ACTE 1
Un salon. Paul lit un journal. Emma entre sur scène brusquement.
EMMA : Papa, c'est vrai, Max Crooner va venir manger ?
PAUL : C'est exact !
EMMA : C'est fou ! Mais comment connais-tu un auteur de théâtre aussi célèbre que lui ?
PAUL : On s'est rencontré il y a plus de 30 ans. Il venait d'écrire sa première pièce.
EMMA : Comment, toi, un représentant en système d'alarme, as-tu rencontré un auteur en devenir ?
PAUL : On s'est rencontré par hasard. J'étais à Paris pour le SISSA.
EMMA : Le quoi ?
PAUL : Le SISSA ; le Salon International de la Sécurité et des Systèmes d'Alarme.
EMMA (incrédule): Il est venu te voir à ce salon ?
PAUL : Attends. Le SISSA est le rendez-vous annuel des fabricants d'alarmes. Chacun apportant ses nouveaux modèles à une clientèle à la recherche de l'alarme la plus performante, la plus efficace. C'est une vraie compétition.
EMMA : Je ne vois pas ce que Max Crooner vient faire là-dedans.
PAUL : Max était venu à ce salon parce qu'il y avait une journée spéciale où on élisait miss alarme.
EMMA : Sérieusement, il y avait une miss alarme ? C'était un concours de beauté ?
PAUL: Oui. On élisait la plus jolie et celle qui poussait le cri le plus proche d'une alarme.
EMMA : Hein ! Ce n'est pas possible. L'élection de la plus stridente des miss, je cauchemarde, là.
PAUL : C'était comme ça. Il y avait un spectacle pendant lequel on élisait la miss de l'année. Le jury était composé de professionnels de l'alarme et d'une vedette. Cette année-là, comme Max avait triomphé avec sa première pièce, les organisateurs ont eu l'idée de lui demander de présider le jury.
EMMA : C'est dingue ! Ils ont pensé à lui.
PAUL : Oui. Bon, pour être honnête, ce n'était pas leur premier choix. D'autres avant lui avaient été contactés, Johnny Halliday, Pavarotti, Mireille Matthieu, mais présider l'élection de miss alarme n'emballait pas grand monde. Même le mime Marceau a refusé. Alors, à force de refus, ils se sont tournés vers lui. Il cherchait à se faire installer un système d'alarme chez lui, c'est comme ça qu'on le lui a proposé.
EMMA : Et il a accepté.
PAUL : S'il venait, on lui offrait l'installation gratuite de son alarme. Il a sauté sur l'occasion.
EMMA : Et c'est là que tu l'as rencontré.
PAUL: Oui. Il se trouve que cette année-là, j'avais été élu meilleur vendeur de France. À ce titre, j'étais membre du jury. On s'est trouvé côte à côte. Et comme l'apéritif avait été bien arrosé, nous avions tous les deux, comme on disait à l'époque « chargé la mule ». Bien éméché, il a essayé de monter sur le podium. J'ai réussi à le plaquer au sol au pied de miss TOUTALARME. La peur lui a fait pousser un tel hurlement, avant de s'enfuir en courant, qu'elle aurait dû gagner le concours si on l'avait retrouvée.
EMMA : Élégant, le Max. Je suis déçue.
PAUL : Il n'était pas dans son état normal. C'est un brave garçon.
EMMA : Ça ne pardonne pas son attitude.
PAUL : C'est vrai. Il n'en était pas fier. Il voulait même se faire pardonner auprès de la candidate... (en plaisantant), mais comme on ne l'a jamais retrouvé.
EMMA : Tu es lourd, papa.
PAUL : C'est après cette soirée qu'il a eu l'idée d'écrire une pièce sur le métier de vendeur. Je le ramenais chez lui et il m'a proposé qu'on se voie pour que je lui raconte les anecdotes du métier. Il s'en est bien servi pour écrire sa pièce.
EMMA : C'est génial ! C'est un peu comme si tu avais coécrit la pièce.
PAUL : Il ne faut pas exagérer. C'est son talent qui a fait le succès de cette pièce, pas mes histoires. Après, on a continué à se voir chaque fois que je montais à Paris. On en a fait de bonnes tous les deux.
EMMA : C'est incroyable ! Comment ne nous as-tu jamais parlé de lui ?
PAUL : On s'est perdu de vu. Pris par son succès, il n'était plus aussi disponible. J'allais moins souvent sur Paris. La vie a fait son chemin.
EMMA : Et maintenant, vous vous retrouvez.
PAUL : C'est vrai. Par le plus grand des hasards. La semaine dernière, j'étais à Paris. J'avais un rendez-vous important. Je suis passé près de chez Max, là où il habitait à l'époque. Nous nous sommes retrouvés, nez à nez, en bas de chez lui. On est tombé dans les bras l'un de l'autre.Il m'a avoué qu'il pensait souvent à moi. Alors, quand je lui ai proposé de l'inviter, il a accepté de suite.
EMMA : Je suis impatiente de le rencontrer. (elle hésite un moment) Dis papa ?
PAUL : Oui, ma fille ?
EMMA : Tu crois que je pourrai lui montrer...
PAUL (s'amusant des hésitations de Emma) : Lui montrer quoi ?
EMMA : Tu sais bien... ma...
PAUL : Ta quoi ?
EMMA : Papa, tu le fais exprès. Tu sais bien de quoi je parle.
PAUL : Ta pièce de théâtre ?
EMMA : Oui.
PAUL : C'est un peu aussi pour ça que je l'ai invité.
EMMA : C'est vrai ?
PAUL : Tu pourras essayer de lui faire lire ta pièce. Je me suis dit que si elle lui plaisait, il pourrait t'aider à la faire jouer.
EMMA (entourant son père de ses bras) : Oh merci, mon petit papa chéri !
PAUL : Tu as du talent, Emma. Il faut que ça se sache. Mais n'en parle à personne. La raison de sa venue reste, entre nous, d'accord ?
EMMA : D'accord...... Je n'en reviens pas.
À ce même moment, Thomas et Lucy entrent dans la pièce.
THOMAS : Tu n'en reviens pas de quoi ?
EMMA : (enthousiaste) : Tu sais qui vient nous rendre visite ?
THOMAS : Non. Nous attendons une visite ?
EMMA : Max Crooner
Thomas et Lucy se regardent. Ils ne voient pas de qui parle Emma.
LUCY : Qui ça ?
EMMA : Max Crooner
THOMAS : C'est un ami de papa ?
EMMA : Oui.
THOMAS : Que l’on connaît ?
EMMA : Non.
THOMAS : Qu'est-ce qui te rend si excité à recevoir un ami de papa qu'on ne connaît pas ?
EMMA : Parce que c'est Max Crooner.
Thomas et Lucy se regardent encore, incrédules.
LUCY : Et c'est qui ce Max Crooner ?
EMMA ( toujours enthousiaste) : Si je vous dis : « Spécimens en voie de disparition » ou « un VRP pour une VIP» ou encore « L'expertise ». Ça vous évoque quoi ?
THOMAS (feignant l'inquiétude) : Tu es sûre que tu vas bien ?
EMMA : Mais enfin, ça ne peut pas rien vous dire.
THOMAS : Rien.
LUCY : Rien.
EMMA (désespéré, regardant son père qui lit toujours son journal) : Mais,ce n'est pas possible, Thomas. Encore Lucy, je comprends, elle est belge.
LUCY (énervée) : Qu'est-ce que ça veut dire ? Parce que je suis Belge, je ne peux pas comprendre ?
EMMA (se rendant compte de sa gaffe) : Mais non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
LUCY (toujours énervée) : Qu'as-tu voulu dire ?
EMMA (embêtée) : Rien...Je me dis que peut-être cet humour...très français....avec les Belges...
LUCY (même jeu) : Tu sais ce qu'ils te disent les Belges ?
EMMA : Pardonne-moi Lucy...mais sa réputation.
LUCY : Quoi sa réputation ?
THOMAS (intervenant pour apaiser la discussion) : Ah ! Voilà un premier indice. Il a une réputation. Il est donc connu ?
EMMA : S'il est connu ? Mais bien sûr qu'il est connu. Il est plus que ça; il est célèbre !
THOMAS (se tournant vers Paul) : Papa, tu as un ami qui est célèbre ?
PAUL : (sans lever le nez de son journal) : Il semblerait.
THOMAS : Bon, Emma, tu nous dis ? C'était quoi tes messages codés de tout à l'heure.
EMMA : Des pièces de théâtre. C'est le plus grand auteur contemporain.
THOMAS : Rien que ça ?
EMMA : Je t'assure. Il est mondialement connu.
LUCY (vexée) : Sauf en Belgique !
PAUL : N'exagère pas, Emma. Il a un beau succès en France, c'est déjà pas mal.
EMMA : Peut-être, mais il a été nommé aux Molières.
LUCY: Et, c'est bien ça ?
EMMA : Et comment !
THOMAS (se rapprochant de Raymond) : J'aimerais bien savoir pourquoi cette « célébrité » vient ici. C'est toi qui l'as invité ?
PAUL : Oui.
THOMAS : Pour quelle raison ?
PAUL : Pour une bonne raison.
THOMAS : Tu ne peux pas être plus précis ?
PAUL : Non.
THOMAS: Je ne comprends pas. Tu ne veux rien nous dire de plus ?
PAUL (pliant son journal et se levant) : Tu comprendras en temps et en heure. En attendant, je vais me préparer pour accueillir nos hôtes du jour.
Il sort.
LUCY : (s'adressant à Emma) : Tu sais ce qu'il a voulu dire ?
EMMA (jouant l' étonnée) : Pas du tout.
On sonne.
THOMAS : Ah, voilà l'artiste
EMMA : Déjà ?!
On entend deux voix de femmes qui s'approchent.
THOMAS : Zut ! Voilà tatie Cata. Je m'échappe.
EMMA : Ne l'appelle pas comme ça, si elle savait.
THOMAS : Comment veux-tu que je l'appelle ? Rien ne va jamais avec elle. Toute bonne nouvelle en cache une mauvaise. Et sa façon qu'elle a de me pincer la joue...
À ce moment entre Louise et Viviane. Thomas n'a pas le temps de sortir.
LOUISE (en les apercevant) : Vous étiez là les jeunes !
EMMA : Oui, maman, nous discutions.
VIVIANE : Bonjour les enfants. (elles se rapprochent de Thomas et lui pince la joue). Comment va mon petit Thomas ?
THOMAS (en faisant un pas en arrière) : Arrête tatie ! Tu sais bien que j'ai horreur de ça.
VIVIANE : Pauvre chéri !
THOMAS : On vous laisse. On va se préparer.
EMMA : Pour accueillir le grand homme.
Ils sortent tous les trois.
VIVIANE : Accueillir le grand homme ? De qui parle-t-elle ?
LOUISE : Nous recevons la visite de Max Crooner.
VIVIANE : Qui ?
LOUISE : Max Crooner, l'auteur.
VIVIANE : L'auteur ? L'auteur de quoi ?
LOUISE : C'est vrai que tu n'apprécies pas trop le théâtre, ce n'est pas trop ton truc ?
VIVIANE : Quelle horreur ! Des histoires d'amants, de maîtresses, d'infidélité, quel spectacle affligeant !
LOUISE : Tu pourras lui dire, je suis sûre que ça va lui plaire.
VIVIANE : Tu veux dire que ce Max Croo....
LOUISE : Crooner.
VIVIANE : Ce Max Crooner écrit des pièces de théâtre ?
LOUISE : Tout à fait. Et au dire d'Emma, c'est un des plus grands.
VIVIANE (horrifiée) : Emma connaît cet individu ?
LOUISE : Pas lui, son œuvre.
VIVIANE : Elle a vu ses pièces jouées. Elle va au théâtre ?
LOUISE : Elle adore ça.
VIVIANE : Et vous la laissez faire ?
LOUISE (s'arrêtant dans son élan et regardant Viviane, étonnée) : Mais enfin Viviane, Emma a 30 ans, elle fait ce qu'elle veut. Et en quoi, aimer les œuvres de Max Crooner est-il choquant ?
VIVIANE (toujours horrifiée) : Les œuvres ? Tu oses appeler ça des œuvres ? Au même titre qu'un tableau de Raphaël, qu'une sculpture antique, qu'un opéra de Verdi, qu'un roman de Bernanos ?
LOUISE : Mais bien sûr, l'art n'a pas de frontières. La culture se donne à toutes les inspirations.
VIVIANE : Je suis affligée !
LOUISE : Tu vas t'en remettre. Et, ceci dit en passant, les sculptures antiques, elles sont un petit peu dénudées, non ?
VIVIANE : Cela n'a rien à voir. C'est de la pierre, pas de la chair.
LOUISE : Et les opéras de Verdi, ce n'est pas joli joli non plus. Meurtre, infidélité, folie, trahison et j'en passe.
VIVIANE : Ce n'est pas pareil, c'est de la musique et c'est en italien. On ne comprend pas ce qu'ils disent.
LOUISE (en riant) : Tu ne changeras jamais !
VIVIANE : Pourquoi veux-tu que je change ? Je suis très bien comme ça.
LOUISE : Si tu le dis. (un moment de silence) Et à part ça, qu'est-ce qui nous vaut le plaisir de ta visite ? Tu vas rester manger avec nous ?
VIVIANE : Ah non ! Pas en présence de cet auteur licencieux.
LOUISE : Tu ne le connais même pas. Ce n'est pas bien de juger les gens sans les connaître.
