La Victoire d’Alexandre

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Dans un village côtier de Normandie, quelques jours avant le débarquement, un inventeur Français va créer une machine qui peut bouleverser le cours de l’histoire. Il faut à tous prix empêcher un gradé Allemand de connaître la vérité. Il en va de l’issu de la deuxième guerre mondiale et de l’avenir du monde !
Cette comédie, mêlant science-fiction et histoire de France, ne manque pas d’originalité.
Ah oui, j’oubliais, elle est écrite en alexandrins. Mais des alexandrins dépoussiérés, fluides, drôles.
Un régal !

Liste des personnages (4)

PAULETTEFemme • Adulte/Senior/Jeune adulte • 164 répliques
Paulette, sœur d’Alexandre, est une résistante qui ne se dégonfle pas devant le colonel Richter. Elle est directe.
ALEXANDREHomme • Adulte/Senior/Jeune adulte • 261 répliques
Alexandre est un chercheur, il est un peu naïf vis-à-vis des intentions du colonel. Il est dans son monde, obnubilé par son expérience.
VICTOIREFemme • Jeune adulte/Adulte • 231 répliques
URSULAFemme • Jeune adulte/Adulte • 100 répliques
Ursula, fille du colonel, est entrepreneuse et nymphomane. Elle est fourbe et prête à tout pour obtenir des résultats.

Décor (1)

Un laboratoire en 1944Nous sommes dans un laboratoire en 1944. Au fond de scène, une paillasse avec au mur un panneau avec quelques voyants et fils électriques. Juste devant un fauteuil de travail. Côté jardin en avant-scène une porte donnant sur l'extérieur, juste après une fenêtre avec vue sur la mer. Côté cour une porte donnant sur le laboratoire de Victoire. Toujours côté cour, une table avec deux chaises en paille, une étagère au mur avec quelques bouteilles de vin..

La Victoire d’Alexandre

(3 juin 1944)

 

Pièce en vers de François Scharre

 

 

 

 

 

Nous sommes le 3 juin 1944, à Saint-Laurent sur mer, petite ville sur la côte Normande.

 

Le décor : le laboratoire d’Alexandre Delamouillette. Une grande paillasse qui prend pratiquement tout le fond de la scène, avec quelques tiroirs. Au-dessus de la paillasse, sur le mur, un grand panneau de bois d’où sortent fils, voyants et autres manettes. Côté jardin, au premier plan, une porte donnant sur l’extérieur, au second plan, une fenêtre donnant sur la plage de Saint-Laurent-sur-mer. Côté cour, au second plan, une porte donnant sur un second laboratoire, celui de Victoire. Un fauteuil à roulettes devant la paillasse. Au premier plan côté cour, une simple table avec deux chaises en paille. Sur la table, 3 bouteilles de vin, une cruche d’eau. Au-dessus de la table, une étagère avec des verres, des bouteilles de vin, une bouteille de sirop d’orange. Sur la paillasse, quelques outils, un bonnet de cuir relié à des fils électriques, une radio TSF, un téléphone. Sous la paillasse, un gros boitier en bois (30x30x80 cm) muni d’une poignée avec un autre bonnet de cuir avec fils électriques. À côté de la porte d’entrée, une patère avec une veste.

 

 

Acte 1 :

 

Le matin du samedi 3 juin 1944

 

Acte 1, Scène 1 : Paulette, Victoire.

 

Paulette, assise sur le siège à roulettes, écoute Radio Londres, au poste TSF. Elle est dos à la porte d’entrée. Un panier est posé à ses pieds. Quand elle parle, Paulette est franche et sans détours.

 

Voix nasillarde de la radio - Ici Londres, les Français parlent aux Français.

Ce matin à Greenwich, le fond de l’air est frais.

Nous sommes le trois juin mille neuf cent quarant’ quatre,

La guerre n’est pas finie et il faudra combattre.

Et voici tout d’abord des messages personnels :

Si tu perds ton falsar, achète-toi des bretelle s.

Le petit brun, Adolf, porte une fausse mousta che,

la mère Éva Braun lui file des coups de crava che.

Les clés du char d’assaut sont sur le pare-soleil .

Monseigneur l’archevêque a mal au gros ortei l.

Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone.

Si tu vas à Rio, n’oublie pas ton chapeau. (Victoire entre discrètement par la porte d’entrée, puis referme doucement la porte derrière elle.)

Le chien du général n’est qu’un vilain cabot.

PAULETTE sursaute en voyant Victoire - C’est toi ! Tu m’as fait peur !

