ACTE I – Scène 1
La scène est plongée dans la nuit. La porte s'ouvre à cour. On entend deux personnes entrer.
François C'est bon, viens, dépêche-toi.
Marcel Je suis là, je suis là.
François Bouge pas, j'allume.
Il glisse son pass dans la fente qui se trouve vers la porte et la lumière s'allume. Une chambre d'hôtel de luxe. Un lit à baldaquins en fond de scène, une commode à jardin, près de la porte des WC. Une petite table et deux chaises à cour, en avant-scène. Un grand placard à jardin, intégré aux murs.
Marcel Oh mon Dieu... que c'est beau...
François Oui, ben ne t'émerveille pas trop. Ce n'est pas les vacances.
Marcel Non... pour moi, c'est plutôt le paradis.
François Malheureusement, ce n’est pas ici que tu passeras ton éternité. Essaie de toucher à un minimum de choses possible. Tu peux quand même dormir dans le lit.
Marcel Tu sais... même la moquette est un palace comparé à mon trottoir habituel... tu me dirais de dormir en boule à la salle de bain, que je serais le plus heureux des hommes.
François N'exagérons rien... Le lit, tu peux y coucher et profiter d'une bonne douche à la salle de bain. Il y a tout ce qu'il te faut : du savon et un peignoir. Tu as de quoi te mettre autre chose sur le dos que cette pelure ?
Marcel Ce que je porte, c'est tout ce que j'ai.
François Ah d'accord... Bon, va te doucher et je reviens t'amener une tenue d’employé. Mais il faudra y faire attention, elle appartient à l'hôtel.
Marcel Ne t'en fais pas, j'y veillerai.
François Et des chaussures ?
Marcel Pour dormir sous les ponts, la tenue correcte n'est pas exigée... alors les mocassins...
François Ok, j'ai compris, je vais te trouver ça.
Marcel Merci François, t'es un roi... vraiment...
François Mais oui, mais oui... et si on se fait choper, je suis un chômeur... allez, à la douche mon prince et frotte bien partout ! La crasse, c’est tenace !
Marcel Amis de la poésie…
François Je reviens. N'ouvre à personne, sous aucun prétexte!
Marcel tendrement, oui papa...
François sort par la porte à cour.
Marcel Oh là là... oh là là... mon Dieu... Il commence à se déshabiller. Mais qu'est-ce qu'il fait chaud... ha... j'avais oublié le bien que ça faisait... Et ce lit... mais je ne pourrai jamais dormir là-dedans... c'est beaucoup trop beau... Même une fois propre, je risquerais encore de le salir.
Il est en caleçon et en t-shirt et a déposé ses habits sur une des chaises de cour. La bonne nouvelle du jour, c’est que j’ai réussi à enlever mes chaussettes… depuis le temps que je les porte… j’aurais pensé qu’elles se seraient soudées à mes pieds. Il fait le tour de la chambre. C’est donc ça, le confort 5 étoiles… Il approche de la commode et touche une boîte qui est en fait une boîte à musique. En ouvrant le tiroir, elle s’enclenche. Il la referme précipitamment.
- Il prend la pose d’un majordome, Est-ce que Monsieur est satisfait de sa chambre ?
- Il se déplace en face et change de posture, très moyennement, Paul-Henri-Louis-Léon, très moyennement.
- Oh, vous m’en voyez navré Monsieur. Et peut-on en connaître la raison ?
- Eh bien elle n’est pas accessible directement avec ma Maserati, que j’ai dû laisser au parking… le lit est trop étroit d’un centimètre, c’est scandaleux et vous n’avez point repeint les murs avec mon divin portrait… vous serez jeté aux lions !
- Mais, Monsieur…
- Il n’y a pas de Mais ! Le client est roi ! Parfois le roi des cons… mais le roi tout de même !
- Bien Monsieur, mais ne maudissez pas ma famille sur 4 générations, je vous en prie…
- Vous avez raison… 4 ce n'est pas assez… , 5 !
Il rit et se fait sursauter lui-même en tournant la tête et en se voyant dans le miroir. Il s’approche et se regarde de près, il est très sale.
En effet… une douche s’impose… dommage qu’il n’y ait pas de Kärcher ! Il se dirige vers la salle de bain. Oh mon Dieu... mais c'est plus grand qu'une cathédrale... et les robinets sont en or ! Il entre, ébahi. Off, et il y a même un bidet ! Après un court instant, on entend le bruit de la douche et Marcel qui chante.
François entre par la porte de cour, il porte des vêtements dans une housse de protection.
François Marcel, c'est moi.
Marcel Off, là, ça pourrait même être le président, que ça ne me ferait pas sortir d'ici!
François Profite va, tu l'as bien mérité. Il commence à sortir les vêtements de la housse. Je vais donner tes fripes au pressing. La blanchisseuse va se demander quel client de notre hôtel peut bien avoir des habits dans un pareil état. Enfin, en espérant qu’elle veuille bien les nettoyer et qu’elle ne se contente pas simplement de leur foutre le feu. Je t'ai trouvé des chaussures, mais je pense qu'elles seront un peu grandes. Elles étaient à un maître d'hôtel qui mesurait 1m95... Il est parti faire du basket d'ailleurs. Tu pourras utiliser les lacets comme bretelles ! Quand tu te seras habillé, je t'amènerai un plateau repas.
Marcel Off, oh volontiers... si tu savais comme j'ai faim...
François Eh bien tu pourras t'en mettre jusque-là.
Marcel Off, mais tu sais, je pourrais travailler pour rembourser tout ça...
François Surtout pas ! Ce serait le meilleur moyen de te faire remarquer. Tout le monde se demanderait d'où vient ce nouveau serveur que personne ne connaît et qui a été engagé, sans qu’aucun poste n’ait été à repourvoir. Et de toute manière, on n'arrête pas de jeter des kilos de bouffes... elle sera toujours mieux dans ton ventre qu'à la poubelle.
Marcel Off, vous jetez de la nourriture?
François Oui, pas qu'un peu... et pas des produits MBudget (peut être remplacé par le nom d’un produit low cost), crois-moi... Mais c'est comme avec ces chambres vides... c'est dingue tous ces lits qui dorment seuls, sans pensionnaire... C'est ce qui m'a donné l'idée de t'y installer. Je t’aurais bien dit de venir à la maison, mais avec ma coloc’ et ses six chats… c’est tout juste s’il reste de la place pour moi.
Marcel Off, tant que tu es sûr que c'est sans risque pour toi... Moi, je m'en fous... je ne peux pas tomber plus bas.
François J'ai regardé les statistiques d'occupation des chambres et on doit être bon pour au moins deux semaines. En général à cette période, cette chambre n’est bonne qu’à accueillir de la poussière. Tu auras donc le temps de te reposer et de reprendre des forces au chaud. Et vu comme on se les gèle dehors… ça n’est pas du luxe !
Marcel Il entre en peignoir, les cheveux mouillés et coiffés en arrière. Tu savais qu'il y avait quatorze sortes différentes de jets de massage dans la douche ?
François Oui... ça m'est déjà arrivé d'en tester une...
Marcel Dis donc ! Petit coquin !
François Eh, en venant travailler tous les jours dans un cinq étoiles, forcément… c’est tentant de profiter un peu…
Marcel Ah ça, j’imagine…
François Mais ça ne va pas durer éternellement… je me suis donné encore un an, histoire de mettre de l’argent de côté et ensuite, je me casse !
Marcel Où ça ?
François Aucune idée... mais loin... pour "vivre"! Pour l’instant… c’est plutôt de la survie.
Marcel Ne m’en parle pas ! J’en connais un rayon, côté survie !
François Avec un sourire, allez, habille-toi ! Tu es dans un palace, pas un club nudiste ! Je vais demander qu'on prépare un plateau.
Marcel Merci.
François sort à cour. Marcel commence à s'habiller.
Marcel Ah ouais... je vais adopter le look pingouin... bon, ce sera toujours mieux que celui du clodo... moins odorant en tous cas. Il y a même le nœud pap’! Il continue à s'habiller. C'est dingue... dans la salle de bain, il y a du shampoing, du gel douche, du savon pour les mains, des cotons tiges, un set à manucure, un bonnet de bain, pas l'air con avec ça d'ailleurs..., une brosse à chaussures et du cirage et un peigne... Tous ces produits gratuits, alors que c'est justement des gens qui ont largement les moyens de s'acheter tout ça qui viennent dormir ici... Sur la table, on leur donne du papier à lettre et un stylo... alors qu'ils ont des ordinateurs plein les valises... Des pantoufles, un peignoir... et une bible sur la table de nuit... une bible! Celle-là, je suis sûr qu'elle est plus souvent utilisée pour écraser les moustiques que pour être lue... Ah oui, en effet... un peu grandes les chaussures... comme ça, en plus du look, j'aurai aussi la démarche du pingouin.
On entend des voix derrière la porte à cour.
Marcel François, c'est toi?
Les voix s'entendent encore.
Marcel François?
Toujours les voix et on entend des bruits contre la porte, la carte est glissée dans la serrure magnétique, une voix de femme et il y a un bip de validation.
Marcel Oh non, merde, merde, merde, merde !
ACTE I – Scène 2
Marcel cherche où se cacher dès qu'il a compris que ce n'était pas François. Il voit l'armoire et court s'y cacher. La porte de cour s'ouvre et entre une femme habillée très chic, un valet/une femme de chambre la suit et porte ses valises.
Gilles/Mona Bienvenue Madame.
Madame Merci… Phil/Lisa ?
Gilles/Mona Gilles/Mona, Madame…
Madame Oui oui, c'est ça…
Gilles/Mona Où dois-je mettre vos bagages Madame?
Madame La petite mallette dans la salle de bain. Les valises, vous pouvez les poser devant le lit. Et la boîte à chapeau, sur le bureau. Je déballerai plus tard.
Gilles/Mona Bien Madame. Il/elle s'exécute.
Madame Vous allez bien Bill/Lola ?
Gilles/Mona Gilles…/Mona… Bien, merci Madame.
Madame Et la famille ?
Gilles/Mona Oui, tout le monde se porte à merveille. Adrien est vraiment studieux. Il commence l’université... interrompu/e par madame.
Madame Allons tant mieux, tant mieux…
Gilles/Mona ….(silence)… il/elle se reprend, C'est étonnant de vous accueillir ici à cette période de l'année.
Madame Inhabituel, oui.
Gilles/Mona Puis-je encore vous être utile Madame?
Madame Non, merci Guy/Anna. Vous pouvez disposer. Elle lui glisse un pourboire discrètement dans la main.
Gilles/Mona Ouvre la bouche pour corriger son prénom et se ravise. Bonne installation Madame. Sonnez si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Il/elle sort. Madame soupire et retire son chapeau, ses gants et son manteau. Elle dépose le tout sur une des chaises de cour avec son sac à main.
ACTE I – Scène 3
Madame Eh bien, eh bien... elle se dirige vers la salle de bain.
La porte reste entr'ouverte. Marcel ouvre lentement le placard et passe la tête par l'entrebâillement et remarque qu'il n'y a plus personne dans la chambre. Il tente de se faufiler doucement. Il entend des pas revenir de la salle de bain et retourne se cacher dans le placard. Madame revient dans la chambre. Elle va prendre son manteau et se dirige vers l'armoire. Au moment de poser la main sur la poignée, son téléphone portable sonne dans son sac. Elle fait marche arrière et va répondre.
Madame Tout sourire, bonjour ma chérie. Oui, je vais bien et toi? Non, je ne serai pas au poker ce soir chez Cynthia. Oui, je sais, moi aussi, j’avais des montagnes de choses à te raconter. Non, ne t'en fais pas, ce n'est rien, juste un petit voyage express. Baptiste … devait … se déplacer pour affaires, alors j'en ai profité pour me joindre à lui, ce sera l'occasion de faire du lèche-vitrines dans de « vrais magasins » ! Ça fait une éternité que je ne fais plus mon shopping que sur internet. Oui, on se voit dimanche prochain... si tout va bien… Je m'en réjouis ! Embrasse bien les filles pour moi et passez une bonne soirée. Surveille tout de même Claire… il me semble qu’elle a souvent tendance à se laisser emporter par le jeu. Bonne journée ma chérie, je t’embrasse.
Madame se dirige vers l'armoire et l'ouvre. Elle pousse un petit cri en apercevant Marcel.
Madame Qui... qui êtes-vous?
Marcel Bonjour Madame.
Madame Mais qui êtes-vous bon sang ?
Marcel Très calme, Madame, je suis… votre… valet de chambre.
Madame Que diable faites-vous dans le placard?
Marcel C'est un nouveau service fourni par notre hôtel. Je suis à votre entière disposition et dès que vous aurez besoin de quelque chose, vous n’aurez qu’à me solliciter et… je sors du placard.
Madame Un valet de placard…
Marcel Comme dans Aladdin… quand il frotte la lampe ! Appelez et je surgis, une idée de génie !
Madame le regarde avec un air suspicieux.
Marcel Puis-je vous aider à défaire vos bagages ?
Madame … Madame.
Marcel Pardon ?
Madame Eh bien… l’étiquette veut que vous placiez « Madame », à la fin de vos phrases…
Marcel L’étiquette ? En cherchant du regard sur Madame. Mais quelle étiquette ?
Madame L’étiquette, le protocole si vous préférez.
Marcel Aaaah… cette étiquette-là ! Bredouillant, moi, je cherchais l’étiquette… enfin l’étiquette… L’étiquette quoi ! Donc… pour le protocole, je ne savais p… enfin, oui, pardon Madame, je… je… juste un oubli. Ça n’arrivera plus… Madame. Puis-je vous être utile, Madame, pour défaire vos bagages Madame ?
Madame Bien... pourquoi pas... avec le trajet… je n’en ai pas la force… je suis exténuée… mais faites attention à ne rien froisser. Les chemisiers Chanel sont impossibles !
