Une famille peut en cacher une autre

Afin de décrocher un gros contrat, Romain, un jeune patron d’entreprise, a accepté l’étrange
caprice de son client qui exigeait de venir conclure l’affaire à domicile, en présence de la
famille de Romain. Le seul hic est que Romain a rompu avec sa véritable famille; il va donc
louer les services de la famille d’un de ses fidèles employés qu’il installe dans une
magnifique demeure ; seulement, on ne s’improvise pas grands bourgeois du jour au
lendemain, c’est ce que découvrent peu à peu les membres de cette fausse famille. Des rôles
très contrastés: d’un côté des bourgeois snobs et suffisants et leur fille, grande bringue
totalement inhibée , de l’autre, les parents de «substitution», braves prolos très nature, la
grand-mère qui l’est tout autant et la fille plutôt baba-cool. Pour soutenir Micheline, la mère,
Juliette, la copine de toujours acceptera, en prenant son rôle très à cœur, de venir jouer les
employées de maison. Mais… Au fait… Qu’est ce qui peut bien pousser l’industriel à venir
signer des contrats en présence de la famille de Romain? Aurait-il une idée derrière la tête?
Jeux de mots, situations comiques et personnages hauts en couleur sont les ingrédients de
cette joyeuse comédie

Décor (1)

Un décor uniqueUn salon bourgeois. Au mur des tableaux contemporains

ACTE 1

 

(Victor entre sur scène, il est vêtu d’un bleu de travail. Après avoir tâté le canapé pour en vérifier le confort, il s’installe, s’adosse puis finit par mettre les pieds sur la table basse du salon. Il savoure le moment, visiblement heureux. En coulisse, on entend la voix de Micheline qui pousse des cris d’extase ponctués de «Oh la la!»)

 

Micheline- (voix off) Oh la la!.... Oh la la!

(Un temps, puis elle entre, côté jardin. Elle est vêtue d’une blouse)

 

Micheline- Non mais, tu as vu ? Tu as vu la salle de bain ? Je ne sais pas pourquoi je dis salle de bain, vue la taille de la baignoire, je pourrais aussi bien dire la piscine… Tu as vu, on pourrait se tenir à quinze dans la baignoire. C’est incroyable non ?

 

Victor- Micheline, je ne vois pas ce qu’on ferait à quinze dans une baignoire, tu peux toujours inviter une équipe de rugby si ça te chante, moi, à partir du moment où je ne suis pas obligé de leur gratter le dos et de leur passer la savonnette.

 

Micheline- Et la température pré réglée ? Tu tournes le robinet et tout de suite tu as de l’eau tiède ! Tu te rends compte ! De l’eau tiède ! Tu ne trouves pas cela génial ?

 

Victor- Je vois que tu as découvert l’eau tiède, c’est bien Micheline, c’est bien.

 

Micheline- C’est ça ! Moque-toi de moi ! Dis donc ! Tu crois que ça t’autorise à mettre les pieds sur la table ? Fais attention ! Tu vas l’abîmer. Victor ! Voyons !

 

Victor- (enlevant ses pieds) Oh ! C’est bon ! Je fais comme je veux…Après tout je suis chez moi… Enfin presque.

 

Micheline- Oui presque… Je ne te le fais pas dire… Nous sommes… presque chez nous, seulement ce n’est pas chez nous… Je vais te dire Victor, moi ça me fait peur. Tout ce luxe, tous ces machins… C’est bien simple, je n’ose même pas m’asseoir tellement j’ai peur de salir… Nous n’aurions jamais dû accepter…Tu crois qu’on y arrivera ?

 

Victor- Bien sûr qu’on y arrivera ! Ce n’est tout de même pas compliqué de jouer les riches ! Moi je trouve plutôt ça bien comme job… C’est tranquille ! (Il remet ses pieds sur la table.)

 

Micheline- Victor ! Tes pieds !

 

Victor- Micheline ! Arrête de me les casser mes pieds. J’ai tout de même droit de les mettre où je veux. Tiens ! Viens t’asseoir un peu, toi aussi… Fais comme moi ! Entraîne-toi à ne rien faire, tu verras, c’est très facile. Allez ! Viens que je te dis ! Assieds-toi ! (Elle s’assied avec précaution sur le bord du canapé.) Maintenant, tu fais comme moi. (En décomposant lentement ses gestes, il croise ses doigts puis tourne ses pouces.) Tu as bien vu ? À toi. (Micheline, à son tour se tourne les pouces.)

Holà ! Moins vite ! Rappelle-toi que tu es riche. Tu n’as rien d’autre à faire que de te tourner les pouces… Dou-ce-ment. (Il tourne ses pouces au ralenti, bientôt imité par Micheline.) C’est bien ! Tu vois que tu y arrives.

