BARTHELEMY
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PERSONNAGES
Madeleine : mère de Barthélemy
Vicar : Frère de Barthélemy
Hortense : Père de Barthélemy
Eloïse : Sœur de Barthélemy
Barthélemy : Barthélemy
Jézebelle : Bien-aimée de Barthélemy
Acte I
Scène 1
Madeleine, Vicar. Une table est au centre de la pièce.
MADELEINE
Chez les fous ! Mon fils veut se faire mettre chez les fous !
VICAR
Voyons, maman, il n’ira pas.
MADELEINE
Tais-toi, s’il te plait, tais-toi, pour l’amour du monde, tais-toi !
VICAR
Mais il n’a rien, maman !
MADELEINE
Il n’a rien ? Ton frère veut se faire mettre chez les fous et tu trouves qu’il n’a rien ?
VICAR
Je n’ai pas voulu dire ça.
MADELEINE
Alors il fallait te taire. (Elle s’énerve) Je te l’ai dit en plus : tais-toi, laisse-moi seule ! Sors !
Il sort.
Scène 2
Madeleine met la main à son front, comme fiévreuse. Elle l’est sûrement d’ailleurs. Elle s’appuie contre la table pour ne pas vaciller.
MADELEINE
Qu’ai-je fait, qu’ai-je fait mon Dieu pour mériter tout cela ?
HORTENSE (qui vient d’entrer)
Arrête de toujours tout demander à Dieu ; il ne répond qu’aux fous.
MADELEINE (s’agrippe le cœur)
Aaah !
Elle manque de s’évanouir, mais son bras traînant sur la table la retient.
VICAR (de retour)
J’ai entendu un cri…
HORTENSE
C’est ta mère. Ta pauvre mère…
VICAR
Que lui arrive t’il ?
HORTENSE
J’ai peur qu’elle ne devienne folle.
VICAR
Barthélemy va la rendre folle, s’il continue. C’est sûr.
HORTENSE
Et il ne compte pas s’arrêter, sois-en sûr.
VICAR
Mais ce n’est pas possible !
HORTENSE
Détrompe-toi, s’il y a bien une seule chose dont on peut être sûr tout de suite, c’est du malheur. Le bonheur, c’est facile, on lui court derrière, on ne peut pas l’attraper, mais tant qu’on court on ne pense à rien, tandis que le malheur, c’est pénible, il nous suit, sans se presser, il attend simplement qu’on se retourne pour le voir. Barthélemy est de ceux qui se retournent, parce qu’ils veulent savoir, parce qu’ils n’ont pas envie de courir stupidement toute leur vie comme les autres, alors ils souffrent.
VICAR
Mais ce n’est pas possible ! Qu’est-ce qu’il nous reste, à nous, alors ?
HORTENSE
Rien. Il ne nous reste rien. Ou plutôt, si, il nous reste son bon Dieu. Son bon Dieu et l’amour. L’amour qu’on ne trouve jamais…
VICAR (le coupe)
Tu n’as pas le droit de dire ça !
HORTENSE
Ah bon ?
VICAR
Et maman ? Tu en fais quoi de maman ?
HORTENSE
Madeleine ? Je ne l’aime plus. Je ne suis pas de ceux qui aiment toute une vie !
Pendant ce temps là, Madeleine s’est redressée et a patiemment tendu l’oreille.
MADELEINE
Je le savais !
Elle se dirige vers son mari comme une furie et le frappe avec un semblant de violence sur l’épaule.
HORTENSE
C’est ridicule, Madeleine, tu ne m’aimes plus non plus. Il y a bien longtemps que tu ne m’aimes plus.
MADELEINE
Mais si !
HORTENSE
Mais non, voyons. Tu ne me caresses plus, tu ne me regardes plus, tu ris quand d’autres racontent leurs bêtises, tu mets plus de patience à préparer un café aux invités qu’un gâteau pour mon anniversaire. Tu ne m’aimes plus, je ne me rappelle même plus la dernière fois où tu m’aurais dit « je t’aime ».
