FUSION ET CONFUSION
COMEDIE d'ALAN ROSSETT
Jean-Philippe
Maurice
Daisy
Acte 1
Une allée dans le Parc de St. Cloud.
Scène 1 : Midi.
Scène 2 : Le lendemain Matin.
Acte 2
Chez Maurice. Fin de Matinée.
ACTE 1
Scène 1
Fin du 20ème siècle. La pièce commence dans une allée du Parc de St. Cloud. Midi, printemps, beau fixe.
Ce décor peut être fait de mille-feuilles vertes si ça plaît au scénographe... ou, selon le budget, un simple banc. L'important, ce sont les deux hommes qui y sont assis. Entre eux : une grande boîte contenant une pizza.
Maurice : 45 ans, fébrile et effacé à la fois.
Jean-Philippe : dans les quarante ans, lui aussi : bel homme, un peu usé, dans un beau costume.
Maurice taquine Jean-Philippe avec une sournoise insistance...
Jean-Philippe esquive... tantôt renfrogné... tantôt attiré. Ambiance assez tendue :
JEAN-PHILIPPE Mais enfin, Maurice... pourquoi m'as-tu invité ici ? Pour manger
une pizza ? Ou pour me dire que j'essaie, moi, de t'acheter avec du caviar ?
MAURICE Tu n'essaies pas. Tu y arrives.
JEAN-PHILIPPE Que veux-tu de plus ? De temps en temps, en technocrate par excellence, tu me fournis la solution d'un petit casse-tête informatique. Je te récompense en champagne, ou par un dîner chez Taillevent… Tu sais, je ne suis pas du genre à graisser la patte.
MAURICE Et l'affaire Polineau-Rey ?
JEAN-PHILIPPE Comment ?!
MAURICE Mes ordinateurs, vieux. Je prends une statistique, je la confronte à un nom, je la fais violer par un autre et tiens-tiens bing ! ton nom entaché de la corruption !
JEAN-PHILIPPE ("amusé") Tu veux me faire chanter ? C'est ça ? Sacré Maurice ?
MAURICE Au contraire ! Je rêve de devenir aussi dégueulasse que toi ! Quand on travaillait ensemble, c'était l'adoration !! Tu sais, je ne suis pas totalement fermé aux propositions en ce moment. Donc j'attends la tienne, et ensuite...
JEAN-PHILIPPE Ca tu l'attendras jusqu'à la fin du monde !! Non, on a beaucoup de choses en commun mais...
MAURICE Aucune ! On est complémentaires !! Toi et moi, dans le temps,
ensemble !
JEAN-PHILIPPE (le coupant) On a fait une merde !
MAURICE Pas exactement..-
JEAN-PHILIPPE (le coupant) U-Ne Mer-De ! Même si ce n'était pas de notre faute.
MAURICE Si ! La tienne !
JEAN-PHILIPPE Je m'en souviens à peine. Mais... ? Ç'aurait pu se passer autrement non... ? ... si... on n'était pas tout simplement mal tombés... avec...
ce... ?
MAURICE Cette.
JEAN-PHILIPPE Oui, cette... associée... Cette... ?
MAURICE Mademoiselle Zéboni. Daisy Zéboni. Daisy. Aucun souvenir ?
JEAN-PHILIPPE Oh que si ! Je l'appelais "Ma beauté juive"... Cela l'excitait ! Cela m'excitait ! Ah ! cette excitation devant la beauté juive !
MAURICE Tu ne serais pas un peu antisémite, Jean-Phi ?
JEAN-PHILIPPE Loin de là ! Qu'à voir les jambes satinées de cette jolie juive... étincelantes de "Rosée de Rose", eau de toilette pur Ménilmontant. Elles m'ont attendri, ces jambes-là !
MAURICE J'espère bien. Tu as laissé quelques milliards couler entre ces
jambes-là.
JEAN-PHILIPPE Enfin. C'est du passé !