Voix de la radio -                                                  La grande tour est détruite.

VICTOIRE - Le son est bien trop fort ! (Paulette baisse un peu le volume de la radio. Elles continuent d’écouter toutes les deux la radio.)

Voix de la radio -                                                       Les carottes sont cuites.

N’oublie pas ton caleçon pour traverser la manche .

Ma grand-mère en cachette a sifflé trois boutanches .

Les messages sont finis aujourd’hui, messieurs-dames,

mais nous continuons la suite de nos programmes.

 

 Musique de Glenn Miller à la radio puis, Paulette éteint le poste.

 

VICTOIRE - On entend de dehors, fais un peu gaffe, Paulette !

PAULETTE la rassurant - Le colon est parti, avec mon frère.

 

VICTOIRE -                                                                Arrête !

Moi je veux bien t’aider, je te l’ai déjà dit…

PAULETTE lui coupant la parole - Mais tu n’veux pas plonger, ça, je l’ai bien compris !

VICTOIRE se tournant vers la machine qui est fixée au mur - Alexandre a fini son anticipator !

PAULETTE montre la machine. - Faire ça pour les Allemands, je ne suis pas d’accord !

Mon frère est collabo !

VICTOIRE -                                   Ne dis pas ça, Paulette !

PAULETTE - Aider les boches, Victoire ! (Elle soupire), Mais qu’est-ce qu’il a en tête ?

VICTOIRE défendant Alexandre - Ton frère est comme il est, il ne pense pas à mal.

PAULETTE - Il ne pense pas du tout. Il fait un arsenal,

payé par les Allemands, pour l’Allemagne d’Hitler !

Il travaille pour l’ennemi ! Et dire qu’il est mon frère !

VICTOIRE - Tu exagères toujours, c’est un grand inventeur !

Tu ne crois pas en lui, pourtant tu es sa sœur !

(Rêveuse, amoureuse)

C’est un idéaliste, moi je l’aime comme il est !

PAULETTE - Oui tu l’idéalises, car tu l’aimes, je le sais !

VICTOIRE, gênée - Non, qu’est-ce que tu racontes !

PAULETTE -                                                                Tu crois qu’je t’ai pas vu !

Depuis la première fois que tu l’as aperçu.

Quand tu es près de lui, tes yeux brillent, tes mains tremblent.

VICTOIRE - Ce n’est pas c’que tu crois ! Si on travaille ensemble,

depuis cinq ans déjà, il est vraiment normal…

PAULETTE lui coupant la parole - Que tu l’aimes comm’ une folle, c’est clair comme du cristal !

VICTOIRE - Écout’, tu es gênante ! (Un temps. Passant à autre chose) Ça y est, j’ai préparé

tous les explosifs que tu m’avais demandés.

PAULETTE - J’ai ici un panier, au fond j’ai mis d’la paille.

(Elle attrape le panier qui était à ses pieds. On voit deux poireaux dépasser.)

Cachons-les comme si c’était des victuailles.

VICTOIRE - Les bâtons d’dynamite, dans du papier journal,

comme de la charcut’rie !

PAULETTE -                                           Ton idée n’est pas mal !

VICTOIRE - Et pour les trois bouteilles de cocktails Molotov ?

Paulette - Je vais les enrouler dans ce vieux bout d’étoffe ! (Elle sort un morceau de tissu.)

VICTOIRE - J’ai camouflé le tout dans des bouteilles de cidre !

Les mèches sont à part.

PAULETTE -                                        C’est loin d’être stupide !

VICTOIRE - J’ai fait comme convenu, douz' bâtons d’dynamite !

PAULETTE  - Super, et grâce à toi, avec mes acolytes

du réseau résistant, juste au lever du jour

On f’ra péter le poste de la Kommandantur.

VICTOIRE - Tu feras attention !

PAULETTE  -                                     T’en fais pas, n’ai pas peur !

VICTOIRE - Et s’ils t’arrêtent, tu dis…

PAULETTE  plaisantant. -

qui a tout préparé ! Championne du sabotage,

elle est dans le labo, juste au bord de la plage !

VICTOIRE souriant - Tu es bête !

PAULETTE  -                       C’est pratique d’avoir pour connaissance

une chimiste en temps d’ guerre, qui aide la résistance.

VICTOIRE - Viens avec moi, Paulette, tout est dans mon labo.

PAULETTE - Et tes nouvelles mixtures seront finies bientôt ?

VICTOIRE – J’ai terminé hier deux nouvelles potions.