Marcel va pour ranger la boîte à chapeau qui est sur le bureau.
Madame Vivement, Non ! Plus calme, laissez ça… je m’occuperai de… des… du chapeau.
Marcel S'exécutant, bien sûr Madame. Je range votre manteau, Madame?
Madame Oui, dans le placard. Vous… vous faites cela depuis longtemps ?
Marcel Non, le service est très récent. C'est un des directeurs qui en a eu l'idée. Je pensais qu'on vous aurait mise au courant à la réception, mais ce doit être un simple oubli, comme le « Madame »... Les hôtesses d'accueil n'en ont pas encore le réflexe. Veuillez les en excuser.
Madame J'avoue avoir réservé ma chambre tardivement, sur un coup de tête. Je n'ai donc peut-être pas prêté attention à tous les détails. Et il est vrai que je ne réserve jamais moi-même les nuitées d’habitude…
Marcel J'espère que ma présence ne vous importune pas Madame.
Madame Importuner, le mot est fort... Disons que j'ai été surprise à l'ouverture de l'armoire.
Marcel Un peu comme un diable qui sort de sa boîte?
Madame Oh, tout de même... un diable peu effrayant! Vous avez plutôt une tête de "gentil".
Marcel Ah ça, on me le dit souvent. C'était d'ailleurs le titre de l'annonce "Recherche valet de placard avec une tête de gentil".
Madame Elle sourit. Ce doit être pénible de demeurer ainsi debout dans une armoire.
Marcel Ne vous en faites pas pour moi Madame. J’ai fait quelques stages… au placard… Et j'ai connu des conditions bien moins confortables.
Madame A votre place précédente ?
Marcel C'est ça. Enfin, des places… j’en ai fait plusieurs…
Madame Puisque nous allons "cohabiter", puis-je connaître votre nom ?
Marcel Bien sûr, lentement Marcel, Madame.
Madame Entendu, Marcel.
Marcel Madame. Hem... gêné, Madame ?
Madame Oui ?
Marcel Vos affaires sont maintenant dans le placard, mais... hem... Je vous laisserai le soin de choisir comment vous voulez ranger le... reste.
Madame Le reste ?
Marcel Oui, vos... hem... enfin… vos… les… ce que vous mettez, gestes dans la direction de Madame, dessous...
Madame Je vais m'en occuper. En attendant, commandez-moi un thé au cynorrhodon au service d'étage je vous prie.
Marcel Je vais descendre vous le préparer moi-même.
Madame Non, restez... utilisez simplement le téléphone. Ils ont l'habitude.
Marcel Il regarde le téléphone à la recherche du numéro du service d'étage. Il compose un numéro sur le téléphone. Ah non, pardon, c'est une erreur… il raccroche. Il fait un second essai et raccroche à nouveau en murmurant "non, pas le parking non plus…"
Madame Qu'avez-vous dit?
Marcel Heu… je… en fait…
Madame Vous avez commandé mon thé?
Marcel Pas encore…
Madame Qu'est-ce que vous attendez?
Marcel J'ai… j'ai peur du téléphone!
Madame Pardon?
Marcel Oui… depuis tout petit… il y a des gens qui n'aiment pas les ascenseurs… eh bien moi, c'est le téléphone! Y a rien à faire, ça me tétanise. Il y a les claustrophobes… les arachnophobes… moi, je suis téléphonophobe…
Madame Incrédule, téléphono…
Marcel Oui, une voix qui nous parvient de loin, comme ça, dans une boîte…brrr ! ça fait froid dans le dos !
Madame Eh bien grandissez… vous n'êtes plus un enfant, alors faites le 23 et commandez moi mon thé.
Marcel Bien, Madame. Il compose le 23. Veuillez monter un thé au… cy… au ro… roro… rhododendron…
Madame Cynorrhodon, Marcel.
Marcel Un thé au cy-no-dro-don à la chambre 23, il regarde discrètement sur le téléphone, heu… 516. Oui, faites un plateau garni s’il vous plaît. Moins fort, avec beaucoup de biscuits ! Merci.
Madame Merci. Eh bien, je n'ai plus besoin de vous... Donc, ça veut dire que vous allez… « pfouit » (geste vers le placard) ?
Marcel Oui... je vais « pfouiter ».
Madame Laissez au moins la porte entr'ouverte.
Marcel Vous savez, Madame, je n'ai pas besoin de lumière pour être rassuré... Être dans le noir, ça me connaît.
Madame Vous ne craignez pas le noir, mais vous avez peur du téléphone ?
Marcel Que voulez-vous… une phobie, ça ne se commande pas, il entre dans le placard.
Madame se rend à la salle de bain et ferme derrière elle. François entre dans la chambre en utilisant son pass.
ACTE I – Scène 4
François Marcel? Marcel? C'est toi qui as commandé un thé au service d'étage? T'es pas gonflé, si ce n'était pas moi qui te l'avait amené, on aurait été pincé! Il dépose le plateau sur la petite table, il y a une théière, une tasse et sa sous-tasse, un sucrier, un pot à lait et une assiette avec des petits biscuits. Oh Marcel? T'es sur le trône ou t'apprends à nager?
Madame sort de la salle de bain et pousse un petit cri en voyant François.
François Mad… Madame de Saint-Vincent ?
Madame François? Mais... que faites-vous là ? Vous avez frappé ?
François Oui... je... je vous amenais le thé et j'ai frappé, mais vous n'avez pas entendu... je... je... me suis permis d'entrer parce que je m'inquiétais... j'ai cru qu’il vous était arrivé quelque chose. Mais... je n'aurais pas dû entrer, je vous prie de m'en excuser, Madame.
Madame Ne le refaites plus, j’aurais pu être dévêtue.
François Entendu. Encore toutes mes excuses… Votre thé est sur la petite table... Madame ?
Madame Oui?
François Vous... vous êtes installée sans encombre? Enfin, je veux dire vous vous êtes bien installée ? Comme d’habitude ?
Madame Tout va bien. Ah oui! Je voulais tout de même vous dire une chose !
François Oui ?
Madame Très innovant ce nouveau service que l'hôtel met à disposition des clients.
François Le... nouveau... service... ?
Madame Oui, un peu surprenant au départ, je dois l'avouer, mais s'ils sont tous comme le "mien"…
François Le vôtre… ? De plus en plus incrédule.
Madame Oui, très bien, très bien... Vous en avez beaucoup ?
François Perplexe, si nous en avons beaucoup ?
Madame D'ailleurs, quel titre peut-on leur donner?
François Quel titre... ?
Madame Allant chercher Marcel, vous avez avalé un perroquet François ou quoi ? Quelle est la dénomination exacte du poste de Marcel?
Marcel Qui demeure dans son placard pour être à sa disposition jour et nuit.
François Surpris, aaaaah... ce titre-là... oh... hem... c'est une bonne question! D'ailleurs ce service est tellement nouveau et... INEDIT… pour ne pas dire improbable…, c’est vrai, que... que... l'hôtel n'a pas encore vraiment trouvé de titre... mais nous allons continuer à chercher... j'ai d'ailleurs quelques noms qui me viennent à l'esprit là... tout de suite…
Madame En tous cas, je trouve cela très inventif et novateur. C'est Monsieur Noisetier qui en a eu l'idée?
François Oui, c'est lui... Hem… avez-vous vraiment besoin de Marcel ? Parce que si sa présence vous gêne, je le fais disparaître en purée… Heu, je veux dire en fumée ! Comme si c’était fait, il n’y a qu’à demand…
Madame Oh non ! Maintenant qu’il est là, il y reste. C’est d’ailleurs une excellente stratégie marketing… lorsque les clients auront pu apprécier les services de Marcel et de ses collègues, ils n’auront plus envie de loger dans un autre hôtel ! C’est un système à breveter, ça ! On n'a même plus besoin de ranger ses bagages soi-même… c'est miraculeux !
François C’est clair… ils ne trouveront ce concept nulle part ailleurs.
Madame Puis-je vous confier quelque chose…
François Bien sûr Madame, vous pouvez tout me dire… je suis une tombe !
Madame …pour la bijouterie de l'hôtel ?
François Ah… heu… mais bien entendu.
Madame Un instant. Elle part dans la salle de bain.
François A Marcel, mais tu fous quoi bordel ?
Marcel Cette dame est entrée dans la chambre, j'ai dû me cacher dans le placard... mais évidemment, elle allait finir par y ranger ses affaires... comment voulais-tu que j'explique ma présence et déguisé en pingouin en plus !
François Tu ne pouvais pas te cacher sous le lit, comme tout le monde ?!
Marcel Hé, j’ai maigri grâce à mon statut de SDF, mais faut pas pousser. A part un fax, il n’y a rien qui pourrait passer sous ce lit !
François Oh là là... mais comment on va te sortir de là ?
Marcel Je partirai discrètement de la chambre une fois qu’elle dormira et ni vu ni connu !
François Mais t’es pas bien ? Elle va se rendre compte que tu n’es plus là ! Et quand ce sera le cas, elle posera des questions. Et maintenant qu’elle nous a vus ensemble, elle parlera de moi… je serai grillé ! Oh mais je te jure !
Marcel François, je suis vraiment désolé…
Madame revient, ils ne la remarquent pas.
Madame Désolé de ?
Marcel Heu… désolé…
François Pour moi… j’ai perdu mon hamster… il était si gentil et si attachant… il s’appelait Pick-Wick… et adorait les radis…
Madame Le regardant, incrédule, Ah mince, je n’ai pas pris les boucles d’oreille ! Elle retourne dans la salle de bain.
François Bon Pick-Wick... heu Marcel, il faut que tu restes là et que tu sois son valet de chambre…
Marcel De placard, s’il te plaît !
François Peu importe. Il faut que tu sois à son service jusqu’à son départ.
Marcel Mais elle va rester ici combien de temps ?
François Aucune idée… Mais pas très longtemps, deux jours, tout au plus j’imagine… Elle vient avec son mari d’habitude et ils font des courts séjours... mais jamais à cette saison ! J’irai contrôler sa réservation plus tard. D’ici là, tiens-toi à carreau !
Madame revient.
Madame Tenez François. Le collier et les boucles d’oreille à restaurer. Le fermoir du collier est à revoir aussi, j’ai peur qu’il ne tombe quand je le porte… Et ne pressez pas le joaillier, je pense rester ici au minimum deux semaines. Il a donc amplement le temps de s’occuper de cela.
Fran./Mar. En même temps, deux semaines ?!
Madame Oui, il y a un problème ?
François Non… non, non.
Marcel Nous sommes simplement… heureux, Madame…
François Oui, enchantés… Alors bon séjour chez nous, Madame de Saint-Vincent.
Madame Merci !
François sort à cour.
ACTE I – Scène 5
Marcel retourne dans son placard. Madame s’installe à la table pour boire son thé et commence à feuilleter un magazine. Elle jette plusieurs fois des regards en direction du placard. Elle ouvre une fois la bouche pour appeler, mais renonce. Elle cherche autour d’elle, quelque chose qu’elle pourrait demander à Marcel. Elle prend une serviette et la place sur le sucrier.
Madame Marcel ?
Marcel Sortant du placard, oui Madame ?
Madame Lorsque vous avez commandé le thé, avez-vous précisé qu’il fallait du sucre ?
Marcel Non, mais je pensais qu’il était évident que le thé serait accompagné de sucre… vous n’en trouvez pas sur votre plateau ? Il s’approche.
Madame Visiblement, pas…
Marcel Curieux… ah, si ! Regardez, la serviette recouvrait le sucrier.
Madame Oh, c’est vrai ! Le ciel soit loué, nous avons failli être en manque de sucre !
Marcel Ton légèrement ironique, quel cauchemar… Vous voilà sauvée ! Il retourne dans son placard. Madame feuillette à nouveau son magazine distraitement.
Madame Un temps, Marcel ?
Marcel Sortant du placard, oui Madame ?
Madame Hem… oh, c’est trop bête, je voulais vous demander quelque chose, mais cela m’est sorti de l’esprit…
Marcel Cela vous reviendra… Il retourne dans le placard.
Madame Un temps, Marcel ?
Marcel Sortant du placard, oui Madame ?
Madame Ho, décidément… je ne m’en souviens à nouveau plus.
Marcel Madame… avez-vous besoin de quelque chose ?
Madame Eh bien… en réalité, je crois que j’ai vraiment tout ce qu’il me faut… laissant supposer une suite.
Marcel Puis-je oser un « mais », Madame ?
Madame Mais je crois que j’ai besoin d’une… présence… juste d’une présence Marcel.
Marcel Bien sûr... Madame… je me mets là ?
Madame Peut-être juste un peu sur la gauche…
Marcel Ici ?
Madame Oui, merci, Marcel.
Marcel Je peux aussi faire la conversation… si vous le souhaitez. Il la rejoint vers la table, mais reste debout.
Madame Je n’aime pas être seule… jamais, nulle part. Surtout pas ici. J’ai décidé de partir quelques jours, seule justement. Mais quand on n’est pas coutumière de la solitude, difficile de s’y faire.
Marcel On ne s’y fait jamais, Madame. On apprend juste à la supporter.
Madame Si je vous ai fait venir, ce n’est pas nécessairement pour parler…
Marcel Surpris, bien Madame…
Madame Chez moi, je suis toujours entourée par beaucoup de monde, il y a un va-et-vient incessant… je voulais échapper un peu à cela en partant quelques jours… mais je ne suis plus sûre que c’est ce qu’il me fallait. J’ai comme des bouffées d’angoisse, le cœur qui se serre, la gorge nouée… je me sens désœuvrée… je crois que… qu’il faut que j’achète quelque chose.
Marcel C’est le contrecoup, Madame. Vous devez vous détendre. Et si vraiment votre chambre vous paraît trop calme, sortez vous promener, prenez l’air, imprégnez-vous de la folie dans les rues à l’approche des fêtes.
