Acte 1
Scène 1
Le rideau s’ouvre sur le bureau vide (plein feux), on entend des voix s’approcher. Philippe et Fabien entre sur scène.
Fabien Comment voulez-vous que je réussisse à organisez vos journées avec autant de rendez-vous ? Si vous n'aviez que votre travail je pourrais y arriver mais avec toutes vos activités, l'agenda est aussi noir que les plages de l'atlantique. Je ne vois vraiment pas comment je peux m'en sortir sans faire de boulettes!
Philippe C’est bien ce qui nous différencie Fabien, vous êtes le secrétaire et moi le patron. Contentez-vous de fixer les rendez-vous et moi je les mène à bien. Alors quel programme aujourd’hui ?
Fabien Justement ! Quel programme ! 7h00 réveil, 7h30 petit-déjeuner avec votre épouse dans le jardin d’hiver, 8h00 ouverture du courrier…, 8h…
Philippe Fabien !
Fabien Oui, M’sieur ?
Philippe Quelle heure est-il ?
Fabien … à ma montre il est 8h45, M’sieur.
Philippe Bien, il est 8h45.Je ne crois pas qu’il soit indispensable moins de deux heures après mon réveil de me rappeler ce que je viens de faire. Je ne suis pas amnésique ! C’est vous qui me faites perdre du temps…
Fabien Excusez-moi M’sieur ! Alors…7h00…je l’ai déjà dit…ça c’est déjà fait…voilà, nous en sommes là ! Donc votre prochain rendez-vous est dans 10 minutes avec Mme
Francine Jeanpasteur au sujet des prochaines élections.
Philippe Ensuite ?
Fabien Ensuite ? ...ensuite, rencontre privée avec Mlle Christine Fessat afin d’analyser la pénétration votre quotidien « Le Jour », petit entraînement d’escrime avec M.
McGregor, dernière dégustation de votre premier cru afin de contrôler les assemblages enfin, avant votre déjeuner avec votre fille, une heure d’équitation avec Mlle Lenoir.
Philippe C’est tout ?
Fabien Cela me parait déjà beaucoup.
Philippe Un rien vous stresse mon petit Fabien. Si un jour, vous avez la chance de devenir mon gendre, il va falloir accepter les longues journées de travail sans quoi je ne donne pas cher de votre peau dans le monde des affaires.
Fabien Oui, je profite de l’occasion que vous parliez justement de mon avenir avec votre fille. Cela fait 10 ans que je fréquente Mylène et mon amour n’a pas faibli. Bien au contraire, il ne cesse de grandir. Nous avons parlé de notre avenir et nous sommes tombés d’accord.
Philippe Vous m’en voyez ravi.
Fabien Tant mieux, donc si vous êtes ravi que nous soyons d’accord, j’imagine que vous serez encore plus ravi d’accepter la main de votre fille ?
Philippe Comment ?
Fabien Non, je veux dire que la main de votre fille serait ravie que je l’accepte…heu oh là, là… je vous demande d’accepter pour votre fille ma main !
Philippe Maîtrisez vos émotions Fabien, cela risque un jour de vous coûter cher. Vous n’êtes pas capable de faire une demande mariage en bon et due forme et vous imaginez que je vais accepter qu’un jour vous puissiez devenir mon héritier à la tête de mes sociétés ?
Fabien Tout le monde ne s’appelle pas Lalumière.
Philippe Non, effectivement ! Pour vous ce serait plutôt la nuit! Voyez-vous rien que d’imaginer que ma fille changerait de nom et troquerait Lalumière pour Bouchard…ça ne m’enthousiasme pas du tout !
Fabien Je suis peut-être responsable de bien de choses ici mais mon nom je n'y peux rien, je ne l'ai pas choisi!
Philippe Vous ne l'avez pas choisi, certes. Mais si vous aviez pu le faire, je suis prêt à croire que vous auriez choisi celui-ci!
Fabien Si je comprends bien, ma demande en mariage n’est pas acceptée ?