MADELEINE
Tu mens ! C’est toi qui n’écoute rien, plus rien !
HORTENSE
Mais qui voudrais-tu que j’aime ? Une femme qui est devenue comme les autres. Je ne vois plus de différence entre toi et la voisine hormis le fait qu’elle me sourit peut-être plus pour me dire bonjour.
MADELEINE
Tu es ignoble !
VICAR
Arrêtez ! Taisez-vous !
Ils regardent leur fils, l’une coupable, l’autre las. Vicar sort de la pièce en courant.
HORTENSE
Et il va aller faire quoi ? Devenir fou comme l’autre !
MADELEINE
Barthélemy n’est pas fou !
HORTENSE (avec un calme impérial)
Si au moins il pouvait l’être…
MADELEINE
Je te hais.
Elle lui crache au visage et sort, à bout de nerfs.
HORTENSE (seul)
Tu me hais…oui… cela je peux encore le croire…
Scène 3
Vicar, Eloïse.
VICAR
Tout ça, c’est de ta faute !
Eloïse reste muette. Elle paraît absente
VICAR
Tu le soutiens, c’est de ta faute !
ELOÏSE
Je ne le soutiens pas, je l’aime. (Une pause) Je l’aime et je le comprends.
VICAR
Tu l’as toujours plus aimé que moi, de toute façon !
ELOÏSE (après un silence)
Oui, c’est vrai.
VICAR
Ah ! Tu l’avoues enfin ! Ça fait du bien, non de dire les choses quand on se mure durant des années dans son silence hypocrite ! Ça fait du bien, hein ?
ELOÏSE (Lasse)
Oui.
VICAR
Et tu l’avoues, en plus ! Tu l’avoues comme si de rien n’était. Tu l’avoues comme si ce n’était pas même un aveu.
ELOÏSE
Tu ne le savais pas, peut-être ?
VICAR
Tu l’annonces comme tu annoncerais que tu aimes le pâté aux patates!
ELOÏSE
Et alors, comment aurais-tu voulu que je le dise ? Avec Douleur ?
VICAR
Au moins avec compassion.
ELOÏSE
Si cela peut te plaire…(Elle s’approche de lui avec un regard tendre et plein de pitié). Oui, oui j’aime Barthélemy plus que toi, et pardonne-moi mon frère, j’aurais voulu ne jamais faire de choix entre vous deux, mais voilà, ce n’est pas possible, mon cœur parle autrement, j’aime Barthélemy davantage que toi, je ne sais pourquoi, je ne l’explique pas, tu es pourtant plus proche de moi par l’âge mais je le préfère, lui, lui qui ne me dit que des choses idiotes, lui qui veut se faire enfermer chez les fous, lui qui veut me quitter…
VICAR (l’arrête)
C’est bon. Cela suffit… Reprends donc un ton moins hypocrite.
ELOÏSE
Je ne sais plus quoi te dire, Vicar.
VICAR
Peu importe, tu n’as jamais rien eu envie de me dire.
Eloïse s’éloigne de lui et gagne une chaise qu’on vient d’amener.
VICAR
Es-tu amoureuse de lui ? (Silence) Es-tu amoureuse de ton frère ?
ELOÏSE
Je l’aime. Je n’aimerai jamais un autre garçon autant que lui. Je l’aime mais je ne suis pas amoureuse de lui. Comment le pourrais-je ? C’est mon frère.
VICAR
Et moi, tu m’aimes ?
ELOÏSE
Je ne sais pas… Je t’apprécie, tu es aussi mon frère… Et puis à quoi te sert que je t’aime ou non ? Que peut te faire que je préfère Barthélemy ?
VICAR
Ça me fait.
Eloïse soupire et baisse la tête pour affirmer sa volonté de sortir de la conversation.
VICAR
Tu veux que je te laisse ?
ELOÏSE
Oui, sois gentil. Ça ne nous mène à rien !
VICAR
Pourquoi tu ne sors pas si tu ne veux pas parler ? (Silence) Tu ne réponds pas ? Alors, tu vas m’entendre !