VIVIANE : Oh, je vois bien quel genre de personnage cela peut-être. Ce milieu est perverti. Il ne doit pas se gêner avec les petites actrices.
LOUISE : Ce que tu es mauvaise. C'est sûrement quelqu'un de très bien.
VIVIANE : Comment ça, « c'est sûrement », tu ne le connais pas ?
LOUISE : Non, Paul ne me l'a jamais présenté.
VIVIANE : Mon Dieu, c'est encore pire que ce que je croyais. Un ami de Paul que tu ne connais pas. Quel genre de turpitudes ont-ils fait ensemble ?
LOUISE : Eh! Tu parles de mon mari.....et de ton frère.
VIVIANE : Justement. Paul est influençable. Dans quelles histoires, cet homme l'a-t-il entraîné ?
LOUISE : Viviane catastrophe a encore frappée.
VIVIANE (fâchée) : Je ne suis pas Viviane catastrophe. Je suis seulement lucide. Crois-en mon expérience.
LOUISE : En effet, il faudra que tu me racontes ton expérience avec ce monde dépravé. En attendant, tu vas m'aider à préparer le repas.
VIVIANE : Mais....Mais..
LOUISE : Il n'y a pas de mais. Et comme ça, tu verras à quoi ressemble le démoniaque Max Crooner.
On sonne.
LOUISE : Les voilà, justement.
VIVIANE (en se précipitant vers la porte opposée) : Je ne veux pas le voir. Je ne veux pas le voir.
Elle sort.
LOUISE : À un moment donné, il va bien falloir pourtant.
Elle sort à son tour. Entrent sur scène, Emma, Max et Edith.
EMMA : Entrez, papa ne va pas tarder. Asseyez-vous. (Edith et Max s’assoient, Emma à la suite, suit un moment de silence, gêné. Ils se regardent et semblent vouloir parler, mais rien ne vient. Finalement, Emma se lance d'un coup.) J'ai vu toutes vos pièces.
MAX (surpris par la soudaineté d'Emma) : Pardon ?
EMMA : Je suis allé au théâtre voir toutes vos pièces.
MAX (enchanté) : Vraiment ?
EMMA (enjouée) : Dès qu'une de vos pièces était jouée, je me précipitais réserver ma place.
MAX : Je suis touché. Vous aimez donc ce que j'écris ?
EMMA : J'adore ! Votre humour me ravit à chaque fois.
MAX : Ma foi, je ne m'attendais pas à un tel accueil. Me retrouver devant une fan.
EMMA : Je le suis. Je le suis.
MAX : Et ravissante, de surcroît.
EDITH (avec un ton de reproche) : Je t'en prie. Tu parles de la fille de ton ami, quand même.
MAX : Bien sûr. Cela n'empêche pas qu'elle soit ravissante.
EMMA (un peu gênée de la situation) : Merci.
EDITH (souriante) : Ne vous méprenez pas, mademoiselle !
EMMA : Emma.
EDITH : Emma. Max est de l'ancienne école. Il faut toujours qu'il fasse un compliment aux femmes qu'il rencontre.
EMMA : Ça ne me gêne pas, vous savez. C'est plutôt flatteur.
EDITH : Je dis ça parce que de nos jours le moindre compliment peut être mal perçu et porté à confusion.
EMMA : Je comprends.
EDITH : En ces temps suspicieux, il vaut mieux être prudent dans ces propos, surtout quand on est célèbre.
MAX : Je comprends les raisons de ces méfiances. Mais, sans le jeu de séduction, il n'y aurait pas de théâtre. Déjà qu'on l'a considéré, ces derniers temps, comme dangereux pour la santé.
EDITH : Mon chéri, au théâtre on peut jouer les séducteurs, cela reste du théâtre, mais sorti des salles, on se retient.
MAX : Edith est ma censeur personnelle. Elle fait ça très bien. Avec vigilance et application.
Emma allait répondre, quand Paul entre le sourire aux lèvres .
PAUL : Max, mon ami, tu es là!
EDITH (interloquée, parlant face au public): Cette voix, ce n'est pas possible !
Max, sans s'en rendre compte, de ce qui se passe, s'approche de Paul joyeux.
MAX : Ce cher Paul. Comme je suis content de te retrouver. Il lui serre la main franchement.
PAUL (sans quitter des yeux Edith qui le foudroie du regard) : Et moi donc.
MAX : Mais, je pense que tu ne connais pas Edith, mon épouse. Vous ne vous êtes jamais rencontrés ?
PAUL (gêné, n'osant pas s'approcher d'Edith) : Jamais. Comment veux-tu ?
EDITH (venant résolument vers Paul, le ton acerbe) : C'est vrai. Où veux-tu que nous nous soyons rencontrés? Elle tend la main à Paul qui la serre mollement. (En aparté) Pourtant, étrangement, cette voix me dit quelque chose.
(reprenant) Je pense que Paul s'en souviendrait s'il m'avait rencontré, n'est-ce pas Paul ? Vous devez avoir une bonne mémoire des visages ? Cela devait vous être utile dans votre métier ?
MAX : Laisse Paul tranquille avec ça. Il l'entraîne à l'écart. Qu'est-ce qui te prend ? Je te trouve bien agressive envers lui.
EDITH : (esquivant) : Ce n'est rien. Il me rappelle quelqu'un que je devais rencontrer et qui n'est jamais venu.
MAX : Ah, c'est ça ! Il n'y est pour rien, le pauvre. Essaie d'oublier cette histoire.
EDITH (soupirant et calmée) : Tu as raison. C'est juste qu'en le voyant, cela me l'a rappelé.
PAUL (en reprenant contenance) : Vous avez fait la connaissance d'Emma ?
MAX : Oui. Elle nous a dit son attrait pour mes pièces, j'en suis enchanté.
PAUL : Elle est insatiable sur tes pièces. Je suis sûr que vous aurez des choses à échanger.
MAX (sans trop savoir de quoi parle Paul) : Certainement.
PAUL : Emma un talent caché .
MAX (ne comprenant toujours pas) : Ah bon !?
EMMA (embarrassée) : Arrête papa ! N'embête pas monsieur Crooner avec ça.
MAX : Il n'y a pas de problème.
EDITH : Si Max peut parler de ses pièces, il en est ravi.
EMMA : C'est tellement incroyable de vous voir ici, monsieur Crooner.
MAX : Appelez-moi Max, s'il vous plaît.
Elle allait répondre, mais Thomas entre à son tour.
PAUL : Et voici, Thomas, notre fils. Thomas je te présente Max et …..Edith, son épouse.
THOMAS : Enchanté. Vous êtes donc le fameux auteur dont nous a parlé Emma.
MAX (dépité ou vexé) : Vous ne me connaissez pas ?
THOMAS : Désolé, je n'y connais rien en théâtre, mais je fais confiance à l'enthousiasme de ma sœur.
PAUL: Lucy n'est pas avec toi ?
THOMAS : Elle est allée aider maman en cuisine. Il semblerait que tatie cata soit pire que d'habitude. Elle sursaute à chaque bruit et se cache si quelqu'un entre dans la cuisine. Elle parle de vampire, d'auteur abreuvé de sang. Je n'ai pas tout compris.À mon avis, on va finir par la perdre.
EMMA (se levant):Je vais en cuisine libérer maman.
Elle sort.
MAX : Tatie cata ? Une Japonaise , peut-être ?
PAUL (en riant): Non, il s'agit de ma sœur. Thomas l'appelle ainsi parce que rien ne va jamais. Elle s'inquiète de tout et voit le mal partout.
THOMAS : Et je pense que votre profession, à ce que j'ai pu entendre, l'horrifie au plus haut point. Préparez-vous à un accueil glacial.
Louise entre sur scène, aperçoit Max, pousse un cri d'étonnement et part dans un rire forcé. Paul, sans remarquer sa réaction, s'approche d'elle.
LOUISE :(en se tournant vers le public) : Lui ! (incrédule) il s'appelle Max ?!
MAX (même jeu) : Ce visage me dit quelque chose.
PAUL : Ma chérie, laisse-moi te présenter mon ami Max et son épouse Edith.
Louise, tétanisée, dit des mots incompréhensibles, alors que Max s'approche d'elle.
MAX: Je suis ravi de faire votre connaissance.
LOUISE ( toujours sous le choc, a du mal à articuler) :....Pas changé....
MAX : Pardon ? Je n'ai pas bien entendu.
LOUISE ( dans un état second) : ….Pas changé...
MAX : Changé ?...Qu'est-ce qui n'a pas changé ?
Paul se rapproche aussi, surpris par le comportement de son épouse.
PAUL : Que dis-tu, ma chérie ? Qui n'a pas changé ?
MAX (inquiet) : Nous nous connaissons, peut-être ?
LOUISE (affolée) : Pas du tout ! Nous ne nous connaissons pas du tout. Comment pourrions-nous, nous connaître ?
PAUL : Tu vas bien ? On dirait que tu as vu un fantôme ?
LOUISE ( comme si elle sortait d'un mauvais rêve, mais hésitante dans ses explications) : Un fantôme ? Oui. (en aparté) Si ça pouvait être vrai. Non. Tout va bien...Je disais seulement que...Je n'ai pas eu le temps de me changer...voilà. Pas changée...Je ne me suis ...pas changée...ce n’est pas beau, hein ?...J'en suis confuse.
EDITH (qui s'approche à son tour): Ne soyez pas confuse. Nous comprenons très bien. Et, vous êtes très bien comme ça, n'est-ce pas, Max?
MAX : (encore troublé par le comportement de Louise) : Hein ? Oui, tout à fait. Ne vous formalisez pas pour si peu.
EDITH entraîne Max à part.
EDITH (suspicieuse) : Tu connais Louise ?
MAX : Mais non, pas du tout. Enfin, je crois.
EDITH : Parce qu'elle, elle semble te connaître.
MAX : C'est bien ce qui m'inquiète.
À ce moment-là, Lucy entre sur scène, complètement excitée.
LUCY : Louise, il faudrait que vous veniez en cuisine. Je crois que Viviane a décidé de saboter le déjeuner.
LOUISE (retrouvant ses esprits) : Comment ? Qu'est-ce qu'elle trafique encore ?
LUCY : Quand Emma lui a dit qu'elle était tout émue de rencontrer (elle se penche vers Max) monsieur. Tellement fière de recevoir un auteur de théâtre ici, Viviane a hurlé, l'a empêché de s'approcher des fourneaux. Elle a ajouté qu'elle ne la laisserait pas toucher aux plats. Qu'elle était sous l'emprise d'un vampire, qu'il lui avait sûrement pris son sang....
MAX (dégoutté) : Un vampire qui lui aurait sucé le sang ? Quelle horreur !
LUCY : Et ce n'est pas tout. Qu'elle n'était sûrement pas sa nièce et qu'elle préférerait faire exploser le repas plutôt que de la voir approcher.
LOUISE : Faire exploser le repas ? Je voudrais bien voir ça. Qu'elle se prépare, l'équipe de déminage arrive.
LOUISE sort.
THOMAS : Là, je crois qu'on a perdu tatie Cata.
LUCY : C'est sûr, je ne l'ai jamais vu comme ça.
PAUL : Je ne comprends pas ce comportement. (s'adressant à Edith et Max) Je suis désolé. Il faudrait peut-être que j'aille en cuisine voir si tout va bien.
THOMAS : Laisse. Maman va déminer le repas et tatie avec. Cela dit, je ne comprends pas pourquoi tatie Viviane s'acharne contre Max.
EDITH : Peut-être que notre présence la dérange.
LUCY : Il semblerait que ce soit surtout monsieur Max.
MAX : Appelez-moi Max.
LUCY : Ok. Moi, c'est Lucy, l'amie de Thomas.
MAX : Enchanté !
EDITH : Peut-être que Max lui rappelle quelqu'un ?
PAUL (Paul est gêné) : À Viviane ? Cela m'étonnerait. Et, si par cas, cette personne existait, ce serait sûrement un malentendu.
EDITH : Ben voyons.
THOMAS : Je suis d'accord. Je ne vois pas qui cela pourrait être. Elle ne voit jamais personne. Elle vit cloîtrée chez elle, médisant sur tout ce qui lui est étranger.
EDITH : Sait-on jamais. Peut-être que chacun ici n'est pas celle ou celui qu'il prétend être.
LUCY : Ça me fait flipper.
MAX (amusé): On se croirait dans une de mes pièces. Arrête, la réalité est différente.
EDITH : Si tu le dis.
PAUL : En attendant que le calme revienne en cuisine, je vous propose de profiter du soleil dans le jardin. Je vais vous amener de quoi vous désaltérer.
MAX : Excellente idée. (s'adressant à Edith) : Tu viens, ma chérie.
EDITH : Vas-y. Je vais aider Paul à porter les boissons.
PAUL (embarrassé) : Vous savez, je peux le faire tout seul.
EDITH(sur un ton sévère) : Non, non. Je TIENS à vous aider.
MAX : (ton badin) : Ne la contrarie pas, Paul. Quand elle a décidé...
PAUL : Je ne m'y essaierai pas.
THOMAS : Venez, Max, allons nous installer.
Max, Thomas et Lucy sortent.
La scène suivante, Edith en colère retenue et Paul embarrassé, cherchant des réponses à ses questions tout en préparant des verres et des boissons.
EDITH (menaçante) : C'est donc vous, la voix au téléphone.
PAUL (bégayant) : Je vais tout vous expliquer.
EDITH: M'expliquer quoi, espèce de lâche ?