J’ai besoin de cobayes pour voir leurs réactions !

 

Elles sortent vers le second labo.

 

Acte 1, Scène 2 : Helmut, Ursula.

 

Ursula entre. C’est une jolie jeune femme Allemande, habillée d’une petite robe (nous sommes en juin), suivie d’Helmut, soldat Allemand en uniforme. Ils ont l’accent Allemand. Il lui court après et ils rigolent tous les deux. Il la chatouille, ils finissent contre le plan de travail où se trouve l’invention d’Alexandre.

 

URSULA - Tu me chatouilles, Helmut !

HELMUT -                                            Et alors, tu n’aimes pas ?

 

Il sort une flasque d’alcool de sa tenue militaire et en boit une rasade.

 

 

URSULA, l’œil coquin – Oh ! Tu n’es pas sérieux ! On n’va pas faire ça là ?

HELMUT - Pourquoi pas, Ursula ?

URSULA - Et si quelqu’un entrait ! (Elle s’éloigne de lui.)

HELMUT - Qui donc ? Le colonel ? Ou le petit Français ?

URSULA - Ou bien n’importe qui ! Dans ce laboratoire,

rien n’est fermé à clé !

HELMUT impatient -              Viens plutôt me faire voir !

Ces jolis sous-vêtements que tu as mis pour moi !

URSULA - Toi, tu n’es qu’un fripon ! Tu ne penses qu’à ça !

HELMUT - Tu m’excites, que veux-tu ! Viens ici, Ursula !

Je t’aime autant, je crois, qu’ma bouteille de vodka  !

 

Il se ressert une rasade avec sa flasque. Ursula se retourne vers la machine.

 

URSULA - C’est donc ça, cette machine dont m’a parlée mon père !

HELMUT - Oui, oui ! Mais viens par là, j’aimerais me distraire !

URSULA - Tu sais comment ça marche. À quoi ça peut servir ?

HELMUT - Non, je n’y comprends rien, mais ils ont l’air de dire

que ça peut tout changer !

URSULA -                                       Comment ça, tout changer ?

HELMUT - Pour la fin de la guerre. Allez ! Viens m’embrasser !

URSULA - Si mon père nous voyait : sa fille et son chauffeur !

HELMUT - Ça barderait pour moi, il me tuerait sur l’heure !

URSULA - Ne parle pas de ça, je tiens à toi, Helmut !

HELMUT - Sur cette belle parole, je bois encore une goutte !

(Il reprend une rasade de vodka.)

Pourtant Dieu sait combien j’aime mon colonel !

(Provocateur) S’il nous surprend un jour, je le provoque en duel !

URSULA amoureusement. -  Tu ferais ça pour moi !

HELMUT -                                     Viens donc sur mes genoux !

 

Elle s’assoit sur ses genoux.

 

Acte 1, Scène 3 : Helmut, Ursula, Richter, Alexandre.

 

Entre le colonel Richter, en trombe (en tenue d’officier allemand, il a l’accent allemand.) Ursula et Helmut se lèvent d’un bon. Ursula rajuste sa tenue, Helmut se met au garde-à-vous. Alexandre, en blouse blanche, suit le colonel et referme la porte derrière lui.

 

RICHTER - Ah ! Helmut, tu es là ! Je te cherche partout !

HELMUT - Bonjour, mon colonel ! (Il fait le salut militaire.)

RICHTER -                                      Je ne suis pas content !

Ça fait plus d’une heure trente que dans tout Saint-Laurent

je te cherche, fripouille. Où étais-tu passé ?

Je me suis dit : quand même, il n’a pas déserté !

HELMUT - Je vous cherchais aussi, mein colonel Richter !

J’ai sillonné les rues de Saint-Laurent sur mer !

RICHTER - Tu as vu ta tenue ! Tu te moques de moi ! (Helmut rajuste sa tenue.)

Et que fais-tu ici, toi aussi, Ursula ?

URSULA - Ne grondez pas Helmut, c’est de ma faute, papa !

Je lui ai demandé de me montrer tout ça ! (Elle fait un geste vers la machine d’Alexandre.)

ALEXANDRE - Bonjour mademoiselle !

URSULA -                                                 Bonjour à vous, monsieur !

Ces machines m’émerveillent et j’en ai plein les yeux !

Je suis fort intriguée ! À quoi cela sert-il ?

ALEXANDRE - C’est là mon invention, elle sera fort utile !

RICHTER - Mais ma petite fille, tu n’y comprendras rien !

Ceci est scientifique !

