Nuits de juin

Au départ, il y a une question inspirée d’un vers de Rimbaud posée par Patrice Douchet, directeur du théâtre de la Tête Noire (Saran) à Agathe Charnet : « Est-on (pris au) sérieux, quand on a dix-sept ans ? »

Une impulsion poétique comme un prétexte à la rencontre d’une vingtaine de jeunes âgé·e·s de quatorze à vingt-deux ans, de Saran et d’ailleurs.

Dix-sept ans, des corps qui se transforment, des voix qui s’affirment, des destins qui se dessinent.
Dix-sept ans, l’âge des premiers assauts de la vie et des lancées folles à la poursuite du monde.
Dix-sept ans aujourd’hui.

Éclater de jeunesse et de lucidité dans un monde abîmé.
Et ne pas en perdre sa fougue.
Car de nouveau, au milieu du tumulte nécessaire, convoquer Rimbaud :

« Nuit de juin ! Dix-sept ans ! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête… »

Un texte à partager dans les lycées comme les conservatoires ou pratiques théâtrales à destination de la jeunesse.

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Nuits de juin

Prélude

La Virgule

La Nostalgique

J’ai dix-sept ans.

Ils disent :

Regarde, ouvre les yeux,

Prends, Profite

Envole-toi, Mais pas trop vite,

Reste encore un peu là.

Celle qui a tant dormi

J’ai dix-sept ans.

Il paraît que

Tout s’offre à moi

C’est quoi Tout,

C’est qui moi ?

Celle qui vient de loin

J’ai dix-sept ans.

Et dans le cœur comme un grand vent qui se lève

Quelque chose qui irradie là, au creux de mon ventre

Un soleil fou qui transperce ma poitrine,

Regardez comme ça monte, sentez comme ça palpite,

Ça déborde, c’est sûr, ça va déborder !

À votre avis, j’en fais quoi ?

Celle que personne n’a prise au sérieux

J’ai dix-sept ans.

Et je suis à la virgule

La toute première virgule de ma vie.

Je me suis regardée dans le miroir,

Hier à la tombée de la nuit

Et je n’ai pas reconnu les yeux de la drôle de personne en face de moi

Quelque chose dans ses joues de plus aigu soudain

Ses cheveux qui ruisselaient d’une abondance nouvelle contre son cou

J’ai été parcourue comme d’un grand frisson

Un frisson au parfum d’inédit, un frisson au parfum de revanche

L’Éco-anxieuse

Et je me suis dit cela :

J’ai dix-sept ans.

Et je suis à la toute première virgule

La première virgule de ma vie

Je viens de finir, ça vient juste de se terminer,

Ma toute première phase

Ma toute première phrase

La Bâtisseuse

J’ai dix-sept ans.

Il y a quelque chose qui s’achève

Je ne saurais pas dire quoi exactement

Mais ça s’achève, comme si, comme si, oui on avait fini de me pétrir, de me façonner, de me modeler

Quelque chose dans l’intonation de ma voix changée qui fait se retourner différemment les gens, à la boulangerie, à l’arrêt de bus

Une drôle d’audace qui se dessine quand je quitte au petit matin ce que j’ai toujours appelé

(et qui me semble désormais presque anachronique)

La Maison

Ciel·le

J’ai dix-sept ans.

Et je me demande

Demain, oui demain

Vous savez,

Juste après la virgule,

Ce sera quoi, ce sera où,

Ma Maison ?

La Révoltée

Je me casse.

Dès que j’ai l’âge, là, comme vous dites

Ben, l’âge qu’il faut pour le faire, l’âge où c’est permis, l’âge que vous brandissez comme une menace les jours de cris et que j’attends, moi, comme la porte d’un avion qui pourrait s’ouvrir d’un coup pour un saut en parachute et c’est maintenant et pas la seconde d’après ni celle d’avant pour sauter dans le vide

Oui, dès que j’ai ça, comme vous dites, l’âge

Qu’importe les moyens, qu’importe la fin

Je me casse

Vous ne me verrez plus jamais. Vous trouverez au petit matin le lit étrangement vide et vous aurez beau soulever les traversins définitivement jaunis par les mégots de mes cigarettes et fouiller le fond des placards derrière les manteaux d’hiver et les capuches à fourrure synthétique, il n’y aura plus personne pour venir laper à même le bol le lait chaud qui colle aux céréales chimiques fourrées aux noisettes dans des reniflements qui vous exaspéraient.