PAUL : Lâche ? Comme vous y allez.
EDITH : Comment appelez-vous un homme qui ne vient pas au rendez-vous qu'il a lui-même proposé ?
PAUL : Quand même.
EDITH : Osez me dire que nous n'avions pas rendez-vous ?
PAUL : J'ai été empêché.
EDITH : Vous avez été empêché ? Vous vous fichez de moi ? Vous me proposez un rendez-vous, soi-disant, très important et urgent et vous me laissez en plan sans explication ?
PAUL: J'ai eu un empêchement.
EDITH : Un empêchement ? Suffisamment important pour m'oublier ? Quel genre d'empêchement ?
PAUL : Un autre rendez-vous ….imprévu......soudain.
EDITH : Et qui vous a donné un rendez-vous imprévu et soudain juste le jour, que dis-je l'heure à laquelle vous m'aviez donné rendez-vous avant ?
PAUL (cherchant une idée) : Euh !....Max.
EDITH : Quoi ?
PAUL : Il m' a appelé. Il était inquiet et il voulait me voir.
EDITH : Qu'est ce que Max vient faire là-dedans ?
PAUL : Justement ! Il était inquiet pour vous.
EDITH (baissant d'un ton) : Qu'est-ce que vous me racontez ? Pourquoi était-il inquiet ?
PAUL : C'est délicat !
EDITH : Je vous écoute.
PAUL : Il pensait que vous aviez un amant.
EDITH (surprise): Qu'est-ce que vous dites ?
PAUL : Il m' a appelé pour me dire qu'il vous trouvait distante depuis quelque temps et...il s'interrogeait.
EDITH : Vous me racontez des histoires. Vous cherchez à vous défiler, une fois encore.
PAUL : Mais, pas du tout, pas du tout.
Max entre à ce moment-là.
MAX : Qu'est-ce que vous faites ? On vous attend dehors.
EDITH(attrapant des verres) : On arrive. Elle se dirige vers le jardin. J'amène les verres. Ne bougez pas tous les deux, je reviens.
Elle sort . Paul s'approche de Max s'assurant que personne n'écoute.
PAUL : Il faut que tu m'aides.
MAX : Qu'est-ce qui t'arrive ?
PAUL : Quand Edith va revenir, elle va te poser des questions. Tu réponds OUI à toutes.
MAX : Tu peux m'expliquer ?
PAUL : Pas le temps. Plus tard. La voilà.
EDITH entre comme une furie. Elle se met au milieu de la scène, face à Max. Paul est derrière elle.
EDITH : Max, j'ai eu une conversation intéressante avec Paul. J'aimerais que tu m'éclaircisses quelques points. (se tournant vers Paul) Et vous, vous ne dites rien.
MAX (pas à l'aise et regardant Paul) : Oui.
EDITH : As-tu appelé Paul la semaine dernière ?
MAX (en regardant Paul qui fait oui de la tête) : Oui
EDITH : Lui as-tu dit que tu étais inquiet ?
MAX (même jeu) : Oui.
EDITH:Pourquoi ?
MAX : Oui.
EDITH (s'énervant) : Je te pose une question qui appelle une autre réponse que oui.
MAX (hésitant et désemparé): Non ?
EDITH : Tu le fais exprès ou quoi ? Je te demande pourquoi tu étais inquiet. Tu dois bien te le rappeler ?
MAX : J'étais inquiet....Mais Paul m'a rassuré de suite. Paul soupire et acquiesce à la réponse.
EDITH : Tu l'as donc rencontré ?
MAX : Oui.
EDITH : Quel jour était-il ?
MAX (regarde Paul inquiet, celui-ci lui fait des signes pour l'aider à répondre. Max essaie d'interpréter) : Quel jour. Quel jour. Il faut encore que je m'en souvienne. Ce n'est pas hier.
EDITH (s'impatientant) : Ce n'est pas très loin non plus.
MAX : Je ne me souviens plus très bien...(hésitant) ça devait être un jour de semaine (il regarde Paul qui fait oui de la tête)... Un jour de semaine...Voilà, c'était un jour de semaine.
EDITH (insistante) : Tu ne peux pas être plus précis ?
MAX : Plus précis....C'est déjà précis ça, non ?
EDITH : Non. Ce n'est pas précis. Alors quel jour ?
Paul imite le souffle du vent autant qu'il peut.
MAX : Souffle ….Du souffle...ça soufflait. Il soufflait fort ce jour-là.
EDITH : Ce n'est pas ma question.
MAX : Peut-être, mais je m'en souviens très bien. Il y avait beaucoup de vent. Paul fait de grands signes quand il dit "vent". Un fort vent....vent...(illumination) vendredi....c'était vendredi.
EDITH : Tu en es sûr ?
MAX : Oui, bien sûr. Je me souviens très bien. C'était vendredi.
EDITH : Raté !
MAX : Pardon ?
PAUL (affolé) : Qu'est-ce que vous dites ?
EDITH : Ce n'était pas vendredi, mais jeudi.
PAUL : Mais non...c'était vendredi.
EDITH : Je vous dis que non. C'était jeudi.
PAUL : Mais ce n'est pas possible.
EDITH : C'est possible. Nous avions RENDEZ …....(se rend compte de la boulette) C'était jeudi, voilà tout.
PAUL : Aïe ! Aïe ! Aïe !
MAX (suspicieux) : À quoi jouez-vous tous les deux ? Comment peux-tu être si sûre du jour où J'AVAIS rendez-vous avec Paul ?
EDITH (embarrassée à son tour) : Parce que....parce que... parce que Paul m'en avait parlé.
PAUL ( surpris) : Ah bon ?!
MAX : Paul t'en avait parlé ? Tu connais Paul ?
EDITH : Non. Enfin, à peine.
MAX : Comment ça, à peine. Tu le connais oui ou non ?
EDITH : Paul m'avait donné rendez-vous.
MAX : Tu avais donné rendez-vous à Edith ? Mais pourquoi ?
PAUL (très embêté) : Je ne peux pas te dire.
MAX : Tu donnes rendez-vous à ma femme et tu ne peux pas me dire pour quelle raison ? Il va falloir que tu t'expliques. Depuis quand vous connaissez-vous ?
EDITH : On ne se connaît pas.
MAX : Pardon ?
EDITH : Paul m'a donné rendez-vous, mais je ne savais pas qui il était.
PAUL : Moi non plus.
MAX : Tu acceptes le rendez-vous d'un homme que tu ne connais pas, qui ne te connaît pas non plus ?
EDITH : Je ne savais pas qu'il était ton ami.
PAUL : Je ne savais pas qu'elle était ta femme.
MAX : Vous n'êtes pas clairs. Tu donnes rendez-vous à une femme que tu ne connais pas et qui comme par hasard est mon épouse?
PAUL : Incroyable coïncidence !
MAX : Incroyable, en effet. Et qu'avais-tu à dire à cette femme que tu ne connaissais pas et qui se trouve être ma femme ?
PAUL : Je te l'ai dit, je ne peux pas te le dire.
MAX : Qu'est-ce que vous me cachez ?
PAUL : Rien qui ne puisse trahir notre amitié.
EDITH : Il a raison. Il n'y a rien entre nous.
MAX : Et je dois vous croire ?
EDITH : Mon chéri, Paul m'a contactée, car il avait quelque chose à m'annoncer.
MAX : Ce quelque chose que tu refuses de me dire ?
PAUL : Oui.
EDITH : Mais je ne l'ai jamais vu.
MAX : Pardon ?
EDITH : Il n'est jamais venu.
MAX : Ah ! Parce qu'en plus il t'a posé un lapin.
EDITH : À cause de toi.
MAX : À cause de moi ?
EDITH : C'est parce que tu l'as appelé qu'il n'est pas venu à notre rendez-vous. Mais, mon chéri, je t'assure que tu n'avais aucune raison d'être inquiet. Je ne t'ai jamais trompé.
MAX (surpris) : C'est pour ça que j'étais inquiet ?
EDITH : C'est ce que tu as dit à Paul d'après ce qu'il m'a dit.
PAUL : Rappelle-toi Max, tu avais des doutes sur la fidélité de ta femme.
MAX (étonné) : J'avais des doutes.
EDITH : Ce n'est pas ce que tu as dit à Paul ?
MAX (voyant Paul lui faire oui de la tête) : Oui....sûrement.
EDITH : Tu n'as pas l'air d'en être sûr ?
MAX : Si. Si. J'ai appelé Paul parce que je croyais que tu voyais un autre homme alors que justement tu avais rendez-vous avec un autre homme qui se trouvait être celui que je venais d'appeler et, qui a préféré venir à mon rendez-vous plutôt qu'a celui qu'il t'avait donné parce qu'il avait quelque chose à t'annoncer. C'est ça ?
EDITH : Je ne sais plus. Je suis perdue là. Je vais respirer.
Elle sort vers le jardin.
MAX (inquiet) : Paul, dis-moi la vérité. Tu me caches quelque chose, j'en suis sûr.
PAUL : Rien qui ne te concerne.
MAX : Je peux te croire ?
PAUL : Bien sûr....je suis ton ami, Max. Jamais je ne te cacherai quelque chose.
MAX : Tu ne peux rien me dire, tu es sûr ?
PAUL : Écoute, je ne connaissais pas ta femme jusqu'à que je prenne contact avec elle pour une information qui ne te concerne en rien. Je t'en pris, crois-moi. Fais-moi confiance. Et le fait qu'elle soit ta femme et qu'elle t'accompagne aujourd'hui ici est juste incroyable. C'est un cadeau du ciel.
MAX : Tu es sûr que tu vas bien ?
PAUL: Max, j'avais pris rendez-vous avec Edith pour lui annoncer une nouvelle qui pourrait changer sa vie.
MAX: Paul, tu m'inquiètes ! De quoi parles-tu ?
PAUL : Je pourrai en parler plus tard. C'est trop tôt.
MAX : Mais...quelque chose de grave ?
PAUL : Ce sera, j'en suis sûr, une excellente nouvelle pour elle. Inespérée même.
À ce moment-là, du bruit venant de la cuisine, Viviane entre, un collier d'ail autour du cou, brandissant un couteau, suivie de Louise et Emma qui essaient de la retenir. Au même moment, arrive du jardin Lucy, Edith et Thomas.
VIVIANE : Voilà le vampire, le suceur de vie !
MAX (reculant, effrayé, devant l'intrusion menaçante de Viviane) : Mais qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce qu'elle me veut ?
Lucy, Edith, et Thomas restent figés devant la scène. Paul s'interpose.
PAUL : Mais qu'est-ce qui te prend ? Ça ne va pas ? (il la retient de ses bras et sent) Mais, tu sens l'alcool ! (se tournant vers Louise) elle a bu ?
LOUISE : La bouteille de gnôle du papy.
PAUL (affolé et retenant Viviane) : Celle à 70° ?
LOUISE : Celle-là même.
PAUL : Aïe, aïe, aïe ! entière ?
EMMA : Non. La moitié seulement.
PAUL : Mais elle ne boit jamais.
LOUISE : Elle devrait ….De temps en temps.... pour s'habituer. Vu l'état dans laquelle ça la met.
VIVIANE : J'ai de l'ail autour de cou. Je ne risque rien. Tu iras t'abreuver d'un autre sang de vierge ailleurs.
MAX (pas rassuré du tout) : Mais enfin madame, vous vous méprenez .
VIVIANE : Oh que non ! Je sais reconnaître un vampire quand j'en vois un. Un de ces infâmes personnages qui abusent des jeunes filles et qui leur volent leur virginité.
PAUL (la retenant toujours) : Ça suffit maintenant, tu n'es plus une jeune fille et puis..tu n'es plus...non plus.
VIVIANE : Peu importe. Je sais ce que je dis.
PAUL : Justement non, tu dis n'importe quoi. Tu es ridicule !
VIVIANE (en colère, arrivant à se libérer des bras de Paul) : Je suis ridicule. Je suis ridicule. C'est tout ce que tu trouves à dire que je suis ridicule.
LOUISE (d'une voix calme, espérant l'adoucir) : Paul n'a pas voulu dire ça, il essaie de t'aider. Tu n'es pas ridicule Viviane, juste désemparée. Et puis la gnôle de papy, c'est pour la cuisine, ça ne se boit pas comme ça. Il peut y avoir des séquelles.
Viviane titube et s’assoit sur le canapé. Tout le monde soupire, elle n'est plus menaçante.
VIVIANE : Des séquelles ? Des séquelles, la vie en laisse suffisamment.
EMMA (s'approchant du canapé, près d'elle) : Tu sais, tatie, il n'y a que des personnes qui t'aiment ici.
VIVIANE (se relevant dans un élan de fureur et montrant Max du doigt) : Pas le vampire ! Elle se rassoit lourdement, alors que Max effrayé se cache derrière un fauteuil.
THOMAS (à Emma) : Il vaut mieux que tu ne dises rien. Je ne suis pas sûr que ça aide, là.
EDITH (gênée autant par sa propre situation que par le comportement de Viviane) : On va peut-être vous laisser. Je ne suis pas certaine que notre présence soit appropriée.
LOUISE : Sûrement pas. Vous restez. Vous êtes nos invités. Viviane va se calmer. S'il faut, on la couche, le temps de décuver, elle ira mieux après.
VIVIANE (la voix pâteuse) : Je ne veux pas dormir. Je ne veux pas dormir.
