcher cette lavette ? Laissez cela ! Vous m’entendez ? Donnez-moi cette lavette !

Mme Lambert. – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu veux ?

Fabienne. – Madame Lambert, donnez-moi cette lavette.

Mme Lambert. – Lavette ? Quelle lavette ? C’est toi la lavette ! Fille de peu de foi ! Tu te couches devant le malheur et tu fermes les yeux pour ne pas voir la vérité. Tu ferais mieux de m’aider à purifier l’endroit, au lieu de cancaner… Ne sais-tu pas que le sang attire le sang ? Alors aide-moi à lessiver pour éloigner la malédiction, au lieu de m’embêter.

Fabienne, se faisant mielleuse. – Mais oui, madame Lambert, vous avez entièrement raison… Nous allons tout nettoyer afin que les méchantes malédictions ne viennent plus nous embêter. Nous allons désinfecter tout le couloir, c’est bien pourquoi il ne faut pas rester là, n’est-ce pas madame Lambert ? Vous allez venir avec moi, je vais vous aider à regagner votre chambre. D’accord ? (Elle consulte un tableau de service près de la porte.) Qui est de ménage, ce matin ? Voyons… Tiphaine Garnier… Où a-t-elle bien pu passer ? Elle va m’entendre, celle-là ! Allons ! Venez, madame Lambert ! Ne restons pas là… Il ne faut pas gêner l’équipe de nettoyage qui va arriver, vous comprenez ?

Mme Lambert. – Ils vont tout purifier ?

Fabienne. – Puisque je vous le dis… Ils vont purifier, laver, lessiver, récurer, désinfecter, stériliser du sol au plafond, et nous n’aurons plus de soucis. N’est-ce pas, madame Lambert ? Venez ! C’est par ici.

Elle lui prend le bras et l’entraîne côté cour vers les chambres des patients. Elles sortent. Quelques secondes plus tard, la porte qui se trouve en fond, côté cour, donnant sur la chambre de garde, s’entrouvre. Une tête apparaît : il s’agit de Jérôme, qui regarde à droite et à gauche avant de s’aventurer dans le couloir.

Jérôme, tout en se réajustant et en reboutonnant sa blouse. – C’est bon, tu peux venir, il n’y a personne… (Tiphaine sort, elle aussi en se réajustant.) Quelle heure est-il ? Huit heures moins le quart ! Déjà ! Il ne faut pas que je traîne… Je vais y aller, j’ai du boulot.

Tiphaine. – Dis plutôt que tu dois pointer auprès de ta femme. Tu sais, n’aie pas peur de me le dire, sois franc pour une fois.

Jérôme. – Tiphaine, je t’en prie ! Ne recommence pas ! Nous en avons déjà parlé suffisamment.

Tiphaine. – Va, gentil toutou, va donc rejoindre ta maîtresse.

Jérôme. – Tu sais bien que ma seule maîtresse, c’est toi. Mais sois patiente, je t’ai dit que je trouverai une solution, fais-moi confiance. D’accord, mon petit chou ?

Tiphaine. – Tout de même… N’attends pas que je sois centenaire, je finirai peut-être par me lasser de tes petits coups à la sauvette. Je n’ai qu’à claquer des doigts pour te remplacer sur-le-champ, alors ne joue pas trop avec moi, mon petit bonhomme.

Jérôme. – C’est bon, arrête !

Tiphaine. – Tu ne me crois pas ? Tu veux que je te rappelle ce que m’a dit Andrieux, la semaine dernière ? Tu devrais t’en souvenir, puisque tu nous as surpris.

Jérôme. – Tiphaine…

Tiphaine, déclamant. – « Des nuits immatérielles quand s’arrête

l’instant

Pendant que mille soleils explosent au printemps

Des nuits au goût de miel j’en goûte la saveur

Quand tes seins, douce abeille, se plantent dans mon cœur. »

Quel poète, cet Andrieux ! Je ne l’aurais jamais imaginé… Eh oui, c’est cela qu’il me balançait, notre cher directeur, lorsque tu es entré par inadvertance… Tu t’en rappelles, n’est-ce pas ? Tu as dû également remarquer qu’il avait déjà négligemment posé une main sur le haut de ma cuisse… Et son regard, t’en souviens-tu ? Un regard à faire sauter les boutons de mon corsage, cela ne peut pas s’oublier.