Il n’y aura plus personne pour claquer les portes et vous rappeler à quel point vos quarante ans mal tassés sonnent faux, plus personne pour vous dire à quel point votre pensée élaborée c’est du vide, à quel point votre vie c’est un mantra vicié, c’est un triptyque que vous avez voulu m’injecter comme de l’anti-vie par intraveineuse, un poison qui progresse malgré soi, oui votre petit poème en trois temps, votre petit fox-trot de VIS-CONSOMME-ET-TAIS-TOI, vous n’aurez plus personne à qui le seriner

Je serai partie pour plus grand, pour plus loin, pour plus beau que vous et vous ne pourrez rien contre la fureur éclatante de mes premiers étés, mes mois d’août comme des parenthèses de rien que je ne peux que vivre, vous ne pourrez rien contre les coups que je vais porter à la vie et ceux que je vais recevoir, rien contre la violence que vous avez nourrie comme un serpent dans ma gorge

Car ne dites pas que vous ne la voyez pas la violence, la honte et la colère qui bouillonnent dans la marmite de vos mensonges et qui vont bientôt vous éclater à la tête. Vous pensez encore qu’on peut y croire à vos histoires de passé falsifié, à l’ampleur de ce que vous cachez sous le tapis, à vos mots comme de la glu avec leur rime en -é qu’on nous fourre dans le crâne depuis la maternelle, encore croire à l’absurdité de vos visages en pixels sur les écrans de fumée ? Moi, je vous regarde en face et je le dis JE VOUS CROIS PAS. On vous croit pas. On vous croit plus. Pas une seconde. Peut-être que ça marchait avec les autres, avec ceux d’avant. Mais pas avec nous. On la fait plus à nous. On va pas être sages. On a plus le temps, nous. D’être sages.

Alors, vous répondez quoi ?

Vous dites sacrifiés ? Vous dites qu’on est ça ? Sacrifiés comme l’agneau sur l’autel avec le couteau qui se lève au-dessus de son petit museau frémissant qui bêle et ses sabots minuscules qui s’agitent dans le vide pour éviter l’assaut du coutelas tranchant ? Bêê bêêê bêê bêê. Mais vous nous prenez pour quel genre d’ovidé exactement ? À la fin de la fable, c’est bien connu, c’est l’agnelle qui bouffe le loup.

Tu as dit quoi, toi ? Je fais ma crise ? Mais depuis qu’on est nés vous nous serinez ça à longueur de journée. Le mot crise, mais c’est le mot que j’ai le plus entendu depuis ma naissance. À croire qu’on a plus que ça qui nous pend à la bouche, ­lacriselacriselacriselacriselacriselacrise eh ben moi je la fais ma crise, je la pique même je la pique GRAND COMME ÇA, ma crise de nerfs, ma crise aiguë, ma crise de rage, ma crise cardiaque, ma crise de folie, ma crise de foi, je la fais ma crise parce que J’AI VU, J’AI VU, j’ai vu ce qui se passe quand on descend pour crier, ou même pour ne rien je dire, quand on marche dans la rue et qu’on se cache entre deux portes alors qu’on sait même pas ce qu’on a fait de mal mais on comprend qu’il faut se cacher, se cacher ou même courir, oui, on se retrouve à courir avec eux qui se mettent à courir aussi derrière, plus lourds, plus engoncés dans leurs costumes de Power Rangers mal fagotés et quand on court si vite qu’on a comme une montée de froid tout au fond de la trachée, au même endroit que regarde le docteur quand on a une angine, quand on court si vite et qu’on les entend suffoquer derrière nous en criant des insultes tellement insultantes que je vais même pas vous faire le plaisir de les répéter ici, oui, quand on court si vite on a très vite dans la tête toutes les images qui défilent, les images de mains qu’on arrache et de gueule qu’on explose et de points de suture à faire quand le crâne s’ouvre avec le coup de matraque sur la tête et le plaquage qui fait qu’on est scié en deux à supplier de l’air de l’air de l’air parce qu’on le sent que I CAN’T BREATHE que là vraiment dans ce...

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