THOMAS (qui, à son tour, s'approche d'elle) : Dans ce cas, tatie, il va falloir être sage et ne plus raconter des inepties pareilles. (il lui prend le couteau des mains).
VIVIANE (lui prend la main) : Oh Thomas ! Mon petit Thomas, j'ai des choses à t'avouer.
À ces mots, Louise et Paul se précipitent.
LOUISE : Non Viviane, tu n'as rien à dire à Thomas. Tu vas rester là bien gentiment et surtout (en élevant la voix) ne plus parler.
LUCY (curieuse) : Mais elle a peut-être des choses intéressantes à dire.
PAUL (agité) : Non, elle n'a rien d'intéressant à dire. Elle n'est pas elle-même. J'ai bien peur qu'elle dise des choses qu'elle pourrait regretter après.
Pendant ce temps, Viviane regarde sa main qui bouge devant ses yeux comme un nouveau-né et rit doucement.
THOMAS : Tu sais de quoi elle veut me parler ?
PAUL : Non, je ne sais pas. Regarde là. Comment veux-tu que des propos cohérents et sensés sortent de cette bouche ?
LUCY : C'est vrai que là, elle en tient une bonne.
Viviane se tourne vers Max et fait mine de vouloir l'embrasser à distance. Puis, elle se met à rire à nouveau en regardant autour d'elle.
MAX (amusé) : On dirait qu'elle ne m'en veut plus. Il lui fait bonjour de la main.
EMMA : Elle ne vous en a jamais voulu. Je ne sais pas ce qu'il lui a pris. Peut-être est-ce lié à ce qu'elle voudrait avouer à Thomas.
LOUISE (s'énervant) : Arrêtez de croire qu'elle a quelque chose à avouer à Thomas. Que veux-tu qu'elle puisse avouer ? Il n'y a rien à avouer dans sa vie. Il ne s'y passe rien. Sa vie, c'est le calme plat. Un désert. Les seuls soubresauts de vitalité qu'elle a, c'est quand elle vient ici se plaindre du monde. C'est un besoin vital...ça oxygène son cerveau...Gémir, râler. C'est son kit de survie. Alors, franchement, qu'est-ce qu'elle pourrait avouer ?
THOMAS ; Tu es un peu dure avec tatie. Elle me fait de la peine.
LOUISE : Mais justement, c'est parce qu'elle me fait de la peine à moi aussi que je dis ça. J'aimerais que de temps en temps, elle ouvre sa conscience à autre chose qu'aux drames du monde. Qu'elle se rende compte que dans la vie, il y a des gens fréquentables aussi.
LUCY : Et pas forcément que des vampires.
LOUISE : Voilà !
Viviane s'est figée, les yeux ouverts, fixés vers un point. Elle ne bouge plus.
EMMA : Vous croyez qu'elle est toujours avec nous ? C'est bizarre, ce regard fixe.
Elle passe sa main devant le visage de Viviane, celui-ci reste figé. Ils regardent tous dans la même direction que Viviane.
EDITH : Peut-être que la gnôle est arrivée au cerveau et que ça a fait un court-circuit.
EMMA : Quelle horreur ! Elle ne va pas rester dans cet état, j'espère.
PAUL (la prenant par l'épaule et la secouent doucement) : Oh, Viviane, tu es là ?
Pas de réaction.
LUCY : Elle ne bouge pas.
THOMAS : Tu m'étonnes. 70° dans un corps dont le seul excès de boisson assumé est un verre de vin le jour de Noël. Je pense que la gnôle a dû surchauffer les neurones et a éteint tous les circuits .
MAX : Il doit avoir des fusibles quelque part.
THOMAS : Il va falloir chercher alors parce que tatie cata n'est pas toujours éclairée dans ses propos. Des fois, on se demande si elle ne parle pas dans le noir.
LOUISE : Thomas, je t'en prie, un peu de retenue.
THOMAS : Ce que je veux dire, c'est que vu à quelle vitesse elle vit, cet état peut durer un moment.
LOUISE : Quand elle aura cuvé, elle va nous revenir. Pour l'instant, elle est en orbite. Elle devrait atterrir bientôt. Je vais finir le repas.
EDITH (se précipitant): Je viens vous aider.
LOUISE : Non, je vous en prie, vous êtes nos invités.
EDITH (en regardant Viviane, elle lui fait peur): Ça me ferait plaisir.
LOUISE : Dans ce cas. Lucy et Thomas allaient mettre la table. Ce ne sera plus long.
PAUL : Tu ne veux pas que je vienne t'aider ?
LOUISE : Reste avec ta sœur. Il faut bien quelqu'un pour l'accueillir à son retour de l'espace.
Elles sortent. Lucy et Thomas aussi. Paul s'assoit à côté de sa sœur qui ne bouge toujours pas.
Max se rapproche d'Emma.
MAX : Comme ça, vous avez des talents cachés ?
EMMA (timide) : C'est papa qui le dit.
PAUL : Et je sais ce que je dis.
MAX : Oh oh ! Vous m'intriguez. Et je peux savoir quels sont ces talents ?
Emma regarde son père qui l'encourage du regard à parler.
EMMA : J'écris.
MAX : Vous écrivez ? Magnifique ! Et quoi ?
EMMA (toujours hésitante) : Des pièces de théâtre.
MAX : Fichtre !
EMMA : Enfin une pièce de théâtre. Une seule...pour l'instant.
MAX : On commence toujours comme ça...par une.
EMMA : Je me demandais...
MAX : Oui ?
EMMA : Si vous accepteriez de la lire....et me dire ce que vous en pensez.
MAX : Si je ne l'aime pas ?
EMMA : Votre avis m'aiderait beaucoup. Papa est le seul à l'avoir lu, il l’a aimée. Mais, je n'ose pas trop le dire, j'ai peur qu'on se moque de moi. Alors, si vous me donnez votre avis, je serai fixée.
MAX : Vous savez Emma que beaucoup d'auteurs ont vu leurs premières œuvres refusées. Ils ont persévéré jusqu'à ce que leur talent fut reconnu. Êtes-vous prête à accepter cela ? À persévérer ?
EMMA : Oui, je crois...j'espère.
MAX : Je n'ai pas l'habitude de lire les pièces de jeunes auteurs parce que ce n'est pas mon travail et souvent, ils croient avoir écrit la pièce de l'année et ont du mal à accepter qu'une œuvre se travaille, qu'il y a toujours quelque chose à améliorer, à corriger. (sur un ton hautain) Vous savez, Emma, être auteur, ce n'est pas donné à tout le monde.
EMMA : Je sais. Papa me la dit aussi.
MAX (s'adressant à Paul) : Tu l'as vraiment aimé ?
PAUL : Vraiment. Je suis persuadé que cette pièce est bonne.
MAX : Je vais la lire. Je te fais confiance. (s'adressant à Emma) Paul m'a beaucoup aidé quand j'ai écrit ma pièce. Pas seulement en m'offrant toutes ces anecdotes sur son métier, mais aussi parce qu'il m'a conseillé sur les caractères des différents personnages. Il les connaissait très bien. Sans lui, sans cette aide, ma pièce aurait eu moins de succès. J'en suis persuadé.
PAUL : Arrête ! C'est toi l'auteur quand même.
MAX : Je suis sincère quand je dis ça. Je te dois beaucoup.
PAUL (en plaisantant) : Fais gaffe, je vais te demander ma part sur les droits d'auteur.
MAX : Ouh là ! Ça, c'est la partie d'Edith... et elle est dure en affaire.
PAUL : À ça, je sais bien !
MAX : Tu sais ? Mais comment sais-tu ?
PAUL (balbutiant) : Non, je ne sais pas. J'imagine seulement. Elle a l'air comme ça.....une femme de tête....Alors, je vais éviter.
MAX : Je ne te le fais pas dire. Remarque, cela m'arrange bien. Elle s'occupe de mes contrats avec rigueur et fermeté. Elle ne se laisse pas faire. Quand quelqu'un ne va pas dans son sens ou agit avec malhonnêteté , alors là.
PAUL (inquiet) : Alors là ?
MAX : Elle lui fait payer salement.
PAUL : (de plus en plus inquiet) :Ah !
MAX (s'adressant à Emma) : N'oubliez pas de me donner votre manuscrit avant notre départ.
EMMA (enjouée) : Je ne vais pas oublier, ça ne risque pas.
Viviane soupire et dodeline de la tête.
MAX : On dirait que l'atterrissage se précise. Elle est en approche.
VIVIANE finit par arrêter sa tête. Elle regarde autour d'elle comme si elle se demandait où elle était.
PAUL : Bienvenue sur terre. Tu as fait un beau voyage ?
Viviane reste encore sans voix. Elle regarde son frère assis à ses côtés.
VIVIANE : Qu'est-ce qui m'arrive ?
PAUL : Tu nous as abandonnés pendant quelques minutes.
VIVIANE (apercevant le collier d'ail qu'elle porte) : Qu'est-ce que je fais avec ça autour du cou ?
EMMA : Tu as voulu te protéger.
VIVIANE : Me protéger ? Mais contre quoi ?
EMMA : Contre qui.
VIVIANE : Comment ?
EMMA : Tu as voulu te protéger contre quelqu'un. Tu ne t'en souviens pas ?
VIVIANE (semblant chercher dans sa mémoire) : Mais...je ne comprends pas. Contre qui aurais-je pu me protéger ...avec ce collier ridicule ?
MAX (s'approchant prudemment) : Contre moi.
VIVIANE (le regardant comme si elle ne l'avait jamais vu) : Vous monsieur ? Je vous connais ?
MAX : Nous n'avons pas eu le temps de faire connaissance avant...
VIVIANE : Avant ?
EMMA : Avant que tu le traites de vampire.
VIVIANE (de plus en plus perdue et un peu effrayée) : De vampire ? Monsieur est un vampire ?
EMMA : Non....mais tu l'as cru.
VIVIANE (se tournant vers son frère) : Paul, explique-moi. Pourquoi j'ai pris monsieur pour un vampire ?
PAUL : C'est bien la question. Pourquoi ? Il faut dire que tu avais un peu bu.
VIVIANE : Moi ? J'ai bu ? Qu'est-ce que j'ai bu ?
PAUL : La gnôle de papy.
VIVIANE (effrayée) : Cet infâme breuvage ? Mais, ce n'est pas possible.
EMMA : Tu ne te souviens vraiment de rien ? Ton irruption ici avec ton collier d'ail autour du cou menaçant Max.
VIVIANE: Je vous ai menacé, monsieur ?
MAX :Si peu et vous m'avez dit d'aller sucer le sang des vierges ailleurs.
VIVIANE (poussant un cri de frayeur) : J'ai osé dire ça ? Je suis folle.
MAX : Mais non, juste perturbée.
VIVIANE : Je suis honteuse. Elle s'arrête, la mémoire lui revenant. Attendez ! Je me souviens maintenant. Monsieur est un de tes amis, c'est ça ?
PAUL : Oui.
VIVIANE : Que tu as invité ?
PAUL : Oui.
VIVIANE (reprenant son air revêche) : Monsieur se nomme Max. Je ne sais plus quoi.
MAX (d'un ton léger) : Crooner
VIVIANE : Peu importe. Monsieur exerce l'abominable profession d'auteur de théâtre.
PAUL (s'enthousiasmant) : À la bonne heure. Viviane est de retour.
VIVIANE (se tournant vers Max, d'un ton sec) : Je regrette mes propos et mon comportement inappropriés, voire déplacés...mais je ne vous salue pas pour autant. Elle lui tourne le dos.
Thomas et Lucy reviennent sur scène.
THOMAS : Ça y est, la table est mise.
LUCY (apercevant Viviane) : Ah, tatie Viviane est revenue !
THOMAS (s'approchant d'elle) : Tu vas mieux ?
VIVIANE (encore honteuse) : Je ne sais pas ce qui m'a pris. Me donner en spectacle comme ça devant vous...c'est horrible.
Viviane ne dit rien, mais se renfrogne dans son coin. À ce moment-là, Louise et Edith reviennent sur scène en riant.
LOUISE : Ce n'est pas croyable !
EDITH : Si ! Si !
PAUL : Qu'est-ce qui n'est pas croyable ? Vous avez l'air bien joyeuses toutes les deux.
LOUISE : Edith me racontait comment Max et elle s'étaient rencontrés.
MAX : Oh non, ce n'est pas vrai !
LOUISE (toujours en riant): Si.
EMMA : C'est si drôle que ça ?
THOMAS : On peut savoir ?
MAX : Franchement, ça ne vaut pas la peine.
EDITH (venant près de Max) : Allons, mon chéri, reconnais que notre rencontre fut insolite.
LOUISE : Et les circonstances.
THOMAS : Alors ?
LOUISE : Ils se sont rencontrés pendant un enterrement. (elle rit de plus belle)
VIVIANE (indignée): En effet, c'est hilarant !
LOUISE : Viviane ! Tu es revenue. Quelle joie !
VIVIANE : Je me demande si j'ai bien fait....pour entendre ça.
LOUISE : Attends, tu vas rire quand tu connaîtras la suite.
VIVIANE : J'en doute fort. Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle dans un enterrement.
EDITH : C'est vrai qu'un enterrement est rarement drôle....mais c'était sans compter sur Max...
VIVIANE : J'en étais sûre...ces saltimbanques n'ont aucune retenue.
MAX : C'était totalement involontaire de ma part.
VIVIANE : On dit ça !
EMMA : Mais qu'avez-vous fait pour rendre l'enterrement...drôle ?
MAX : Une maladresse.
