Grand-mère est amoureuse

Nicole Legrand n’en revient pas ! Que sa fille Marion puisse avoir un copain, elle le comprend aisément, mais que sa mère lui annonce la même chose ! La pilule est plus dure à avaler. Lorsque mamie lui révèle quelle a, pour fêter l’événement, invité son “fiancé” et la famille de celui-ci, alors c’en est trop ! Malgré leurs réticences, Nicole et Jean-Michel son mari verront arriver Gaston, le fiancé, vieux motard, poète original ; Jacqueline la veuve au franc-parler ; Gérard le fils de Gaston et Tatiana son épouse russe. Ces joyeux drilles toujours prêts à s’amuser ou à blaguer à toute heure du jour ou de la nuit vont rapidement exaspérer Nicole, abasourdie par tant de vitalité. Pour couronner le tout, à la suite d’un quiproquo malheureux provoqué par Mlle Paumier, la commère de l’immeuble, Nicole s’imaginera que Fred, l’ami de sa fille, est lui aussi amoureux de mamie. Comme le lui dit Jean-Michel : “Ta mère, ce n’est plus une mamie, c’est une bombe à retardement.”
Du rire assuré mais aussi de la tendresse et de l’optimisme dans cette comédie familiale qui propose un regard inhabituel sur le troisième âge.

ACTE I

 

Dans le salon, Fred et Marion.

Fred - Ne me quitte pas ! Ne me quitte pas ! Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien…

Marion - Ouais ! Ouais ! C’est ça… Cause toujours, tu m’intéresses !

Fred - Moi je t’offrirai des perles de pluie…

Marion - Te fatigue pas ! Je connais la chanson. Non seulement monsieur est encore plus collant qu’un pot de glue, mais en plus il n’est pas fichu d’être original ! Alors, par pitié, arrête de faire le Jacques…

Fred - Marion, cesse de me prendre pour une brêle ! Je t’assure que je suis sincère. Je t’aime ! Sans toi je ne suis rien. Nous sommes faits pour être ensemble, c’est une évidence. Tu ne peux pas me laisser tomber… Tu ne peux pas nous laisser tomber, ce serait parfaitement incongru. Te rends-tu compte ? C’est comme si on imaginait un Tintin sans Milou, un Arthur sans Martin, un Laurel sans Hardy, un Milan sans Rémo… Tu comprends ? (Marion ne réagit pas.) Que me faut-il dire ? Que me faut-il faire pour que tu comprennes ?… Marion ! Mon amour ! Ma joie ! Tu es le soleil de mes nuits, tu es l’astre qui illumine ma vie…

Marion - Je sais, moi je suis un astre et toi un désastre. Des calamités comme toi, je n’en veux pas. Alors tu te barres. Allez ! Casse-toi !

Fred - Comment une fille aussi charmante et intelligente peut-elle devenir aussi cruelle ? Non, ce n’est pas possible… Ce n’est pas réel… Il doit s’agir d’un mauvais rêve… Mais oui, bien sûr ! Tout ceci n’est qu’un détestable petit cauchemar et, lorsque je vais me réveiller, tout va s’éclairer et redevenir comme avant. (Il fait mine de s’endormir quelques secondes, la tête sur le côté, puis fait semblant de se réveiller en s’étirant.) Ah ! tu es là ma chérie ! Comme je suis content de te voir ! Si tu savais ! J’ai cru un instant t’avoir perdue… Ne dis rien. Tu sais, je l’ai vraiment cru. Une sensation horrible, c’était affreux… Enfin, tout est bien qui finit bien. Tu es là, c’est le principal. N’en parlons plus… Et si nous allions au restaurant pour fêter nos retrouvailles ? Qu’en penses-tu ? N’est-ce pas une merveilleuse idée ?

Marion - Ben voyons ! On efface tout et on recommence, n’est-ce pas ? Ce serait tellement plus simple, pas vrai ?

Fred - Ben oui.

Marion - Des fois, je me demande sincèrement si tu es bête ou si tu le fais exprès. Tu crois peut-être que je vais oublier aussi facilement ce qui vient de se passer ?

Fred - Mais il ne s’est rien passé !

Marion - Arrête un peu ton numéro d’amnésique ! Tu commences à m’agacer sérieusement. Vouloir jouer les aveugles à ce point, je n’ai jamais vu ça, dis donc ! Si tu te prends pour Ray Charles, achète un piano !

Fred - Puisque je te dis que je n’ai rien fait !

Marion - C’est cela ! Continue à me prendre pour une pomme ! Une fille te saute dessus devant moi et te fait des papouilles, et toi tu dis qu’il ne s’est rien passé ? Je te trouve un peu gonflé !

Fred - Je te l’ai déjà expliqué cent fois. C’est une amie d’enfance, je ne pouvais tout de même pas la rembarrer comme ça…

Marion - Tu n’étais pas obligé de te montrer si… chaleureux.