Madame Oui, c’est une idée. Par contre, je reviendrai souper ici. L’idée même de manger seule au restaurant me déprime.
Marcel L’important Madame, c’est d’avoir à manger. Enfin… de… manger quelque chose, que ce soit ici ou au restaurant.
Madame Vous avez raison… vous êtes plein de sagesse pour un valet de chambre.
Marcel Il est vrai que ce n’est pas vraiment la qualité qu’on exige d’un valet à son engagement.
Madame J'imagine...
Madame se lève pour aller sonner.
Madame Vous m’avez convaincue, je vais aller prendre l’air et me changer un peu les idées.
Marcel Heureux de vous l’entendre dire. Je suis sûr que cela vous fera le plus grand bien.
Madame Espérons… parce que je frôle la crise de nerfs… la vie n’est pas simple…
Marcel Pour lui-même, à qui le dites-vous !
ACTE I – Scène 6
On toque à la porte. Madame va ouvrir. Marcel se faufile rapidement vers le placard, il se cache derrière une porte, le public continue à le voir.
Gilles/Mona Vous avez sonné, Madame ?
Madame Oui, Jean/Lisa.
Gilles/Mona Gilles…/Mona…
Madame Gilles ? /Mona ?
Gilles/Mona Gilles… Jean…/Lisa… Mona… comme vous voudrez Madame.
Madame Jean-Gilles/Mona-Lisa, appelez-moi un taxi. Et vous pouvez emporter le plateau de thé.
Gilles/Mona Vous n’avez pas touché aux biscuits, ils n’étaient pas à votre convenance ?
Madame Non, ceux-là ne sont pas bons… et j’aime ceux avec des brins de safran. Et… d’ailleurs, personne n’a faim ici.
Grimace de Marcel qui met sa main sur son ventre.
Gilles/Mona J’en prends bonne note pour la prochaine fois, Madame.
Madame Je descends dans un instant.
Gilles/Mona En sortant, bien Madame.
Marcel Tendant à Madame son manteau, son chapeau et ses gants, eh bien Madame, je vous souhaite une bonne promenade. Je serai là à votre retour.
Madame Affronter le froid ne me réjouis pas… Et je pense que j’aurai grand besoin d’un thé lorsque je serai revenue, histoire de me réchauffer. Je serai de retour dans deux heures.
Marcel Souriant, je ferai en sorte qu’un thé chaud vous attende et je veillerai à ce qu’il y ait du sucre !
Madame s’attarde un instant sur le pas de porte, regarde Marcel, ouvre la bouche, la referme et sort.
ACTE I – Scène 7
Marcel attend un instant, puis s’approche de la boîte à chapeau. Il hésite, puis l’ouvre. On entend des bruits vers la porte, il essaie de fermer précipitamment la boîte, mais c’est difficile. François entre.
Marcel Oh mon Dieu… oh, c’est toi… Mettant la main sur son cœur. Tu peux entrer, elle n’est pas là.
François Je sais, je l’ai vue monter dans l’ascenseur. Hé ben, on a eu chaud ! Heureusement que tu as de la suite dans les idées…
Marcel Pour être honnête, c’est la panique qui m’a soufflé cette solution… Je me voyais déjà entre les mains de la police et toi, foutu à la porte ! Quand elle a ouvert le placard, ma bouche a parlé toute seule… je sortais des mots, sans trop savoir ce qui allait se passer…
François Quelle flip ! Bon, tiens, de quoi te mettre quelque chose dans l’estomac. Mon pauvre… tu as dû attendre un sacré bout de temps !
Marcel Arrête… au moment où je l’ai entendue renvoyer le plateau avec les biscuits, simplement parce qu’ils n’étaient pas « exactement » à son goût, mon estomac grondait tellement que j’ai cru qu’il prenait la parole pour l’engueuler !
François Pauvre vieux… Bon, la situation est bizarre, mais tu verras, c’est une femme bien. Elle n'est pas méchante.
Marcel Oh tu sais, moi, tant que je dors au chaud, que ce soit dans un placard ou ailleurs, ça me va. Nos deux mondes ne sont pas faits pour se mélanger. Chacun reste poliment à sa place et la barrière est très nette… D’ailleurs, on n’a pas l’ombre d’un problème en commun.
François Chaque personne a des soucis en fonction de sa situation.
Marcel Elle, des soucis ? Tu plaisantes ? C’est une gamine qui nage dans l’opulence… Si c’est l’argent qui lui pose problème, mais alors qu’elle me le donne, je saurai bien quoi en faire et crois-moi, je ne me plaindrai pas !
François Facile de dire ça maintenant, alors que ce n’est pas le cas. Mais tu sais, on est tous les mêmes… quand on n’a rien, on se satisfait de peu et on sourit. Quand on a trop, on en veut toujours plus et en prime, on fait la gueule.
Marcel C’est un peu général comme constat.
François Et le tien de constat ? Tu ne crois pas qu’il est un peu prématuré ? Laisse-lui une chance… Il y a certainement plus derrière ses beaux habits de marque qu’un portefeuille bien rempli. Tout comme derrière tes frusques de clocheton, il y a plus qu’un minable qui dort sous les ponts.
Marcel Mouais… Au fait, elle me disait qu’elle n’avait pas l’habitude d’être seule ici. C’est qui, son mari ?
François Baptiste De Saint-Vincent, propriétaire des universités privées du même nom.
Marcel Nom de D…
François Comme tu dis ! C’est la première fois qu’elle vient sans lui. Et elle n’a pas averti la réception qu’il devait la rejoindre. Bizarre…
Marcel Elle est jeune, elle a quel âge ?
François Heu… je ne sais pas… 30-35 ans…
Marcel Et ils sont mariés depuis longtemps ?
François Tu veux connaître son groupe sanguin aussi ?
Marcel C’est du négatif, crois-moi…
François Tu fais quoi avec cette boîte, en fait ?
Marcel Ben… elle m’a demandé de ranger le contenu de ses valises dans le placard…
François Et… ?
Marcel Et cette boîte est la seule chose qu’elle m’a demandé de ne pas toucher…
François Donc toi, d’amblée, tu te dis… « et si j’y touchais ? »
Marcel Je voulais juste voir à quoi ça ressemblait, un chapeau de bourgeoise…
François C’est comme un chapeau de gueux, mais avec des plumes !
Marcel T’es con !
François Bon, ok, regardons ce galurin… mais attention à ne pas l’abîmer…
Marcel ouvre la boîte.
Marcel Mais…
François Oh dis donc ! Mais c’est pas du tout un chapeau… Il sort des documents de la boîte. C’est bourré de documents marqués « CONFIDENTIEL »…
Marcel En prenant des documents dans ses mains, et de photos ! On dirait des clichés de détectives, comme dans les films…
François Y a une liste remplie de noms… et à rallonge ! Y a même des japonais…
Marcel François, rangeons ça… on n’aurait pas dû y toucher…
François Oui, bien maintenant, c’est trop tard… et Madame ne saura pas qu’on a jeté un œil… ça doit être des trucs à son mari… On pourrait certainement en piquer un ou deux, qu’elle ne remarquerait même pas…
Marcel Mais bien sûr ! Et tu vas faire quoi ? Les vendre à un maffieux ?
François Ha ha ! Dans mes relations, y a que des types qui n’ont pas un radis… en montrant Marcel, la preuve ! Je blaguais ! Allez, je ferme et ni vu ni connu…
Marcel Merci…
François Bon, en l’attendant, mange ! Ah oui et… il sort un pass de sa poche, Tiens, voilà aussi un pass pour que tu puisses mettre la lumière et la télé quand elle part en marathon shopping, il va mettre le pass dans la fente près de la porte.
Marcel Tu es une véritable petite maman !
François Ha, ha ! Eh bien fiston, à table ! Et tâche de finir ton assiette !
Marcel Ne t’en fais pas, pas besoin de me prier pour ça. Ah oui, elle m’a dit qu’elle serait de retour dans deux heures et qu’elle voulait boire un thé à l’édredon à ce moment-là.
François Un thé à l’édredon… ? mais elle ne boit jamais son thé au lit, ça n’est pas son genre !
Marcel Non, mais au… ah ! Je ne sais plus ! Mais il y a « dredon » dedans !
François Ah ! Au cynorrhodon ! Ok, je ferai monter ça. Il va pour sortir.
Marcel François ?
François Oui ?
Marcel Merci… vraiment…
François Tu me diras merci dans deux semaines… si on a survécu ! Il sort.
Marcel s’installe à table pour manger. Il soulève la cloche au-dessus de l’assiette et respire profondément l’odeur du plat. Il prend une première bouchée.
Marcel Oh là là… c’est bon… Oh, c’que c’est bon… c’est beaucoup trop bon… C’est dingue… Ah, il ne s’est pas foutu de moi le François ! Toasts au foie gras, pâtes à la… enfin aux… bref, je ne sais pas ce que c’est ces machins noirs, mais c’est vachement bon ! A mon avis, c’est pas de la boîte ! Et tiramisu aux framboises… aux framboises en plein hiver ! Quand je pense qu’ils jettent de la bouffe comme ça… Quand je retournerai à la rue, ce qui est sûr, c’est que je viendrai farfouiller dans les poubelles de cet hôtel !
NOIR
ACTE I – Scène 8
On entend des bruits contre la porte de cour. La chambre est dans la nuit. On entend la voix de Madame au travers de la porte, elle semble peiner à ouvrir la porte. Marcel ouvre le placard et en sort juste la tête. Il hésite, puis se dirige vers la porte et l’ouvre. Madame manque de tomber lorsque la porte s’ouvre.
Madame Les bras chargés de cabas, un peu saoule, le plus gros sera livré à la réception…
Marcel Entrez Madame, je vais vous aider.
Madame Ah Marcel, merci mon gentil, vous êtes très cher.
Marcel Je vous en prie… vous vous êtes bien promenée ?
Madame Oh oui ! J’ai visité le marché de Noël, c’était tout-à-fait locobique !
Marcel Madame, il m’arrive de manque de vocabulaire… locobique ?
Madame Mais pas du tout, bucolique, voyons.
Marcel Aah… Votre thé doit être froid maintenant, je vais demander à ce que l’on vous en monte un autre.
Madame Oh non, Marcel merci. Je n’ai pas très envie d’un thé en fin de compte…
Marcel Vous désireriez autre chose ?
Madame Qu’auriez-vous de bon à me proposer ?
Marcel Hem… eh bien tout un tas de choses…
Madame peinant à enlever son manteau sans le déboutonner, parfait ! Je prends le tout !
Marcel Puis-je prendre votre manteau Madame ?
Madame Oui, mais il ne daigne pas s’enlever !
Marcel Puis-je vous suggérer, Madame, de défaire les boutons ?
Madame Aaah… oui… les boutons… Elle les défait. Ah oui, c’est vrai que c’est plus pratique ! Il faudrait ressusciter ce brave Monsieur Bouton, l’inventeur du bouton, et lui dire un grand « bravo » ! Parce que le bouton… c'est une grande trouvaille! Elle cherche à enlever ses gants, puis se rend compte: "Ah non… là-dessus, il n'y a pas de bouton!" Elle tend son manteau, ses gants et son chapeau à Marcel et s’assied sur une chaise. Oh là là Marcel, je suis exténuée… toute cette foule au marché ! Les chalets sont à peine visibles, derrière toute la populace qui admire les choses à vendre… il y avait même un stand qui vendait des peluches à mettre au micro-ondes… extraordinaire ! Et il y avait quantité de chalets qui vendaient du vin chaud…
Marcel Et il était bon… de toute évidence…
Madame Geste d’embrasser son pouce et son index pour dire que le vin était excellent.
Marcel ça réchauffe !
Madame Hum… bien… il faisait froid et… le vin chaud… c’est… chaud… donc…
Marcel Donc ?
Madame Donc, ça réchauffe ! Suivez Marcel, suivez…
Marcel Je suis, Madame, je suis.
Madame Marcel !
Marcel Oui Madame ?
Madame Vous êtes Marcel!
Marcel Oui Madame et depuis ma naissance…
Madame Et ils font maintenant aussi du vin chaud blanc (prononcer chôblanc) !
Marcel Chôblanc ? C’est une marque de vin ? Un grand cru ?
Madame Mais non ! Détachant les mots, vin, chaud, blanc.
Marcel Ah pardonnez-moi Madame, je n’avais pas saisi. Du vin blanc chaud.
Madame Du vin chaud blanc, du vin blanc chaud, c’est du pareil au même. Ça a le même goût !
Marcel Pour lui-même, et le même volume d’alcool… A Madame, Bien sûr, Madame. Par contre…
Madame Oui ?
Marcel Par contre, on ne précise jamais que le vin chaud rouge est rouge.
Madame Et de quelle couleur voudriez-vous qu’il soit ?
Marcel Eh bien, blanc !
Madame Marcel, Marcel, vous me donnez le tournis avec vos histoires de vin… D’ailleurs, je me sens lasse… je vais m’étendre un peu.
Marcel Bien Madame. Marcel prend les cabas et se dirige vers le placard.
Madame J’ai fait quelques emplettes. J’ai laissé le plus gros paquet à la réception, c’est Will qui va le monter d’un instant à l’autre.
On toque à la porte.
Madame Ah, eh bien quand on parle du loup, cela doit être Neal. Allez ouvrir Marcel.
Marcel Hem… pardon Madame, mais je dois d’abord…
Madame L’interrompant, dépêchez-vous, sinon il va partir en croyant que personne n’est là.
Marcel tâchant de gagner du temps, peut-être que…
Madame Oui ?
Marcel Peut-être pourriez-vous lui ouvrir ?
Madame Regard légèrement choqué à Marcel, puis elle l’aperçoit les bras chargés de cabas. Ah oui, bien sûr… elle se lève et va ouvrir. Oui ?