EDITH : Qui n'est pas passée inaperçue.
MAX : Ça aurait été difficile.
LUCY : Racontez-nous.
Edith et Max se regardent. Elle se lance.
EDITH : Nous enterrions un auteur, ami de Max et dont j'avais été un temps l'assistante. L'église était pleine. Il était très apprécié des gens du métier. Il avait été décidé que ses amis les plus proches porteraient le cercueil. Max en était. Ils étaient quatre. Max était devant. Ils s'engagèrent dans la nef à la suite du curé qui ouvrait la marche quand Max se prit le pied dans une dalle mal jointée. Il trébucha, mais resta accroché à la poignée du cercueil, ce qui obligea ses collègues à suivre le mouvement. Et voilà, les quatre amis, pris dans un élan mal coordonné, au petit trot, traversant l'église, essayant tant bien que mal de garder leur équilibre. Le curé qui avait pris un peu d'avance eut juste le temps de se retourner pour prendre le cercueil en plein et s'accrochant à lui, soulevé par la force de la poussée, il fut entraîné avec eux. Ils finirent au pied de l'autel, le cercueil au-dessus du curé et les porteurs empilés les uns sur les autres. Sauf un; Max. qui en cours de trajet s'était fait éjecter par la poussée de ses collègues. Il atterrit dans mes bras. J'ai refermé mes bras pour ne plus les rouvrir. Notre rencontre fut soudaine, brutale, mais heureuse.
Ils rient tous, même Viviane qui discrètement sursaute sur place à chaque soubresaut.
PAUL : Tu as réussi à faire ça ?
MAX : Bien involontairement.
THOMAS : Mais après ?
MAX : Après ? Les porteurs se sont relevés tant bien que mal. Ils ont soulevé le cercueil pour dégager ce pauvre curé à moitié assommé par la chute. Il avait la couronne que nous avions fait faire autour du cou. Le ruban « à notre ami éternel » collé sur le front. C'est sûr que la cérémonie n'a pas été celle que l'on croyait. Je devais lire un hommage, mais le curé a catégoriquement refusé que je m'approche du cercueil et de lui.
EDITH: Heureusement que c'était une assemblée d'artistes. Le fou rire qui s'est propagé de travée en travée a eu du mal à s'estomper. Même la famille n'a pas pu garder son sérieux, alors que le curé, encore groggy, essayait de maintenir un minimum de dignité dans le lieu.
MAX : Cela dit, ce brave homme, au moment de la bénédiction du cercueil a malencontreusement lâché (faisant le geste de bénir) son...comment cela s'appelle déjà?
EDITH : Son goupillon.
MAX : C'est ça, son goupillon. Celui-ci a rebondi sur le cercueil et lui est revenu en pleine poire. Je croyais qu'on allait devoir finir la cérémonie sans lui.
LUCY : Sans le goupillon ?
MAX : Sans le curé. Il a chancelé un moment. Je me suis précipité pour le retenir, mais en me voyant, il a réussi à se stabiliser. J'ai compris à son regard qu'il valait mieux que je retourne à ma place. Après, il a été moins loquace.
EDITH : Moins clair aussi.
MAX : C'est vrai. Mais avec des dents en moins, les mots ne sortent plus de la même façon. Il a un peu bâclé la fin. Je pense qu'il avait hâte que tout cela se termine. Et lorsqu'il a fallu porter à nouveau le cercueil, il n'a pris aucun risque, il s'est mis derrière. Pourtant, j'ai été prudent. Je regardais bien où je posais mes pieds.
EDITH : Max est devenu bien malgré lui le héros de cette cérémonie inoubliable.
Viviane pousse des petits cris réguliers en se pinçant les lèvres pour ne pas rire. Dans un moment de silence, tout le monde s'en aperçoit.
LUCY : Qu'est-ce qui arrive à Viviane ?
LOUISE : Elle rit aux éclats !
Viviane fait non de la tête, mais ne peut rien dire, essayant de garder un visage impassible et grave.
VIVIANE (se calmant et reprenant son souffle) : Je ne ris pas. Je hoquette de stupéfaction. Comment est-ce possible de se donner en spectacle à ce point là ?
MAX : Soyez assurée, chère Viviane, que si j'avais pu être plus discret, je l'aurais été bien volontiers.
LOUISE : Sur ces belles paroles, je vous invite à passer à table. Nous allons pouvoir nous restaurer.
Chacun se dirige vers la porte menant à la salle à manger. Thomas laisse passer tout le monde, aide Viviane à se relever et lui parle doucement.
THOMAS : Dis-moi, tatie, tu te souviens de ce que tu voulais m'avouer tout à l'heure ?
VIVIANE (le regardant surprise) : De quoi parles-tu ?
THOMAS : Tu voulais m'avouer quelque chose, tout à l'heure avant ton...absence.
VIVIANE(jouant l'étonnée) : Je ne vois pas ce que tu veux me dire.
LUCY réapparaît à la porte.
LUCY : Alors, vous venez ?
VIVIANE (se dirigeant vers elle) : On arrive. On arrive.
RIDEAU
ACTE 2
Emma, Lucy et Thomas reviennent sur scène.
LUCY : Faut toujours qu'ils traînent à table. C'est long.
EMMA : Vous n'avez pas l'impression qu'ils se comportent bizarrement.
THOMAS : Comment ça ?
EMMA : Je trouve que papa regarde Edith comme s'il la craignait ou je ne sais pas. Un truc étrange...ça ne vous a pas frappés ?
LUCY : Maintenant que tu le dis, c'est possible. À chaque fois qu'elle parle, il se crispe.
THOMAS : Qu'est-ce que vous croyez ? Que papa connaît Edith plus qu'il ne le dit ?
EMMA : Je ne sais pas. Je suis sûr qu'il y a une histoire entre eux.
LUCY : Ton père aurait une liaison avec elle ?
EMMA : Pas forcément. J'espère que non ! Autre chose. Comme s'il y avait un secret entre eux que papa craint qu'elle ne dévoile devant nous.
THOMAS : Et maman ?
EMMA : Quoi maman ?
THOMAS : Elle aussi est différente à d'habitude.
LUCY : Je l'ai remarqué aussi. On dirait qu'elle aussi connaît Max d'avant. Elle n'est pas naturelle avec lui.Il faudrait demander à Viviane ! Elle doit savoir. Elle est un peu zarbi elle aussi.
THOMAS : Tatie est comme d'habitude si ce n'est qu'elle jette des regards assassins vers Max. J'aimerais bien savoir ce qu'elle a contre lui.
EMMA : Rien sûrement. Elle fait une fixette sur son métier. Et comme d'habitude, elle en fait des tonnes.
LUCY : Mais quand même, elle voulait avouer quelque chose à Thomas.
EMMA : C'est vrai. Mais, dans l'état où elle était, ça pouvait être n'importe quoi. Qu'est-ce qui a pu traverser son cerveau à ce moment-là ? La gnôle de papy est redoutable.
THOMAS : C'est possible, mais elle avait l'air d'y tenir. Je le lui ai redemandé avant le repas et elle ne se le rappelait plus, soi-disant.
À ce moment-là, Viviane entre sur scène.
VIVIANE : Je n'en peux plus. Ils parlent d'anecdotes de théâtre, c'est insupportable.
Thomas s'approchant de Viviane et l'invitant à s'asseoir.
THOMAS : Tu te sens mieux tatie ?
VIVIANE ( en s'assoyant) : Comment veux-tu que je me sente mieux. J'ai un train qui n'arrête pas d'aller et venir dans ma tête et leurs histoires de théâtre n'ont fait qu'empirer le mal.
LUCY : Je vais vous chercher de l'aspirine, si vous voulez ?
VIVIANE : Certainement pas. Je n'ai aucune confiance en ces produits chimiques. Ça fait plus de mal que de bien. Ça ira mieux quand ce Max sera parti, il m'insupporte.
EMMA : Mais, qu'est-ce qu'il t'a fait pour lui en vouloir autant ?
VIVIANE : Rien. Sa seule présence suffit.
EMMA : Je ne t'ai jamais vu prendre en grippe quelqu'un comme ça.
VIVIANE : Vous n'avez jamais reçu de pseudos-artistes jusque là.
EMMA : C'est donc sa profession qui t'exaspère.
VIVIANE : Oui. Si tu appelles ça une profession.
THOMAS : D'où te vient cette phobie des artistes ?
VIVIANE : Vous n'avez pas à le savoir. C'est mon secret.
LUCY : Ah, il y a un secret ?
VIVIANE : S'il y en avait qu'un.
THOMAS : Qu'est-ce que tu viens de dire ?
VIVIANE (se rendant compte de sa bévue) : Rien d'important.
EMMA : Tu dois nous en dire plus.
VIVIANE : Je n'ai rien à ajouter.
À ce moment, Louise, Edith, Paul et Max entrent en scène, joyeux. Max entraîne Paul à l'écart.
MAX : Quand est-ce que tu vas révéler ton information ? J'aimerais bien la connaître.
PAUL: Attends ! Pas encore. Ce n'est pas facile à dire. Il faut que je trouve le moment approprié.
LOUISE (s'approchant d'eux) : Qu'est-ce que vous complotez tous les deux ?
PAUL(précipitamment, comme pris en faute) : Rien. Rien du tout.
MAX (inventant): Je disais à Paul que vous ne m'êtes pas inconnue comme si nous nous étions déjà vus quelque part.
LOUISE (brusquement) : Ne cherchez pas. Si nous nous étions déjà vus, nous nous le rappellerions tous les deux.
MAX : Sûrement. Cela me semble lointain. Un vague souvenir.
LOUISE : Laissez-le dans le vague.
MAX : Cela me reviendra.
LOUISE : Ou pas.
PAUL : Parfois, il y a des visages comme ça qu'on croit reconnaître et, en fait, ils nous rappellent quelqu'un d'autre. Une similitude dans les traits.
MAX (réfléchissant) : C'est peut-être ça.
LOUISE : C'est sûrement ça.
Viviane se lève brusquement.
VIVIANE (fortement et rapidement) : J'ai un aveu à faire. Thomas est mon fils.
Elle se rassoit et se recroqueville sur elle-même. Alors que les autres restent sans voix.
EDITH : Qu'est-ce qu'elle a dit ?
EMMA : Tatie, qu'est-ce qui te prend ?
THOMAS (mi-riant – mi-inquiet) : Je ne pensais pas que la gnôle de papy pouvait faire de tels dégâts.
VIVIANE : Il faut que tu me croies Thomas. Je te dis la vérité.
THOMAS : Ce n'est pas possible, tatie. Maman est ma mère et papa, ton frère, est mon père. Tu comprends, tu ne peux pas être ma mère.
VIVIANE : Paul n'est pas ton père.
THOMAS : Hein ? Et..Et Emma n'est pas ma sœur, c'est ça ?
VIVIANE : Forcément...c'est ta cousine.
THOMAS : Stop ! Je ne veux plus rien entendre. C'est n'importe quoi.
LUCY (s'adressant à Louise et à Paul) : Dites quelque chose. Thomas doit savoir.
THOMAS : Arrête Lucy ! Il n'y a rien à savoir. La gnôle de papy a détruit ses derniers neurones encore en activité. Elle délire.
Louise et Paul se sont assis, prostrés, ne disant rien.
LUCY : Il y a sûrement quelque chose à savoir. Regarde tes ….Parents. Ils ne disent rien. (elle s'approche d'eux, un peu en colère) Pourquoi ne dites-vous rien ?
LOUISE : Je me suis souvent dit qu'un jour ça péterait. Et voilà, aujourd'hui boum ! (elle se lève et se dirige vers la porte menant à la cuisine) je vais aller prendre de la gnôle de papy.
THOMAS (la retenant) : Non, maman. Tu m'expliques.
VIVIANE (les yeux dans le vague) : C'est ma faute. Ma très grande faute.
EMMA (agacée) : Vous entendez les propos que tatie tient. On dirait qu'elle expie je ne sais quel péché. Je n'arrive pas à croire que ce qu'elle nous dit soit vrai.
PAUL : Écoutez les enfants, on va tout vous raconter.
MAX : On va vous laisser régler vos histoires de famille.
PAUL : Non, Max, restez. Ce n'est pas fini.
EDITH (s'adressant discrètement à Max): Qu'est-ce qui n'est pas fini ?
MAX: Je ne sais pas. Restons discrets. Il y a matière à intrigue, là.
EDITH (choquée) : Max !
MAX : Quelque chose me dit que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
THOMAS (impatient) : Alors, expliquez-vous !
LOUISE : Ta tante a été enceinte.
THOMAS : Ce n'est pas possible. Comment a-t-elle fait ça ?
LOUISE (après un moment de surprise) : Comme toutes les femmes qui tombent enceintes naturellement...pas toute seule.
THOMAS : Mais...quand même...regarde-là... je ne comprends pas. (s'adressant discrètement à sa mère) : Elle sait ? Vraiment ?
LOUISE : Elle sait quoi ?
THOMAS : Comment on fait …..L'amour.....les enfants...tout ça.
LOUISE (comme une révélation pour tous) : Oui, elle sait. Viviane n'a pas toujours été comme ça.
PAUL : Elle a été jeune aussi.
VIVIANE : Et belle !
LOUISE ( hésitante) : Oui.... Jeune...surtout.
VIVIANE : Et séduisante.
LOUISE : Si tu le dis.
LUCY : Tatie Viviane a bien eu un enfant ?
PAUL : Oui. Un.