ALEXANDRE -                            Et complexe, je le crains !

URSULA - Je ne suis pas trop bête, j’aim’ la science, vous savez !

HELMUT - Je crois bien qu’Ursula…

RICHTER, énervé, lui coupant la parole -                   On ne t’a pas sonné

pour te demander le moindr’ avis, soldat Schmitt !

Et reste dans ton coin parce que là tu m’irrites !

 

Helmut va se placer à côté de la table où sont placées plusieurs bouteilles de vin.

 

ALEXANDRE - J’ai fini les réglages cette nuit, colonel !

La machine est cette fois tout à fait fonctionnelle !

URSULA - Oh très bien ! Dites, papa, laissez-moi regarder !

RICHTER - Ce n’est pas fait pour toi, il te faut retourner

dans nos appartements.

ALEXANDRE -                               Mais elle ne dérange pas !

HELMUT, à part - Tiens, voilà de l’alcool !

URSULA -                                                   Allez, dites oui, papa !

RICHTER autoritaire. - Quand je dis non, c’est non ! Sors d’ici maintenant !

HELMUT au public - Un petit verre de vin, ce n’est pas bien méchant  ! (Il se sert un verre de vin.)

URSULA - Au revoir, professeur, je reviendrai vous voir !

ALEXANDRE - Entendu Ursula ! (Ursula sort.)

 

Acte 1, Scène 4 : Helmut, Richter, Alexandre.

 

RICHTER -                                  Pouvons-nous nous asseoir ? (Il s’assoit sur le fauteuil à roulettes.)

ALEXANDRE - Tout à fait, colonel. Mon système est au point,

et, vous m’avez promis que vous prendriez soin

qu’il ne servirait pas à des fins militaires !

RICHTER - Mais j’adore la science ! On a beau être en guerre,

monsieur Delamouillette, je suis un honnête homme.

Vous êtes un grand chercheur, qui fait son maximum

pour faire évoluer la connaissance humaine !

ALEXANDRE - Arrêtez, voulez-vous, car tout ceci me gêne !

RICHTER - Alors, cette machine est vraiment terminée ?

ALEXANDRE – Mon tout dernier essai à très bien fonctionné !

RICHTER - Parce que ça fait deux ans que nous vous finançons,

il ne faudrait pas trop…

HELMUT -                                       Nous prendre pour des cons  !

 

Le colonel, se retourne vers Helmut et le fusille du regard.

 

ALEXANDRE - C’est vrai, grâce à l’argent de votre état-major,

j’ai pu enfin finir mon « Anticipator ».

RICHTER - Rappelez-vous, monsieur, quand je suis arrivé,

les hauts gradés Allemands voulaient tous vous virer…

ALEXANDRE - Vous avez insisté pour que je reste ici !

Vous avez cru en moi et je vous dis : merci !

RICHTER - Tous les autres chercheurs sont partis en Allemagne

sauf vous et Victoire. (Amoureusement, il se lève.) J’aime beaucoup cette femme.

Si je la garde ici, ce n’est pas qu’elle est douée.

Ces malheureuses potions qu’elle nous a fabriquées

ont très peu d’intérêt et tout cela m’amuse.

Mais, je crois qu’elle m’inspire, elle deviendra ma muse :

(Il sent l’inspiration arriver et commence un poème. Il se rapproche de l’avant-scène.)

Elle a toute la beauté d’un Panzer au solei l,

Elle a toutes les rondeurs d’une jolie...

HELMUT qui tient encore la bouteille de vin à la main. - Bouteille  ?

RICHTER se tourne vers Helmut - Tais-toi donc, imbécile ! Je compose un poème,

pour une jolie Française, dont le nom de baptême

est Victoire, c’est un signe. (Il reprend avec emphase.) Je veux crier : Victoire !

Ell’ même peut-être, un jour, me prendra…

HELMUT en riant -                                               Pour une poire  !

RICHTER changeant brusquement de ton. - Tu vas prendre mon poing, crétin buse à la noix !

HELMUT - C’était pour faire la rime !

RICHTER, le menaçant de sa main -       Et celle-là, tu la vois  !

                        (Il reprend son poème.)

Je lui ferais la cour pour pouvoir l’amadouer,

alors, peut-être, un jour, je pourrais... (Il cherche la rime.)

HELMUT faisant un geste obscène -                     La sauter  !

RICHTER – Mais vas-tu arrêter tes grosses blagues à deux balles !

 

Il sort son revolver de son étui et le pointe vers Helmut.

 

Et puis sors d’ici, ou tu vas prendre douz’ balles  !