 

Micheline- (Elle sourit puis s’arrête et jette un regard circulaire sur les tableaux) Toutes ces horreurs ! Qu’est-ce que c’est moche !

 

Victor- Ce n’est pas moche, c’est de l’art.

 

Micheline- Tu trouves que c’est de l’art ? Ben moi, je trouve que c’est plutôt du cochon.

 

Victor- Faut reconnaître que c’est différent de ta collection de calendriers de la poste. A chacun ses goûts.

 

Micheline- Victor ! Dis-moi tout de même que j’ai raison. Ma collection de « petits chatons dans la corbeille » c’est tout de même plus joli que ça. Non ?

 

Victor- Chacun ses goûts ! Faut que tu le saches, les riches, ils n’aiment pas trop « les petits chatons dans la corbeille. »

 

Micheline- Et pourquoi ils n’aiment pas « les petits chatons dans la corbeille » ?

 

Victor- Parce que… C’est comme ça ! … Ils les prennent pour faire plaisir au facteur mais après ils les fourguent dans un tiroir.

 

Micheline- Je ne te crois pas.

 

Victor- Si je te le dis !

 

Micheline- Comment peut-on mettre les « petits chatons dans la corbeille » dans un tiroir ? C’est insensé ! Et tout ça pour préférer des barbouillages ?

 

Victor- Ce ne sont pas des barbouillages… Tiens !... Prends ce tableau par exemple… Tu sais ce que ça représente ? Non ? Et bien figure-toi qu’il représente tout simplement l’exact reflet de nos angoisses existentielles.

 

Micheline- Non !

 

Victor- Et ben si !

 

Micheline- Et qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Victor- Je n’en sais rien. C’est Romain qui m’a dit de dire ça.

 

Micheline- Et toi tu répètes bêtement sans savoir ce que ça veut dire ?

 

Victor- Ça n’a pas d’importance. L’essentiel, c’est que ça fasse riche parce que vois-tu, si tu veux jouer les riches, tu as intérêt à causer riche.

 

Micheline- T’as intérêt ! T’as intérêt ! Tu en as de bonnes ! Si tu crois que ça va être facile ! Je n’ai jamais appris à causer riche, moi !

 

Victor- Ce n’est pas compliqué, tu auras qu’à reprendre ce qu’ils disent, ils ne s’en rendront pas compte parce que, vois-tu, les riches, on leur a peut-être appris à parler mais pas forcément à écouter. La plupart d’entre eux n’entendent que leurs propres mots, il te suffira de les répéter.

 

Micheline- Ca va être gai !

(Entrée d’Émilie. Elle est habillée baba-cool.)

 

Émilie- Ben alors ? Je vous cherche partout ! C’est quoi ce délire ?

 

Micheline - Ah ! Ma fille, te voilà !

(Elles s’embrassent.)

 

Victor- Et moi ? Je sens mauvais de la bouche ou quoi ?

(Elle l’embrasse.)

 

Émilie- Bonjour Pa ! Alors ? Expliquez ! Qu’est-ce que c’est que ce plan ? J’arrive à la maison et je trouve votre mot :« Rendez-vous 8 rue des marronniers » Je déboule ici et je tombe sur cette baraque super « bourge ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Victor- T’as vu ça ? La classe, pas vrai ?

 

Émilie- Ouais ! C’est clair ! T’as changé de boulot ?

 

Victor- Pourquoi dis-tu cela ?

 

Émilie- Ben… j’sais pas… T’es devenu gardien de propriété, c’est toi qui vas entretenir le jardin, tondre la pelouse…

 

Micheline- Et oui ! Et pendant ce temps-là, moi je ferai la cuisine et le ménage et toi tu feras les carreaux.

 

Émilie- C’est pour cela que vous m’avez fait venir ? Pour faire les carreaux ? Merci ! C’est gentil d’avoir pensé à moi.

(Elle croise les bras et commence à bouder.)

 

Victor- Et quand tu auras fini, tu pourras m’aider à tailler les haies. N’est-ce pas génial ?

 

Émilie- Ben voyons ! Ça tombe bien, je n’ai que ça à faire ! Écoute bien mon cher Papa ! C’est d’accord ! On va se partager le boulot, toi, tu vas commencer à tailler tes haies et moi je vais me tailler toute seule. Allez ! Salut ! A la prochaine !

(Elle s’apprête à sortir.)

 

Victor- Holà ! Bijou ! Ne t’emballe pas comme ça ! C’est pour rire.

 

Émilie- Comment ça, pour rire ?