Jérôme. – Si tu laisses ce sale porc te toucher, je te préviens…

Tiphaine. – Je suis certaine que lui, au moins, saura se montrer prévenant et très disponible.

Jérôme. – Ça ne te suffit pas de séduire ton médecin, te voilà prête à te mettre dans le lit du directeur, à présent… Pour une femme de service, je trouve effectivement que tu es prête à rendre beaucoup de services. C’est sans doute pour justifier ta fonction ?

Tiphaine. – Ne soyez pas vulgaire, docteur Coulomb, vous me décevriez, moi qui apprécie tant votre raffinement…

Jérôme. – Tiphaine, cesse de prendre ce ton ironique avec moi. Tu me connais mal… Tu ne sais pas de quoi je peux être capable.

Tiphaine. – Ne fais donc pas le fanfaron, tu n’es déjà pas capable de quitter ta femme. Alors va jouer les gros bras ailleurs, mais pas avec moi.

Jérôme. – Stop ! Cessons ce jeu ridicule, tu veux bien ? À quoi bon toutes ces querelles ? Arrêtons de nous disputer inutilement. Ne crois-tu pas qu’il serait préférable de se rappeler les moments agréables, les instants plus… câlins ? Dis-moi, c’était plutôt pas mal, tout à l’heure… hum… Il me semble que tu avais plutôt l’air d’apprécier, non ?… Petite coquine… Ne le nie pas, j’ai bien vu que tu adorais te faire ausculter par ton médecin préféré.

Tiphaine. – Voyons… Que veux-tu que je dise qui puisse satisfaire ta vanité de petit mâle conquérant ? Tu veux une note, une appréciation, un diplôme ? (Parlant très fort.) Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, j’ai l’insigne honneur et l’immense plaisir d’attribuer la Palme d’or du plus grand séducteur de la clinique des Rosiers au Dr Jérôme Coulomb, ici présent !

Jérôme. – Chut ! Mais tais-toi ! Tu es complètement folle !

Tiphaine. – Le Dr Coulomb qui, en dehors de ses immenses qualités de praticien reconnues par toutes et tous, réussit l’exploit de faire se pâmer de bonheur l’entière population féminine de la clinique des Rosiers… Le Dr Coulomb qui, par la seule force de son regard magnétique, suscite l’admiration et le désir auprès de ses patientes mais aussi de ses collaboratrices… C’est donc pour l’ensemble de votre œuvre, docteur Coulomb, pour vous remercier d’avoir réussi à ranimer la libido endormie de nous toutes, que nous vous décernons votre trophée. (Elle dégrafe sa blouse, mettant sa poitrine en avant.) Venez le chercher, il est à vous !

Elle se colle à Jérôme, provocante.

Jérôme. – Que fais-tu ? Rhabille-toi ! Tiphaine ! Arrête ! (Il la prend par la blouse pour tenter de la rhabiller. Arrivée, côté cour, de Muriel. Jérôme, la voyant, lâche Tiphaine.) Heu… mademoiselle Garnier, nous reprendrons cette conversation plus tard. Vous n’oublierez pas de passer à mon bureau vers midi. Je crois qu’il est urgent d’y faire un grand ménage.

Tiphaine. – Bien sûr, docteur Coulomb ! Vous pouvez compter sur moi. Ne vous inquiétez pas, je viendrai avec tout mon matériel… comme d’habitude, docteur. Vous me connaissez : je ne ménagerai pas ma peine pour vous être agréable.

Sortie de Jérôme, côté jardin.

Muriel. – Ben dis donc ! Qu’est-ce que tu l’allumes, le toubib ! Tu lui fais sacrément monter la tension. Fais quand même gaffe ! Je te rappelle que sa femme travaille à l’étage au-dessous… Si elle débarquait, elle qui est jalouse comme une lionne, il y aurait du sang sur les murs.