HELMUT craintif, il recule vers la porte. - Bien sûr, mon colonel, j’attends, là, dans la cour !

 

Toujours l’arme dirigée vers Helmut.

 

RICHTER acide. - Pourquoi ne nous fais-tu plus aucun trait d’humour  !

 

Helmut sort à reculons et referme la porte d’entrée.

 

Acte 1. Scène 5 : Alexandre, Richter.

 

ALEXANDRE - Votre chauffeur Helmut est plutôt rigolo !

RICHTER rengaine son arme. - Moi je dirais plutôt : c’est un sacré poivrot  !

ALEXANDRE - Il a effectivement attaqué mon vin blanc !

RICHTER - Et attaqué mon calme et mes nerfs  en même temps !

ALEXANDRE - Alors mon colonel, prêt pour le grand essai ?

RICHTER - J’attends depuis longtemps !

ALEXANDRE -                                         Vous serez satisfait !

 

Alexandre, s’assoit sur son fauteuil, dos au public, il enfile un bonnet de cuir relié à des fils électriques, règle quelques boutons, branches des fiches électriques au panneau qui est au mur.

 

Il faut déjà poser ce bonnet sur ma tête,

fermer la jugulaire pour une liaison parfaite !

RICHTER - Mais qu’est-ce que tout cela ?

ALEXANDRE -                                                      De la technologie !

RICHTER - Vous vous moquez de moi ? J’ai payé tout ceci ?

ALEXANDRE toujours de dos - Oui ! Mais vous allez voir, dans un petit instant

que je saurais l’av’nir bien mieux que le présent !

RICHTER - J’ai bien du mal à croire qu’avec votre bidule…

ALEXANDRE - Vous avez peur de quoi : que je sois ridicule ? (Il se retourne d’un coup et sourit bêtement.  Coiffé du bonnet, il a effectivement l’air ridicule.)

RICHTER - Pour cela, professeur, il est déjà trop tard  !

ALEXANDRE - Mais l’anticipator, sans être trop vantard

est la machine qui va tout révolutionner.

RICHTER, sceptique - Essayez tout d’abord de ne pas vous blesser !

ALEXANDRE - Je branche maintenant mon bonnet magnétique

aux bornes plus et moins de ces piles électriques.

RICHTER - Oh là là ! Professeur, je crois, vous allez faire

sauter toute la ville de Saint-Laurent sur mer.

ALEXANDRE - Pas du tout ! Et voilà, je règle l’appareil

sur deux minutes, pas plus. Ouvrez grand vos oreilles !

 

(Il règle un curseur qui se trouve sur le tableau)

 

 

Maintenant, prenez donc au fond de ce tiroir,

dans ce jeu de questions, trois cartes au hasard.

RICHTER - Mais croyez-vous vraiment, monsieur Delamouillette,

que j’ai envie de jouer au jeu de la crapette  !

ALEXANDRE - Non, c’est un jeu plus fin, de culture générale

où je vais deviner les réponses sans mal.

RICHTER - Je vous faisais confiance, tout ça pour investir

dans trois fils électriques et un bonnet de cuir !

Ah ! Si mes supérieurs l’apprennent, ils vont me faire

curer les cabinets jusqu’à la fin d’la guerre !

 

Alexandre ne l’écoute même pas.

 

ALEXANDRE - Des trois prochaines questions que vous me poserez,

voici les trois réponses que je vous répondrai.

 

Il ferme les yeux, se concentre puis poursuit.

 

Pour la première d’entr’elles, je réponds aussi sec,

c’est : le vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept.

La seconde est facile et même un idiot

l'aurai sûrement trouvé, car c’est «Victor Hugo ».

La troisième question est bien plus difficile,

mais la bonne réponse sera « un crocodile ».

RICHTER - Ce bonnet électrique vous fait perdre le nord !

ALEXANDRE - Posez vos trois questions, vous verrez si j’ai tort !

 

Le colonel saisit le jeu de cartes dans le tiroir et sort une carte au hasard.

 

RICHTER - J’en prends une au milieu. La première question est :

À quelle dat' Lindberg atterrit-il au Bourget ? (Il retourne la carte.)

Vingt et un mai mille neuf cent vingt-sept. (Il est étonné.) C’est bien ça !

ALEXANDRE – Ne vous l’avais-je pas dit !

RICHTER -                                                           C’est de la chance, voilà !

J’en prends une deuxième. (Alexandre sourit.) Vous jubilez déjà !