LUCY : Alors.....Thomas est bien son fils.
THOMAS (reculant l'évidence) : Attends...ce n'est pas forcément moi, cet enfant. Ce peut-être un autre..ailleurs...ou adopté loin...
LOUISE : Non, Thomas, cet enfant, c'est bien toi.
THOMAS (perdu) : Mais...je ne vous crois pas....vous m'avez élevé...je vous appelle papa, maman...ce n'est pas possible autrement.....et puis tatie n'était pas là...elle vit près de nous depuis quelques années...je ne l'avais jamais vu avant.
PAUL : Justement Thomas...nous t'avons recueilli parce que Viviane était incapable de s'occuper de toi.
LOUISE : Nous t'aimons comme notre fils...ça ne change rien.
THOMAS (haussant le ton) : Comment ça, ça ne change rien ? Mais quand même, ma mère n'est pas ma mère, mais devient ma tante qui elle devient ma mère. Et toi, papa, tu deviens mon oncle.
MAX (amusé): Au moins, ça reste dans la famille. Edith le tape, lui reprochant son intervention.
THOMAS : Si on veut. À part mon père. Du reste, c'est qui mon père ?
VIVIANE : Un inconnu.
THOMAS : Comment ça, un inconnu ? Tu sais quand même qui est mon père ? À moins que... Ne me dis pas que tu passais d'un homme à un autre ?
VIVIANE (offusqué) : Thomas , pour qui me prends-tu ?
THOMAS : Justement, je ne sais plus trop, là !
VIVIANE : Je suis ta mère.
THOMAS : Il y a encore quelques minutes, tu étais ma tante.
VIVIANE : Je suis désolé.... mais, j'étais jeune...immature. Je ne pouvais pas m'occuper de toi. Je n'aurais pas su faire...alors, Paul et Louise ont accepté de te garder, de t'offrir une famille...une sœur. C'était mieux.
THOMAS : Mais, cet homme...tu ne l'as pas gardé ? Il aurait pu s'inquiéter de moi.
VIVIANE : Il ne sait pas que tu existes.
THOMAS : De mieux en mieux. Il s'assoit et prend sa tête dans ses mains. Emma s'approche de lui et lui entoure les épaules.
EMMA : Tu ne lui as rien dit ?
VIVIANE : Je ne l'ai jamais revu.
LUCY : Vous vous souvenez bien de quelque chose, son prénom ?
VIVIANE : Emile.
THOMAS : Son prénom, c'était Emile ?
VIVIANE : Oui. Il était si beau...si jeune...
THOMAS : Ça était l'histoire d'une nuit, seulement ?
VIVIANE : Il était de passage. Une semaine...il m'avait promis qu'il reviendrait (éclatant en sanglots)...il n'est jamais revenu.
EMMA : Oh le salaud ! Tu n'as pas essayé de le retrouver ?
PAUL : Si, elle a essayé. Mais, elle ne connaissait rien de lui. Alors....
EMMA : Cela a dû être dur pour toi. Un mec qui te laisse ….Dans ton état.
VIVIANE : Il ne pouvait pas savoir que j'étais enceinte.
EMMA : Cela n'excuse pas son comportement après. Ne pas tenir sa promesse.
LUCY : Comment l'avez-vous rencontré ?
VIVIANE : À une fête.
THOMAS : Que faisait-il ? Tu le sais ?
VIVIANE : Oui.
THOMAS : Et ?
VIVIANE (en sanglot) : Il écrivait des pièces de théâtre.
Tout le monde se tourne vers Max, sauf Viviane et Louise.
MAX (s'en rendant compte, se défendant) : Ne me regardez pas comme ça, je n'y suis pour rien. Ce n'est pas moi.
LOUISE : Mais non, ce n'est pas lui.
PAUL (surpris) : Comment peux-tu en être sûre ?
LOUISE (comme prise en faute) : Ben...je ne sais pas....j'imagine...Max n'aurait pas agi comme ça, c'est sûr. N'est-ce pas Viviane ?
VIVIANE : Je ne crois pas.
LOUISE : Comment tu ne crois pas ? Mais tu sais bien que ce n'est pas lui.
MAX : Mais évidemment que ce n'est pas moi.... je le saurais.
LOUISE : Vous ne l'auriez pas abandonné.
MAX (surpris) : Bien sûr que non. Si j'apprenais que j'avais un enfant quelque part, j'essaierais de le rencontrer.
VIVIANE (s'énervant) : Mais, il ne le savait pas !
MAX : Ah oui, c'est vrai ! C'est plus compliqué. Retrouver un enfant quand tu ne sais pas qu'il existe....
EDITH : Arrête de dire n'importe quoi. Si tu ne sais pas que tu as un enfant, tu ne le cherches pas.
MAX : Ce n'est pas faux.
VIVIANE (s'adressant à Thomas) : Tu m'en veux ?
THOMAS : De ne pas m'avoir dit que tu étais ma mère ? Je ne sais pas. Je pourrais t'en vouloir. Je pourrai en vouloir à maman et papa...(se rendant compte de la situation et de ce qu'il vient de dire)....je ne vais pas vous appeler tonton Paul et tatie Louise...ce n'est pas possible.
LOUISE : Alors continue à m'appeler maman et Paul papa. Je suis sûre que Viviane n'y voit aucun inconvénient.
VIVIANE : Je suis habituée. Je resterai ta mère de l'ombre qui vient de se dévoiler.
LUCY : Et bien, cette journée ne sera pas comme les autres.
THOMAS : C'est sûr, ce n'est pas tous les jours qu'on change de parents.
MAX : Viviane, vous avez dit que le père de Thomas était auteur de théâtre, c'est pour ça que vous m'en vouliez ?
VIVIANE : Oui.
MAX (hautain): Vous me rassurez. Ce n'était donc pas contre moi.
VIVIANE : Je suis désolée !
THOMAS : C'est dommage qu'on ne sache rien sur lui...à part son prénom.
EMMA : Mais s'il est auteur de théâtre peut-être que Max le connaît. Il ne doit pas en avoir des centaines.
EDITH : C'est possible. Encore faut-il que cet auteur ait percé. Peut-être n'a-t-il écrit qu'une pièce...il y a plus de trente ans.
EMMA : Et était-il au moins auteur de théâtre ? C'était peut-être un truc pour draguer.
VIVIANE : Il faisait partie d'une troupe qui était venue jouer leur pièce ici. C'est comme ça que je l'ai connu.
LUCY : Vous vous souvenez du titre de la pièce ?
VIVIANE : Non. Mais, je me souviens du nom de la troupe.
MAX : Et quel était-il ?
VIVIANE : Les sales timbanques.
EDITH et MAX (ensemble, après s'être regardés) : Théodore !
PAUL : Pardon ?
EDITH : Théodore Labruyére....devant l'incompréhension des autres...L'auteur de la troupe s'appelait Théodore Labruyére.
VIVIANE : Ce n'est pas lui. Je me rappelle très bien qu'il s'appelait Emile.
MAX : C'est possible. Nous savions qu'il avait changé de nom.
LOUISE (curieuse et suspicieuse): On change de nom quand on écrit pour le théâtre ?
MAX : Cela arrive.
VIVIANE (optimiste) : Mais alors....vous le connaissez ?
EDITH (après avoir regardé Max) : Oui. C'était un très bon ami de Max.
PAUL : C'était...vous voulez dire que...
MAX : L'enterrement où j'ai rencontré Edith….C'était le sien.
Viviane se met à hurler et à pleurer exagérément. Très théâtral.
LOUISE (agacée) : C'est bon Viviane. Ne nous fait pas croire pas que tu es dévastée par le décès d'un homme que tu n'as pas revu depuis plus de 30 ans.
VIVIANE : Tu ne peux pas comprendre. J'apprends la mort de l'homme que j'ai aimé le jour où je le retrouve.
LOUISE : En effet, je ne peux pas comprendre. Tu n'as retrouvé personne. Tu viens juste d'apprendre qui il était.
Elle retourne s'asseoir. Emma vient près d'elle pour la réconforter.
THOMAS : Tu comprends bien que je vais avoir du mal à t'appeler maman, alors que maman est là. C'est elle qui m'a élevé comme son fils. (il entoure les épaules de Louise de son bras) . Tu es ma mère biologique, mais tu resteras ma tante quoiqu'il en soit.
VIVIANE : En fait, notre vie va rester ce qu'elle était.
THOMAS : Après une telle nouvelle, ça va être compliqué. Mais nos rapports resteront les mêmes.
VIVIANE : Je prends. Au moins, je resterai près de toi.
THOMAS : C'est dingue ce qui se passe. Deux pères, deux mères en une journée...
LUCY : Au moins toi, tu as un père. Moi, je ne connais pas le mien.
EMMA : C'est vrai, Lucy ? Tu ne connais pas ton père ? Lui aussi s'est enfui ?
LUCY : C'est plus compliqué. Ma mère n'en a jamais parlé vraiment. Je sais seulement qu'il est français.
EMMA : C'est un peu faible comme indice.
LUCY : Je sais. Pourtant, j'aimerais bien le retrouver pour savoir.
THOMAS : Le monde est mal fait. Je ne demandais rien et ça me tombe dessus. Et toi, qui cherches, tu as peu de chances de le retrouver.
LUCY : Toi, c'est une histoire de famille. Ta tante se trouve être ta mère, de fait, ta mère devient ta tante, c'est un peu compliqué, mais ça ne change pas grand-chose. Pour ma part, mon père reste un mystère.
THOMAS : C'est sûr.
PAUL : Il est dommage que ta mère ne t'ait rien dit sur lui.
LUCY : Oui. J'ai bien essayé de la questionner, mais elle ne voulait pas en parler.
PAUL(interrogatif) : Comment s'appelle ta mère ?
LUCY : Christynje.
PAUL : Ce n'est pas facile à prononcer. On a connu avec Max des filles avec des prénoms peu courants comme celui-ci.
LUCY : Il n'est pas si rare. Chez nous, il se donne beaucoup. Je ne savais pas que vous aviez été en Belgique.
PAUL : Ce n'était pas en Belgique, mais aux Pays bas. À Amsterdam. Tu t'en souviens Max ?
MAX : (se rappelant, gaiement) Oui. (en voyant le regard noir d'Edith, se justifiant) Il y a bien longtemps.
LOUISE : Qu'est-ce que vous faisiez là-bas ? (soupçonneuse) Avec des filles en plus. Tu peux m'expliquer ?
PAUL(embêté) : Enfin !
LOUISE (en haussant le ton) : Réponds-moi !
PAUL (toujours embêté) : Il y a plus de 30 ans. Qu'est-ce qu'on faisait là-bas ? (il regarde Max qui n'a pas de réponses) ... J'y étais pour le travail...un salon...cela arrivait, rappelle-toi.
LOUISE : Je sais bien que tu avais des salons à l'étranger. Mais, qu'est-ce que vous faisiez tous les deux à Amsterdam, ensemble ? Max n'était pas là pour le salon, je suppose ?
PAUL:Non...Bien sûr....Max y était aussi...c'était..(cherchant l'aide de Max).
MAX (réagissant): Une coïncidence.
PAUL : Voilà...une coïncidence.
LOUISE : Je me fiche de savoir pourquoi Max était à Amsterdam, ce que je te demande c'est ce que vous y avez fait tous les deux ensemble avec des filles aux prénoms imprononçables ?
PAUL (de plus en plus mal à l'aise en regardant Max) : C'est gênant à raconter.
LOUISE : Pourquoi ? Parce que tu as eu une liaison ? (menaçante) Tu peux l'avouer. Je saurai être magnanime.
PAUL : Ce n'est pas moi.
LOUISE : Pardon ?
MAX : C'est moi qui ai eu une liaison.
LOUISE (presque déçue) : Ah !
VIVIANE : Quelle horreur !
MAX : Je vous en prie, Viviane après ce que vous venez de nous avouer. Sachez qu'à ce moment-là, j'étais célibataire...si une occasion se présentait. J'étais invité à un colloque sur le théâtre européen, je crois. C'était organisé par une université. Et là, j'ai flashé sur une étudiante. Et voilà...
LOUISE (s'adressant à Paul) : Pourquoi n'arrivais-tu pas à raconter cette histoire ? Tu n'as rien à te reprocher.
PAUL (hésitant) Non.
LOUISE (sentant que tout n'a pas été dit, en haussant le ton), Mais ?
MAX : En fait, cette étudiante avait une copine que ne la quittait jamais. Alors, pour pouvoir tenter de séduire la jeune femme, j'ai demandé à Paul qui était venu assister à ma conférence, s'il pouvait approcher la copine et la distraire.
LOUISE : Nous y voilà ! Et comment as-tu distrait la copine (articulant bien) , mon chéri ?
PAUL : C'est un peu compliqué.
LOUISE : Essaie ! Je vais peut-être arriver à comprendre.
PAUL : Écoute, Louise, la situation, dans laquelle je me suis trouvé à ce moment-là, était embarrassante. Je ne t'en ai pas parlé parce que je n'en suis pas fier.
LOUISE : J'imagine.
PAUL : Ce n'est pas ce que tu imagines justement.
LOUISE : Je t'écoute.
PAUL : Cette fille a décidé de me faire découvrir les beautés d'Amsterdam...pour une étudiante. Elle m'a entraîné dans un...coffee shop.
EMMA (amusée) : Ce n'est pas vrai, papa, tu as été dans un coffee shop ?