MAURICE Pour toi ! Qui as transformé une petite connerie en pierre angulaire de ton fabuleux empire ! Broncard ! Directeur Général de l'Uni-Pasico ! Tandis que
moi ! J'ai récolté la tempête ! Les conséquences des jambes satinées et la rosée de rose de Mamzelle Zéboni et ce depuis vingt ans !
JEAN-PHILIPPE Maurice ! Pas possible ! Troublé encore par un trivial incident lointain ?
MAURICE Trivial ? Explique-moi pourquoi - une fois « la rigolade » classée - trois ans se sont écoulés avant que tu oses me revoir ? Pourquoi - pendant toutes ces années - on n'a jamais prononcé un seul mot là-dessus ? Fais gaffe ! Même pour un Directeur Général, le moment des comptes arrive ! En bas de la note : Qui tu étais !... Qui j'étais ! (insinuant) Qui elle était.
JEAN-PHILIPPE N'étions nous pas, toi et moi, de jeunes gens comme il y en a cent, comme il y en a mille : désespérément banals ? Petits employés de banque qui trimaient dans un cagibi vétuste ? Toi... toujours ce pull-over informe...
MAURICE Toi, penché déjà vers l’avenir, attifé en caricature de cadre supérieur… Ensemble on vérifia les dossiers des petites sociétés qui avaient demandé à notre banque des emprunts modestes pour financer des projets quelconques. Toi... au téléphone…
Jean-Phi… :
JEAN-PHILIPPE (Comme dans un flash-back, « au « téléphone », jeune, mielleux) "Monsieûûûr, je n'ai pas de conseils à vous donner… «
MAURICE (ronronnant) Mmmmm vas-y donne, donne…
JEAN-PHILIPPE « Mais entre nous – chut - on m'a dit que si - au lieu d'emprunter - vous "placiez" ce que vous n'avez pas... mais que vous aurez si vous suivez mes conseils à le lettre ... Chut, Monsieur, chut !!" (clin d'œil à Maurice) Et encore un qui va perdre un paquet ! … Ce que je m'amuse !!
MAURICE "Mon petit Jean-Phi... " Ce talent… de faire gober n'importe quoi à n'importe qui !!''…
JEAN-PHILIPPE C'est une telle preuve de la connerie des gens.
MAURICE "... que tu arrives à te sentir intelligent en comparaison. Pinocchio de mon cœur… ne serait-ce pas de la vraie intelligence de marier ton don à mon génie pour les chiffres ?
Et plutôt que de perdre des paquets pour les autres, en faire un… pour nous-même ?
Si, par exemple, on s’approprie un de ces dossiers devant nous…"
JEAN-PHILIPPE "S'approprie ? "
MAURICE (insidieux) T'as à nouveau vingt ans. T'es beau à nouveau. Tout est possible de nouveau ! Pour toi ! Pour moi ! Main basse sur un dossier. N'importe lequel. Tiens, cela pour financer une nouvelle chasse d'eau qui en principe remplit votre cuvette à une vitesse "supersonique" !
JEAN-PHILIPPE De la foutaise, quoi.
MAURICE Tant mieux ! : nous serions bien les seuls à s’intéresser à ce dossier à la con. Alors toi, tu vas téléphoner au patron qui l’a déposé. Et – en faisant semblant d'être
un fondé de pouvoir de notre banque..-
JEAN-PHILIPPE Moi ? Fondé de pouvoir ? Non ?
MAURICE Si ! Pour Pinocchio, un jeu d’enfants ! Mets ta cravate la plus impressionnante et va convaincre Mr. Water-closet d'oublier son emprunt mesquin... pour se laisser acheter par une grande société. Celle de mon choix ! Car - toujours en "faux fondé de pouvoir" - tu vas prendre contact avec une grande société et la convaincre d'acheter notre petite société. On appellera l'opération... ?
JEAN-PHILIPPE "Fusion et Confusion" !?