Et bien, tiens, je la change. (Il prend une autre carte et se moque.) On n’a pas prévu ça ?

ALEXANDRE - Je le savais aussi.

RICHTER -                                      Et bien, je change encore ! (Il reprend une nouvelle carte.)

ALEXANDRE -        Mais j’ai toute confiance en l’Anticipator !

Changez dix fois de carte, et faites votre annonce,

ce s’ra Victor Hugo, la seule et bonne réponse !

RICHTER - Je change encore une fois ! (Il change encore de carte.) Vous faites moins le malin !

ALEXANDRE - Mais ma réponse pourtant ne changera en rien !

RICHTER - La question est : qui a écrit les misérables !

 

Il ne retourne même pas la carte, car la réponse est évidente.

 

C’est Hugo forcément, mais c’est à peine croyable !

Ça m’énerve, vous trichez, et vous allez me dire

comment vous faites cela, ou ça va mal finir.

ALEXANDRE - Et la troisième question, voulez-vous bien la lire ?

 

 

RICHTER prend une autre carte, content, car il est certain que la réponse n’est pas celle donnée par Alexandre.-

Ah ! Ça n’a pas marché et vous allez moins rire.

Car la réponse trois était « un crocodile ».

Et la question est loin de ce vilain reptile.

Comment s’appelle la scie qui coupe la pierre tendre ?

 

Il jubile et nargue Alexandre.

 

Cela ne marche pas, mon petit Alexandre !

ALEXANDRE, avec assurance. - Je l’avais pourtant dit qu’elle n’était pas facile.

RICHTER fronce les sourcils, retourne la carte et lit. -

Scie égoïne qu’on nomm’ aussi « un crocodile ».

J’ai compris votr’ astuce : on a appris par cœur

les réponses des cartes de ce jeu de malheur.

C’est pas mal joué, j’avoue, ça produit son effet,

et j’ai failli penser que c’était le bonnet.

ALEXANDRE - Mais dites-moi, colonel, comment pouvais-je savoir,

lesquelles de ces cartes seraient prises au hasard ?

RICHTER dubitatif. - Oui, oui, oui. C’est certain et vraiment, j’en conviens,

mais il y a un truc, ou vous êtes magicien.

ALEXANDRE - Il n’y a pas de magie, cela est scientifique !

Reprenons l’expérience, puisque vous êtes sceptique,

mais c’est vous, cett’ fois-ci, qui mettrez mon bonnet.

RICHTER -  Votre but maintenant : c’est m’électrocuter  ?

ALEXANDRE - N’ayez crainte, colonel, ne faites pas cette figure !

Ma

 

machine est loin d’être un engin de torture !

Pour l’instant, l’appareil peut nous anticiper,

les cinq prochaines minutes, et sur une portée

d’environ trente mètres. Vous êtes prêt ? Essayons !

Vous verrez défiler des images et des sons.

RICHTER - Tout comme au cinéma ?

ALEXANDRE -                                   Mais pas devant vos yeux.

Juste dans votre tête.

RICHTER -                                              Vous n’êtes pas sérieux ?

ALEXANDRE - Cela permet ainsi de voir tous azimuts,

Ce qui va se passer dans les prochaines minutes.

RICHTER - J’espère qu’il n’y a là, pas de supercherie !

Ceux qui se moquent de moi ont tous très mal fini !

ALEXANDRE - Je mets sur trois minutes. Restez bien concentré,

et, comme un grand médium, vous allez énoncer

ce que fera Helmut quand on l’appellera.

J’appuie sur ce bouton, vous êtes prêt, on y va !

 

Le colonel se concentre en fermant les yeux quelques secondes.

                                                                                 

RICHTER - Il va d’abord rire lorsqu’il me verra là !

Puis il demandera : Pourquoi je suis comme ça !

Et comm’ vous lui direz que c’est une expérience,

il va se demander s’il doit faire silence !

Puis il va trébucher sur ce morceau de câble.

Ensuite, discrètement, il ira vers la table,

et naturellement, se servira à boire.

Il va éternuer, sortira son mouchoir,

prendra un second verre, de ce petit vin blanc.

Il vous regardera, sourira bêtement.

Puis maladroitement, il posera le verre,

qui va se renverser et se casser par terre.

ALEXANDRE - Alors mon colonel, vous voilà convaincu ?

RICHTER - C’est étrange, je dois dire. Mais tout ce que j’ai vu

va vraiment arriver ? Franchement, j’ai des doutes !

ALEXANDRE - Et bien, le mieux, je crois, c’est faire entrer Helmut !

