Clarice et Maria, vieillesse comique

Clarice et Maria, qui ne sont pas sans évoquer Les Vamps, vivent leur train-train quotidien et conversent en se lançant des piques. On comprend que Maria domine Clarice. Dans l’acte II, cette dernière devient plus détachée et donc moins soumise. L’acte III décrit un souper au cours duquel Clarice va livrer une information inattendue : les deux vieilles sont demi-sœurs. Dans l’acte IV, Maria n’a pas de souvenir de la veille, son rôle s’affaiblit et Clarice dirige. Dans le dernier acte, c’est la réconciliation, car comme le pense Clarice, des relations apaisées sont plus agréables que des rapports conflictuels.

ACTE I

 

Nous sommes chez Clarice, dont l’intérieur est du plus mauvais goût. Tandis que la vieille a l’air très occupée à son train-train, son amie Maria est assise à table, détendue mais visiblement désœuvrée.

 

 

CLARICE

Si ça ne vous dérange pas, comme il est dix heures et demie, je vais donner un petit coup de balai.

 

MARIA

Ne vous gênez pas pour moi. (Elle s’installe encore plus confortablement, les bras croisés derrière la tête et regarde autour d’elle.) On n’est pas si mal chez vous (Elle le dit en prenant un air sensiblement dégoûté tout de même.) Bon, c’est plutôt sombre. Comment se fait-il qu’il n’y ait qu’une fenêtre ?

 

CLARICE

Il y en a trois, mais deux sont cachées par mes buffets.

 

 

MARIA

Ah ! Il fallait y penser… On pourrait peut-être le suggérer par courrier à la présentatrice de Déco sur M6, celle qui ressemble à Marine Le Pen.

 

CLARICE, poursuivant sa réponse

Ben sinon… où je les mettais donc mes buffets ? Ils me viennent de ma mère quand même.

 

MARIA

(Un peu dans sa barbe) C’est sûr que c’eût été dommage de vous en séparer. (En grimaçant et en regardant le public.) De si belles pièces…  Il vaudrait le coup de tenter de les vendre aux enchères, pour vous débarrasser. (Prenant le ton d’un commissaire-priseur et faisant avec ses mains un porte-voix.) « Et maintenant ce superbe buffet en Formica. Admirez comme il est rafistolé avec du papier Vénilia tout décoloré. (Plus fort.) Il vous est proposé garni de vieilles bonbonnières en bleu de four qui donneront à votre intérieur un aspect moderne et contemporain. On commence les enchères à quatre euros pour le tout ! La livraison est naturellement offerte, elle sera de bon cœur assurée par la venderesse…»

 

CLARICE, lui tournant alors le dos, manifestement vexée

Moi je préfère mon intérieur au vôtre. Avec votre goût pour les peaux de bête à même le sol ; pour une femme de votre âge…

 

MARIA, se ruant sauvagement vers Clarice, telle une furie

Quoi mon âge ? J’ai deux mois de moins que vous !

 

CLARICE

Là n’est pas la question. À notre âge, l’on doit bien se tenir. (Elle l’a dit de manière un peu ridicule, trop appliquée.)

 

MARIA, imitant alors la voix de Clarice

… Mettre un fichu sur la tête, aller à l’église, bien plier sa serviette…

 

CLARICE

Parfaitement. (Convaincue.) Toutes mes amies du parc sont bien d’accord avec moi.

 

MARIA

Pff… Il faut voir cette assemblée de vieilles chouettes. On s’amuserait plus avec des bonnes sœurs. (S’apaisant après un court silence.) Tenez en parlant de s’amuser, que faites-vous cette après-midi ?

 

CLARICE

Mon programme habituel, évidemment.

 

MARIA, ne comprenant pas de quoi il peut s’agir, mais déjà comme répugnée par la réponse

C’est-à-dire ?

 

CLARICE

J’ai d’abord Les Feux de l’amour. Les Newman et les Abbott me font tellement rêver…

 

MARIA, dans sa barbe, en se tournant vers le public

Moi, tellement vomir !

 

CLARICE, très solennelle

Puis je fais une petite sieste.

 

MARIA

Après de telles inepties, il faut bien se reposer un peu.

 

CLARICE, prenant un air appliqué

Ensuite, je regarde Les chiffres et les lettres…

 

MARIA, la coupant aussitôt

À quoi cela peut-il bien vous servir ? Vous n’avez même pas le temps de noter les chiffres ou les lettres, qu’ils donnent déjà la réponse !

 

CLARICE, ne souhaitant manifestement pas relever

… et enfin Questions pour un champion.

 

MARIA, articulant pour mieux insister

Avez-vous déjà seulement trouvé la moindre bonne réponse ? (Elle sourit à la fin, visiblement réjouie de blesser.)

 

CLARICE

Oh ! mais je ne cherche pas les solutions, je regarde seulement pour Julien Lepers. Quel bel homme !

 

MARIA

Ma pauvre Clarice ! Les bras m’en tombent. (Elle exécute le geste bruyamment.)

 

CLARICE, poursuivant

Il est si bien habillé, si bien peigné. Le gendre idéal comme on dit. (Elle a gloussé comme une collégienne.)

 

MARIA

Faudrait peut-être voir à faire une fille, avant de vous chercher un gendre.

 

CLARICE

Une fille ? Hélas, Dieu n’a pas voulu me faire ce cadeau…

 

MARIA, la regardant plusieurs fois de haut en bas et se tournant vers le public d’un air entendu

C’est certainement à Dieu qu’il faut vous en prendre ! (Puis, après une pause.) Julien Lepers ! (S’approchant de Clarice, et lui chuchotant à l’oreille.) Moi, ce qui m’attire voyez, c’est plutôt le style blouson en cuir, tatouages partout, chaîne dans les mains…

 

CLARICE

Pas du tout le style Julien Lepers !