MAURICE Oûûûi ! Car, quand ce sera marché-conclu entre les deux sociétés, nous présenterons le résultat ici, à notre banque. Nous allons avoir besoin d’une banque, non, pour officialiser l'affaire ? Notre banque - ayant touché une fort jolie commission juste pour quelques menus services – nous remercier sous forme de….(chantonnant) « Promotions !"
JEAN-PHILIPPE "Augmentations !"
MAURICE "Titres ! Du fric, Jean-Phi, du fric !"
JEAN-PHILIPPE (coupant le flashback) Du fric, bah !! Daisy Zéboni en tout ça !!
MAURICE Ses fesses...
JEAN-PHILIPPE ... Ah... ?
MAURICE Deux melons à point ondulants derrière une mini-jupe jaune canari ?
JEAN-PHILIPPE Comment le sais-tu ?!
MAURICE Chéri, tu m'as tout raconté d'elle ! A la grande société... tu as suivi ses déhanchements le long d'un corridor... jusqu'à... ?
JEAN-PHILIPPE (rêveur) "Mademoiselle ! Je suis Broncard de Trans-Crédit ! J'ai un rendez-vous avec Monsieur Patarin."
MAURICE (caricaturant Daisy, aguichant") "Il doit y avoir erreur sur votre rendez-vous ! Bernard... Monsieur Patarin est actuellement en vacances.
("s'assoit, sexy") Je suis sa secrétaire... " (croise ses jambes) "de direction !!"
JEAN-PHILIPPE J'ai entendu le crissement de ses bas...
MAURICE ("Daisy, bavant") "Ce dossier est bien présenté ! La chemise jolie ! Ooh ce dossier ! Laissez-le moi !"
JEAN-PHILIPPE (flirt) "Non ! Tu vas le mouiller" !
MAURICE ("Daisy") "Monsieûûûr !! Je vais essayer de le déchiffrer toute seule... ce soir... chez moi... !? "
JEAN-PHILIPPE "Si on s'y mettait... ensemble ? "
MAURICE ("Daisy, choquée") "Comment ça !? "
JEAN-PHILIPPE "Au restaurant ! Je vous emmènerai à, à..."
MAURICE ("Daisy, maligne") "La Tour d'Argent".
JEAN-PHILIPPE (sort du jeu) Elle a osé ?
MAURICE (sec, redevenu Maurice) Oui ! Le lendemain, tu m'as extorqué la moitié de la note.
JEAN-PHILIPPE Et ça a payé ! Car, entre deux bouchées de canard aux pêches, elle m'annonce... !
MAURICE ("Daisy, la bouche pleine") "Je suis prête à tout, Monsieur Broncard ! Je vais pistonner le dossier."
JEAN-PHILIPPE (un peu surpris) "Mais Daisy... pourquoi ? "
MAURICE ("Daisy, d'un coup espiègle") "Là là là ! Simple curiosité ! J'adôôôre lancer l'hameçon... ! juste pour voir où peuvent aller les choses ! Grâce à mon appui, votre projet marchera ! On m'exploite. Mais on m'écoute. (un autre ton) Ne t'avise jamais de croire que je suis bête."
(redeviens Maurice : ) Alors, bête comme tu es, tu l'accompagnais chez elle... Et cinq minutes plus tard...
JEAN-PHILIPPE (enthousiaste) Oh, toutes les nuits de cette semaine
fantastique ! Il n'existait pas une autre comme ma jolie juive. En plein milieu de... d'un coup elle me transportait dans son passé… son lit un tapis magique parfumé de Tunisie... Mais en même temps, tu comprends, en même temps...
AURICE ("Daisy, nasillarde") "Qui est le couillon qui a fait ces calculs
cul-culs dans ton dossier !? Aaaaah ta bouche aaah ces stupides calculs !!"
JEAN-PHILIPPE ("jeune, condescendant") "Daisy, mes chiffres me sont...