Marcel se dissimule dans le placard. Madame est toujours un peu saoule.
ACTE I – Scène 9
Gilles/Mona Madame, je vous amène votre paquet.
Madame Merci Steve/Alica. Posez-le vers le placard de Marcel, je vous prie.
Gilles/Mona S’exécutant, Ah ? Marcel ? Visiblement contrarié/e, bien Madame. Je suis heureux/se d’apprendre que vous n’êtes pas complètement seule.
Madame Oui, sa présence me soulage… un être à qui parler…
Gilles/Mona Je comprends…
Madame Et qui nous réponde…
Gilles/Mona Oui, tout-à-f… et qui… qui vous réponde ?
Madame Oui… le silence est parfois pesant… donc l’entendre me soulage.
Gilles/Mona L’entendre… oui, bien sûr… Parce qu’il… hem… il parle ?
Madame Oh oui ! Et pas si mal. Même si son vocabulaire n'est pas celui d'un aca… d’un aga… d’une agadécimien…
Gilles/Mona D’un académicien…
Madame C’est ça ! Merci Yves/Monica ! Son langage est tout de même assez riche… Elle se penche, comme si elle parlait à un chien caché dans le placard. Vous êtes d’accord avec moi, mon bon Marcel ?
Gilles/Mona A lui/elle-même, elle le vouvoie ? A Madame, gentiment, prudemment, je pense que cela peut en effet mettre en confiance certaines personnes et combler un vide… mais il ne faut pas les humaniser. Chaque chose à sa place !
Madame Une chose ?
Gilles/Mona Oui, d’après la loi, c’est leur condition !
Madame Je vous trouve bien dur/e… après tout, vous avez quasiment le même statut.
Gilles/Mona Choqué, pardon ? Le même statut ?
Madame Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser. Je ne suis pas très au fait de votre… hiérarchie…
Gilles/Mona Mais… je vous en prie Madame, il n’y a pas de mal.
Madame Bien, vous pouvez disposer maintenant Jacques/Mélissa.
Gilles/Mona Merci Madame. Je suis de permanence cette nuit. Sonnez si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Madame C’est gentil, mais Marcel est là. Il est tellement serviable, vous savez.
Gilles/Mona Sortant de la chambre, Ah bien, Madame, si Marcel est là… pour lui/elle, nous sommes sauvés ! A Madame, si vous avez besoin de croquettes ou de pâtée, n’hésitez pas à demander ! Bonne nuit Madame. Il/elle sort.
Madame De croquettes ? Mais quelle mouche l’a piqué/e ? De quoi parle-t-il/elle ? Marcel ?
Marcel Sortant du placard, Madame ?
Madame Il vient de partir, il a monté mes emplettes. Pourquoi n’êtes-vous pas sorti du placard ?
Marcel Pour ne rien vous cacher, Gilles/Mona n’apprécie pas beaucoup ma présence.
Madame Ah oui, il m’a bien semblé que sa réaction était un peu particulière. Tout de même… Cela ne se fait pas de parler ainsi de ses collègues avec les clients. Ça n'est pas professionnel. Il/elle mériterait une remarque…
Marcel Non, je vous en prie, Madame, ne dites rien. Il/elle se vexerait et je ne veux pas qu’il/elle soit mal à l’aise vis-à-vis d’une cliente de l’hôtel. Je réglerai ça un jour avec lui/elle.
Madame Soit… Bien, Marcel, il est tard et je pense qu’il est temps pour moi de prendre un peu de repos.
Marcel Bien, Madame. Il part en direction du placard.
Madame J’espère que vous ne serez pas trop inconfortable dans votre placard.
Marcel Pour lui, toujours mieux qu’à la belle étoile.
Madame Qu’avez-vous dit ?
Marcel Se retournant, nous sommes dans un cinq étoiles.
Madame C'est vrai… Bonne nuit, Marcel.
Marcel Douce nuit, Madame. Il entre dans son placard.
Madame reste un instant à regarder le placard fermé, puis se dirige vers la salle de bain où elle entre. NOIR.
ACTE I – Scène 10
Pénombre sur la scène, une lumière bleutée filtrant par une fenêtre nous fait comprendre que c’est la nuit. Des ronflements sonores retentissent. Légère lumière ambiante, on doit tout de même voir ce qui se passe sur scène. Les ronflements durent un temps, puis on entend des petits bruits, quelqu’un essaye de faire cesser les ronflements. Le bruit se mue petit à petit en « psschht ! » et finalement, on entend la porte du placard s’ouvrir et on voit Marcel y passer la tête. On comprend que c’est Madame qui ronfle. Il hésite, puis s’aventure hors du placard. Il se rapproche un peu du lit et recommence à faire le bruit. Madame cesse de ronfler un instant. Marcel sourit et fait mine de retourner dans son placard. En chemin, Madame se remet à ronfler. L’opération est répétée deux fois, jeu de mimiques de Marcel durant ses allers-retours. Finalement, lorsqu’il est tout près de son placard, il décide de frapper dans ses mains d’un coup et de fermer rapidement la porte. Madame sursaute avec un petit cri et s’assied dans son lit. Elle retire le masque qu’elle a sur les yeux. Elle regarde autour d’elle, tout est calme et silencieux. Elle regarde encore un instant, puis remet son masque et se recouche. Un temps. On entend à nouveau des ronflements. Rien ne bouge. Encore des ronflements, Madame s’assied dans son lit et enlève son masque. Elle regarde en direction du placard et comprend que Marcel ronfle. Elle commence par de pudiques « hum. Hum ». Puis elle fait un petit bruit pour faire cesser les ronflements. Au bout d’un moment, elle passe aux « psschht ! ». Ne voyant aucun résultat, elle se lève délicatement et marche lentement vers le placard. Elle hésite, puis continue d’avancer. Elle pose une oreille contre le placard et recule quand elle entend un ronflement, amplifié par la porte en bois. Elle pose une main sur la poignée et ouvre la porte, elle s’écarte soudainement, car Marcel étant appuyé contre la porte, le battant s’ouvre à toute allure et Marcel tombe en arrière. Madame pousse un cri et recule. Marcel pousse aussi un cri, se relève vite et va allumer la lumière.
Marcel Balbutiant, que… que… se passe-t-il ? Heu… Madame ?
Madame Bien hum, vous êtes soudain tombé !
Marcel Tombé ? Mais tombé de « où » ?
Madame Tombé de votre placard… Un mauvais rêve sûrement.
Marcel Un mauvais rêve… un mauvais rêve… carrément de la lévitation si je suis « tombé »… Excusez-moi de vous avoir réveillée Madame.
Madame Pour être sincère, je ne dormais plus.
Marcel Ah non ?
Madame Non, car vous… hum… vous ronfliez…
Marcel Moi ? Moi, je ronflais ? Alors ça, c’est la meilleure !
Madame Puisque je vous le dis… Vous ne ronflez pas, à l’accoutumée ?
Marcel Heu… ben… en fait, ça fait longtemps que je n’ai plus dormi avec quiconque… donc un peu difficile à savoir.
Madame Et les clients de l’hôtel n’ont jamais rien mentionné à ce sujet ?
Marcel Vous allez rire… en général, c’est plutôt moi qui les entend ronfler !
Madame Oh non, c’est vrai ? Que cela doit être gênant…
Marcel Ne vous en faites pas, j’ai la délicatesse de ne pas leur en parler.
Madame Riant, vous faites bien, je pense !
Marcel Je tâcherai de ne plus ronfler Madame et de vous laisser dormir paisiblement…
Madame A vrai dire… je n’ai plus vraiment sommeil… et vous ?
Marcel Je suis à votre service Madame. Si vous n’êtes plus fatiguée, alors moi non plus.
Madame Allons nous assoir, voulez-vous ?
Marcel Ma place est debout, Madame.
Madame Ne venez-vous pas de dire être à mon service ?
Marcel Heu... si...
Madame Bien, alors asseyez-vous !
Marcel Comme vous voudrez, Madame.
Madame Je préfère cela. Et puis je préfère ne pas lever la tête pour vous parler… j’ai une migraine épouvantable…
Marcel Le vin « Chôblanc » certainement…
Madame Certainement…
Ils s'asseyent.
Madame Oh mon Dieu, Marcel !
Marcel Quoi?
Madame Quelle horreur !
Marcel De quoi ?
Madame Mais c’est abominable !
Marcel Mais où ça ?
Madame Là! Montrant son pied, à lui.
Marcel Pardon ?
Madame Vous avez un trou à votre chaussette !
Marcel Aaaah... vous m'avez fait peur...
Madame Mais... c'est qu'il y a de quoi!
Marcel De quoi...? Heu oui... oui... je... suis navré Madame... J'aurais dû remettre mes chaussures. Je les ai enlevées pour dormir.
Madame Mais... même avec des souliers, le trou serait toujours là !
Marcel Hem... oui... je... je les changerai dès que possible, Madame.
Madame Vous n'en avez pas dans votre placard?
Marcel Non Madame, le placard est réservé aux vêtements des clients.
Madame Dès que nous vivrons une heure plus convenable, je ferai envoyer quelqu'un pour vous en acheter une nouvelle paire. Vous chaussez du combien ?
Marcel Oh ce n'est pas nécessaire...
Madame Si, si, j'insiste. Je ne serai pas tranquille, si je sais que vous avez un trou.
Marcel Bien... du 43 Madame.
Madame Entendu. Je vous prendrai du 42. Il y a toujours une taille d'écart chez Zadig & Voltaire.
Marcel Ah oui… chez Zadig & Voltaire… moi, j'ai l'habitude des 5 balles les 10 paires…
Madame Si j'avais su, je vous en aurais acheté moi-même hier soir...
Marcel Ah oui, c'est vrai que vous avez tous vos paquets à défaire. Vous avez trouvé votre bonheur ?
Madame Oh, Marcel, j'ai fini par comprendre que le bonheur ne se trouvait pas en vitrine... Mais je me suis tout de même offert de petits plaisirs.
Marcel Ah... parce que... tout ce que vous avez acheté hier est... pour vous ?
Madame Bien oui... pour qui voulez-vous que ce soit ?
Marcel Hem... je ne sais pas... pour des amies... pour votre mari...
Madame Mes amies ont appris à s'offrir leurs propres cadeaux. Et mon mari... il a bien suffisamment de cravates.
Marcel Bien Madame. Et qu'avez-vous acheté de beau ?
Madame Oh, je ne sais même plus en fait...
Marcel sourit.
Madame Pourquoi souriez-vous ?
Marcel Pardonnez-moi, Madame. Mais je ne suis tellement pas habitué à cela...
Madame Les clients de l'hôtel font bien du shopping en général, non ?
Marcel Oui, bien sûr... Madame. Mais... disons que je ne m'y ferai jamais.
Madame A quoi ?
Marcel A vouloir posséder tant de choses. A dépenser sans compter... Et à ne même pas y accorder d'importance...
Madame Mais... sur le moment... cela m'a fait plaisir...
Marcel Encore heureux...
Madame Oh et puis, ça suffit, je n'ai pas à vous donner d'explication. Je fais ce que je veux avec mon argent !
Marcel Ah… l'argent...
Madame Oui, eh bien, sans cet argent, vous ne seriez pas là!
Marcel C'est vrai... C'est bien ça qui me désole.
Madame Marcel, pourquoi êtes-vous si amer tout-à-coup ?
Marcel Parce que quand on n'a pas un sou, on rêve d'en avoir à foison... Et quand on en a plein les poches, on n'y accorde plus d'intérêt finalement... Je n’y comprends plus rien…
Madame Mais ne cherchez pas à comprendre… C'est ainsi depuis la nuit des temps. Chaque être humain doit accepter sa place et vivre avec.
Marcel Ne dit-on pas que les hommes naissent égaux en droit ?
Madame Droit n’est pas pouvoir, hélas. C’est de la théorie… et l’on ne vit pas « en théorie »…
Marcel Dommage, puisqu’en théorie, tout se passe bien.
Madame Que voulez-vous… l'herbe est toujours plus verte dans le pré d'à côté.
Marcel Vous... vous croyez qu'il y a plus verte que votre herbe, à vous ?
Madame Oh certainement... même si je ne manque de rien… mais j’y suis bien seule sur mon herbe... il me manque du soleil, pour l'apprécier à sa juste valeur.
Marcel Vous parlez de votre mari ?
Madame Vous êtes perspicace... et curieux...
Marcel Pardon, Madame...
Madame Bon… après tout, c'est moi qui vous ai demandé de me faire la conversation.
Marcel Vous venez ici avec lui, habituellement ?
Madame Oui...
Marcel Et vous dites que vous vous sentez seule parce qu'il n'est pas là ?
Madame Je me sens bien moins seule aujourd'hui, que lorsqu'il est avec moi.
Marcel Ah...
Madame Mon mari m'a voulu, il m'a eue... et voilà !
Marcel Mais... Madame, on ne peut pas « avoir » quelqu’un… vous n’êtes pas une paire de chaussures ou un parapluie…
Madame Vous êtes gentil Marcel. Pour mon mari, je suis un peu comme un porte-clefs… Petit objet qu’on veut toujours avoir avec soi pour se rassurer et être certain qu’on a bien ses clefs, mais auquel on n’accorde aucune importance finalement.
Marcel Vous me faites marcher!
Madame Pas le moins du monde.
Marcel Pardonnez-moi, mais vous vous êtes tout même mariée avec cet homme…
Madame Oui... mon père me l'a présenté dans le but que je l'épouse...
Marcel Un mariage arrangé ? A notre époque ?
