ACTE 1
Dans un salon bourgeois, Albertine Delafonce s'occupe à ne rien faire tandis que son mari, Charles-Hubert, écoute distraitement la radio tout en lisant un journal financier.
Scène 1 : Charles Hubert / Albertine
Radio / Chers auditeurs, bonjour ! Voici les nouvelles du jour. Rébabakour : nouvelle secousse sismique : 20000 morts. Mer d'Aral : Un paquebot coulé : 850 disparus. Typhus au Groenland : Un pingouin serait responsable de l'épidémie. Prix du gaz ! (Charles-Hubert tend l'oreille) Après la prise du pouvoir par des rebelles au Malochikou, le nouvel homme fort de ce pays a annoncé la nationalisation de la production du gaz qui est la première ressource financière de ce pays. Les milieux d'affaires s'attendent à une augmentation du prix du gaz dans les semaines qui viennent.
Charles-Hubert / (Il éteint la radio) C'est une honte !
Albertine / Et bien ? Que se passe t-il, mon ami ?
Charles-Hubert / Le gaz va augmenter.
Albertine / Quelle importance ! N'avons-nous pas les moyens d'acheter du gaz ?
Charles-Hubert / Savez-vous avec quoi je chauffe l'usine ?
Albertine / Vous chauffez vos ouvriers ?
Charles-Hubert / Ces messieurs exigent dix neuf degrés toute l'année. Un de ces jours, ils viendront en short.
Albertine / En short ?
Charles Hubert / Et tout cela à cause du président du Malochikou. Cet idiot s'est fait virer.
Albertine / Pardonnez-moi, mais Le «Machokilou», n'est-pas ce petit pays où vous séjourniez avant de me rencontrer ?
Charles Hubert / J'y suis resté très peu.
Albertine / Vous y faisiez quoi déjà ?
Charles-Hubert / Je travaillais pour le gouvernement. Je rendais des petits services.
Albertine / Rendre service, c'est bien vous cela. Il y a tellement de gens qui ne pensent qu'à leur petit confort. C'était quoi, ces petits services ?
Charles-Hubert / Des bricoles.. Vous savez.. Dans ces pays là..
Albertine / Bien sûr.. Et je ne risque pas d'oublier. Vous en veniez lorsque je vous ai découvert.
Charles-Hubert / Et puis, aujourd'hui, c'est de l'histoire ancienne.
Albertine / Pour moi, c'est comme si c'était hier.
Charles-Hubert / Mais.. Pour moi aussi ! Je vous redécouvre chaque matin. Vous n'avez pas changé, mon amie.
Albertine / Un peu tout de même. Mais je fais encore mon petit effet.
Charles-Hubert / Un gros effet même.
Albertine / Si je ne vous connaissais pas, je me dirais que vous le pensez.
Charles-Hubert / Mais Albertine ! Croyez-moi, je le pense.
Albertine / Charles-Hubert, vos mots me caressent. .. Mais.. Permettez-moi de vous suggérer une suggestion.. Pour cette histoire de gaz, vos gens ne pourraient-ils pas mettre des gants ?
Charles Hubert / Des gants ? Et pourquoi pas des pardessus !
Albertine / Pardonnez moi, je m'y connais très peu en ouvriers.
Charles-Hubert / On nous martyrise, on nous méprise.
Albertine / Moi aussi, on me méprise. Tenez, hier, j'ai acheté des souliers. Quatre cents la paire, une affaire. Et avec cela, j'avais droit à une promotion pour une deuxième paire à trois cents. C'était donné, non ? Et bien, j'ai dû attendre cinq grandes minutes avant que l'on daigne s'occuper de ma personne ! N'est-ce pas scandaleux ?
Charles-Hubert / (Se parlant à lui-même) Le gaz va augmenter..
Albertine / Il ne se passe pas deux journées sans que je ne mette mes pieds dans ce magasin. C'est vrai, j'aime bien essayer toutes les paires. Et parfois je n'achète rien. Parce que moi, je n'achète jamais sans réfléchir.
Charles-Hubert / Et qui c'est qui paye à la fin ? C'est toujours le propriétaire.
Albertine / L'argent ! L'argent ! Charles-Hubert, vous ne pensez qu'à l'argent.
Charles-Hubert / Je ne pense qu'à l'avenir.
Albertine / Et pour l'avenir, ça sent l'gaz. Oh oh oh..
Charles-Hubert / Vous vous moquez. Comme votre fille.
Albertine / Mais non ! Anne-Constance est peut-être un peu moquante, mais elle vous affectionne énormément.
Charles-Hubert / Selon mademoiselle, je ne serais qu'un sale capitaliste.
Albertine / Charles-Hubert, vous exagérez. Anne-Constance travaille. N'est-elle pas partie au bout du monde pour compter des baleines ?
Charles-Hubert / C'est sûr que c'est plus facile à compter que des sardines..