PAUL : Oui. Mais je ne savais pas ce que c'était. Un coffee shop pour moi était un bar à café..Un truc comme ça. Je ne savais pas qu'on y consommait du cannabis... en toute légalité.
EMMA : Génial ! Et alors ?
PAUL : Alors ? L'étudiante m'a proposé d'essayer. C'est là que c'est parti en vrille. Moi, qui ne fume même pas, vous imaginez dans quel état cela m'a mis. Après quelques taffes, j'étais dans un état second. Je riais bêtement, me suis pris pour un danseur étoile m'essayant à des entrechats. Je faisais le spectacle, entouré de ces jeunes hollandais qui me poussaient à consommer plus. Je racontais n'importe quoi dans une langue improbable que je croyais être du néerlandais. J'ai même commencé un striptease. Heureusement, la jeune femme a eu pitié de moi et m'a entraîné à l'extérieur, débraillé, la bave aux lèvres, les yeux explosés et gueulant que les Pays bas était le plus beau pays du monde et que je voulais me faire nationaliser.
LOUISE (ébahie) : C'est ça ta soirée inavouable ?
PAUL : Oui. L'étudiante en me ramenant vers mon hôtel m'a avoué avoir voulu se venger de sa copine et, surtout de Max, en m'entraînant dans ce coffee shop.
LOUISE : Alors, il ne s'est rien passé entre vous ?
PAUL : Rien du tout....mon amour. Vu dans quel état j'étais, il ne pouvait rien se passer. Arrivé à l'hôtel, je me suis effondré sur le lit, dormi tout habillé et à mon réveil, j'avais un de ces maux de crâne, je ne risquais pas de retourner dans un tel traquenard.
EMMA (en riant) : Ouah ! Papa s'est offert un trip.
PAUL : Je m'en serais bien passé. Je me souviens que cette pauvre étudiante me soutenait tant bien que mal, dans la rue. On aurait dit un ivrogne, incapable de faire un pas sans aide. En m'accrochant à elle, je me souviens avoir aperçu un tatouage sur son épaule, un cygne, je crois. Ce n'était pas très courant à cette époque.
LUCY (brusquement, perturbée) : Un cygne, vous êtes sûr ?
PAUL : Oh oui ! En couleurs. Je lui ai fait remarquer et elle m'a dit que c'était un pacte entre elle et sa copine.
LUCY : Sa copine avait aussi le même tatouage ?
PAUL : C'est ce qu'elle m'a dit. Je n'ai pas vérifié.
MAX (cherchant dans sa mémoire): Je m'en souviens, elle avait un tatouage sur l'épaule. Un cygne, c'est vrai.
LUCY attrape son téléphone et le montre à Paul et Max.
LUCY : Comme celui-là ?
Ils regardent et acquiescent.
PAUL et MAX : Oui.
LUCY (fouillant encore dans son téléphone et s'adressant à Max) : Et ce visage vous dit quelque chose ?
MAX (regarde le téléphone) : On dirait que c'est elle ! C'est incroyable ! Regarde Paul, elle ressemble à l'étudiante avec qui j'ai passé la nuit. Paul s'approche et regarde.
PAUL : C'est vrai, on dirait bien elle.
MAX : C'est fou ça, cette ressemblance !
LUCY : C'est ma mère !
MAX (ne comprenant pas)/ Ah !?
LUCY : L'étudiante que vous avez draguée est ma mère.
MAX (refusant l'évidence) : Non, non, non. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas elle. Comment pouvez-vous en être sûre ?
LUCY : Le tatouage.
MAX : Mais des milliers de personnes sont tatouées. Cela ne prouve rien.
LUCY : Pas celui-là. Il est spécial. C'est ma mère qui l'avait dessiné pour qu'un tatoueur le reproduise sur sa peau et celle de Claasje.
MAX : Claas....quoi ?
LUCY : Claasje. C'est le prénom de son amie.
MAX : Et qui vous dit que le tatoueur ne l'a pas tatoué sur d'autres personnes ?
LUCY : Impossible !
MAX : Vraiment ? Et pourquoi ?
LUCY : Parce que le tatoueur était mon grand-père. C'était un pacte à trois. Mon grand-père ne l'a jamais trahi.
MAX : Mais votre mère était jeune, très séduisante. Elle a dû connaître d'autres hommes à la même période.
LUCY : Non.
MAX : Pourquoi ?
LUCY : Parce que maman ne couchait pas avec des garçons.
MAX (désorienté) : Comment ?
LUCY : Paul vous l'a dit. Maman avait une petite amie, Claatje qui a entraîné Paul dans ce coffee shop.
MAX (dépassée) : Je ne comprends plus rien.
LUCY : Maman et son amie vivaient en couple. Elles voulaient un enfant. Elles ont donc décidé de trouver celui qui serait le géniteur.
MAX : Et c'est tombé sur moi.
LUCY : Oui. Vous répondiez aux critères.
MAX (ébahi) : Aux critères ? Parce qu'il y avait des critères. Comme un étalon.
LUCY : Je suis désolée, mais maman et Claatje avaient une liste de critères physiques et intellectuels pour choisir le bon amant. Quand maman a vu votre photo à l'université qui annonçait votre conférence, elle a flashé sur vous. Elle s'est empressée de vous séduire et le tour était joué.
MAX (se laissant tomber sur un fauteuil) : Je suis anéanti.
EDITH (venant tout près de lui) : Tu découvres que tu as une fille, Max, c'est génial ! Tu m'as dit plusieurs fois que ton regret était de ne pas avoir eu d'enfants.
MAX : Oui...mais là.... comme ça... c'est brutal.
PAUL (joyeux) : Tu fais un peu partie de la famille, maintenant. Mais, dis-moi Lucy, la jalousie de Claartje...la vengeance dont j'étais soi-disant victime...c'était faux...Elle était consentante ?
LUCY : Oui. C'était juste pour pimenter la soirée.
PAUL : Et bé ! J'ai été bien naïf.
MAX : Je n'en reviens pas. Quelle probabilité pour que le …..Fils ou neveu....c'est déjà compliqué à ce stade.... de mon ami soit le petit ami de ma fille dont j'ignorais l'existence. J'écris ça dans une pièce, on ne la joue jamais.
THOMAS : Heureusement que ce n'était pas papa qu'elles avaient choisi. On aurait été mal tous les deux.
PAUL (machinalement) : Aucune chance.
THOMAS : Qu'est-ce que tu dis ?
PAUL (se reprenant) : Aucune chance.... que ce soit moi....à l'évidence, je n'avais pas les bons critères.....Max et moi, nous sommes différents...beaucoup.
EMMA (remarquant son trouble) : Ça va papa ? Tu es bizarre.
PAUL : Ça va. Je suis juste troublée par cette histoire...cette coïncidence me semble ...presque miraculeuse.....Tu nous as bien tout dit, Lucy ?
Lucy ne dit rien, baissant la tête, gênée.
THOMAS (inquiet) : Parle. Qu'est-ce que tu as oublié de dire ?
LUCY (se lançant d'une voix hésitante) : Maman est morte, l'année dernière. C'est à ce moment-là que Claartje m'a raconté cette soirée. Je l'ai interrogé pour en savoir plus, mais cela faisait plus de 25 ans, elle ne se souvenait plus de vous, Max. Par contre, Paul, vous aviez distribué vos cartes de visite autour de vous. Claartje l'avait gardée. En recoupant votre nom, votre profession, j'ai pu vous retrouver. Je n'avais pas imaginé, à ce moment-là, que je rencontrerais d'abord Thomas et que j'en tomberais amoureuse dès le premier regard.
THOMAS (troublé) : Tu es sincère ou tu t'es servi de moi pour approcher papa ?
LUCY : Je suis sincère...je te promets... J'avais même décidé d'abandonner mes recherches....je n'avais plus autant envie de connaître mon père.
EDITH : Jusqu'à aujourd'hui.
VIVIANE (sanglotant) : C'est dingue, cette histoire.
LOUISE : Qu'est-ce qui t'arrive ?
VIVIANE : C'est trop d'émotion...toutes ces retrouvailles...ça m'émeut.
Max entraîne Paul à l'écart.
MAX : N'est-ce pas le moment de faire ta révélation ? Au point où on en est, une de plus ou une de moins.
PAUL : Je ne sais pas...J'hésite encore.
EDITH : Encore des cachotteries tous les deux ? Qu'est-ce que vous manigancez ?
PAUL : Nous ? Rien du tout.
EDITH : Allons, allons. Avec vos airs de conspirateurs, ne me dites pas que vous ne nous cachez pas quelque chose ?
MAX : Non, je t'assure...je disais juste à Paul que cette journée est folle... Thomas qui change de parents...Lucy qui trouve un père et moi une fille....(regardant avec insistance Paul) Je me demande quelle autre nouvelle nous pourrions entendre encore....Peut-être que Paul nous cache une fille ou un fils quelque part...
PAUL (rire gêné) : Ça ne risque pas !
EMMA : Oh, tu sais papa. Au milieu de toutes ces découvertes familiales et génétiques, un frère ou une sœur de plus ou de moins...
PAUL : Non. Ce n'est pas possible. Je ne ….
LOUISE (insistante) : Paul !
THOMAS : Allez papa, un de plus dans la famille....
PAUL (en panique) : Je vous dis que non....C'est impossible.
EMMA : Je ne vois pas comment cela pourrait-être impossible ? Regarde max vient de découvrir qu'il a une fille.
PAUL : Oui. Mais Max, c'est Max et moi, c'est moi.
EMMA : Et en quoi cela serait-il différent ?
PAUL (à bout d'arguments) : Parce que......Parce que...je ne peux pas avoir d'enfant.
LOUISE (découragée) : Et merde !
Tous les autres figés, surpris.
EMMA (parlant plus fort qu'elle ne le voulait) : Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ?
PAUL (s'assoyant sur un fauteuil) : Que j'aimerais être ailleurs, là !
EMMA (s'approchant de Paul et se penchant vers lui) : Papa, tu as dit que tu ne pouvais pas avoir d'enfant, qu'est ce que ça signifie ?
PAUL : Ça veut dire....ce que ça veut dire !
EMMA : Papa !
PAUL (à bout d'arguments): Je suis stérile.
EMMA (se redressant rapidement), Mais...moi alors ? Elle regarde sa mère...Maman ?
LOUISE : Ton père n'est pas ton père.
EMMA : Ce n'est pas vrai ?! C'est quoi cette famille ?
VIVIANE : Une famille décomposée.
EMMA (énervée) : Tais-toi, tatie ! …....À moins que ce soit toi ma mère ?
VIVIANE (outrée) : Ah non ! Un suffit !
LOUISE : C'est bien moi, ta mère.
EMMA : Mais, papa, tu n’es le père de personne ?
PAUL : Voilà, je ne suis le père de personne.
EMMA : Je n'en reviens pas. Comment avez-vous pu nous cacher ça aussi longtemps ?
LOUISE : Votre père....enfin...justement Paul vous a élevé comme ses enfants. On a pensé que c'était inutile de vous le dire.
PAUL : On s'est trompé !
THOMAS : Ne dis pas ça, papa. Après tout si le père d'Emma avait voulu la connaître, il se serait manifesté.
LOUISE : Il ne sait pas qu'il est père.
EMMA : Ah bon, lui aussi ? Mais, c'est une manie de faire des enfants dans le dos des pères.
LOUISE (presque vexée) : Je n'ai pas fait d'enfant dans son dos. Quand j'ai su que j'étais enceinte, il était parti...Après, j'ai oublié de le prévenir.
EMMA (choquée) : Oublié ? Comment peut-on oublier de dire à un homme qu'il va être père ?
LOUISE : Parce que j'ai rencontré Paul. Je ne voulais pas tout compliquer en recherchant ton père, alors que Paul m'acceptait avec toi.
EMMA : Tu n'as pas cherché à savoir qui était mon père ?
PAUL : Jamais. Tu m'appelais papa. Je t'élevais comme ma propre fille. C'était bien comme ça.
EMMA : Mais toi maman, tu sais qui est mon père?
LOUISE (embarrassée) : Oui. Je sais qui il est.....Et c'est là où ça se complique.
EMMA : Pourquoi ? Il est mort ?
LOUISE : Non. Il est bien vivant.
EMMA : C'est un repris de justice ? Un criminel ?
LOUISE (choquée) : Mais non, Emma...Je ne fréquentais pas ce milieu.
THOMAS : Peut-être, est-ce un homme politique ?
LOUISE : Qu'est-ce que tu vas chercher, non.
EMMA : En quoi, est-ce compliqué ?
LOUISE : Ton père s'appelle : Gaston Bizouquet.
À ce nom, Max pousse un cri. Edith le regarde, stupéfaite.
EMMA : C'est qui, ce Gaston Bizouquet ?
MAX : C'est moi.
EDITH (en colère) : Tu en as semé combien comme ça ? Quand je t'ai rencontré, tu étais sans enfant et quatre ans plus tard, tu es père de deux filles...adultes en plus !
MAX (se défendant) : Mais...je n'y suis pour rien !
EDITH : Pardon ?
MAX : Non....Je veux dire quand je t'ai connu, je ne savais pas que j'avais deux filles.
EDITH : Trop facile !
MAX : C'est la vérité !Tu ne peux pas me reprocher de te l'avoir cachée.
EDITH (encore tendue) : Peut-être, mais, ça me fiche un coup .
MAX : Et à moi, donc !
EMMA : Max, vous ne vous appelez pas Max ? Je ne comprends rien.