RICHTER - App’lez-le, professeur !

 

Alexandre ouvre la porte, regarde à droite et à gauche.

 

ALEXANDRE -                                 Mais il n’est plus dehors !

RICHTER - Si j’en crois les images de l’anticipator,

il est au coin du mur et s’est assis par terre.

Il boit de la vodka en regardant la mer.

ALEXANDRE appelle – Eh ! Helmut ! Venez voir, on a besoin de vous !

 

Helmut entre.

 

HELMUT - Je suis là, colonel ! Et que puis-je pour vous ?

 

Il aperçoit le colonel avec son bonnet ridicule sur la tête. Il rigole. Le colonel fait la tête.

 

C’est un bonnet de bain. Vous allez à la plage  ?

Le colonel reste muet.

 

Vous ne me dites rien !

 

Helmut regarde Alexandre.

 

Il est dans le cirage   !

ALEXANDRE - Nous sommes en train de faire une petite expérience !

HELMUT - Ah ! Il faut sûrement que je garde le silence !

 

Helmut fait quelques pas et manque de tomber en trébuchan t sur un câble qui était au sol.

Il fait une grimace pour s’excuser d’avoir fait du bruit, puis met son index  devant sa bouche pour montrer qu’il va faire silence. Il s’avance jusqu’à la table, puis, dos au colonel, se sert un verre. Il le siffle d’un trait. Puis il éternue, sort un gros mouchoir et se mouche bruyamment. Il se ressert ensuite un second verre de vin, se retourne vers Alexandre et le colonel, sourit bêtement  et boit son verre. Entretemps, Alexandre s’est approché de lui. Au moment de reposer le verre, Helmut ne regarde pas ce qu’il fait, car il fixe le colonel. Il repose le verre qui va être rattrapé au vol par Alexandre. Il évite ainsi au verre de se briser.

 

RICHTER –C’est excellent ! Votre machine est formidable !

ALEXANDRE - Vous disiez, il y a peu que c’était infaisable !

HELMUT - J’ai compris ce que c’est : un séchoir à cheveux  !

RICHTER - Mais non, soldat Helmut, ceci est beaucoup mieux.

C’est une machine qui peut simplement tout prédire.

ALEXANDRE - Grâce à elle, on connaît maintenant l’avenir !

HELMUT - Vous êtes saouls tous les deux !

RICHTER -                                  Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Tu n’es qu’un pauvre ignare, tu devrais avoir honte !

HELMUT - Quand on tient pas l’alcool, il faut pas picoler  !

RICHTER - Tu deviens insolent, tu vas le regretter ! (Il retire le bonnet.)

Pas besoin de bonnet pour voir ton avenir :

Un coup de pied au cul te fera déguerpi r !

 

Il attrape Helmut par l’épaule et lui flanque un grand coup de pied au derrière, le faisant s’approcher de la porte d’entrée. Helmut en profite pour filer.

 

RICHTER criant par la porte encore ouverte - Va m’attendre dans l’auto, et arrête la vodka !

ALEXANDRE - Un chauffeur alcoolique, ça ne vous effraye pas ?

RICHTER - C’est le fils de Ludwig, un copain officier.

Je lui ai dit : Ludwig, je vais m’en occuper.

Mais il boit comme un trou, et j’aime autant vous dire,

quand on est en voiture, je préfère conduire.

ALEXANDRE – C’est vous qui conduisez votre propre chauffeur  !

RICHTER - Je préfère largement plutôt qu’une grosse frayeur !

ALEXANDRE - Alors pour ma machine, êtes-vous satisfait ?

RICHTER - C’est plutôt étonnant pour un premier essai !

ALEXANDRE – Et bien,

portons un toast à cette grande avancée !

 

Il remplit deux verres de vin blanc, en donne un au colonel, et ils boivent une partie de leur verre.

 

RICHTER - Oui, mais le verre d’Helmut aurait dû se casser !

Cela veut dire qu’on peut modifier l’avenir !

ALEXANDRE - Oui, vous avez raison, je dois en convenir !

RICHTER - Mais je suis bien déçu : trente mètres c’est peu !

ALEXANDRE – Oh ! Colonel Richter, c’est déjà merveilleux !

RICHTER – Et quel est l’intérêt de savoir l’avenir,

des cinq prochaines minutes ? Oui, cela va s’en dire

qu’il vous faut obtenir de meilleures performances :

Prévoir plusieurs journées, sur de plus grand’s distances.

ALEXANDRE - Je suis de votre avis, trente mètr’s c’est trop court.