Albertine / Rendez-vous compte, votre fille est en train de sauver le monde.
Charles-Hubert / Mademoiselle fait le bien pendant que son salaud de père fait le mal.
Albertine / Ne vous énervez pas, ce sera bientôt fini.
Charles-Hubert / Comment cela ?
Albertine / Elle m'a appelée. Son bateau a accosté hier. Elle ne devrait pas tarder. Et surtout, elle apporte une surprise.
Charles-Hubert / Une surprise ? Je n'aime guère les surprises de notre fille.
Albertine / Anne-Constance a quelqu'un.
Charles-Hubert / Encore ?
Albertine / Charles-Hubert ! Il s'agit de votre fille.
Charles-Hubert / La dernière fois, Anne-Constance nous avait ramené une copine. Elles voulaient se marier ! Attention, je suis moderne. Si une femme homosexuelle veut épouser un homme homosexuel, je suis pour. Ils peuvent même avoir des enfants s'ils le souhaitent. Vous voyez, je m'adapte.
Albertine / Cette fois si, l'heureuse surprise est un homme.
Charles-Hubert / Des heureuses surprises, Anne-Constance nous en a déjà présenté plus d'une douzaine. Et après, l'heureuse surprise, disparue ! Parce que mademoiselle est difficile.
Albertine / C'est sûr, elle ne tient pas de sa mère.
Charles-Hubert / Pardon ?
Albertine / Je vous blague, mon ami ! Seulement Anne-Constance veut prendre le temps de choisir. C'est comme moi avec mes chausses.
Charles-Hubert / A force de prendre le temps de choisir, elle finira par faire les soldes.
Albertine / Avec les soldes, il y a parfois de bonnes affaires.
Charles-Hubert / Il me semblait qu'elle avait un faible pour le fils des métaux Rochapelle.
Albertine / Un tout petit faible..
Charles-Hubert / Parce qu'un gendre dans la ferraille, ce serait du solide. Ou alors, ne serait-ce pas le fils du ministre ?
Albertine / L'abruti ? .. Ce n'est pas lui.
Charles-Hubert / Ce n'est pas un artiste au moins. Ou pire, un sportif.
Albertine / Non, ce n'est pas un drogué..
Charles-Hubert / Elle ne va pas nous ramener un de ces illuminés. Comme l'autre ! «Amour et fromage de chèvre». Au mariage, on aurait bouffé des navets.
Albertine / Ni carottes, ni navets. Ce n'est pas un rural.
Charles-Hubert / Rassurez-moi ! Ce n'est pas un ouvrier ? Parce que son petit béguin de l'an dernier, qu'est-ce qu'il amenait dans la corbeille , le gauchiste ?
Albertine / Ses mains.. Mon amie Xavière me le disait encore hier, rien ne vaut un manuel.
Charles-Hubert / Si seulement mademoiselle voulait bien faire un effort. Quand on s'marie, on pense à son père !
Albertine / Quand on s'marie, on ne pense pas beaucoup. Sinon on ne se marierait plus.
Charles-Hubert / Pourquoi elle ne veut pas du petit Borotnil ? Il serait parfait dans l'salon. Nous pourrions discuter entre hommes : De la bourse, du prix du gaz. Seulement, mademoiselle veut bien sauver les baleines mais elle donnerait à donner son mammifère de père à bouffer aux requins.
Albertine / Aux requins ? Charles-Hubert, rencontreriez-vous des achoppements avec votre usine ?
Charles-Hubert / Oui ma chère. Des gros achoppements. Et celui-là, il est énorme. Une baleine ! Une énorme baleine !
Albertine / Oh mon Dieu ! Nous sommes à la rue !
Charles-Hubert / Presque. Nous sommes au bord du gouffre !
Albertine / Ah ! Nous avons de la marge. Un instant je me suis vue sur un radeau au milieu de l'Atlantique, sans rien à me mettre !
Charles-Hubert / Les pauvres poissons...
Albertine / Comment ?
Charles-Hubert / On est en plein développement, et je manque d'argent frais.
Albertine / L'argent frais, c'est comme le poisson. Au bout de quelques jours, ça ne sent plus très bon, mais ça s'trouve.
Charles-Hubert / J'aimerais tellement m'agrandir.
Albertine / Vous voulez toujours vous agrandir !
Charles-Hubert / Qu'est-ce qu'elle va nous ramener cette fois là.. Un taulard ? Un clown ? Un curé repenti ?
Albertine / C'est une surprise.
Charles-Hubert / Et c'est quelle couleur, la surprise ? Parce que j'aime bien les couleurs.. Mais si c'est trop voyant..
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Albertine / Charles-Hubert ? Ne seriez vous pas un tantinet raciste ?
Charles-Hubert / Raciste ? Moi ? Il pourrait être rose avec des petits points bleus, je n'aurais rien contre. Du moment qu'il a du pognon.
Albertine / Du pognon ? Ne pouvez-vous pas dire «De...