Quand le sans gain s’énerve

Marianne a participé et a été pendant quatre-vingt-dix jours la gagnante du célèbre jeu télévisé “Tout le monde veut gagner du pognon”. En compagnie de Gilles, son mari, elle rentre à la maison, espérant un repos bien mérité ; mais à peine arrivée, elle va devoir supporter Belle-Maman qui n’est pas la plus agréable des belles-mères, des livreuses à domicile plutôt pittoresques, de nombreux quémandeurs tous attirés par l’argent récolté par Marianne, et un fan, amoureux très insistant. Comme si cela ne suffisait pas, arrive alors Jean-Pascal, un candidat que Marianne a contribué à éliminer et qui est prêt à tout pour avoir sa revanche.




Quand le sans gain s'énerve

Prologue

Soit en devant de scène, rideau fermé, soit devant le public si la troupe joue sans rideau. Deux pupitres. Arrivée de deux candidats, accompagnés d’un générique tonitruant. Ils s’installent chacun devant un pupitre.

En fonction du nombre d’acteurs, l’animateur sera en voix off ou présent sur scène.

Voix off de l’animateur. — Nous arrivons au terme de cette sélection. Il ne reste plus que deux candidats pour affronter notre championne. Qui de ces deux candidats va tenter de succéder à Marianne, notre incroyable Marianne dont c’est aujourd’hui la quatre-vingt-dixième participation ? Qui va essayer de détrôner la reine Marianne ? Jocelyne ou Jean-Pascal ? (Au public.) Je vous demande de les applaudir… Jocelyne, êtes-vous prête ?

Jocelyne. — Oui, je suis prête.

Voix off. — Ça va, Jocelyne ? Pas trop nerveuse ?

Jocelyne. — Si, bien sûr, mais j’espère que ça va aller.

Voix off. — Naturellement et pour vous encourager, vous pouvez compter sur notre fabuleux public. (Au public.) N’est-ce pas, les amis ? Je ne vous entends pas… N’est-ce pas, les amis ?… Je me tourne à présent vers Jean-Pascal. Jean-Pascal, êtes-vous prêt ?

Jean-Pascal, dévoré par les tics. — Oui, je suis prêt.

Voix off. — Je vous sens un petit peu nerveux, Jean-Pascal. Allez, détendez-vous.

Jean-Pascal. — Non, tout va bien, je suis très calme.

Voix off. — Vous pensez que vous êtes vraiment calme ?

Jean-Pascal, énervé. — Puisque je vous le dis ! Je suis calme.

Voix off. — Ah ! je vois qu’il ne faut pas trop énerver Jean-Pascal ! Après tout, à chacun sa concentration. On peut tout de même encourager et applaudir Jean-Pascal… Bien… Alors, sans plus attendre, entrons dans le vif du sujet. Voici la première question… Je vous rappelle la règle : deux propositions, carton vert pour la première proposition, carton rouge pour la deuxième… Première question… Que signifie l’adjectif « rhapsodique » ? Première proposition : il qualifie une manière de chanter du rap sans s’arrêter. Deuxième proposition : il s’applique à ce qui est décousu, désordonné. (Les deux candidats lèvent le carton rouge.) Eh oui ! Vous avez raison. Au propre comme au figuré, ce terme s’applique à ce qui est décousu, désordonné. Excellente réponse de nos deux candidats… Je tiens à préciser toutefois qu’il n’est pas exclu qu’un rappeur écrive des raps rhapsodiques. Pour ne vexer personne, nous ne citerons pas de nom… Question suivante… Une question de géographie… Quelle est la capitale du Zimbabwe ? Proposition numéro un : Harare. Proposition numéro deux : Maputo. (Les deux candidats lèvent le carton vert.) Ils sont forts ! Vraiment très forts ! Effectivement, Harare est bien la capitale du Zimbabwe tandis que Maputo est la capitale du… du… ?

Jean-Pascal. — Du Mozambique.

Voix off. — Eh oui, du Mozambique ! Bravo, Jean-Pascal ! Vous le saviez, Jocelyne ?

Jocelyne. — Franchement, non, j’ai répondu au hasard.