Philippe Si vous considérez que vos balbutiements devaient être compris comme une demande en mariage digne de ma fille, je vous confirme qu’elle est refusée !
Fabien J’imagine donc également que la demande d’augmentation que je souhaitais vous faire serait la malvenue… (Il regarde Philippe qui hoche de la tête) oui, c’est bien ce qui me semblait.
Scène 2
Pierre entre par la porte du fond.
Pierre Monsieur
Philippe Oui, Pierre…
Pierre Madame Jeanpasteur est arrivée (mimant mollement son attitude)
Philippe Très bien ! Faites-là entrer ici. Mon Cher Fabien, nous reprendrons la discussion plus tard. Entraînez-vous pour votre demande.
Fabien Bien Monsieur ! Je vous laisse votre programme de la matinée.
Pierre Je vous en prie Madame, Monsieur Lalumière vous attend.
Elle entre dans le bureau.
Francine Merci Pierre, vous devriez changer de gilet les rayures ne vous vont pas. Essayer les carreaux !
Pierre Oh vous savez moi, les carreaux…je ne les porte pas, je les nettoie!
Il sort.
Francine Bonjour Fabien!
Fabien Bonjour Madame Jeanpasteur!
Francine Bonjour Cher Philippe! Comment allez-vous? Je suis effondrée, rendez-vous compte aujourd'hui non contente d'avoir de nombreux rendez-vous tous plus importants les uns que les autres, la Croix-Rouge vient de me faire savoir que ma
candidature comme marraine de leur bal n'avait pas été retenue! Après tout ce
que j'ai fait dans le social pour les défavorisés, je pensais tout de même que ma
place serait assurée.
Philippe Ils n'ont sans doute pas pour habitude d'assurer sans une certaine franchise…
Francine Je ne vous comprends pas? J'ai toujours aidé mon prochain sans jamais rien
attendre en retour, et heureusement parce que s'il fallait attendre des mercis…
Philippe Oh s'il fallait toujours attendre des mercis, il y a longtemps que nous ne nous
verrions plus!
Francine Oooooh! Vous ne manquez pas de toupet! Osez me dire que je ne vous ai jamais
remercié! Nous avons souvent été ensemble dans des situations où j'ai eu
l'occasion de vous remercier.
Philippe Il est vrai que vous m'avez souvent sollicité pour vous soutenir dans vos
élections, mais laissez-moi réfléchir à quelle occasion vous m'avez dit merci….moi
je ne m'en souviens pas. Par contre, aux employés de la firme Nestom que vous
aviez racheté après avoir hérité de votre mari, là je me souviens que vous les
avez tous remerciés…et sans indemnités.
Il sonne Pierre.
Francine Mais là c'est différent, je n'avais pas le choix je venais de racheter la société. Les investisseurs n’auraient pas compris s’ils n’avaient pu toucher de dividendes la première année, tout comme moi d’ailleurs. Ce fût un mal nécessaire…oh et puis je ne suis pas ici pour que l'on parle de ce qui m'a profondément touché dans ma vie de femme active. Toutes ces injustices me font froid dans le dos.
Pierre entre.
Philippe Ne vous inquiétez pas, votre fourrure devrait vous empêcher d'attraper un rhume. Qu’attendez-vous Pierre ?
Pierre Est-ce que Madame Jeanpasteur prendra un café ?
Francine Merci Pierre, j’en ai déjà bu un ce matin au salon de thé…je suis assez nerveuse comme cela.
Pierre s’en va.
Philippe Bien ma chère Francine, à quelle demande dois-je m’attendre aujourd’hui ? Est-ce que les futures élections vous feraient faire la quête ?
Francine Comme vous y allez, je ne me permettrai pas ce genre de démarche. Et puis, même si c'est pour une bonne cause, est-ce que j'ai une tête à faire la quête?
Philippe Vous avez des lunettes!
Francine Heu…oui! Mais ne je ne vois pas le rapport ?!