 

Micheline- Tu penses bien qu’on ne t’a pas fait venir pour faire les carreaux, déjà que tu ne les fais pas à la maison, on se doutait bien que tu n’allais pas les faire ici.

 

Victor- Émilie, écoute-moi deux secondes. On ne t’a pas demandé de venir pour travailler.  Non… On t’a appelé pour que tu fasses simplement la même chose que nous.

 

Émilie- C'est-à-dire ?

 

Victor- (à Micheline) Montrons lui !

(Ils croisent leurs doigts et se mettent ensuite à tourner leurs pouces en affichant un air satisfait.)

 

Émilie- Qu’est-ce que vous faites ?

 

Victor- Tu ne vois pas bien ? Regarde… Tu tournes tes pouces dans le sens des aiguilles d’une montre… Comme ça.

 

Émilie- Vous, vous avez fumé ! A tous les coups vous avez fumé la moquette. Ne dites pas non… Je vois bien que vous n’êtes pas dans votre état normal.

 

Micheline- Mais non, ma chérie, je t’assure, tout va bien.

 

Émilie- Arrêtez de vous payer ma fiole ! Maintenant, expliquez-moi ce que vous faites là.

 

Victor- Nous sommes comme qui dirait en vacances pour quelques jours.

 

Émilie- En vacances ? Ici ? A deux kilomètres de la maison ? Tu parles d’une idée !

 

Victor- C’est vrai que cela peut sembler bizarre… Il faut que je t’explique… En fait, nous ne sommes pas vraiment en vacances… Nous serions plutôt en congés… payés.

 

Émilie- Excuse-moi, mais là… J’avoue ne pas saisir franchement la nuance.

 

Micheline- Ce que ton père veut dire, c’est que nous ne sommes pas en vacances mais que nous sommes payés pour rester ici à ne rien faire.

 

Émilie- Ouais c’est ça… Je vais te croire.

 

Micheline- Mais si ! Je t’assure !

 

Émilie- Si c’est vrai, donnez-moi tout de suite l’adresse de votre employeur parce que moi je veux bien m’inscrire.

 

Victor- Ne t’inquiète pas ! C’est fait.

 

Émilie- Qu’est-ce que tu dis ?

 

Victor- Je dis qu’à partir de maintenant toi aussi t’es embauchée… embauchée comme nous, à rester ici à ne rien faire.

 

Émilie- Et si tu voulais bien m’expliquer tout cela très posément ? Tu veux bien mon petit Papa ?

 

Victor- C’est vrai que tout ceci vaut bien une explication. Tu connais Monsieur Romain ?

 

Émilie- Romain Le Petit, ton patron ?

 

Victor- Figure toi qu’il a rencontré la semaine dernière un futur client qui est propriétaire de deux usines et qui souhaitait changer tout son parc informatique ; Romain a tout de suite flairé le gros coup alors il ne l’a pas lâché et a persuadé le type que nous étions les mieux placés pour réaliser la vente et la maintenance du matériel.

 

Émilie- Franchement, je ne vois pas le rapport…

 

Victor- J’y arrive… Il faut tout de même que tu te rendes compte que si la boite emporte ce contrat, c’est de l’emploi assuré pour quelques années …  C’est pour cela que Monsieur Romain a voulu mettre le paquet pour chercher à séduire le client… Alors quand l’autre lui a vanté les mérites et les vertus de la famille, le Romain a commencé à le caresser dans le sens du poil, lui aussi y est allé de son petit couplet : « Comme vous, je suis attaché aux valeurs familiales inculquées par mon père. ..Tu vois le genre de baratin… Enfin bref ! Il en a tellement rajouté que l’autre a voulu à tout prix connaître cette famille si attachante et il a même suggéré avec insistance de signer le contrat dans la demeure familiale.

 

Émilie- Elle est bien ton histoire mais ça n’explique toujours pas…

 

Victor- Le gros hic dans cette histoire, c’est que le Romain, il n’a pas de famille.

 

Émilie- Comment cela, il n’a pas de famille ?

 

Victor- Un père alcoolique et une mère prostituée, des gens qu’il ne voit plus trop souvent… Mettons-nous à sa place, d’habitude, il n’a pas honte de son passé, mais là, après l’histoire qu’il venait de servir, il se voyait mal avouer la vérité ; c’est pourquoi il a pensé à moi…Enfin je veux dire à nous.

 

Émilie- Mais pour quoi faire ?

 

Micheline- Pour lui servir de famille pardi ! Tu n’as pas encore compris ? C'est pourtant simple... Il a loué cette grande demeure toute meublée et il n’y avait plus qu’à y mettre une famille… Alors, il en a parlé à Victor.