Voix off. — Le hasard fait bien les choses puisque vous voilà à égalité parfaite. Voici donc la dernière question qui va peut-être enfin vous départager. Question de littérature… Quel fut le premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901 ? Proposition numéro un : Émile Zola. Proposition numéro deux : Sully Prudhomme. (Les deux lèvent le carton rouge.) Très bonne réponse de la part de nos deux candidats. Nous nous retrouvons encore une fois avec une égalité parfaite. Dans ces cas-là, vous connaissez la règle : c’est notre championne qui va devoir les départager. Je me tourne à présent vers Marianne… Marianne, de votre réponse dépendra le sort de Jocelyne et de Jean-Pascal. Qui souhaitez-vous affronter ?

Voix off de Marianne. — Désolée, Jean-Pascal, mais je vais choisir Jocelyne.

Jean-Pascal. — Comment cela Jocelyne ? Non, ce n’est pas possible ! Vous avez bien vu, je suis bien meilleur qu’elle. Tout à l’heure, elle a répondu au hasard, elle vous l’a elle-même avoué, c’est moi que vous devez choisir !

Voix off. — Coupez ! C’est bon, Jean-Pascal, vous connaissez la règle, soyez beau joueur. Vous avez perdu, vous tenterez votre chance une autre fois…

Jean-Pascal. — Certainement pas ! Laissez-moi concourir contre Marianne. Allez-y ! Reposez-nous d’autres questions et vous verrez bien qui est le plus fort.

Voix off. — N’insistez pas. Le jeu est fini. Jean-Pascal, je vais vous demander de quitter le plateau.

Jean-Pascal, s’accrochant au pupitre. — Il n’en est pas question ! Vous devez me laisser ma chance. C’est trop injuste ! Je veux jouer ! Vous entendez ? Je veux jouer !

Voix off. — Sécurité ! S’il vous plaît, sécurité !

Deux agents de sécurité interviennent et se saisissent de Jean-Pascal.

Jean-Pascal. — Au secours ! Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi ! Bande de sauvages !

Ils disparaissent en coulisse.

Voix off. — Ce n’est pas grave, on coupera au montage… Jocelyne, Marianne, les amis, nous allons faire une petite pause avant d’enregistrer la finale. Après ces petites émotions, nous l’avons bien méritée.

Noir.

Acte I

Le rideau s’ouvre sur un salon.

Entrée de Marianne et Gilles. Gilles porte une valise.

Marianne, s’asseyant sur le canapé. — Ouf ! Cela fait plaisir de revoir la maison. Je suis vannée.

Gilles. — Cela ne m’étonne pas, ma chérie : depuis trois mois, tu as vraiment vécu une vie de dingue. Maintenant, tu vas pouvoir te reposer.

Marianne. — Si on m’en laisse l’opportunité. Tu as bien vu, à notre retour dans le train… Tout le monde me reconnaissait et il a même fallu que je signe des autographes. Des autographes ! Te rends-tu compte ? N’importe quoi !

Gilles. — Et alors ? Reconnais que c’était plutôt flatteur. Quand je repense à ton voisin dans le TGV… As-tu seulement vu comme il te regardait ? Médusé, qu’il était. Il donnait l’impression d’avoir rencontré la vierge… À un moment, j’ai même cru qu’il allait se prosterner à tes pieds.

Marianne. — Avec son regard complètement halluciné… Quand j’y repense… Je suis désolée, mais moi, ce genre de type, ça me fait flipper. Et toi, grand nigaud, ça te faisait rire !

Gilles. — Ben oui !

Marianne. — Et quand il a osé, en bafouillant, me demander mon adresse, tu aurais tout de même pu intervenir.

Gilles. — Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que j’ai estimé que tu étais assez grande pour te débrouiller toute seule ; chose que tu as très bien faite, d’ailleurs. Tu as vu, après que tu l’as rembarré, le pauvre garçon n’a pas osé insister.

Marianne. — Ce qui ne l’a pas empêché de continuer à me dévisager d’un air béat, de la même façon que tous ces gens qui me fixaient ou qui tenaient absolument à me féliciter comme si j’avais accompli un super exploit.

Gilles. — Que veux-tu ? C’est ce qui s’appelle la rançon de la gloire ! On ne passe pas impunément à la télévision, tous les jours à midi, pendant trois mois, sans en connaître les conséquences. T’en rends-tu seulement compte que tu as gagné quatre cent cinquante mille euros ? Tu fais partie des dix meilleures gagnantes de Tout le monde veut gagner du pognon, ce n’est tout de même pas rien.