Madame Oh croyez-moi, cela se produit encore bien plus qu'on ne le pense. Et pas uniquement au Moyen Orient... Mon père n’a jamais accepté que son business ne soit plus aussi flamboyant que par le passé. Et il a vécu le drame de n’avoir aucun fils. Juste une fille… Il a continué à faire semblant pendant des années… jusqu’à ce que nous soyons ruinés. A ce moment-là, le seul atout qu’il avait encore, c’était un fabuleux carnet d’adresses. On peut donc dire qu’il m’a plus ou moins vendue avec lui. Mais je ne m’en plains pas, Baptiste m’offre un train de vie des plus agréables…
Et puis il a su être charmeur, plein d'humour et de verve. J'étais jeune et il m'a plu. On a tous envie de croire au bonheur et pourquoi pas, à l'amour.
Marcel Sur ce point-là, je ne peux pas vous contredire, Madame.
Madame Vous êtes marié Marcel ?
Marcel Je l'ai été. Mais nous avons divorcé il y a 3 ans.
Madame Oh, je suis navrée. Vous avez des enfants ?
Marcel Et qui est-ce qui est curieux maintenant ?
Madame Souriant, je crois bien que c'est moi...
Marcel Oui, une fille. Elle a 9 ans maintenant. Elle s'appelle Isaline.
Madame Oh, c'est ravissant.
Marcel Merci.
Madame Vous avez une photo avec vous?
Marcel Oui, sortant son portefeuille. Il lui tend la photo. Mais elle date... Cela va faire presque deux ans que je ne l'ai pas vue...
Madame Ah bon, pourquoi?
Marcel Parce que mon ex-femme en a décidé ainsi. Voilà tout...
Madame C’est cruel… Bon, si je vous montrais mes achats ? Pour faire une pause avec les sujets déprimants ?
Marcel Avec plaisir, Madame.
Madame N’ayant pas l’habitude de ce genre de réaction, c’est vrai ?
Marcel Heu… oui… volontiers… Madame.
Madame Souriant, bien, bien… prenez les paquets s’il vous plaît.
Marcel amène les paquets vers la table. Madame se lève et prend une boîte à chapeau.
Madame ça, Marcel c’est…
Marcel Un chapeau !
Madame Eh bien non ! J’étais sûre que vous alliez tomber dans le piège !
Marcel Ah bon ? Alors qu’est-ce que c’est ?
Madame Une boîte à chapeau !
Marcel C’est juste une boîte ?
Madame Oui…
Marcel C’est une boîte à chapeau et il n’y a pas de chapeau dedans ?
Madame Non…
Marcel Elle est vide ?
Madame Oui…
Marcel Et vous l’avez achetée ?
Madame Oui, cher Marcel, je ne l’ai pas volée.
Marcel Non… je voulais dire, vous avez tenu à acheter une boîte à chapeau, sans chapeau dedans ?
Madame Oui, cela vous étonne ?
Marcel Eh bien… c’est un peu comme si j’achetais un carton à chaussures. Mais sans les chaussures !
Madame Cela n’a rien de similaire !
Marcel Une boîte reste une boîte…
Madame Pas celle-ci…
Marcel C’est-à-dire ?
Madame Vous avez vu comme elle est somptueuse ?
Marcel « Somptueuse »… c’est le mot !
Madame Vous détestez ?
Marcel Non, je n’irais pas jusque-là… disons que c’est un peu… fleuri pour moi… Et qu’allez-vous en faire ?
Madame Oh… eh bien… y mettre des choses.…
Marcel Ah bon… tant que vous êtes au clair… c’est le principal ! Et ça, qu’est-ce que c’est, en montrant un crochet pour suspendre un sac à main.
Madame C’est une boucle en argent pour suspendre un sac à main à une table, lors d’un dîner au restaurant, par exemple. Il m’en manquait un clair, lorsque j’ai un sac beige ou crème, justement. Heureusement, Vuitton en a sorti dans sa nouvelle collection!
Marcel Ah… mesdames, mesdames… déjà qu’on n’arrive pas à vous séparer de votre sac à main, vous avez encore besoin d’un crochet pour être sûr qu’on ne vous le prenne pas !
Madame Taquine, vous n’avez rien compris mon cher Marcel, il s’agit avant tout de ne pas devoir le poser parterre, au risque de l’abîmer ou de le salir ! De plus, le sac à main est un accessoire de mode incontournable. Même vide, une femme se doit d’en avoir un pour compléter sa toilette.
Marcel Vide ? Alors ça, c’est impossible de toute manière !
Madame C’est vrai… car nous avons toujours le nécessaire en cas d’ennui ! Combien de fois vous, messieurs, êtes soulagés, car Madame a justement avec elle un mouchoir pour votre rhume ou un bout de papier pour noter en vitesse le cours de la bourse ?
Marcel Silence, cela me fait mal de l’admettre… mais vous marquez un point !
Madame Un seul ?
Marcel Oui, un seul. C’est déjà un commencement ! Chi va piano va sano !
Madame Oh, vous parlez italien?
Marcel Non… c’était le slogan d’une marque d’escargots surgelés…
Madame Quelle horreur…
Marcel Vous n’aimez pas les escargots Madame ?
Madame Si, beaucoup. Dans un jardin, lorsqu’ils vaquent à leurs occupations… je n’ai jamais compris ce qu’ils avaient à faire dans une assiette !
Marcel Ils seront certainement une alternative à la consommation de viande, quand il n’y en aura plus assez pour nourrir la population mondiale. Comme les criquets, les larves, les araignées géantes, les insectes qui n’ont pas de nom, tellement ils sont moches…
Madame Riant, arrêtez Marcel, vous allez me donner des cauchemars !
Marcel Regardant la pendule, il est 5 heures du matin Madame. Vous n’avez toujours pas sommeil ?
Madame Moins que jamais… Et j’ai terriblement envie de manger un croissant frais dans un petit café, de regarder la ville se réveiller lentement et d'attendre le lever du soleil.
Marcel Le lever du… mais on est en plein hiver ! Vous allez devoir attendre au minimum trois heures pour le voir, le lever du soleil !
Madame Peu importe… J’ai la permission de minuit.
Marcel Eh bien profitez de ce beau spectacle alors.
Madame Oh, j’ai une idée ! Venez avec moi !
Marcel Pardon, Madame ?
Madame Accompagnez-moi ! Allez, je n’ai aucune envie d’être seule !
Marcel Mais… mais… je dois rester… je dois rester à mon poste !
Madame Allons, personne n’aura besoin de vous ici, si je suis partie.
Marcel C’est… c’est le règlement de l’hôtel… un valet de placard doit rester au placard !
Madame Eh bien le règlement est stupide.
Marcel Machinalement, dites-le au directeur…
Madame Mais je vais le lui dire !
Marcel Non, non, non ! Je disais ça comme ça. N’en faites rien. Il ne doit pas savoir que…
Madame Soit… alors accompagnez-moi dehors… et je ne dirais pas au directeur que vous trouvez son règlement… stupide !
Marcel Mais… ce n’est pas moi qui ai dit ça…
Madame Que vous dites…
Marcel Souriant, vous… vous êtes diabolique… Madame.
Madame Alors, c’est un oui ?
Marcel Timidement, oui…
Madame Oh, c’est un petit « oui », ça.
Marcel Ecoutez Madame, on ne peut pas décemment passer d’un grand « NON » à un grand « OUI ». Il y a des paliers à respecter… comme en plongée. Bien, d’accord, je viens. Mais je ne dois pas être vu.
Madame Eh bien mettez un manteau et un chapeau!
Marcel Je n'ai rien de tout cela ici, Madame. Et vous, vous avez une boîte à chapeau, sans chapeau… vous voyez bien qu'elle est inutile, votre boîte à chapeau, sans chapeau.
Madame Alors nous serons discrets ! Je vais m’habiller, je ne serais pas longue. Elle part à la salle de bain.
Marcel fait mine d’aller en direction du placard. Il entend un bruit et s’aperçoit qu’on a glissé un mot sous la porte. Il va ouvrir la porte et regarde à gauche et à droite, il n’y a personne. Il referme la porte et examine la lettre.
Madame Sortant de la salle de bain. Marcel, vous êtes prêt ?
Marcel Oui, Madame… Madame ?
Madame Oui ?
Marcel Quelqu’un a glissé ça sous la porte.
Madame Toute pimpante, c’est pour moi ?
Marcel Oui, je reçois rarement mon courrier ici, Madame.
Madame Souriant, ah oui, évidemment… Elle ouvre et sa mine se fige. Elle semble mal à l’aise.
Marcel Tout va bien, Madame ?
Madame Se reprenant et pliant la lettre, parfaitement… oui, oui, tout va bien.
Marcel Bien Madame…
Madame Allons-y! Si je n’ai pas un croissant dans 10 minutes, je commets un crime !
Rapidement, Marcel lui ouvre la porte, elle sort, il s’arrête quelques secondes pour regarder la boîte.
Marcel Songeur, mmmmh-mmmh…
Il sort.
NOIR
ENTRACTE
ACTE II – Scène 1
Lumière sur le plateau, la chambre est faite, Marcel est assis sur une chaise vers la table et cire ses grandes chaussures. Il jette de temps en temps des coups d’œil en direction du grand carton. Le téléphone sonne. Marcel le regarde et hésite. Il se lève et répond.
Marcel Chambre de Madame de Saint-Vincent ?
Voix off Qui êtes-vous ?
Marcel Heu… le garde du corps de Madame…
Voix off Le coupant, passez-la moi !
Marcel Impossible, elle… prend un bain… Puis-je passer un message ?
Voix off Dites-lui qu’elle n’a plus le temps d’hésiter. C’est oui ou c’est non. Mon client a besoin d’une réponse aujourd’hui ! Si elle se décide à livrer la marchandise, alors la valise l’attendra à l’endroit prévu. Mais elle a jusqu’à minuit pour me rappeler.
Marcel Bien Monsieur, je transmettrai ce mess… il a raccroché… et la politesse, c’était en option ? Il prend un petit papier et un stylo. Bon, comment je résume ça, moi… ?
On entend des bruits derrière la porte, Marcel jette un rapide coup d’œil dans sa direction et ne bouge pas.
François Off, attendez, laissez-moi faire.
Marcel se redresse.
Gilles/Mona Off, mais non, laissez, juste le temps de sortir mon pass.
Marcel se lève et court se cacher dans le placard. La porte s’ouvre. On aperçoit François qui maintient Gilles/Mona par la taille/les épaules.
ACTE II – Scène 2
François Il parle fort pour avertir Marcel. Mais enfin Gilles/Mona, pourquoi ne voulez-vous pas me laisser m’en occuper ?
Gilles/Mona Avez-vous fini de me casser les oreilles, oui ? J’ai dit que je venais déposer le thé, alors je viens déposer le thé ! Et vous savez… pour porter un plateau, je n’avais pas besoin d’un garde du corps…
François Regardant dans la chambre s’il voit Marcel, je… je voulais juste vous tenir la porte…
Gilles/Mona Alors tenez-la, la porte ! Mais laissez-moi passer au moins !
François Oui, oui, pardon… Il lâche Gilles/Mona et passe sa main le long du battant pour tenir la porte ouverte. Gilles/Mona entre et François le/la suit en fermant la porte. Êtes-vous sûr/e que Madame de Saint-Vincent n’est pas là ?
Gilles/Mona Sûr/e. Elle a commandé un taxi il y a deux heures environ et elle m’a demandé que le thé soit prêt dans sa chambre à son retour.
François Visiblement anxieux, oh… d’où le plateau de… thé…
Gilles/Mona Oui… d’où le plateau… de thé…Tout va bien François ?
François Hein ? Quoi ? Moi ? Oui…
Gilles/Mona Je vous trouve bien étrange depuis quelque temps…
François Moi, étrange ? Mais non…
Gilles/Mona Si… vous cherchez toujours à vous occuper de monter les plateaux de thé… Je vous ai vu piquer le linge propre chez la blanchisseuse pour venir l’amener ici vous-même… Vous changez d’uniforme visiblement plus souvent qu’avant…
François Méfiant, et donc… ? Quelle est votre conclusion ?
Gilles/Mona Madame de Saint-Vincent vous plaît et vous faites tout ce que vous pouvez pour lui être agréable et la voir autant que possible… Mais…
François Mais ?
Gilles/Mona Mais, soyons réalistes, vous avez autant de chance avec elle que d’arriver jusqu’à la lune avec un trampoline… et franchement, je ne vous crois pas si bête que ça…
François Merci… vous me flattez…
Gilles/Mona Ou… vous faites du zèle et vous cherchez à vous faire remarquer par la direction, pour avoir une promotion !
François Gilles…/Mona…
Gilles/Mona François ?
François Gilles/Mona, mon petit Gilles/ma petite Mona… je vous ai toujours trouvé fin/e, intelligent/e et perspicace…
Gilles/Mona Merci, merci… on me l’a souvent dit…
François Et là, encore une fois… vous avez mis dans le mille…
Gilles/Mona Ah oui ? Avec la quelle des deux possibilités ?
François Je vous laisse le deviner… puisque vous êtes si brillant/e …
Gilles/Mona Pfff… c’est malin ça…
François Au fait… vous vous êtes trompé/e, vous avez monté deux tasses de thé.
Gilles/Mona Non, mon cher, je ne me suis pas trompé/e ! Madame a demandé deux tasses. Une pour elle et… une pour Marcel.
François S’étouffant, Marcel ?!
Gilles/Mona Oui… il adore le thé et surtout les biscuits à la confiture d’abricot !
François Parce que… vous le connaissez… ? Vous l’avez déjà vu ?
Gilles/Mona Oh non… et je n’ai aucune envie de le voir ! Sale bestiole va !
François Hé, dites donc ! Tâchons de rester poli/e !
Gilles/Mona Poli/e ? Avec cette espèce de gueulard hystérique ?
François Ah bon ? On l’entend comme ça fort ?
Gilles/Mona Et comment… je ne l’ai jamais vu, mais qu’est-ce que je l’ai entendu… je suis sûr que c’est un esprit fourbe, prêt à bondir dès qu’on a le dos tourné… un instant d’inattention et hop ! Ça vous croque une fesse !
