Un salon bourgeois. Sur scène, Sophie et Julien. Julien est assis dans un fauteuil, une revue à la main, il fait des mots croisés tandis que Sophie arpente nerveusement la pièce. Elle passera trois ou quatre fois devant Julien l’empêchant ainsi de se concentrer.
JULIEN- Ça va ? J’espère que je ne te dérange pas trop ?
SOPHIE- Agressive- Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ?
JULIEN- Je te demande si ça n’est pas trop gênant pour toi que je fasse des mots croisés pendant que tu t’agites dans tous les sens… (ironique) Je ne voudrais surtout pas te perturber.
SOPHIE- De quoi tu me parles ! Ne commence pas à vouloir faire le finaud. Crois-moi, ce n’est pas le moment… (recommençant à arpenter la pièce) Mais qu’est-ce qu’il fait ! Il pourrait appeler, nous tenir au courant.
JULIEN- Pas de nouvelle, bonne nouvelle.
SOPHIE- Quand on est à l’hôpital depuis 24 heures et qu’on n’appelle pas, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne nouvelle.
JULIEN- C’était évident qu’après une chute pareille, ils allaient la garder en observation au moins pour la nuit… Ce matin, voyons voir… (consultant sa montre) Il n’est pas encore 10 heures, tu sais, c’est encore trop tôt pour avoir des infos.. Fais comme moi, patiente !
SOPHIE- Patiente ! Facile à dire ! On voit bien que ce n’est pas ta sœur… Si ça avait été le cas, tu serais peut-être moins serein.
JULIEN- Est-ce de ma faute si je suis fils unique ?
SOPHIE- C’est bien pour ça que tu es incapable d’avoir la moindre compassion pour les autres. Ben oui, forcément … Les fils uniques, tous des égoïstes.
JULIEN- Tu as raison, il faudrait peut-être que je songe à porter plainte contre mes vieux parents, leur demander des dommages et intérêts pour ne pas m’avoir donné un petit frère ou une petite sœur…
SOPHIE- Tu peux ironiser si ça te fait plaisir mais excuse-moi de ne pas partager ton nombrilisme d’enfant gâté.
JULIEN- Tu crois vraiment que le sort d’un enfant unique est enviable ? Sais-tu que moi, lorsque j’étais petit, dès que je commettais une bêtise, il me fallait l’assumer, je ne pouvais pas rejeter la faute sur mon frère ou ma sœur, comme certains… où … certaine. Hélas, je n’ai pas connu le plaisir de la délation, c’est triste, ne crois-tu pas ?
SOPHIE- C’est pour moi que tu dis ça ?
JULIEN- Je ne me le permettrais pas, ma chérie. Toi, je me doute bien que, déjà toute petite, tu étais la vertu incarnée.
SOPHIE- C’est ça, espèce d’hypocrite ! Fais marche arrière, ça vaut mieux. (S’adressant à son portable) Et lui, c’est pareil ! Tout aussi égoïste ! Pourquoi n’appelle-t-il pas ? Il devrait bien savoir que je suis inquiète… Tu crois qu’il ferait un geste pour me rassurer ?
JULIEN- Tu connais pourtant Thierry, tu sais comme il peut être prévenant et attentionné. S’il n’a pas jugé bon de te contacter, c’est probablement qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer.
SOPHIE- Je reconnais bien là mon cher mari…Un avion viendrait à s’écraser sur la maison qu’il ne bougerait pas un orteil et continuerait à faire ses fichus mots-croisés. Avoue qu’il faut être timbré pour avoir une telle insouciance.
JULIEN (lisant la définition) -Ah ben oui ! « Peut faire le tour du monde tout en restant dans le coin » c’est le timbre bien sûr !
SOPHIE- C’est bien ce que je disais, timbré ! Il est complétement timbré…Entre lui qui fait mumuse et un beau-frère qui n’est pas fichu d’appeler pour me rassurer, me voilà bien lotie. (Elle reprend son portable et le porte à son oreille.) Encore sur répondeur ! Ce n’est pas possible ! Il le fait exprès ! Allo Thierry, c’est encore moi ! Alors ? Que se passe-t-il ? As-tu des nouvelles ? Comment va Estelle ? Je suis folle d’inquiétude… Rappelle-moi ! Tu m’entends Thierry ! Je compte sur toi.
JULIEN- Tu vas finir par saturer sa boite vocale… Si ça se trouve, il ne capte pas ou il n’a plus de batterie Je te le dis, tu t’inquiètes pour rien.
SOPHIE- Ce n’est pas à toi que ça arriverait, toi le jour où tu t’inquiéteras, les grenouilles auront du poil et les poules auront des dents. Tiens, plutôt que de rester assis, tu ferais mieux d’aller réparer la lumière de la cave avant qu’il y ait un autre accident.
JULIEN- Je te rappelle que nous ne sommes pas chez nous.
SOPHIE- Et alors ? Crois-tu que ça te dispense de changer une ampoule ? Tu attends peut-être que je descende pour risquer à mon tour de me briser le cou comme ma pauvre sœur… Et puis quelle idée que d’avoir voulu boire une bière dès notre arrivée. Si tu avais pris un café comme tout le monde…
JULIEN- Jamais de café après 17 heures, la caféine ça énerve. C’est pour cela que je n’en prends pas.
SOPHIE- Que tu puisses être énervé, ça ne risque pas. (le désignant) la preuve ! Quand je te vois dans ce fauteuil…Deux de tension ! Aussi nerveux qu’une limace !