Fred - Ecoute, Marion, ce n’est pas parce qu’un chien court après une voiture qu’il veut apprendre à conduire.

Marion - Ce qui veut dire ?

Fred - Qu’on peut être gentil avec la gent féminine sans avoir forcément des pensées lubriques derrière la tête.

Marion - Méfie-toi, dragueur de banlieue ! Moi aussi je peux être gentille ! Figure-toi que tu n’es pas le seul à avoir des amis d’enfance. Maintenant tu dégages ! Je t’ai assez vu. Et ne t’avise surtout pas de remettre les pieds ici. Vois-tu, dans la famille, on n’aime pas les faux-culs.

Fred - Mais, mon amour, puisque je te dis…

Marion pousse Fred vers la porte d’entrée et le fait sortir sans ménagement.

Marion (hurlant) - Fiche le camp que je te dis !… Bon débarras !

Jean-Michel (venant de son bureau) - Que se passe-t-il ? C’est toi qui fais tout ce raffut ?

Marion - Ne t’inquiète pas, l’orage est passé.

Jean-Michel - J’ai pourtant eu l’impression que la foudre n’était pas tombée loin.

Marion - Rassure-toi, papa, les coups de foudre, à présent, c’est fini.

Jean-Michel - Allons donc ! Quelles sont ces stupides résolutions ?

Marion - Je viens de casser avec Fred.

Jean-Michel - Qu’est-ce que vous avez cassé ?

Marion - Je viens de rompre notre relation, si tu préfères.

Jean-Michel - Bien sûr que je préfère ! Il est tout de même plus élégant de rompre une relation plutôt que de « casser », comme tu dis.

Marion - En attendant, le résultat est le même. A partir d’aujourd’hui, ce pauvre type est exclu de ma vie. C’est bien simple : il n’existe plus.

Jean-Michel - Dis donc, Marion, je te trouve bien expéditive ! Je sais bien que nous sommes aujourd’hui dans l’ère du jetable, du consommable, mais de là à tout balancer… Pauvre garçon ! Tu n’as pas pris le temps de nous le présenter que déjà tu le congédies. Pourtant vous aviez l’air amoureux, hier, lorsque je vous ai entraperçus dans la cage d’escalier… Je ne sais même pas si tu t’en es rendu compte… Je ne crois pas… Tu paraissais tellement absorbée par votre baiser hollywoodien… Tu sais, le genre de baiser qui dure si longtemps qu’on ne sait plus à la fin si c’est un baiser ou un cours de réanimation. Quand je suis arrivé, le bouche-à-bouche ça y allait ! Je me suis même dit que vous deviez vous entraîner pour essayer d’entrer dans le « Livre des records ».

Marion - Eh ben, tu vois, le record il attendra… Ne t’en fais pas mon Papou ! Comme on dit : « Un de perdu et dix de retrouvés. »

Jean-Michel - Cela nous promet de beaux embouteillages dans l’escalier !

Marion - Ne t’affole pas ! Je n’ai pas dit dix en même temps !

Marion sort vers les chambres.

Jean-Michel - J’espère bien ! Sacrée fifille !

Jean-Michel entre dans son bureau.

Arrivée de Nicole et de Mlle Paumier.

Nicole - Entrez ! Entrez, mademoiselle Paumier !

Mlle Paumier - C’est que je ne voudrais surtout pas vous déranger, madame Legrand.

Nicole - Mais non, vous ne me dérangez pas ! Et puis, on ne peut pas continuer à discuter sur le palier… Ce que vous me dites est tellement hallucinant, je n’ose y croire.

Mlle Paumier - Hélas ! c’est pourtant bien la vérité ! C’est pourquoi j’ai cru de mon devoir de vous mettre au courant.

Nicole - Et vous dites qu’il la tenait par la taille ?

Mlle Paumier - C’est comme je vous le dis, madame Legrand. Ils se tenaient enlacés, collés comme des sangsues. Si, si, je vous assure… Et ensuite, arrivés sur le palier, eh bien… ils se sont embrassés sur la bouche !

Nicole - A pleine bouche ? Vous voulez dire… avec la langue ?

Mlle Paumier - Bien sûr ! Avec la langue !

Nicole - Mais c’est dégoûtant !

Mlle Paumier - Ah ça ! Je ne vous le fais pas dire !

Nicole - Je n’y crois pas ! (Insistant sur les syllabes.) Je n’y crois pas !… Mais lui ? Ce type… Comment est-il ? Racontez-moi.

Mlle Paumier - Lui ? Sensiblement le même âge, peut-être même un peu plus vieux.

Nicole - Un peu plus vieux ? Oh ! mon Dieu ! Et de quoi a-t-il l’air ?

Mlle Paumier - Je vais être franche avec vous… Justement, il n’a pas un air très catholique, mais alors là, pas du tout… Il a un genre… Comment vous dire… Un genre vicieux… Oui, vicieux, c’est le mot… Je ne sais pas si vous pouvez imaginer… L’œil mauvais, le blouson noir…

Nicole - Le blouson noir !