François Heu… vous… vous devez vous tromper… ce n’est pas du tout le genre de Marcel…
Gilles/Mona Oh et le pire… il fait signe à François de se rapprocher. Le pire, c’est ses poils !
François Fort, ses poils ?!
Gilles/Mona A l’arrivée de Madame, quand je suis entré dans la chambre, j’ai tout de suite su qu’il y avait quelque chose de louche… Et mon nez n’a pas failli… Je suis arrière-petit/e-fils/fille de parfumeur, moi, monsieur. Quand je repère quelque chose à l’odeur, je ne me trompe jamais !
François Vous m’en voyez ravi…
Gilles/Mona Et là, ça sentait le trottoir et le caniveau… pile la hauteur de ces compagnons odorants.
François A lui-même, mais Marcel avait pourtant pris une douche…
Gilles/Mona Pardon ?
François Je dis : « Vous avez raison, c’était louche ! »
Gilles/Mona Un peu !
François Et… vous n’en avez parlé à personne ?
Gilles/Mona Pffff… et à qui donc en aurais-je parlé ?
François Ben… je… je ne sais pas… vous auriez pu trouver ça bizarre… et vous poser des questions.
Gilles/Mona Oh les mœurs des clients… il y a longtemps que ce n’est plus un sujet de questionnement pour moi ! Entre ceux qui ont fait un méchoui sur le parquet de leur chambre et la vieille chouette qui ne fermait l’œil que si l’on diffusait des chants de hiboux la nuit dans sa chambre… on se demande si on est dans un hôtel ou une maison de fous !
François Ah mais quand on est riche, on n’est pas fou… on est excentrique ! Toute la différence est là !
Gilles/Mona Oui, bien là, je ne sais pas si c’est être excentrique, mais j’ai quand même du mal à comprendre pourquoi elle l’enferme dans le placard…
François Elle ne vous a pas donné d’explication ?
Gilles/Mona Non… elle m’a juste dit que lui et moi… on était au même niveau ! Alors là, j’ai trouvé ça un peu fort de café quand même !
François Ben, pourquoi ?
Gilles/Mona Pourquoi ? Parce que pour vous, je suis au même rang que l’espèce de caniche à sa mémère qui doit suffoquer dans cette armoire ? Impossible de faire mon travail tranquillement…
François Surpris, pa… parce qu'il y a un chien dans le placard? Vous êtes sûr??
Gilles/Mona Mais bien sûr, que j’en suis sûr ! Et après avoir appris qu’elle était là, cette bestiole, j’ai voulu aller voir à quoi elle ressemblait. Je n’avais pas posé la main sur la poignée du placard qu’elle s’est mise à aboyer… un bruit incroyable… on aurait dit Chewbacca…
François Riant, oh mon/ma pauvre Gilles/Mona… elle vous aurait fait peur cette petite bou-boule de poi-poils ?
Gilles/Mona Ah, ça vous fait rire ! Eh bien écoutez ! Il se dirige vers la porte du placard et tend la main vers la poignée.
François Gilles/Mona, non !
Marcel se met à aboyer très fort dans le placard. Gilles/Mona et François plaquent leurs mains sur leurs oreilles.
François Fort, pour couvrir le bruit des aboiements. C’est malin ! Allez, venez, il va ameuter tout l’hôtel. Les deux hommes sortent rapidement et ferment la porte.
ACTE II – Scène 3
Les aboiements continuent un temps, puis se calment et enfin cessent. Entrée de Madame chargée de sacs. Elle ferme la porte du coude et la fait claquer. Les aboiements reprennent et la font sursauter. Elle pose ses paquets en vitesse et file en direction du placard. Après un instant d'hésitation, elle l'ouvre et on voit Marcel les yeux fermés qui aboie. Il aboie encore quelques fois, puis ouvre les yeux. Il crie en apercevant Madame, qui crie à son tour.
Marcel Ma… ma… Madame… c'est vous?
Madame Eh bien oui, c'est moi… qui voulez vous que cela soit?
Marcel Je… hem…
Madame Qu'est-ce qui vous prend d'aboyer ainsi?
Marcel Moi?
Madame Oui… Vous !
Marcel Faisant mine de ne pas comprendre, d'aboyer? Moi?
Madame Enfin, Marcel! Je viens de vous surprendre dans votre placard, en train de hurler à la mort! Je n'ai pas la berlue!
Marcel Alors là…
Madame Là…?
Marcel Je suis extrêmement gêné… je… il m'avait prévenu que cela pourrait recommencer…
Madame De qui parlez-vous?
Marcel De mon médecin… il m'avait dit que je n'étais pas totalement guéri…
Madame Mais enfin, qu'avez-vous donc?
Marcel Je suis somniloque…
Madame Vous êtes… quoi?
Marcel Je parle en dormant…
Madame Mais là… vous aboyiez… en dormant!
Marcel C'est pareil, ça n'est juste pas la même langue. Je suis "caniloque"…
Madame Mon Dieu… et cela vous arrive souvent?
Marcel Heureusement non, seulement à la pleine lune…
Madame Mais ça n'est pas la pleine lune… elle décroît…
Marcel Ah… alors ça s'aggrave…
Madame le regarde, incrédule.
Marcel Je plaisante!
Madame Riant, ah, vous m'avez inquiétée tout-à-coup! Eh bien… entre la phobie du téléphone et le somni… lo… qui… sme (?), vous n’êtes pas gâté !
Marcel En effet… Je vois que vous avez à nouveau couru les boutiques…
Madame Oh oui, quelques petites emplettes.
Marcel Vous êtes partie tôt faire votre shopping ce matin.
Madame Oui… j’ai un rendez-vous ce soir. Je ne voulais pas risquer de le manquer… Et puis j’avais besoin de me changer les idées.
Marcel Et cela a fonctionné, Madame?
Madame En réalité… non…
Marcel Navré, Madame.
Madame Lorsque je suis passée à la réception, en rentrant, on m'a encore dit que mon mari avait laissé 5 messages à mon attention.
Marcel Il s'inquiète… cela fait trois semaines que vous êtes ici, maintenant.
Madame Je sais qu'il se fait du mouron… mais mon absence de réponse devrait lui faire comprendre que… que je ne souhaite pas lui donner de nouvelles!
Marcel Vous êtes bien optimiste de penser qu'un homme pourrait comprendre cela de lui-même…
Madame Tout de même! Je suis partie !
Marcel Sauf votre respect, Madame, vous n'êtes pas partie bien loin…
Madame Mais j'habite à des centaines de kilomètres d'ici!
Marcel Oui, "géographiquement parlant"… vous êtes loin. Mais vous êtes allée dans un hôtel que vous connaissez bien tous les deux, un hôtel dans lequel vous avez pour habitude de descendre ensemble. C'est un terrain connu pour lui. Vous êtes encore un peu chez vous, chez lui.
Madame Et où vouliez-vous que j'aille?
Marcel Madame, si j'ose… il y a des milliers d'autres hôtels sur terre… vous auriez pu choisir n'importe lequel…
Madame Marcel, je… je suis complètement perdue…
Marcel Tendrement, mais non, vous êtes à des centaines de kilomètres de chez vous…
Madame Souriant, c'est vrai… "géographiquement parlant", comme vous dites… je sais où je suis… Mais je ne sais plus "où j'en suis".
Marcel Il y a quelqu’un qui sait où vous êtes en tous cas…
Madame Pardon ? Qui ça ?
Marcel Un homme qui ne s’est pas présenté… qui a téléphoné peu avant votre retour. Je me suis permis de répondre, comme il vous est arrivé de m’appeler pour me demander de commander un thé…
Madame Sur ses gardes, et… c’était qui ?
Marcel Visiblement quelqu’un qui attend une réponse… il m’a demandé de vous dire que vous aviez jusqu’à minuit pour livrer la marchandise…
Madame Et évidemment… vous vous êtes posé des questions…
Marcel Je ne suis pas là pour me poser des questions, Madame.
Madame Précipitamment, Marcel, je vais vous mettre dans la confidence…
Marcel Est-ce bien nécessaire, Madame ?
Madame Oui ! Comme cela, vous pourrez m’aider !
Marcel Vous aider ?
Madame Oh n’allez pas imaginer qu’il s’agit d’un meurtre, hein ! Je compte juste… vendre… deux ou trois informations concernant le travail de mon mari…
Marcel Ironique, ah ! Seulement de l’espionnage industriel, alors ça va…
Madame Ne soyez pas désagréable. Je veux juste me mettre à l’abri du besoin… une fois que j’aurai quitté mon mari.
Marcel reste silencieux.
Madame Si vous m’aidez, je saurai me montrer généreuse…
Marcel Avec de l’argent volé ?
Madame Il ne s’agit pas de dévaliser une banque… je me lance dans les affaires…
Marcel Je vous remercie, mais non…
Madame Réfléchissez-y Marcel… ce que je vous propose sera nettement supérieur au salaire de misère que vous devez toucher ici…
Marcel Malgré tout le respect que je vous dois, Madame, mon salaire c’est déjà d’être au chaud durant l’hiver et de manger tous les jours.
Madame ça n’est pas un salaire ça, c’est une évidence…
Marcel Pas pour tout le monde…
Madame Alors ?
Marcel Alors non, mais merci Madame…
Madame Bien… alors je vais rappeler cet homme… et lui donner rendez-vous tard dans la nuit… dans une petite ruelle sombre… complètement isolée…
Marcel Vous ne le faites pas venir ici ?
Madame Trop risqué… trop de témoins…
Marcel Mais… mais… et s’il vous arrivait quelque chose… ?
Madame Ah oui tiens… s’il m’arrivait quelque chose… Ah, si seulement un homme… grand… fort, courageux pouvait veiller sur moi…
Marcel est gêné.
Madame Mais tant pis… je serai prudente… et advienne que pourra !
Marcel Madame, je suis navré, mais… vous ne m’aurez pas à ce jeu-là.
Madame Un peu vexée, bon bon… comme vous voudrez… Alors laissez-moi… si vous ne voulez rien entendre !
Marcel Vous savez où me trouver. Il retourne dans son placard.
Madame se dirige vers le téléphone. Elle pose sa main sur le combiné, hésite, puis la retire. Elle s'assied sur son lit. Fait mine de réfléchir. Puis se lève et retourne vers le téléphone. Elle pose sa main sur le combiné et au moment de décrocher, il sonne. Elle hésite et décroche.
Madame Madame de Saint-Vincent ? […] Souriant, oh bonjour Monsieur Noisetier. […] Je vais très bien, merci. Et vous? […] Allons tant mieux. […] C'est très aimable de vous en soucier. Mon séjour se passe à merveille. […] La période? […] Oui… mais j'avais justement besoin de calme durant les Fêtes de fin d'année. Et les passer dans votre hôtel m'a fait du bien. Le repas du 31 était délicieux. Tout le personnel a été très chaleureux! Et Marcel également. […] Eh bien Marcel… Oh, mais j'imagine que vous ne connaissez pas les prénoms de tous vos employés, il y en a tellement. Je vous parle de Marcel, mon valet de placard.[…] Oui, mon valet de placard… Le valet qui demeure dans mon pl… dans mon placard pour être à ma disposition nuit et jour… et qui… qui s’appelle Marcel… Sur cette phrase, Madame commence à comprendre que c'est faux, ses mots deviennent hésitants, elle peine à continuer. […] Vous n'avez jamais mis en place un tel service…? Oui, oui, bien sûr… […] Non, non, non, je plaisantais… Pardon Monsieur Noisetier, j'ai… j'ai eu une journée particulièrement éprouvante… Tout se passe à merveille… il n'y… il n'y a personne dans mon placard et je suis très bien dans votre établissement. […] Oui, merci, bonne soirée à vous. Madame raccroche et regarde le placard. Elle fait un pas, puis se ravise. Elle ouvre la bouche, puis la referme. Finalement, elle appelle.
Madame Marcel?
Marcel Sortant du placard, oui Madame?
Madame Je viens de raccrocher.
Marcel Cela s'est passé comme vous le souhaitiez?
Madame Je… je n'ai pas eu le temps de composer le numéro. Le téléphone a sonné.
Marcel Ah…? Et c'était lui?
Madame Non… c'était Monsieur Noisetier… un des directeurs de l’hôtel.
Marcel Ah…
Madame Figurez-vous qu'il voulait savoir comment se passait mon séjour dans son hôtel.
Marcel C'est… c'est très aimable à lui.
Madame En effet… très…
Marcel Oui… très…
Madame Marcel?
Marcel Madame…?
Madame Vous… vous n'avez rien à me dire, Marcel?
Marcel A vous dire, Madame…? Silence, que pourrais-je bien avoir à vous dire?
Madame Vous n'avez rien à me dire, vraiment? Vous serez donc surpris d'apprendre que Monsieur Noisetier ne compte aucun "Marcel" dans ses employés… Vous serez donc surpris qu'il m'ait dit ne pas connaître le concept même du valet de placard, qu'il a trouvé être une brillante idée, entre parenthèses… et qu'il m'a littéralement prise pour une folle (le ton monte) quand je lui ai dit que dans le placard de ma chambre, il y avait bel et bien un "Marcel" qui se disait "valet de placard" et que je trouvais chaleureux de surcroît!
Marcel Madame…
Madame Oh, vous pouvez arrêter de m'appeler Madame… Il n'y a pas de formule de politesse pour les squatteurs de placard…
Marcel Laissez-moi une chance de vous expliquer…
Madame Qui êtes-vous Marcel? D'ailleurs, Marcel… est-ce bien votre nom?
Marcel Oui… je m'appelle Marcel Clément… je suis un sans abri… L'hiver était froid…
Madame Insolente, forcément, Monsieur… nous ne sommes pas aux Bahamas!