MAX : Ta mère a raison, mon nom véritable est Gaston Bizouquet. J'ai pris le pseudonyme de Max Crooner pour signer mes pièces. Ça sonnait mieux que mon nom.
LUCY : Mais, vous connaissiez Louise alors ?
MAX: Il semblerait.
PAUL : Tu n'en es pas certain ? J'aimerais en savoir un peu plus moi aussi. (se tournant vers Louise) Comment as-tu connu Max ?
LOUISE (plus Louise raconte, plus Max se souvient) : Je m'étais échappée de ma famille d'accueil... J'avais 18 ans et je voulais vivre autre chose. Je suis allée à Paris...Là, j'ai fait des petits boulots, dont la serveuse, dans un bar. Un jour, une bande de jeunes est venue boire. Je les ai trouvés sympas. Ils étaient pleins de rêves et cela me plaisait. J'en avais aussi. Ils sont venus régulièrement et Max, qui ne s'appelait pas encore Max, m'a plu.....ça a été réciproque...
MAX: ( se rappelant maintenant) : Mais, tu ne t'appelais pas Louise, mais Bonnie.
LOUISE : C'est vrai. Moi aussi, je voulais changer de personnalité. Alors, j'ai commencé par changer de prénom. J'avais adoré Faye Dunaway dans Bonnie and Clyde.
THOMAS : Votre histoire n'a pas marché ?
MAX : Un matin, Bonnie avait disparu....je ne l'ai jamais revue.
LUCY : Pourquoi ?
LOUISE : Une histoire banale. Cette vie, un peu bohème, me faisait peur. Je n'ai pas connu ma famille et, de fait, j'étais dans une grande insécurité. Peut-être que cet amour que nous partagions n'était-il pas aussi fort que je le pensais ? Nous vivions en communauté...La vie de couple n'était qu'une illusion ...Alors, je suis rentrée, dans ma famille d'accueil. C'est là que j'ai su que j'étais enceinte. (elle prend la main de Paul) J'ai rencontré Paul. Je ne m'intéressais pas au théâtre. Je ne pouvais pas imaginer que Max était Gaston...jusqu'à aujourd'hui. (s'adressant à Max) Je t'ai reconnu de suite.
EDITH (s'adressant à Max) : Et toi, on dirait que tu n'es pas trop physionomiste.
MAX : J'avoue que je ne t'ai pas reconnue...Je suis désolé.
LOUISE (amusée) : J'ai un petit peu changé depuis notre jeunesse.
PAUL ( s'adressant à Max) : Quand je te disais tout à l'heure que tu faisais presque partie de la famille, je ne croyais pas si bien dire. Tu es le père de la fille de mon épouse et le futur beau-père du fils de ma sœur.
MAX : C'est compliqué, non ?
LUCY : Et moi, j'ai une sœur qui est la cousine de mon amoureux.
THOMAS : Moi, une cousine qui se trouvait être ma sœur, mais qui est maintenant la sœur de ma petite amie.
EMMA: Mais tu resteras à jamais mon frère.
PAUL (un peu triste) : Les liens familiaux sont parfois compliqués et pas toujours ceux que l'on croit.
EMMA : Papa, tu resteras toujours notre papa....même si tu n'es plus notre père.
VIVIANE ( se levant comme en extase) : Vous savez, il y a des moments où les planètes s'alignent, où les constellations s'harmonisent, alors ce qui doit-être dit est dit, ce qui doit être su est su.
LOUISE (après un moment de silence et de stupeur) : Ça va, Viviane ?
VIVIANE : Ainsi aujourd'hui, dans ce lieu, tout a été réuni pour que les secrets soient révélés enfin.
THOMAS : Ça dure longtemps les effets secondaires de la gnôle de papy parce que là , quand même.
VIVIANE : J'ai dit ce que je savais. Je sais ce qui va être dit.
Elle se rassoit, ne dit plus rien et fixe un point au-dessus d'elle.
LOUISE : Quand je disais qu'ingurgiter un alcool frelaté, trafiqué par le papy, pouvait avoir des conséquences. Souvenez-vous, une seule bouteille a décimé une compagnie entière de soldats allemands pendant l'occupation, après qu'ils en aient bu. On les a retrouvés, tout nus, en train de jouer à colin-maillard avec les vaches. Il faut avoir l'endurance du papy qui en buvait un verre tous les jours pour résister à un tel breuvage. J'ai bien peur que Viviane soit allée au-delà de ses limites.
EDITH (regardant où Viviane porte son regard) : On dirait qu'elle a vu une apparition.
LOUISE : N'exagérons pas ! Ce n'est pas sainte Thérèse non plus.
VIVIANE(toujours comme hallucinée) : Demandez à Paul, il sait des choses qui sont à dire.
LOUISE (énervée) : Qu'est-ce qui se passe, Viviane ? Tu deviens voyante, à présent ? Tu vas nous dire notre avenir ?
VIVIANE (toujours le même jeu) : Demandez à Paul, je vous dis. Les éclaircissements viendront de lui.
LOUISE ( s'adressant à Paul) : Dis quelque chose, là je n'en peux plus.
PAUL : Je ne sais pas d'où ou de qui Viviane tient ses infos.....À moins que.(s'adressant à Max) Max, tu as parlé à Viviane ?
MAX (tout surpris) : Moi ? Parlé à Viviane ? Parlé à la femme qu'il y a encore quelque temps m'accuser d'être un vampire et me menaçait avec un couteau.....Et pour lui dire quoi ? Mis à part, que tu avais souhaité rencontrer Edith pour lui annoncer je ne sais trop quoi...puisque tu as refusé de m'en dire plus.
EDITH (surprise) : Parce que le rendez-vous que vous m'aviez donné (en haussant le ton) et que vous n'avez pas honoré.... a quelque chose à voir avec les prédictions de Viviane ?
LOUISE (agacée) : Viviane n'a pas fait de prédictions...Elle dit des trucs qui viennent de nulle part.
VIVIANE : Paul a la solution.
LOUISE (venant tout près de Viviane, en colère) : C'est bon, on a compris ! Paul sait un truc que personne ne connaît. Alors Paul, c'est quoi ce rendez-vous avec Edith ?
PAUL (hésitant): Edith est ta sœur !
EDITH : Hein ?!
LOUISE (dans un grand éclat de rire nerveux) : Edith, ma sœur ?
PAUL : Oui.
LOUISE : Alors, après le bordel des filiations des enfants, tu nous dis qu'en plus, Edith fait partie de ma famille.
PAUL : Oui.
LOUISE : N'importe quoi !
PAUL : Je t'assure que c'est vrai.
EDITH: Mais comment est-ce possible ?
LOUISE : Je n'ai pas de famille, je ne peux pas avoir de sœur.
EDITH : Et moi, j'ai une famille, mais pas de sœur.
PAUL : C'est vrai, Edith, que le rendez-vous que je vous avais demandé était pour vous connaître et savoir qui était la sœur de Louise. Je voulais qu'elle ne soit pas déçue.
EDITH : Charmant !
Viviane s'apprête à parler.
LOUISE : Non, Viviane, tu n'ajoutes rien. Laisse ton frère nous dire ce qu'il sait. On te garde en joker....Des fois qu'il a des absences, nous ferons appel à tes dons soudains et improbables de voyance. Pour l'instant, tu restes assise et tu écoutes..(en criant)....comme nous.
Tout le monde s'assoit comme obéissant au ton directif de Louise.
PAUL : Il y a quelques semaines, j'ai reçu un coup de fil d'une femme qui souhaitait me rencontrer. Elle avait des révélations à me faire concernant Louise. Cela m'a intrigué. Je suis allé rencontrer cette personne.
LOUISE : Tu vas rencontrer une femme que tu ne connais pas à mon sujet et tu ne m'en parles pas ?
PAUL : Je voulais, avant tout, savoir ce qu'elle avait à me dire. Ce n'était peut-être d'aucun intérêt.
EDITH : Alors ?
PAUL : Je me suis retrouvé face à une dame âgée qui me souriait, gênée. J'ai compris que ce n'était pas une blague, mais quelqu'un qui avait vraiment des choses importantes à me dire.
LUCY( d'un ton exagéré) : Mais qui est-elle ? Ce suspens est insoutenable.
PAUL : Elle s'est présentée de suite. Elle s'appelle Jeanne Lambert.
EDITH (surprise) : Je connais ce nom. On parlait d'elle dans le village. Elle passait pour une folle. Je crois même qu'on la traitait de sorcière. Mon père ne voulait absolument pas que je m'approche d'elle.
PAUL : Et pour cause.
EDITH : Pourquoi dites-vous cela ? Vous insinuez que mon père a eu une aventure avec elle ?
PAUL : Oui.
LOUISE : Et que je suis le produit de cette aventure ?
PAUL : Oui.
LOUISE : Quel crédit peut-on donner à la parole d'une femme qui, d'après ce que dit Edith, n'était pas d'aplomb ?
PAUL: Je peux t'assurer que la personne que j'ai vue était censée et cohérente dans ses propos.
LOUISE : J'ai du mal à te croire.
EDITH : Moi aussi. Je ne vois pas mon père être infidèle à ma mère. Ça ne lui ressemble en rien.
PAUL : Parfois même les personnes qui nous sont proches ont des secrets, des parts d'ombre.
VIVIANE : Cette famille en est un exemple frappant.
LOUISE (énervée) : Tais-toi !
EDITH : Mais quand mon père a-t-il pu avoir une histoire avec cette Jeanne ? Il ne quittait jamais ma mère.
PAUL : Quand elle était enceinte de vous.Votre mère n'avait plus goût à... enfin... Se sentant mis de côté, votre père s'est rapproché de Jeanne qu'il connaissait depuis la petite enfance. Et, à force de se rapprocher... Se sachant enceinte à son tour, Jeanne est partie. Elle est allée accoucher dans une clinique loin du village et a abandonné sa fille.
LOUISE : Mais pourquoi ne m'a-t-elle pas gardé ?
PAUL : Elle ne pouvait pas retourner au village avec toi sans que les gens du village s'interrogent sur ta venue. Et une mère célibataire, à cette époque, c'était très mal vu. Pendant toutes ces années, elle a joué la simplette jusqu'à ces derniers temps où elle a voulu te faire savoir qui tu étais. Je ne sais pas comment elle m'a retrouvé.
EDITH : Mais mon ...notre père savait ?
PAUL : Il n'a jamais su. Personne n'a jamais su. Elle a gardé ce secret pour elle.
Edith et Louise se regardent.
EDITH (s'adressant à Max) : Toi qui nous connais toutes les deux.....intimement. Tu trouves qu'on se ressemble ?
MAX : C'est gênant ma chérie ! J'ai connu Louise, il y a bien longtemps.
EDITH : Mais quand même.
MAX : Il y a une chose dont je me souviens. Vous avez toutes les deux une tache de naissance en un endroit identique de votre anatomie.
EDITH : Tu veux dire que Louise a la même tache que moi là où je pense ?
LOUISE : Là où je pense moi aussi ?
LUCY : Et où pensez-vous ?
LOUISE : Un peu de retenue, Lucy. Il y a des choses qui doivent rester intimes.( (s'adressant à Max) Tu en es sûr ?
MAX : Oui, j'ai une bonne mémoire pour certaines choses. Cette tache est la même.... dans sa localisation et dans sa forme. Cela ne prouve peut-être rien, mais la coïncidence est étonnante.
LOUISE : Alors, nous sommes réellement sœurs ! Même à demi.
EDITH: Même à demi, nous sommes sœurs.
Elles tombent dans les bras l'une de l'autre.
THOMAS : Dis-moi Viviane, tes phrases mystérieuses, c'était quoi ?
VIVIANE : C'était juste pour que Paul aille au bout des révélations.
THOMAS : Tu étais au courant ?
VIVIANE : C'est par moi que Jeanne a retrouvé Louise.
Stupeur générale.
LOUISE : Comment ça ?
VIVIANE : J'ai fait la connaissance de Jeanne dans les réunions auxquelles nous participions.
EMMA : Tu allais à des réunions ?
VIVIANE : Oui. Des réunions de soutien aux femmes qui ont dû abandonner leurs enfants. J'avais sympathisé avec Jeanne. Nous avons découvert que Louise était sa fille. Alors, je suis revenue près de vous et, ainsi, j'ai pu lui donner régulièrement des nouvelles. Et j'ai fini par la persuader de parler à Paul pour que les secrets soient révélés. Il m'a semblé que la journée s'y prêtait parfaitement.
LOUISE : Alors là, je tombe sur le.....sur là où j'ai ma tache de naissance.
THOMAS : Trop cool maman ! Tu apprends que ta mère est toujours vivante, l'identité de ton père, tu retrouves une sœur dont tu ignorais l'existence. C'est génial! C'est le grand bazar dans la famille, mais c'est génial !
EMMA : Le grand bazar, tu l'as dit.
LUCY : C'est vrai, tu viens d'apprendre que ta tante est ta mère et que ta mère est ta tante.
EMMA : Que ton père est ton oncle et moi de sœur, je deviens cousine.
LUCY : De plus, j'apprends que je suis la demi-sœur de ton ex-sœur.
EMMA : Que notre père est l'auteur que j'admire.
LUCY : Que ta mère a une sœur qui se trouve être la compagne de notre père
EMMA : Et de fait, qu'elle est ma tante.
LUCY : Franchement, c'est quoi cette famille ?
VIVIANE : Je vous l'ai dit, une famille....
TOUS (fort) : Décomposée, on sait ! Viviane boude.
RIDEAU