Philippe Femme à lunettes…femme qui quête!
Francine Je ne connaissais pas cet adage. Enfin quoiqu'il en soit vous savez très bien mon Cher Philippe que vous êtes d'abord mon ami, mon grand ami et que dans ce sens vos conseils me sont très chers. Voyez-vous à la veille des élections régionales, il est vital pour moi de connaître votre opinion sur certains sujets qui me tiennent à cœur.
Philippe Bien sûr…et quels sont ces sujets qui tiennent tant à votre grand cœur?
Francine Oh ils sont nombreux! Ma vie a toujours été tournée vers l'autre. Mon statut de
femme de goût et de culture m' a toujours poussée à me soucier des malheureux qui n'ont pas eu la chance d'avoir mon intelligence et ma sensibilité. Voyez-vous
le peuple, la masse ouvrière, enfin les gens doivent pouvoir jouir d'une éducation et d'une qualité de vie minimale. Si l'éducation ne permet pas d'avoir des ouvriers avec un minimum d'intelligence, nos entreprises courront à la faillite. Ce n'est pas en réduisant l'âge de la retraite et en augmentant les vacances que nous allons rester compétitif et générer de juteux bénéfices.
Philippe Vos paroles séduiraient énormément les syndicats!
Francine Les syndicats, les syndicats! Ils ont toujours le même discours! Mais ils oublient
un peu vite que si nous n'étions pas là les chefs d'entreprise, il n'y aurait pas
d'entreprises, pas d'entreprises pas d'ouvriers, pas d'ouvriers pas de syndicats!
CQFD!
Philippe oui, seulement peut-être qu'eux diraient…pas de Madame Jeanpasteur pas
besoin de syndicats!
Francine Oh vous me taquinez Philippe! Mon programme est principalement axé autour de
l'éducation de nos jeunes. La société a tendance à les brimer et ce dès la petite
école!
L'éducation est pour moi synonyme de pied à l'étrier pour une vie de
connaissances et de savoir-vivre. Je l'ai vu avec mon fils…
Philippe Au fait comment va-t-il? Est-il sorti de son centre de redressement?
Francine Oui, bien sûr et avec une mention. Justement si le système scolaire prenait en
compte les jeunes dont l'intelligence et l'enthousiasme débordant sont totalement
incompris, mon fils Charles n'aurait pas dû côtoyer la population infâme de ce
centre. Heureusement, il a su se préserver des mauvaises influences, Dieu m'en
garde! Il me paraîtrait judicieux qu'à l'école on écoute et observe nos chères
têtes blondes. Que l'on arrête de les persécuter avec un carnet journalier rempli
de notes qui ne veulent rien dire. Imaginez mon Cher Philippe, qu'en lieu et place
les notes nous installions un système d'appréciations aidant à estimer le potentiel
personnel de chaque enfant et de respecter son rythme de croissance.
Philippe Des appréciations aidant à estimer le potentiel de chaque enfant…vous m'en
dites un peu plus?
Francine J'étais sûr que cela vous intéresserait! Voilà mon programme, plus de notes
sanctionnant des travaux écrits mais des exercices tout au long de l'année
qualifiés par des formules dont je suis assez fière! Tenez par exemple: pour une
matière apprise et enregistrée l'enfant se verrait noté par un "acquis". Si le sujet
n'est pas totalement su "moyennement acquis" et celui qui n'aurait rien retenu
obtiendrait un "pas acquis"! De ce fait l'enfant pourrait s'épanouir dans le milieu
scolaire sans connaître le stress des examens et des échéances d'interrogations,
au contraire son esprit libre et curieux s'ouvrirait à toutes les connaissances du
monde. Qu'en pensez-vous?
Philippe Rien!
Francine Rien?
Philippe Je ne vois pas la différence avec une échelle de notes, hormis le fait que les
instituteurs auraient moins de calcul à faire! Je sais bien qu'ils sont fonctionnaires
mais tout de même! Pensez-vous réellement que les enfants sauront comprendre
ces appréciations? Sans parler des parents, que voulez-vous dire à un enfant qui
revient de l'école avec un moyennement acquis? Vous savez ou ne savez pas les
choses dans la vie. Les savoir moyennement ne vous aide pas à vous développer.