Marcel Vous n'avez pas besoin d'être méchante… laissez-moi…
Madame Ne me dites pas ce dont j'ai besoin ou non! Vous êtes un intrus dans ma chambre d'hôtel! Cela fait trois semaines que je cohabite avec un parfait inconnu et… bon sang, je vous ai laissé dormir dans la même pièce que moi toutes ces nuits!
Marcel Et alors? Vous ai-je fait du mal?
Madame La question n'est pas là!
Marcel Si, bien sûr qu'elle est là! Jugez-moi sur mes actes et non sur ce qui n'est pas arrivé! Madame, durant trois semaines, vous avez fait confiance à "Marcel, le valet de placard ». Pourquoi? Simplement parce qu'il avait un travail? Parce qu'il occupait une place dite respectable?
Madame Tout cela était faux, vous n'êtes qu'un sans-abri!
Marcel Et alors? Durant tout le temps passé ici, ne vous ai-je pas aidée chaque fois que je le pouvais? Lorsque vous êtes arrivée, j'ai été pris de court. J'ai inventé cette histoire de placard de peur de finir entre les mains de la police ou de retourner mourir de froid sur le trottoir.
Madame C'est pourtant là qu'est votre place, sur le trottoir!
Marcel Oh Madame… ne m'entraînez pas sur ce terrain-là!
Madame Pourquoi? Mais si, au contraire! Puisque tout jusqu'ici n'était que mensonge… Passons à la vérité! Je suis sûre qu'elle doit être passionnante! Avez-vous vraiment une fille? Où n'était-ce qu'une photo découpée dans un catalogue qui servait à vous tenir chaud, dans la rue?
Marcel Oui, c'est ma fille! Et si vous tombez dans le fameux cliché du "le clochard au coin de la rue, il a mérité ce qui lui arrive, qu'il y reste et qu'il crève…", c'est que je me suis trompé sur vous!
Madame N'inversez pas les rôles!
Marcel Cela vous paraîtra sûrement impossible, vous, pour qui la chance est un pain quotidien… Mais moi, je n'ai fait qu'empiler les tuiles! La déveine, la guigne, la scoumoune, si vous préférez… J'ai été viré du jour au lendemain… Délocalisation de l'entreprise… on coûte trop cher ici, alors bam! Allons exploiter les chinois… C'est moi qui entretenais ma petite famille… Ensuite, avec le marché du travail actuel… je n'ai pas réussi à retrouver du boulot… et est-ce que ma femme se serait décidée à m'aider? A réduire son train de vie et à, pourquoi pas? chercher du travail, elle aussi? NON! Non… ça n'aurait pas été "amusant"… Donc petit à petit, j'ai vendu des affaires auxquelles je tenais, pour payer les factures… Ensuite, il a fallu renoncer à la maison que nous avions achetée… impossible de rembourser le prêt. Et là, ma femme a voulu déménager… mais sans moi. Elle est partie habiter ailleurs, me laissant seul dans une maison presque vide… et à vendre qui plus est… chaque fois que je montais les escaliers et que je passais devant la chambre vide de ma fille, un éclat de verre supplémentaire venait me meurtrir le cœur … Après, il a fallu payer une pension à ma femme… elle a pleuré devant le juge… elle a dit qu'elle avait sacrifié une brillante carrière dans le marketing pour élever notre fille! C'est elle qui voulait un enfant! Je l'ai désiré aussi… mais… bref! Elle a parfaitement su écrire SA version de notre vie pour en faire une spéciale dédicace au juge et "gagner" le divorce… comme elle se plaît à le dire… Entre sa pension à elle, celle de ma fille, les dettes qui se sont accumulées… je me suis trouvé pressé comme un citron… Moi qui avais un poste de cadre dans une usine qui fabrique des machines pour plier les cartons… je me suis retrouvé à la rue… dans un carton. Vous noterez l'ironie du sort…
Madame Mais il y a des moyens, des aides, des…
Marcel Madame… avez-vous seulement une fois… une seule petite fois… manqué de quelque chose?
Madame Non…
Marcel J'espère que vous comprendrez maintenant, pourquoi je ne mérite pas totalement la situation qui est la mienne.
Madame J'ai… j'ai eu votre version des faits. Et vous avez beau avoir des explications, ce ne sont pas des excuses au fait que vous m'ayez menti durant 3 semaines! Je vous ai laissé seul dans ma chambre à maintes reprises, vous auriez pu voler tout ce qui vous plaisait.
Marcel L'ai-je fait ? Madame le regarde, sans mot dire. Et pour autant, ai-je pris ne serait-ce qu'un morceau de sucre sur votre plateau de thé? Ai-je mangé un seul biscuit sans que vous m'y invitiez?
Madame Au diable les biscuits et le sucre! Je vous ai parlé de mes états d'âme et… de ma vie privée…
Marcel Je vous ai aussi parlé de la mienne.
Madame Oui, mais la vôtre… c'est… c'est… différent…
Marcel C'est moins important, c'est ça? Parce que je ne suis pas de sang royal? Parce que je n'ai pas un compte en banque rempli à ras-bords, qui me permet de m'acheter un nombre incalculable de conneries dont je n'ai même pas besoin ? Comme une boîte à chapeau, sans chapeau ? Je n'ai même pas de
casquette, Madame!
Madame Je vous ai fait confiance ! Et vous n’avez fait que de me mentir !
Marcel Moi aussi, je vous ai fait confiance ! J’ai fait confiance à une gamine de quoi, 35 ans ? Qui n’a rien d’autre à foutre de ses journées que de dépenser l’argent de son mari ? Qui, comme mon ex-femme, est bien heureuse d’avoir ce train de vie, mais si elle pouvait se débarrasser du boulet, ça ne serait pas un mal ! Vous avez TOUT Madame, TOUT ! Imaginez ce que c’est, pour moi, qui n’ai RIEN, de vous écouter vous plaindre parce que les biscuits qu’on vous sert ne sont pas parfumés au safran !
Madame Et quoi ? C’est à moi de payer, parce que vous n’avez pas eu de chance ?
Marcel Pourquoi pas ? En général, on appelle ça de la solidarité… mais j’imagine que c’est un gros mot dans votre dictionnaire de la parfaite petite bourgeoise !
Madame Sortez!
Marcel Laissez-moi au moins rester jusqu'au matin, il gèle deh…
Madame Sortez!
Marcel Mais…
Madame Si vous sortez sans faire d'histoire… je ne dirai rien à l'hôtel… et je laisserai votre ami François en dehors de ça… car j'imagine qu'il est votre complice, François…
Marcel Oui, il a commis le crime de me venir en aide… Oh, le diable ait son âme!
Madame Epargnez-moi vos petits pics cinglants… ils ne m'atteignent pas…
Marcel Mais y a-t-il vraiment quelque chose qui vous atteigne… ? Madame…
Madame Adieu, Monsieur.
Marcel Adieu… Madame… Marcel sort et ferme la porte derrière lui.
NOIR
ACTE II – Scène 4
La scène est plongée dans la nuit, légère lueur pour que l’on distingue le décor, on aperçoit juste de la lumière par l’entrebâillement de la porte de la salle de bain. On entend des bruits d’eau, de mouvements à la salle de bain. Madame chantonne. La porte de la chambre s’ouvre lentement. Une silhouette se glisse dans la chambre, tout de noir vêtue. Elle avance lentement en direction de la salle de bain et jette un œil par l’entrebâillement. Elle tend la main délicatement vers la poignée et ferme la porte doucement. Elle avance en direction des boîtes à chapeaux empilées, il y en a 4 maintenant. La silhouette les prend délicatement, mais elles sont hautes et la colonne se déstabilise rapidement. Après avoir essayé de les garder empilées, elles finissent par tomber, faisant du bruit. La silhouette se précipite hors de la chambre. Madame sort rapidement de la salle de bain.
Madame Allumant la lumière, qui est là ? Marcel ? Elle aperçoit les boîtes à chapeaux parterre. Mais… ? Elle va vers la porte d’entrée de la chambre et hésite à l’ouvrir. Finalement, elle tourne le verrou. Un simple courant d’air… on va dire…
NOIR
ACTE II – Scène 5
Lumière il y a une valise ouverte et très pleine sur le lit. On toque à la porte de la chambre. Pas de réponse. On toque une seconde fois, puis Gilles/Mona entre, avec un plateau. Il/elle jette un coup d’œil, il n’y a personne dans la chambre. Il/elle pose rapidement le plateau sur la table.
Gilles/Mona A nous deux mon gaillard…
Il avance à pas feutrés en direction du placard et s’arrête pour sortir un gros os de sa veste.
Gilles/Mona Hé hé hé, on verra si tu aboies toujours autant quand tu auras vu ça ! Et moi, je verrai enfin à quoi tu ressembles !
Il/elle pose la main sur la poignée et s’étonne de ne rien entendre. Il/elle ose un petit « Ouaf ». Puis un plus gros « Ouaf ». Toujours rien.
Gilles/Mona Oh non… ne me dites pas qu’il est… il/elle ouvre le placard. Il est vide. Mais… ? Mais où est-il ? Et Madame ne l’a pas pris avec elle, je l’ai vu partir seule.
A moins que… mais oui… s’il s’agit d’un chien qu’on peut rouler en boule, elle l’a mis dans son sac à main !
On entend le pass et la porte s’ouvre. Madame entre avec un tout petit sac.
Madame Etonnée, Will/Mia ?
Gilles/Mona Je… je… suis… ah oui, le thé, bien sûr le thé ! Je suis venu amener le thé. Voilà, donc… le… hem… le thé.
Madame Je vous remercie mon/ma petit/e Will/Lia. Sa chaleur me fera du bien, il fait un vrai froid de canard dehors…
Il/elle essaie de loucher dans son sac pour voir s’il y a un chien. Madame ne remarque pas tout de suite. Gilles/Mona lui tourne autour pendant qu’elle parle et enlève son manteau.
Madame Bill/Léa?
Gilles/Mona Oui, Madame?
Madame Pourriez-vous prévenir la réception que mon séjour prendra fin demain matin ?
Gilles/Mona Oh non, vous nous quittez déjà ? Après 6 semaines ?
Madame Eh bien oui… mais ne vous inquiétez pas, je reviendrai !
Gilles/Mona Avec joie, Madame. Il/elle a la tête complètement de travers pour voir dans son sac à main.
Madame Phil/Luna, vous allez bien ?
Gilles/Mona Hem… oui, Mad… Madame… parfaitement… Juste un problème d’oreille interne…
Madame Navrant… j’espère que votre service est bientôt terminé, que vous puissiez vous reposer.
Gilles/Mona Oui Madame, ma dernière tâche était de venir vous amener le thé.
Madame Bien, alors rentrez donc chez vous.
Gilles/Mona Oui, Madame. Ah et Madame, avez-vous besoin d’aide pour vos bagages ? Je peux peut-être descendre déjà ce gros paquet à l’office… il/elle fait mine de prendre le gros carton.
Madame Non ! Plus calme, non merci… je préfère qu’il reste là. Vous direz à François de le descendre demain, au moment où je partirai.
Gilles/Mona A votre service, Madame. Il/elle va pour partir.
Madame Ah, Gilles/Mona ?
Gilles/Mona Ne réalise pas tout de suite, hein ? Ah, Gilles/Mona ! C’est moi ! Oui, Madame ?
Madame Demandez à François de monter, s’il vous plaît.
Gilles/Mona Bien Madame. Il/elle se retourne, à lui/elle-même, j’étais sûr qu’il y avait anguille sous roche ! Il/elle sort.
Madame va vers le lit et ferme le rabat de la valise. Elle tente de la fermer, sans succès. Elle est délicate dans ses mouvements, on voit qu’elle n’a pas l’habitude de faire les choses de ses propres mains.
Madame Oh mais ça n’est pas vrai ! Marcel ? Marcel ? Elle prend conscience, suis-je bête… Elle s’assied sur le lit, il n’y a plus de Marcel… C’est fou la vitesse à laquelle on prend des habitudes. Ce qui est encore plus fou, c’est qu’il ne me manque pas que pour fermer ma valise… non… ça, n’importe quel employé de l’hôtel peut le faire. Et qui plus est, sans me dire si telle ou telle chose que je mets dans ma valise est purement inutile. Alors ça! Voilà bien une chose qui ne manque pas ! Non mais… si j’ai envie de m’acheter quelque chose, je n’ai pas à me justifier auprès du premier sans-abri qui passe ! Depuis qu’il est parti… je ne l’ai jamais recroisé. J’ai pourtant fait le tour des zones connues pour abriter ces pauvres bougres. Mais rien… pas de trace de Marcel. En fait, je le cherche pour lui réclamer la paire de chaussettes que je lui ai achetée. Non, parce que… après tout, c’est MA paire de chaussettes… il faut bien que je la récupère… c’est lui qui avait un trou à SA chaussette et j’ai « dû » lui acheter des chaussettes… je ne pouvais décemment pas lui en acheter une seule, donc j’ai pris une paire. Ce qui fait, qu’il me doit deux chaussettes !
On toque à la porte. Madame va ouvrir, François entre sur le pas de porte.
ACTE II – Scène 6
François N’osant la regarder dans les yeux, vous… vous vouliez me voir, Madame ?
Madame Oui, entrez François.
Il entre et reste près de la table. Il garde la tête baissée.
Madame François, c’est étrange… depuis quelques temps, je ne vous vois plus. Quand je commande un thé, ça n’est plus jamais vous qui me l’amenez… pareil pour le linge de la blanchisserie… et quand je traverse le hall de l’hôtel, vous vous cachez derrière le comptoir de la réception…
François Moi, Madame ? Oh non… il ne doit s’agir que de… de… d’une coïncidence… Il y a beaucoup de clients dans l’aile ouest… j’y suis donc plus souvent qu’ici…
Madame Et votre soudaine manie de fermer les portes de l’ascenseur quand vous me voyez arriver ?
