L’interview ou le retour du fils prodigue

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Un comédien, sexagénaire célèbre, est interviewé par un journaliste dans un salon.

Il s’agit d’une interview « ouatée », nous sommes dans un lieu chic et le célèbre comédien, assis dans un confortable fauteuil, prend son temps.

 

L’interview est filmée

 

Le journaliste, jeune, est en admiration totale vis-à-vis de son invité.

 

Journaliste : (Contenant difficilement son admiration) Jean-Charles Bourdin, le comédien, le grand comédien (le comédien fait un geste d’humilité) Jean-Charles Bourdin nous fait aujourd’hui l’honneur d’accepter notre invitation et de répondre à nos questions. Merci.

 

Comédien : Merci de m’avoir invité.

 

Journaliste : Oh non ! C’est nous qui vous remercions d’avoir accepté de répondre à nos questions.

 

Comédien : Alors merci pour le merci que vous accordez à mon merci. (Ils rient)

 

Journaliste : Est-il nécessaire de vous présenter ?

 

Comédien :(D’une fabuleuse fausse modestie) Je ne sais pas.

 

Journaliste : Jean-Charles Bourdin ! Merveilleux comédien tant sur les planches qu’au cinéma, voilà bientôt 40 ans que vous nous régalez d’interprétations toutes plus drôles ou bouleversantes les unes que les autres, 40 ans que votre génie s’accapare d’œuvres tantôt légères tantôt poignantes mais toujours sublimées par votre talent.

 

Comédien :(Modeste) Oh…

 

Journaliste : Toujours !

 

Comédien : C’est trop gentil, je suis confus. Nouveau merci, non pas bis, ni même ter, mais sempiternel repetita. (Ils rient)

 

Journaliste : Parlez-nous de la passion que vous avez pour le théâtre.

Comédien : (Réfléchissant) Le théâtre est l’exact opposé des valeurs qui se développent actuellement.

 

Journaliste : Pourriez-vous développer ?

 

Comédien : Oh, c’est assez simple, sans vouloir faire de la haute sociologie, nous sommes à une époque d’innovation constante et générale et le théâtre, par essence, est un métier de tradition.

 

Journaliste : Tradition, est-ce donc synonyme de stagnation ?

 

Comédien : Non, pas du tout, la tradition théâtrale évolue, heureusement ! Mais pas à la même vitesse que nos sociétés, ni dans le même but.

 

Journaliste : Mais encore ?

 

Comédien : Les nécessités économiques par exemple, sont un frein à la création. Une œuvre théâtrale réclame du temps pour la maturation du texte. Monter Hamlet en seulement un mois par exemple, coûtera moins cher, soit, mais ne permettra au metteur en scène et aux comédiens qu’une approche superficielle de l’œuvre. Temps et maturité sont les deux mamelles de notre métier.

 

Journaliste : Cependant certains y parviennent.

 

Comédien : Certains y parviennent en effet, c’est dans leur nature.

 

Journaliste : Leur nature ?

 

Comédien : Oui, de parvenu.

 

Journaliste : (Amusé) Oh !

 

Comédien :(il rit) Je plaisante. L’autre grand ennemi de notre art et sublimé par notre société est la volonté d’être efficace à tout prix, aux dépens bien sûr de la profondeur de l’œuvre. Nous subissons la tyrannie de  l’effet, de l’impact, du buzz comme disent les jeunes.

Au lieu de faire confiance au génie de l‘auteur et de ne s’attacher qu’à le servir humblement, hop, le pseudo metteur en scène parsème l’œuvre de pseudos trouvailles pétaradantes sous prétexte et d’efficacité et de fantaisie… Le pauvre.

 

Journaliste : Cela marche parfois.

 

Comédien : Une fois sur mille… quand il a de la chance ….ou que la pièce est mauvaise, en ce cas il a tous les droits.

 

Journaliste : Mais le public aime souvent.

 

Comédien : C’est que le public est de plus en plus formaté par notre époque.

 

Journaliste : A quoi sert donc un metteur en scène alors ?

 

Comédien : A être le gardien du temple sacré.

 

Journaliste : C’est tout ?

 

Comédien : C’est énorme ! Essayez de vous hausser jusqu’au génie d’un Molière, d’un Shakespeare ou...

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