 

Émilie- Mais pourquoi c’est tombé sur toi ? Il y a eu un tirage au sort ou quoi ?

 

Victor- Non, c’est simplement parce j’entretiens de bonnes relations avec Romain. Tu sais, nous ne sommes pas beaucoup à connaitre son passé familial…. C’est pour ça que lorsqu’il m’en a parlé, j’ai accepté de le dépanner. Ne faites pas cette tête-là ! Vous verrez, ça risque d’être marrant.  .. Il suffit de prendre cela comme un jeu.

 

Émilie- T’en as de bonnes, toi ! Tu parles d’un jeu ! La prochaine fois que tu voudras jouer, je te conseille le jeu du solitaire, au moins tu n’embêteras personne.

 

Micheline- Moi aussi je te l’ai dit, Victor, tu aurais pu nous en parler avant de donner ton accord... Et je te le redis, je ne le sens pas du tout, du tout, ton truc.

 

Victor- Ce sera juste l’histoire de quelques jours, le temps que le contrat soit signé, vous pouvez bien faire un effort.

 

Micheline- Mais pourquoi a-t-il fallu qu’il dise que son père était dans l’import-export ! Je ne sais même pas ce que c’est ! Je vais encore avoir l’air malin si on me pose des questions.

 

Victor- Il n’allait tout de même pas dire que je n’étais qu’un simple petit employé dans sa boite… Après les bobards qu’il avait racontés, il lui fallait rester crédible… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous a fait emménager dans cette splendide bâtisse. Ne vous faites pas de souci les filles ! Je vous assure que ça va aller. Vous vous faites du mouron pour rien.

 

Émilie- Pourquoi vous vous faites ? Doucement mon cher paternel ! Je n’ai rien à voir là-dedans moi ! Je vais te dire, votre petit jeu, ça ne m’intéresse pas.

 

Victor- Et bien si justement ! Toi aussi tu es concernée.

 

Émilie- Je voudrais bien voir ça ! Et pourquoi donc ?

 

Victor- Parce que pendant l’entretien avec son industriel, Romain lui a sorti que dans sa famille trois générations cohabitaient en harmonie sous le même toit, il y avait la grand-mère, les parents, sa sœur et lui-même. Sa sœur, à partir de maintenant, ce sera toi, donc tu seras priée de rester dans cette maison.

 

Émilie- Et si je refusais ?

 

Victor- Tu serais sans doute alors responsable du plus grand fiasco commercial de la région.  Mesure bien les conséquences, ma fille… Je ne veux rien t’imposer mais sache que si le contrat n’est pas signé, notre cher patron ne se privera pas d’en expliquer les raisons et personne ne pourra lui donner tort…  Ce jour-là, si tu veux te regarder dans la glace, ne compte pas sur moi pour te tenir le miroir.

 

Émilie- C’est du chantage ! C’est dégoûtant ! Ton cher patron, je ne le connais pas mais ça m’a l’air d’être un drôle de malade. Des abrutis pareils, il ne faudrait pas les laisser en liberté, il faudrait… Il faudrait les enfermer dans des placards.

 

Victor- Ma fille, le jour où on enfermera les abrutis dans les placards, crois-moi, il ne restera pas beaucoup de monde pour fermer les portes.

 

Micheline- Il n’empêche ! Reconnais qu'il n'est pas très net, ton Romain.

 

Victor- Je sais, Astérix le disait déjà : « Ils sont fous ces Romains » … En attendant, moi je me suis engagé, alors nous n’allons pas nous désister maintenant… Et puis Romain sait se montrer généreux… Regardez ! (Il montre un chèque.)

 

Micheline- Ah oui ! Tout de même !

 

Émilie- Libre à vous de vous faire acheter, en tous cas, moi je ne suis pas à vendre.

 

Victor- Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour nous. Pour une fois qu’on te demande quelque chose ! Tu ne voudrais tout de même pas que je me retrouve au chômage ?

 

Émilie- Ne me dis pas que tu serais viré si tu refusais tout ce cirque.

 

Victor- Bien sûr que non ! Mais… Je me sentirais peut-être un peu responsable si par notre faute le contrat n’était pas signé, et dans ce cas-là, la seule solution qui me resterait, vois-tu, ce serait de partir sur la pointe des pieds en courbant l’échine comme un pauvre malheureux accablé par le poids de sa responsabilité.

 

Émilie- Arrête, je chiale. Tu sais, ce n’est pas la peine de faire semblant de jouer les martyrs...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Connectez vous pour lire la fin de ce texte gratuitement.



Donner votre avis !

Retour en haut
Retour haut de page