Marianne. — Mais ce n’était qu’un jeu, un simple jeu télévisé ! Je n’ai pas obtenu de prix Nobel ni participé à l’amélioration du sort de l’humanité, alors crois-tu que cela justifie une telle reconnaissance ?

Gilles. — Tous ces braves gens qui t’ont reconnue, sais-tu qu’ils ont déjeuné en ta compagnie pendant près de quatre-vingt-dix jours ? Ils t’ont encouragée, ils ont tremblé pour toi, ils se sont réjouis pour toi. Pendant trois mois, tu as fait partie de leur intimité, et tu voudrais les priver d’un sourire, d’un mot gentil ? Je te trouve bien ingrate.

Marianne. — Oui, tu as peut-être raison. Pardonne-moi, je dois être encore un peu sur les nerfs. Ce doit être toute cette tension accumulée.

Gilles. — Mais oui, ma chérie, mais maintenant, tout cela est fini. Tu vas pouvoir décompresser et te reposer. (Le téléphone sonne. Il va décrocher.) Bonjour ! Oui, vous êtes bien chez Mme Leroux. C’est à quel sujet ? Vous avez appris que Mme Leroux a gagné quatre cent cinquante mille euros et vous voudriez qu’elle vous fasse un don ?… Pour vous aider à lutter contre l’extermination des escargots… victimes de l’industrie chimique ? (Faussement apitoyé.) Oh ! les pauvres petites bêtes ! C’est vrai qu’ils en bavent, ces petits escargots… Je compatis, cher monsieur, je compatis… Figurez-vous que, moi-même, je ne vais pas très bien, je pense que je ne vais pas tarder à rentrer dans ma coquille, alors je vais vous laisser. Au revoir, monsieur ! (Il raccroche.) Ouf ! Bon débarras !

Marianne. — Gilles, crois-tu que nous risquions d’être importunés souvent par des spécimens comme celui-là ?

Gilles. — C’est à craindre. On dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais je suis sûr qu’il y en a qui le reniflent de loin.

Entrée de Belle-Maman.

Belle-Maman. — Ah ! vous êtes là ! Il me semblait bien avoir entendu des conversations.

Gilles. — Bonjour, maman. (Il lui fait trois bises.)

Marianne. — Bonjour, belle-maman. (Elle ne lui fait qu’une bise que Belle-Maman reçoit d’un air pincé.)

Belle-Maman. — J’espère que vous avez déjeuné, parce que je n’ai pas eu le temps de préparer quoi que ce soit.

Marianne. — Cela n’a rien de surprenant.

Belle-Maman. — Plaît-il ?

Marianne. — Je dis simplement, belle-maman, que ce qui eut été surprenant, cela aurait été d’avoir un bon repas préparé par vos soins.

Gilles. — Marianne, je t’en prie, ne commence pas.

Belle-Maman. — Si vous croyez que je n’ai que cela à faire, ma bru, vous vous trompez. Pendant votre absence, il m’a fallu nourrir votre chat, arroser vos plantes, j’en passe et des meilleurs.

Gilles. — Oui, d’accord, c’est bien, maman, c’est très bien… Pour toutes tes bonnes actions, tu auras droit à ma reconnaissance éternelle. Ça te va comme cela ?

Belle-Maman. — Il n’empêche. Tu n’étais tout de même pas obligé d’aller passer quatre jours à Paris. Ton épouse, qui t’a fait faux bond pendant des semaines, pouvait certainement se débrouiller sans ton aide. N’est-ce pas, ma bru ?

Marianne. — Mais certainement, belle-maman.

Gilles. — Je n’en doute pas, mais c’est moi qui souhaitais assister à la remise de ses récompenses. Déjà qu’à cause de mon boulot, je n’ai pas pu être à ses côtés autant que je l’aurais voulu, j’aurais vraiment regretté de ne pas être là le jour où le quart du pays lui faisait ses adieux. As-tu seulement regardé la dernière émission ?

Belle-Maman. — Ni la dernière ni la première. Tu sais bien que je n’ai...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Retour en haut
Retour haut de page