Je vais l’améliorer, revenez dans huit jours.

RICHTER - C’est un peu long, mon vieux, demain, je reviendrais.

ALEXANDRE - Vous voulez dire demain, pour un deuxième essai ?

RICHTER - À huit heures du matin !

ALEXANDRE -                            Mais je n’ai qu’une journée !

RICHTER - Et aussi toute la nuit ! On va vous acclamer !

Vous deviendrez demain le plus grand des chercheurs

que la France ait porté ! À vous tous les honneurs !

ALEXANDRE - J’ai déjà commencé à mon initiative.

Avec des batteries une version portative.

 

Il montre sa machine portative qui se trouve sous le plan de travail.

 

RICHTER - Quelle excellente idée que celle-ci, professeur !

Nous avons tous les deux un av’nir prometteur !

 

Ils trinquent de nouveau et vident le restant de leurs verres.

 

 

 

Acte 1. Scène 6 : Alexandre, Richter, Paulette, Victoire.

 

Paulette et Victoire ressortent du deuxième labo. Paulette avec son panier rempli de cocktails Molotov et de bâtons de dynamite. Elles sortent en refermant très doucement la porte, elles sont dos aux deux hommes qu’elles n’ont manifestement pas encore vus.

 

VICTOIRE - Tu fais bien attention aux bouteilles, c’est fragile !

PAULETTE - Je les ai bien calées, tu peux être tranquille !

RICHTER - Qui vois-je donc ici ? Bonjour mesdemoiselles !

 

Les deux femmes sursautent.

 

PAULETTE - Ah !

VICTOIRE -          Vous m’avez fait peur ! Bonjour mon colonel !

 

Paulette regarde le colonel sans rien dire. Ils se regardent en chiens de faïence.

 

RICHTER - Vous ne me saluez pas, mademoiselle Paulette !

PAULETTE agressive. - Vous avez beau crâner avec vos épaulettes,

ne comptez pas sur moi pour le salut Nazi !

RICHTER, à Alexandre. - Votre sœur a du cran, et de la répartie !

ALEXANDRE, à sa sœur. - Fais un effort Paulette ! Je n’aime pas, tu le sais,

que tu manques de respect…

PAULETTE lui coupant la parole. -                     Aux ennemis des Français !

ALEXANDRE - Au colonel Richter qui m’a toujours aidé !

RICHTER - Laissez donc Alexandre !

ALEXANDRE, à Richter. Essayant de la justifier - Paulette à sa fierté !

PAULETTE agressive - C’est pas comme toi, Alex ! Si ton intelligence

était mieux dirigée, elle servirait la France !

 

Le colonel se dirige vers Victoire, qu’il essaie de courtiser.

 

RICHTER - Vous êtes bien élégante, mademoiselle Victoire !

Dans cette petite robe, vous faites plaisir à voir !

Vos jambes sont si jolies, vous êtes si gracieuse…

VICTOIRE timide. - Arrêtez, colonel ! Vous me rendez nerveuse !

RICHTER - La grâce de votre cou, la blancheur de vos bras…

VICTOIRE - Vous me gênez vraiment, et je ne voudrais pas

laisser penser des choses sur moi, mon colonel !

RICHTER - Mais rien que de me dire comm’ ça « mon » colonel,

ça me remplit de joie, je tremble des genoux ,

d’être votre petit colonel rien qu’à vous !

VICTOIRE – Oh ! Colonel Richter, seriez-vous un fripon ?

PAULETTE - Je vous préviens tout d’suite : elle aime pas les cochons  !

RICHTER, à Paulette. - Nous ne sommes pas tous, comment dites-vous déjà :

de vrais pourceaux malsains ou de fieffés goujats !

PAULETTE - J’n’irai pas jusque là, colonel Richter,

mais un jour, les ricains, vous f’ront mordr’ la poussière.

RICHTER, soupçonneux, se rapprochant de Paulette. - Qu’avez-vous là-dedans, mademoiselle Paulette ?

PAULETTE lui tenant tête - Des saucisses et du cidre. C’est interdit peut-être ?

RICHTER - Et oui, c’est interdit, ça s’appelle : marché noir !

VICTOIRE venant à son secours. Implorante. - Je viens de lui donner, pour son repas du soir !

RICHTER - Vous êtes de connivence, cela est très fâcheux !

(Tendrement, à Victoire.) Mais si c’est vous, Victoire, je vais fermer les yeux !

ALEXANDRE mettant les pieds dans le plat. -...

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