Mort le soleil

Masculin d’aujourd’hui : père largué par sa femme.
Masculin d’aujourd’hui : fils sans repères.
Masculin d’aujourd’hui : intrus en lutte contre le monopole des glandes mammaires.

Masculins de demain,
prendrez-vous une carabine pour tirer dans la cohorte féminine ?

Sur le seuil de sa perpétuité, trente ans après le drame pour lequel il a été emprisonné, un condamné livre son ultime Pater Noster.

Un poèmologue qui convoque les figures d’un adolescent et de son père quinquagénaire, fanatisés par un jeune masculiniste prêchant la contre-révolution féministe.




Mort le soleil

Mon Pater

C’est la der

Le dernier matin

La der des dernières heures

J’entends déjà la dernière gamme

J’entends l’œilleton

J’entends la chaîne

J’entends la barre

Toujours même ordre

Chaque heure de chaque nuit le même riff pour s’assurer

Que personne nœud au cou veines entrouvertes

n’a tenté la seule grande évasion

Celle dont on sort toujours vainqueur

Pater Noster

Dans une heure

c’est la der

la toute dernière des dernières fois que frottera l’œilleton

que s’agitera la chaîne

que glissera la barre

Pour moi il sera sept heures

10 950 jours auront été perdus

10 950 nuits auront été rayées

Mon Pater

Dans une heure

le jour sera là

Je me tiendrai debout

sur le seuil de la perpétuité

Je me tiendrai dehors, la centrale dans le dos

Devant la vie vraie aura continué de s’épandre

Je porterai mes yeux au ciel pour vérifier si le soleil est toujours mort

ou si la levée d’écrou l’aura dressé

par miracle

tout là-haut

Alors s’il est ressuscité le soleil, enorgueilli de sa fière érection

je lui demanderai

si sa lumière est pour ma peau

ses rayons pour la momie que je suis devenu et qu’a conservé dans ses bandelettes de béton et d’humidité Notre-Hospice-la-prison que visitent chaque dimanche des culs-bénits dont les petites attentions — bonbons prières consolations — me constipent, peut-être pour toujours, de la moindre tendresse

Où est-elle ?

Où s’est-elle volatilisée

la chair rosie qui réclamait

le lait choco le cache-cache les cavalcades

la petite bête qui monte qui monte qui monte

Où et quand l’amour m’a fui ?

Et la nuit

quand ne s’est-elle plus dissoute ?

Mon Pater

Je le sais

Quand la juge a dit Perpétuité j’ai entendu MORT LE SOLEIL, j’ai entendu MORT LE SOLEIL CAR IL NE BRILLERA PLUS POUR TOI, quand la juge a prononcé Perpétuité incompressible, la lumière a fondu sombre, les victimes se sont enlacées, menottes aux poignets, flashs dans la pupille, ils m’ont emmené pour un aller sans retour, je suis depuis Perpétuité à l’ombre, le corps s’est plissé, les cheveux blanchis, mais je ne suis pas devenu aimable, non, je suis depuis Perpétuité l’inachevé de dix-huit ans qui n’escompte plus rien hormis les jours qui le séparent du terminus tombal, cet enfant de dix-huit ans que trente années d’enfermement ont avantagé sans autre bénéfice que l’assèchement des chtars qu’éruptait l’hormone

Ma face d’enfant a disparu

Et pourtant je la porte par-devant moi

et ces rides

et ce ventre

et ce gris dans mes cheveux

sont la seule preuve de ma croissance

Je n’ai pas grandi

J’ai vieilli

Puisque

Regarde Pater

Pas de rupture avec une Rebecca dans ces sillons-là

Pas de factures impayées dans cette urticaire

Cette chair adipeuse n’est la conséquence d’aucun dimanche trop arrosé autour d’entrecôtes avec des voisins : juste le laisser-tomber d’un corps qui refuse de pénétrer dans la salle de musculation car là-bas les fions on les encule sans permission, qu’ils soient culs de pointeurs ou de pédés, ils s’en foutent, là-bas les Alpha rappellent aux Bêta à qui profite le monde, trente ans ont passé et tout est clair depuis longtemps, je le sais : ce monde ne me profitera pas