Mlle Paumier - Madame Legrand, je ne vous le cache pas : à moi, il me fiche la trouille. A tel point que si je le rencontrais dans l’escalier, je ne sais pas comment je réagirais… Et pourtant, vous me connaissez, je ne suis pas peureuse.

Nicole - Mais comment est-ce possible ? Où a-t-elle pu le rencontrer ? Je ne comprends pas.

Mlle Paumier - Et moi non plus, madame Legrand. Moi non plus. Cela fait pourtant des années que je la connais. Mais qui l’eut cru ? Elle, si douce, si discrète… Sans vous commander, vous devriez surveiller plus étroitement ses fréquentations.

Nicole - Oui, mais comment faire ? Je ne peux pas, à son âge, la réprimander comme une gamine !

Mlle Paumier - Il est vrai que ce n’est pas facile… Mais tout de même, vous allez réagir, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez tolérer un tel comportement !

Nicole - Depuis qu’on lui a aménagé le studio en haut, on ne peut plus contrôler ses allées et venues. Elle voulait son indépendance, qu’elle nous disait… Maintenant je comprends mieux !

Mlle Paumier - Ne vous inquiétez pas, vous savez bien que mon appartement donne sur le même palier… Par le judas de ma porte, je peux tout voir… Si vous saviez ! De nos jours, on voit de ces choses ! Je vous tiendrai au courant. Vous pouvez compter sur moi, madame Legrand.

Nicole - Merci beaucoup, mademoiselle Paumier. Naturellement, je compte également sur votre discrétion pour ne pas ébruiter…

Mlle Paumier - Vous me connaissez, madame Legrand, ceci restera entre nous… Oh ! j’oubliais… Je ne vous ai pas dit le plus beau ! C’est Mme Martinez, la boulangère, qui me l’a raconté. Hier matin, ils sont entrés dans la boulangerie pour acheter des croissants. Eh bien, figurez-vous qu’il lui a dit : « Mon Roudoudou d’amour, veux-tu un croissant au beurre ? »

Nicole - Et qu’a-t-elle répondu ?

Mlle Paumier - Rien ! Elle s’est contentée de glousser !

Nicole - De glousser ?

Mlle Paumier - Oui ! De glousser ! Comme une poule, elle gloussait. Qu’est-ce qu’on a ri avec Mme Martinez !… « Mon Roudoudou d’amour » ! Vous vous rendez compte ? (Elle rit nerveusement.)

Nicole - Oui… Eh bien, moi, cela ne me fait pas rire ! Mais alors là, pas rire du tout !

Mlle Paumier - Oh ! ben oui ! Je vous comprends. En attendant, comme je vous l’ai dit, vous pouvez compter sur moi. Dès que j’ai du nouveau, je vous préviens. Au revoir madame Legrand !

Nicole - C’est cela ! Au revoir ! (Sortie de Mlle Paumier. Nicole se dirige vers le bar et se sert un double whisky qu’elle avale d’un trait.) Mais ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai !… Folle ! Oui, c’est cela, elle est devenue folle ! Foldingue de chez foldingue, comme disent les jeunes… Non seulement elle est devenue folle, mais elle risque de nous rendre nous aussi complètement fous. Ah là là ! Quand Jean-Michel va savoir ça… Bon ! D’abord me calmer et ensuite réfléchir.

Elle ouvre un placard et en sort une dizaine de chaussures qu’elle se met à brosser frénétiquement.

Entrée de Jean-Michel. Affairé, il ne prête pas tout de suite attention à Nicole qui continue rageusement à brosser. Au bout d’un moment, il finit par s’en rendre compte.

Jean-Michel - Ah ! je vois que les chaussures sont de sortie ! Alors, qu’est-ce qu’il y a ? Décidément, c’est la journée ! On a une petite contrariété ?

Nicole (tout en continuant) - Non ! Pas une petite contrariété… Une grosse contrariété.

Jean-Michel - Allons bon ! Qu’ y a-t-il donc de si grave ?

Nicole - Elle se fait appeler « Roudoudou d’amour » devant la boulangère. Elle se fait peloter sans vergogne. Elle se laisse embrasser sur la bouche, dans notre immeuble, sur le palier.

Jean-Michel - Sur le palier ou dans l’escalier ?

Nicole - Quelle importance ?

Jean-Michel - Dans l’escalier, on gêne les allées et venues, tandis que sur le palier…

Nicole (ignorant l’explication) - Elle ne pourra pas le nier, Mlle Paumier les a vus en regardant dans son judas. Non, mais te rends-tu compte ?

Jean-Michel - Alors là ! Si c’est Mlle Paumier qui les a vus à travers son judas, moi je m’en lave les mains.

Nicole - C’est tout l’effet que ça te fait ? Espèce de Ponce Pilate !

Jean-Michel - Voyons, Nicole !...

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