ELOÏSE
Je ne me sens plus la force de bouger. Et puis ça m’est égal, tout m’est égal…
VICAR
Répare au moins ce que tu as fait ! J’ai un frère, le même que toi, figures-toi. Et je l’aime aussi…Oh, je sais ce que tu penses, là, en détournant la tête, tu penses que je l’aime moins que toi, que je ne comprends pas, que je ne peux pas comprendre, que je ne suis pas comme vous, que je ne sais d’ailleurs même pas aimer, mais je tiens à mon frère moi aussi, et pas qu’à lui, je tiens à toi, à papa, à maman, aux grands-parents, aux oncles, aux tantes, je ne veux pas vous voir souffrir tous à cause de lui ! Alors va le voir, toi, va le voir et dit lui, à ton tour, qu’il a tort. Cesse d’aller dans son sens, cesse de le comprendre. Oppose-toi à lui, il t’écoutera plus que nous !
ELOÏSE
Je suis désolée, mais j’en suis incapable. Je ne suis pas encore assez hypocrite, il faut croire.
VICAR
Ce n’est pas de l’hypocrisie, c’est du bon sens !
ELOÏSE
Du bon sens ? Je ne vois pas en quoi.
VICAR
Mais parce que ça soulagerait tout le monde ! Cesse de ne penser qu’à toi !
ELOÏSE
Je ne pense pas qu’à moi.
VICAR
Si. Si, tu ne penses qu’à toi et tu es une égoïste.
ELOÏSE
Non, c’est simplement toi qui ne veux pas admettre la vérité.
VICAR
Quelle vérité ?
ELOÏSE
Que Barthélemy ne veux pas aller à l’asile par plaisir.
VICAR
Mais il n’est pas fou.
ELOÏSE
Je le sais. Mais il est malheureux. Il ne voit plus comment s’en sortir, il ne peut plus s’en sortir, il ne voit qu’une solution : l’asile.
VICAR
C’est ridicule.
ELOÏSE
Tu préfèrerais qu’il se pende ?
Vicar baisse la tête. Il se dirige lentement vers la sortie. Soudain, Eloïse se lève et se jette à ses pieds.
ELOÏSE
Tu crois quoi ? Que je suis heureuse qu’il veuille s’enfermer avec les fous, que je suis heureuse qu’il parte ? Mais je vais souffrir le martyr sans lui ! Chaque jour, devoir réaliser qu’il n’est plus là, qu’il ne reviendra plus, ne plus pouvoir l’attendre quand il rentre le soir, ne plus lire les poèmes qu’il écrit en douce le soir dans sa chambre, ne plus l’accueillir dans mes bras et lui gratter le dos du cou, ne plus l’apaiser quand sa tête lui paraît lourde. Mais je n’y résisterai pas ! Je ne pourrai me contenter d’une petite visite tous les deux mois mendiée à l’asile, je ne pourrai le supporter si jamais il refuse de nous voir, et il est capable de refuser… Et puis dans quel état sera t’il ? Que vont-ils faire de lui ? En quoi vont-ils le changer ? Je ne pourrai vivre avec l’idée qu’ils me l’enlèvent, qu’ils le manipulent… Je deviendrai folle ! Car il n’est pas fou ! Il n’est pas fou et ils ne pourront donc pas le soigner.
VICAR
Tu n’as qu’à le lui dire, laisse-moi passer !
ELOÏSE
Oh, ne te mets pas en colère, je t’en prie ! Si je pouvais le sauver, je le ferai, je le sauverai… Je voudrais qu’il reste ici, près de moi.
VICAR
Je peux y aller à sa place si tu veux ?
ELOÏSE
Pas de cynisme, je t’en prie…
VICAR
Me prier… tu ne fais que ça depuis tout à l’heure ! Mais tu n’as qu’à lui dire. Je ne peux pas parler à ta place. J’ai déjà essayé, moi, mais il ne me considère pas plus que toi. Pour lui, je suis un spectre, comme les autres.
ELOÏSE
Tu dis...