 

MARIA

J’vous l’fais pas dire. Quoiqu’avec les gens du show-biz, on ne sait jamais. Voyez Roch Voisine…

 

CLARICE

? ?

 

MARIA

Laissez tomber. (S’éloigne, puis finalement revient) Pour en revenir à mes fantasmes, moi j’imagine souvent que plusieurs gars en cuir, tatouages et chaînes, me suivent sauvagement pendant que je rentre à la maison. La ruelle est sombre… (Elle a pris sur la fin un ton théâtral et a fait pivoter ses bras, tout en écartant légèrement les jambes. Elle est à présent à l’arrêt.)

 

CLARICE

Moi pareil ! J’imagine plusieurs beaux Julien Lepers assis amoureusement à mes côtés, sur le canapé… (Elle a prononcé les trois derniers mots sur le même ton que la dernière phrase de MARIA.)

 

MARIA, regardant le public d’un air entendu

Ça me fait nettement moins d’effet là tout de suite. J’en ai la gorge qui se dessèche.

 

CLARICE, avec un empressement ridicule

Voulez-vous un petit verre d’eau minérale ? J’ai de la Vittel rouge. (MARIA prend rapidement un air consterné, secoue la tête puis elle sort de la poche de sa robe un gigantesque flacon en acier) Qu’est-ce que vous avez là dites-moi ? Pas du whisky quand même ? À votre âge et à cette heure-ci…

 

MARIA, sans relever

Pas du tout, c’est un mélange de ma création : un tiers infusion de tilleul, un tiers jus de chou, un tiers vodka, un tiers café. Ça me donne un léger coup de fouet quand j’ai besoin. (Elle en boit une gorgée et s’en extasie de façon tonitruante avec une expression quasi effrayante)

 

CLARICE, se dirigeant vers la table

Oh ! j’allais oublier. Faut que je vérifie ma liste pour la pharmacie, votre potion m’y fait penser.

 

MARIA

Vous n’y êtes pas déjà allée hier ?

 

CLARICE

Ah sûrement pas ! J’y vais seulement le premier de chaque mois. (MARIA marque un signe de désintérêt.) Cela me permet de racheter mes crèmes et médicaments qui se sont périmés le mois précédent. (MARIA, qui a fermé les yeux, secoue légèrement la tête comme face à une ineptie) Alors, il me faut du tilleul justement, de la gentiane, des pansements et de la vaseline.

 

MARIA, a tourné brusquement la tête vers Clarice, les yeux exorbités

Pour quoi faire de la vaseline ? À votre âge et à cette heure-ci… (Reprenant cette remarque sur le ton de Clarice.)

 

CLARICE

C’est pour ma peau. (Elle se caresse gauchement le visage.) Il s’agit d’une astuce beauté qu’a donnée Sophie Favier dans une émission télé au milieu des années 80.

 

MARIA, souriant au public

Alors, si c’est Sophie Favier qui conseille la vaseline…

 

CLARICE

Et vous, vous n’allez pas aux commissions aujourd’hui ?

 

MARIA

Oh non ! moi j’y vais le samedi.

 

CLARICE

Alors qu’il y a tant de monde ?

 

MARIA

Justement, c’est mon plaisir. J’adore toute cette affluence aux caisses, les gens énervés qui disent : « elle ne peut pas faire ses courses en semaine cette jeune et belle retraitée ? » (Regardant attentivement et avec autorité si Clarice ose contester.) J’en profite chaque samedi pour faire mes provisions de la semaine : papier toilette, essuie-tout, fromage blanc (10 kilos), farine (5 kilos), huile (3 bouteilles), pruneaux (2 kilos), et cetera. Il me faut deux caddies (Fièrement). Croyez-moi, j’en écrase des chevilles chaque samedi ! (Elle l’a souligné avec un réel plaisir.)

 

CLARICE

Mais en semaine, vous allez bien au Franprix pour vos petites courses ?

 

MARIA

Bien sûr, j’y ai mes habitudes. (Après une pause, prenant un air mystérieux et supérieur à la fois.) J’y fais aussi de bien charmantes rencontres… L’autre jour, un beau moustachu idéalement charpenté m’a plaquée contre le rayon des fromages. (Après une brève hésitation, faussement gênée.) Puis il m’a reniflée.

 

CLARICE

Il pensait que vous sentiez quelque chose ?

 

MARIA

Je ne vois pas bien. Le Pont-l’évêque peut-être, j’en avais terminé un la veille.

 

CLARICE

Ça me donnerait presque faim, vos aventures au Franprix !

 

MARIA

Qu’est-ce que vous faites à midi ?

 

CLARICE

Un petit gratin de nouilles.

 

MARIA

Oui, ça vous ressemble bien. (Elle ricane en regardant le public.)

 

CLARICE

Et vous, qu’est-ce que vous mitonnez ?

 

MARIA, du tac au tac

J’ai un reste de daube à finir, avec des haricots blancs, rouges et verts.

 

CLARICE, exagérément enjouée

Ah ! c’est bon les haricots blancs, surtout les cocos.

 

MARIA, sans entrain

Oui. (Puis, paraissant dubitative après un long silence.) Faudrait pas en manger tous les jours quand même. Sinon faut pas espérer se faire serrer au rayon des fromages. (Puis après une pause.) Dites Clarice, ça me fait penser, vous n’auriez pas récemment renouvelé votre stock de Stopaugaz à la pharmacie ?

 

CLARICE

Non, je n’en prends plus du tout. J’ai un truc maintenant : manger du persil frais.

 

MARIA

Encore une brillante astuce de Sophie Favier !

 

CLARICE

Non, je l’ai lue dans Ici Paris.

 

MARIA

De mieux en mieux…...

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