Tiphaine. – Ne parle pas de malheur ! C’est encore nous qui serions obligées de nettoyer… En parlant de nettoyage, c’est toi qui as passé la serpillière ici ?

Muriel. – Mais non, pourquoi ? À chacune son étage… Je viens juste de finir celui du dessus… Je sais bien que je suis ta copine, mais de là à venir te faire ton boulot, faut pas rêver !

Tiphaine. – Je ne suis pas folle, je sais encore ce que je fais… Regarde ! Le sol est propre, fraîchement nettoyé, et pourtant je n’ai rien fait… Tu peux m’expliquer ce mystère ?

Muriel. – Si tu connais quelqu’un qui veut faire le boulot à ma place tout en me laissant ma paie, je veux bien que tu me le présentes, vois-tu, ça m’arrangerait et ça m’éviterait de me casser le dos sur mon balai… Non, sérieusement… Je ne suis pas venue pour résoudre des mystères mais juste pour te prévenir que la mère Tapedure te cherche partout. Elle est furieuse, elle parle d’abandon de poste, d’attitude irresponsable… À l’entendre, tu aurais mis la clinique en péril… Si tu ne veux pas te faire fusiller, t’as intérêt à trouver une excuse béton avant qu’elle ne te tombe dessus.

Tiphaine. – La mère Tapedure, elle peut toujours aboyer, ce n’est pas elle qui va me faire peur.

Muriel. – Méfie-toi que je te dis, elle peut aboyer mais elle peut aussi mordre… Cette femme-là, elle a autant de sensibilité qu’une porte de prison.

Tiphaine. – La porte de prison, elle peut toujours sortir de ses gonds, ce n’est pas ça qui va m’impressionner. (Arrivée, côté jardin, de Mme Andrieux.) Tiens, vise un peu qui vient nous rendre visite.

Muriel. – Mme Andrieux ! La femme du directeur.

Tiphaine. – Que vient-elle faire ici, à cette heure ?

Mme Andrieux, s’avançant vers elles. – Je cherche mon mari.

Tiphaine. – Ben moi, c’est pareil. Et ça fait un moment… Je cherche mon mari, mais je ne l’ai pas encore trouvé… C’est pour ça que je suis toujours célibataire.

Mme Andrieux. – Pardon ?

Tiphaine. – Non, c’est pas grave. Faites pas cette tête-là, c’était de l’humour… Juste pour rigoler.

Mme Andrieux. – Permettez-moi de vous dire que je trouve votre ironie tout à fait déplacée, madame… ? (Elle cherche à lire sur sa blouse.)

Tiphaine. – Tiphaine Garnier, agent de service. C’est écrit là. Vous arrivez à lire ?

Mme Andrieux. – Tiphaine Garnier… Je saurai m’en souvenir… Si vous voyez mon mari, dites-lui que je l’attends dans son bureau. Dites-lui aussi de rebrancher son portable et de consulter sa messagerie. J’espère que ce n’est pas trop vous demander.

Muriel. – Oui, oui… Bien sûr… Vous pouvez compter sur nous.

Tiphaine. – Vous pouvez compter sur elle.

Après avoir toisé Tiphaine, Mme Andrieux tourne les talons et ressort côté jardin.

Muriel. – T’es pas bien de lui parler comme ça ! Tu te rends compte ? C’est la femme du directeur !

Tiphaine. – Et alors ? Ce serait la femme du président de la République que ce serait pareil ! Non, mais… T’as vu la donzelle, avec ses grands airs ? Elle arrive sans dire bonjour, elle nous regarde comme si on était de la crotte de caniche et il faudrait lui faire des courbettes ? Merci bien !

Muriel. – En tout cas, elle n’a vraiment pas apprécié. Tu as remarqué ? Elle a repéré ton nom ; à tous les coups, elle va en parler à son mari. Te voilà dans le collimateur. Tout cela à cause de ta grande bouche… Ma pauvre Tiphaine ! Tu ne changeras donc jamais ?

Tiphaine. – Ne balise pas comme ça, ma petite Muriel ! Que veux-tu donc...

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