JULIEN- Merci, c’est toujours agréable à entendre.
SOPHIE- Il n’empêche, si tu n’avais pas eu l’idée de demander une bière, Estelle ne serait pas descendue à la cave et n’aurait pas chuté dans le noir.
JULIEN- Donc si je comprends bien… Si ta sœur est actuellement à l’hôpital, ce serait de ma faute ? Bientôt tu vas me dire que je l’ai poussée dans l’escalier.
SOPHIE- Je n’ai pas dit cela.
JULIEN (reprenant ses mots croisés)- Exprime sa mauvaise humeur en grognant, commençant par R…
SOPHIE- Alors ? Tu vas la changer cette ampoule ?
JULIEN- Ronchonne ! Oui ! C’est cela ! Ron-cho-nne !
SOPHIE- Julien ! Je te parle !
JULIEN- (relevant la tête vers elle) Oui ma chérie ? Qu’est-ce que c’est ?
SOPHIE- Qu’est-ce que tu peux être énervant !
On sonne à la porte.
SOPHIE- Enfin ! Les voilà !
JULIEN- Je ne vois pas l’intérêt de sonner lorsqu’on arrive chez soi. A mon avis, ce ne sont pas eux.
(Sophie va ouvrir. Entrée de Madame Planchu.)
Mme PLANCHU- Bonjour ! Bonjour ! Ah ! Voilà des têtes que je ne connais pas. Messieurs dames… Madame Arnaud est là ?
SOPHIE- Et bien non, justement…
Mme PLANCHU- Et Monsieur Arnaud ?
SOPHIE- Non plus !
Mme PLANCHU- C’est vous qui tenez la boutique alors ?
SOPHIE- Pardonnez-moi… Mais… Vous êtes qui ?
Mme PLANCHU- Pas la peine de demander pardon, moi c’est Madame Planchu .C’est moi qui vient faire le ménage et autres bricoles quand il y a besoin.
SOPHIE- Ils ne sont pas là, il vaudrait mieux que vous repassiez.
Mme PLANCHU- Très bonne idée ! Je vais repasser.
SOPHIE- C’est cela, au revoir Madame.
(Mme Planchu se dirige vers les chambres.)
SOPHIE- Mais qu’est-ce que vous faites ?
Mme PLANCHU- Je viens de vous le dire, je vais repasser.
SOPHIE- (désignant la porte d’entrée.) La sortie, c’est par là !
Mme PLANCHU- Pourquoi voulez-vous que je sorte ?
SOPHIE- Vous venez de dire que vous alliez repasser, pour cela il faut d’abord que vous vous en alliez pour pouvoir revenir.
Mme PLANCHU- Je ne comprends rien à ce que vous me racontez mais ce n’est pas grave, comme je vous le disais, je vais repasser.
Elle s’apprête à passer la porte qui mène aux chambres.
SOPHIE- Madame ! Qu’est-ce que vous faites ? Je viens de vous expliquer…
Mme PLANCHU- Ne bougez pas ! Je reviens. Comme ça, vous allez comprendre.
Elle sort.
SOPHIE (à Julien)- Tu as vu ça ? Elle n’est vraiment pas bien cette dame !
Mme Planchu revient, un fer à repasser à la main.
Mme PLANCHU- Vous comprenez maintenant ? Parce que le dire, c’est bien mais (désignant le fer) le fer, c’est mieux !
SOPHIE- Ah ! Vous vouliez repasser.
JULIEN- C’est exactement ce que te disait Madame depuis un quart d’heure.
SOPHIE- (à Julien) Oh, ça va toi ! (à Mme Planchu) Excusez-moi, je n’avais pas compris. Ne faites pas attention, je suis un peu nerveuse à cause de tous ces évènements…
Mme PLANCHU- Evénements ? Quels événements ?
SOPHIE- C’est vrai, vous n’êtes pas au courant. Hier, Estelle ma pauvre sœur est tombée dans l’escalier de la cave. Elle est partie en urgence à l’hôpital.
Mme PLANCHU- A l’hôpital ? Vous parlez d’une histoire !
SOPHIE- Elle est tombée sur la tête. On peut craindre une commotion cérébrale. Quand j’y repense… C’est affreux !
Mme PLANCHU- Ne vous inquiétez pas. Je la connais Madame Estelle, avec toute l’instruction qu’elle a, on voit bien qu’elle n’a pas la tête creuse…Avoir de la matière grise, ça doit amortir les chocs… Ah si ! Quand on a la tête pleine… Tomber sur la tête, faudrait pas que ça arrive à mon bonhomme, parce que lui, ce n’est pas pour dire du mal mais, quand on le rencontre, on voit tout de suite qu’il n’a pas inventé le fil à couper le beurre ni la machine à courber les bananes, à part ça, il n’est pas méchant.
SOPHIE- Et Thierry qui ne donne pas de nouvelles… Forcément, on imagine le pire.
Mme PLANCHU- Pourquoi commencer à pleurer avant d’avoir mal. A quoi bon ? Je vous le demande.
JULIEN- Tu vois Sophie, Madame partage mon avis. Prenons notre mal en patience, tant que nous n’avons pas d’informations, à quoi bon s’alarmer.
Mme PLANCHU (à Julien)- Vous faites des mots croisés ? Vous aussi, vous devez en avoir de la matière grise. Moi, tous ces trucs-là, rien que de les regarder, ça me donne mal à la tête.
JULIEN- Et pourtant, vous n’êtes pas tombée dans l’escalier.
SOPHIE- Julien ! Je trouve ton humour tout à...