Francine Mais nous éviterons de brusquer les enfants avec des notes! Bon nombre
d'entre-eux sont traumatisés à l'idée d'un travail écrit avec au bout une sanction.
Je suis certaine que les parents tout comme les professeurs apprécieront mon
initiative et qu'ils me féliciteront de l'avoir prise.
Philippe Oui, peut-être…mais je ne suis pas convaincu que cette souplesse soit la
meilleure manière d'éduquer et d'instruire nos enfants. L'exemple de votre fils qui
a baigné dans votre souplesse, il s'en est fallu d'ailleurs de peu qu'il s'y noie, bref
au regard de votre Charles il vous faudra également faire admettre à la
population que de nouveaux centres de redressements devront être construits
pour circoncire les effets de votre méthode libéraliste.
Francine Oh Philippe…vous êtes vieux jeu, vous n'êtes qu'un conservateur qui ne veut pas
voir devant lui. Avec cette politique vous n'irez pas bien loin.
Philippe Ma situation me convient parfaitement. D'une part parce que j'ai travaillé pour en
arriver à ma position contrairement à d'autres où un héritage leur est tombé tout
cuit dans les mains. D'autres part malgré mon conservatisme et ma politique
m'empêchant d'aller loin, je remarque que certains politiciens pour ne pas dire
politiciennes viennent jusque chez moi pour me demander mon avis et mon
argent afin de les soutenir dans leurs entreprises dont ils ne sont même pas
capable d'en assurer le financement. Pour plaire aux parents, pour être dans la
tendance, voilà que vous souhaitez transformer la scolarité en un atelier protégé
où l'on osera à peine dire à un enfant qu'il doit bouger son cul s'il veut réussir
dans la vie.
Alors ma Chère Francine, votre tentative d'obtenir mon soutien moral ainsi que
mon soutien financier pour gagner un siège que vous considérez comme un
trône de parade, désolé de vous le dire mais selon votre nouvelle évaluation, j'ai
le regret de vous informer qu'elle est largement pas acquise!
Francine Mais enfin Philippe, je ne faisais que vous présenter une partie de mon
programme. Nous pouvons en discuter, je ne suis pas du tout obtue. Si
vous me démontrez que j'ai tort je suis prête à revenir sur mes pas.
Philippe C'est très bien Francine, c'est effectivement ce que j'allais vous proposer, de
revenir sur vos pas, ceux-là même qui vous ont conduits jusqu'ici! Et sachez que
l'on me prend pas du temps pour me présenter un dossier non abouti. J'aime que
l'on soigne les détails, que l'on étaie ses théories, que l'on se projette dans
l'avenir, que l'on identifie les risques et les causes d'un éventuel échec. Me suis-je
bien fait comprendre?
Francine Il me semble en effet que vous vous êtes suffisamment bien fait comprendre.
Mais je vous en supplie Philippe, ne me laissez pas tomber pour ces élections. J'ai
besoin de vous et de votre soutien.
Philippe Si vous n'aviez pas été la femme de mon meilleur ami, il y a longtemps que je
vous aurai écarté de mon chemin. Je ne vous promets rien, revenez avec un
programme réaliste, détaillé et un budget digne de ce nom. Nous en reparlerons,
sur ce…je ne vous retiens pas.
Francine Merci Philippe, vous êtes bon…Alexandre m'a toujours dit qu'il pouvait compter
sur vous, de là-haut il doit être fier de l'amitié qu'il avait pour vous…
Philippe Et moi d'ici en bas, je le remercie de m'avoir fait cadeau d'une femme aussi
délicieuse que vous…bonne journée.
Francine Bonne journée à vous, je repasserai très vite avec des idées encore plus
extraordinaires…
Philippe Je m'en...