François Il lève la tête. Nooon ? J’ai fait ça ? Oh mais alors, là, je suis désolé… vraiment désol…
Madame L’interrompant, arrêtez de vous moquer de moi !
François Bien Madame, il rebaisse la tête.
Madame Vous n’êtes pas en position d’être insolent ! Vous avez commis une faute grave. Et vous pouvez vous estimer heureux que je n’en aie pas référé au directeur… pour l’instant. Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?
François Tout s’est joué à quelques minutes près… et une fois que vous étiez dans la chambre, je ne savais plus comment en faire sortir Marcel… Il a eu l’idée de se faire passer pour votre valet et… nous avons tous les deux espéré que l’histoire se terminerait bien. C’était optimiste, je vous l’accorde…
Madame reste silencieuse.
François Vous… vous ne dites rien, Madame ?
Madame Je suis partagée…
François Entre quoi et quoi, Madame ?
Madame Entre l’envie de vous tordre le cou, pour m’avoir délibérément fait cohabiter avec un clochard que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam… et mon inquiétude pour lui… pour Marcel. Depuis qu’il est reparti d’où il venait… je me demande comment il survit, où il dort… est-ce qu’il mange ? Et ça m’énerve ! Je n’ai aucune raison de m’en faire pour lui… Il m’a dit des mots odieux, il m’a menti et a profité de la situation pendant des semaines… il veut toujours avoir raison… il avait un trou à sa chaussette… il… il… il…
François Il va bien.
Madame C’est vrai ???
François Oui, Madame.
Madame Mais il… je veux dire… il va « vraiment » bien ?
François Il a connu mieux… Mais c’est un battant Marcel… il s’en sortira.
Madame Est-ce qu’il… il aurait besoin de quelque chose ?
François Il dort sous les ponts, donc non, de rien… ah si, un couvre-théière lui serait utile…
Madame Stop François, stop ! Nous n’en sommes toujours pas au point où c’est à vous de me donner des leçons ! J’ai été gentille jusqu’à présent, mais n’oublions pas quelle est notre place. Alors s’il vous plaît, sachez tenir votre langue et appréciez la chance que vous avez. Je n’ai rien dit, mais j’en ai le pouvoir. J’ai été compréhensive, mais j’ai mes limites.
François Vexé, bien… Madame…
Madame Veuillez donc me répondre… est-ce que Marcel a besoin de quelque chose ?
François En ouvrant la porte, demandez-le lui vous-même. Marcel est derrière la porte.
Madame reste bouche bée, François sourit discrètement et sort.
ACTE II – Scène 7
Marcel Madame…
Madame Marcel… entrez…
Il entre et ferme la porte derrière lui. Il est habillé en clochard et porte un sac plastique troué dans sa main.
Marcel J’ai appris que vous partiez. Il dépose son chapeau sur la table.
Madame Oui… je quitte l’hôtel demain matin.
Marcel Ah… c’est bien…
Madame Oui… c’est… c’est bien…
Un temps, ils sont un peu gênés tous les deux.
Marcel Je suis venu pour…
Madame L’interrompant, oui ?
Marcel Pour vous rendre ceci, Madame. Il lui tend le sachet plastique.
Madame Visiblement surprise, elle prend le sachet du bout des doigts. Qu’est-ce que c’est ?
Marcel La paire de chaussettes que vous aviez achetée, Madame. Et elles sont propres.
Madame Vous plaisantez ?
Marcel Jamais avec les chaussettes…
Madame Pourquoi tenez-vous à me rendre ceci ?
Marcel Eh bien parce que ce sont les vôtres.
Madame C’est vrai que j’aurais une allure sensationnelle si je portais ces chaussettes ! Que voulez-vous que j’en fasse ?
Marcel Vous pouvez transformer votre boîte à chapeau sans chapeau, en boîte à chaussettes, avec des chaussettes !
Madame Oh, arrêtons de tourner autour du pot, voulez-vous ?
Marcel Autour de la boîte… s’il vous plaît…
Madame Pourquoi êtes-vous venu ?
Marcel Pourquoi vouliez-vous savoir si j’avais besoin de quelque chose ?
Madame Vous écoutez aux portes ?
Marcel Vous parlez toujours aussi fort !
Madame Aaaah ! Vous m’énervez !
Marcel Tant que je ne vous ennuie pas…
Madame le foudroie du regard.
Marcel Qu’est-ce qu’il y a, Madame ?
Madame Et arrêtez avec votre « Madame » ! Dans votre bouche, c’est aussi ridicule que… que… que je-ne-sais-quoi, mais c’est ridicule !
Marcel ça fait plaisir… Je suis venu parce que François m’a dit que vous partiez.
Madame Et alors ?
Marcel Et alors, je voulais vous rendre vos chaussettes et c’est chose faite.
Madame C’est le caniveau qui vous donne envie de faire des rimes ?
Marcel En matière de poésie, j’en connais une qui aurait besoin de quelques leçons… Au revoir… Il se retourne en direction de la porte.
Madame Non ! Restez…
Marcel Il se tourne à nouveau en direction de Madame. Vous êtes quand même une petite gamine capricieuse…
Madame Si c’est pour me traiter comme cela, vous pouvez vous en aller, en effet.
Marcel Ok, temps mort ! Rangeons un instant nos fusils et essayons de discuter calmement…
Madame Soit…
Marcel J’ai appris que vous partiez et… et j’avais envie de vous revoir. Nous avons partagé des moments forts, ça n’a pas duré longtemps… mais ça a compté, pour moi. Peut-être bien que nous ne serons plus jamais amenés à nous revoir, mais je ne voulais pas que nous en restions sur une dispute aussi absurde.
Madame C’est vrai que… vous êtes parti sans même me présenter vos excuses.
Marcel Et les vôtres, d’excuses… je les attends aussi !
Madame Ah ! Alors là, c’est fort !
Marcel Vous n’avez pas été aimable… et pas très polie… c’est indigne de votre « rang ».
Madame C’est vrai que c’est plutôt digne du vôtre, de rang !
Marcel Attention, vous recommencez !
Madame Alors, ces excuses ?
Marcel Je vous les présenterai…
Madame Ah !
Marcel Mais vous d’abord…
Madame Comment ?
Marcel Bien oui, les dames d’abord…
Madame Mmmmh ! Bien… Marcel… veuillez m’excuser si les mots ont dépassés ma pensée l’autre jour… je n’aurais pas dû vous parler comme cela, pour elle, même si vous le méritiez…
Marcel Je vous ai entendue…
Madame Grand sourire hypocrite, à vous !
Marcel Pardon Madame… de vous avoir menti et d’avoir abusé de votre confiance.
Madame Je vous pardonne…
Marcel Merci… ma chère… Bien… voilà une bonne chose de faite. Alors je vous souhaite une bonne suite… que l’avenir rayonne pour vous, Madame…
Madame Merci…
Marcel va pour partir, il ouvre la porte.
Madame Marcel ?!
Marcel Oui, Madame ?
Madame Hem… à une prochaine ?
Marcel Peut-être… nous n’étions déjà pas censés nous rencontrer mais c’est arrivé… alors qui sait ? Il va pour sortir.
On toque à la porte, Marcel sursaute et court se cacher dans le placard.
Madame Mais… ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’avez plus besoin de vous cacher… Elle peste et va ouvrir.
ACTE II – Scène 8
Une fois la porte ouverte, elle lève les mains au ciel et recule. Un individu vêtu de noir et masqué lui fait face et la fait reculer avec un pistolet à la main.
Madame Que… qu’est-ce que vous voulez ?
Individu Avec un accent corse, Les documents !
Madame Non ! J’ai prévenu votre, heu… chef ? Je ne veux pas les donner ! J’ai changé d’avis ! Laissez-moi !
Individu Trop tard ! Donnez-les-moi !
Madame Non, votre patron a dit que c’était réglé ! Que je n’entendrai plus jamais parler de lui !
Individu De lui, peut-être bien, mais moi, je ne travaille pour personne ! Alors donnez-les-moi ou je vous fais exploser le caisson !
Madame S’il vous plaît… laissez-moi…
Individu La ferme ! Et obéissez…
En faisant reculer Madame en fond de scène, en direction des boîtes à chapeau, l’individu tourne le dos au placard. Marcel, qui a tout entendu, l’ouvre discrètement. Il fait signe « chut » à Madame. Il sort du placard.
Individu Vous allez sortir vos documents des boîtes et les mettre dans ce sac !
Madame Mais… mais comment savez-vous qu’ils sont là-dedans ?
Individu … Discutez pas ! Exécutions, doucement… sans geste brusque, sinon… « poum poum »
Madame s’exécute et commence à ouvrir une boîte. Elle fait exprès beaucoup de bruit.
Marcel avance et attrape un plateau (ou un vase, ou un autre objet) au passage, il le lève au-dessus de la tête de l’individu et l’assomme de toutes ses forces. Il tombe par terre.
Madame Oh mon Dieu, merci… elle se précipite dans les bras de Marcel.
Marcel Appelez-moi Marcel…
Madame J’ai eu tellement peur !
Marcel Calmez-vous… c’est terminé…
Madame Mais… c’est qui ???
Madame s’écarte de Marcel, il s’accroupit et enlève le masque de l’individu qui gît par terre.
Madame & Marcel Gilles/Mona ?
Marcel Mais… qu’est-ce qui lui a pris à celui-là/celle-là ?
Madame Il faut appeler la police…
Marcel Oui, mais appelez François d’abord…
Madame prend le téléphone et appelle la réception.
Madame Oui, demandez à François de monter en chambre 516, je vous prie. Ah parfait ! Elle raccroche. Elle le bipe, il est déjà sur notre étage. Bien et maintenant, la police.
Marcel regarde Gilles/Mona par terre en secouant la tête.
Un temps, François frappe à la porte.
Marcel va ouvrir, on entend Madame au téléphone.
ACTE II – Scène 9
François Oui ?
Marcel Devine qui vient de faire irruption dans la chambre… armé… menaçant Madame avec son flingue pour voler les documents confidentiels !
François Gilles/Mona ? C’est pas vrai !
Marcel Eh si…
François Mais qu’il est con…/qu’elle est tarte pourquoi il/elle a fait ça ?
Marcel Le « pourquoi » est facilement déductible… mais le « comment » il/elle sait qu’il y a des documents à voler… c’est ça qui m’intéresse !
François Gêné, ouais… hem… il se peut que je lui en aie parlé à une pause-café…
Marcel Raaaaa… François !
François Comment voulais-tu que je me doute qu’il/elle allait faire une connerie pareille ?
Marcel Chuchotant, tu dis ça, alors que toi aussi, tu as suggéré d’en piquer, de ces papiers ?
François Arrête, j’ai dit ça en l’air, en plaisantant… c’était pas sérieux… tu me connais, enfin ! Et puis j’ai jamais eu l’idée de menacer qui que ce soit avec un flingue !
Madame Les rejoignant, la police arrive.
François En les attendant, je vais aller attacher Gilles/Mona quelque part… histoire qu’il/elle ne nous file pas entre les pattes…
Marcel Bonne idée…
François Mais au fait… Marcel, si ce/tte brave Gilles/Mona nous quitte… ça veut dire qu’il/elle y aurait un poste à repourvoir à l’hôtel… plus comme valet de placard, mais de chambre, bêtement…
Marcel Ha ha, tu rigoles ! Mais ils ne voudront jamais m’engager !
Madame Ah, moi, je parie que oui… si je suis votre référence… on va dire vous avez été à mon service des années durant, vous êtes quelqu’un de très qualifié… de parfaitement recommandable ! Faire un faux certificat… je commence ma carrière de faussaire !
Marcel Ok, ok, on verra ça…
Madame C’est tout vu ! Comme ça, vous savez ce que vous allez faire, maintenant !
Marcel Peut-être… et vous, Madame, qu’allez-vous faire ?
Madame Marcel… j’ai décidé de rentrer chez moi demain.
Marcel Ah…
Madame Oui… pour affronter Baptiste… et lui dire que c’est fini.
Marcel Ah ?
François Souriant, je vous laisse… je vais attacher Gilles/Mona solidement au radiateur de la salle de bain. Il s’arrête, jamais je n’aurais cru dire ça un jour…
Madame Je vais lui rendre ses papiers. Vous m’avez convaincue… ça n’est pas la solution…
Marcel Heureux de vous l’entendre dire.
Madame J’ai tout de même quelques petites économies… alors j’ai loué un appartement, pas loin d’ici.
Marcel Ah oui ? Vous venez vous installer dans le coin ?
Madame Oui… et j’aimerais beaucoup que vous acceptiez une nouvelle colocation avec moi.
Marcel Pas de problème ! Montrez-moi où est le placard !
Madame Riant, je suis sérieuse… Vous avez besoin d’un toit et j’en ai un à partager.
Je pense que j’ai plus de chance d’être heureuse dans votre vie que vous dans la mienne.
Marcel Il la regarde intensément, Madame…
Madame Marcel, depuis votre départ… je n’ai fait que de penser à vous… je ne dormais plus de ne pas savoir où vous aviez pu aller… ce qui vous était arrivé… Nous nous connaissons très peu, c’est évident. Mais… je sens que nous ferions une énorme erreur de laisser nos deux chemins se séparer… alors que nous avons de la chance, s’ils se sont croisés…
Marcel Heu… et vous proposez de faire connaissance… en habitant sous le même toit ?
Madame Dans notre cas c’est purement et simplement une question de logistique… alors mêlons l’utile à l’agréable…
Marcel D’accord alors… mais en tout bien, tout honneur… au début au moins ! Il s’approche d’elle, lui retire une mèche de cheveux du visage. J’ai encore beaucoup à apprendre sur vous… Madame… mais je sais au moins déjà que je devrai veiller à ce qu’il y ait toujours du sucre pour votre thé… !
Madame Marcel, je… ne mets jamais de sucre dans mon thé… elle sourit.
NOIR
FIN