Je ne suis pas adulte

Mon Pater

Tu vois bien

Dans une heure je serai dehors

nouveau-né dans une peau de vers-la-mort

La peine accomplie je marcherai jusqu’au centre-ville

Je l’aurai rêvé grand, le monde, il me paraîtra étriqué

Je n’aurai plus dix-huit ans mais presque cinquante

Ces rues ne seront plus les miennes

Je chercherai le commun dont je me souviens

Dans cette ville comme elle sera étrange

cette sensation que rien n’a changé mais que tout diffère

Mon Pater

Crois-moi

Quand la juge a dit Perpétuité j’aurais préféré la chaise électrique

Une conclusion franche

Plutôt que 10 950 jours de

sang sans flot

cœur sans battement

pieds sans exil

sexe sans caresse

langue sans appétit

Long temps mort du mitard

Long temps mort où rien n’a la saveur du vrai

Ici une douche n’est que le simulacre d’une douche

Ici un repas un simulacre de repas

Même les études sont un simulacre

La moralité un simulacre : on sait bien que dehors le pardon ne sera pas donné, il faudra l’arracher, pointer pour cela un fusil sur une tempe, peut-être bien sa propre tempe — boum !

Mon Pater

Être condamné à la vie sans la vie

Voilà ce que la foule réclamait pour moi

Quand au procès elle gueulait

MORT LE SOLEIL DES ASSASSINS

MORT LE SOLEIL DES ARROSEURS DE SANG

MORT LE SOLEIL DES HAINEUX

La foule voulait mon remords éternel

Quand moi je ne pensais qu’à la cessation de tous mes possibles

MORT LE SOLEIL DE MES TENTATIVES

MORT LE SOLEIL DE CE QUI NE SE VIVRA PAS

MORT LE SOLEIL DES DOUCEURS INACCESSIBLES

Mon Pater

mon petit père

Mon Pater, mon père,

petit petit père de merde

si tu avais été un père taillé à la hauteur de ton sexe

si tu avais été

tout simplement été

autre chose qu’une copie d’être,

mon père, toi putain de rien,

en serions-nous là

si tous les Masculins d’hier avaient pris leurs responsabilités

et tracé pour leurs fils un horizon

indélébile ?

Il vaut mieux naître sans père

que naître d’une non-bite

d’un non-membre

que naître d’un bande-mou

J’ai pensé ça souvent

Avant

Et maintenant ?

Que penser

maintenant

qu’il y a longtemps

qu’avant

n’est

plus ?

Tout ce que je sais

Pater

Je le tiens de ma biographie officielle

Celle qu’ont retracé les experts et les avocats au palais des super-justiciers

Avec de grands mots ils ont raconté les drames de ma vie non épique

Ils ont commencé là où tout s’origine

entre les cuisses de la Femelle, autrement appelée ta femme, autrement appelée ma mère, autrement présentée comme la mère de l’accusé

Notre fils,

regarde comme il est petit notre fils

Comment éduquer notre fils pour que le monde ne le blesse pas ?

t’avait dit la Femelle à la maternité

Toi Pater tu avais répondu Je prendrai soin de mon fils, de mon bébé, de mon prolongement, je veillerai, il n’aura jamais mal, notre fils, je prends congé pour m’occuper de ma continuité qu’est mon fils, mon amour, ma beauté

Aux jurés la Femelle avait confié Être père, c’était son projet à Philippe, être père, il aurait tout donné pour ça, prendre soin du sang de ses veines

Dans le box j’avais pouffé

Sang de tes veines Pater ?

Voyez le résultat

Continuez, avait relancé l’avocat

Elle avait dit la fière Femelle

qu’aussitôt le congé mat’ achevé elle avait repris son métro-boulot-dodo

et toi tout aussitôt papa-poulet tu avais mis en pause ton employabilité pour : souffler sur ma purée tendre ta main dans l’escalier

Tu m’avais donné des consignes des pansements le biberon des bras chauds

Mon Pater tu accourais au moindre bobo

La Femelle te disait

C’est bien

Notre fils n’a pas peur d’exprimer son chagrin

Et moi je pleurnichais

un torrent en crue

pour un oui pour un rien pour un non pour un peut-être

Et toi mon père tu me préparais le chocolat chaud

tu faisais l’Indien je jouais le cow-boy

tu me laissais gagner, toujours gagner

J’étais si peu préparé à perdre

Pater

De la pitié, mon Pater, je te donne ma pitié

avant que le jour ne t’efface

je parle pour la der des der

et pour la der je te donne

de la pitié pour ta vie de comptable propre

de la pitié pour ton assiette de saumon-frites le...

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