Acte I
Scène 1
La chambre de Checchina.
Checchina est au centre, Beatrice et Eleonora assises près d’elle de part et d’autre. Donna Sgualda est assise à côté de Beatrice et Donna Catte à côté d’Eleonora.
Beatrice
Alors jolie petite épouse, vous êtes heureuse ?
Eleonora
Vous allez vivre une journée inoubliable.
Checchina
Oh dame, oui, comment je pourrais ne pas être heureuse ? Je suis fiancée !
Sgualda
Dis voir, cousine, ton promis quand est-ce qu’y vient ?
Checchina
Mon père m’a dit : « Pas plus tard que tout de suite ! »
Catte
Dis voir Checca, ton parrain, il te l’a offerte la couronne de fleurs ?
Checchina
Même pas un pissenlit il m’a offert !
Catte
Oh quel rapiat, çui-là !
Sgualda
Il t’a envoyé des dragées ?
Checchina
Même pas une figue.
Sgualda
Il est à sec ! Ben dis donc, t’en as un beau parrain !
Beatrice
Mais enfin quoi ? Parce que M. Pantalon n’offre rien, dépense peu, il ne serait pas un homme comme il faut ! Votre langue vous perdra, mesdames !
Sgualda
Oh, vous, vous êtes une mauvaise langue, chère madame !
Eleonora
Il me semble que vous devriez respecter les gens honorables.
Sgualda
Catte, qu’est-ce t’en dis ? T’as entendu ?
Catte
Oui, et la moutarde me monte au nez !
Checchina
S’il vous plaît, cousines ! Du calme !
Catte
Alors, il arrive quand, ce fiancé ?
Sgualda
Catte, allez viens on s’en va.
Catte
Tu veux rire !
Beatrice
Donna Sgualda, pourquoi n’iriez-vous pas vendre vos fripes et vos fanfreluches ?
Sgualda
Je me repose, Lustrissime. Aujourd’hui, j’ai de quoi bouffer, du coup, j’me roule les pouces.
Eleonora
Vous aussi ? Pas de lessive aujourd’hui ?
Catte
Non, mais vous inquiétez pas. Vos chemises de trois sous seront lavées !
Eleonora
Voulez-vous vous taire, insolente !
Catte
Sgualda, Sgualda, j’ai les fers qui chauffent !
Eleonora
En voilà assez, chère petite Checca, vous m’avez invitée à votre mariage et moi votre voisine, comme j’apprécie Beppo, le fils de mon régisseur, je suis venue ; mais je refuse de me commettre avec cette race de mégères.
Checchina
Chère Lustrissime, s’il vous plaît, restez.
Catte
Eh Sgualda ! Pousse-toi, tu vas infecter la dame !
Sgualda
Ma chérie, t’es vraiment folle !
Elles s’éloignent un peu.
Beatrice
Nous, nous sommes là pour faire plaisir à Checchina alors s’il vous plaît un peu de tenue.
Sgualda
Madame me parle à moi ?
Beatrice
Oui, à vous.
Sgualda
Catte, la dame me parle.
Catte
Eh ben, réponds-y !
Checchina
Voulez-vous bien vous taire !
Catte
Oh, r’garde ! V’là le futur !
Checchina
Il est avec mon père et monsieur mon parrain.
Scène 2
Pantalon, Patron Toni, Beppo et les mêmes.
Patron Toni
Noces, noces, Checca, ma fille, réjouissons-nous !
Sgualda
Oui ! Vive les noces sans dragée !
Pantalon
Ma filleule, tu es mon bonheur.
Checchina
Merci parrain.
Catte
M’sieur le parrain, c’est pour quand ces noces ?
Pantalon
Ce soir même.
Catte
Parce qu’on a le gosier sec.
Pantalon
On vous le rafraîchira.
Patron Toni
Alors, le fiancé, approche ! Tu ne regardes pas ta promise ?
Beppo
Je suis un peu perdu au milieu de toutes ces femmes.
Patron Toni
Tu as peur de ne pas reconnaître la tienne ? Tu ne peux pas te tromper. C’est la plus jeune et la plus jolie.
Catte
La plus jeune, non.
Sgualda
La plus jolie non plus.
Beppo
Jeune, vieille, belle ou vilaine, si on me faisait un peu de place, je m’assoirais bien à côté d’elle.
Pantalon
Et tu aurais raison. Le promis doit être à côté de sa belle. S’il vous plaît, décalez-vous un peu.
Eleonora
Je veux bien, encore faudrait-il que cette femme se poussât.
Catte
C’est c’la, mais « cette femme-là » elle s’poussera pas.
Beatrice
Bon allez, Checca, asseyez-vous sur ma chaise, Donna Sgualda me donnera la sienne et en prendra une autre.
Sgualda
Vous voulez que je me mette là, pourquoi vous y allez pas, vous ?
Pantalon
Bon s’il vous plaît mesdames, il faut laisser la place à qui la mérite.
Sgualda
À qui la mérite ? Eh ben, si je la mérite pas la place, j’en veux pas ! Cousine, à la revoyure ! (Elle se lève.)
Checchina
Voyons, où allez-vous ?
Sgualda
T’as pas entendu ? Je cède ma place à qui la mérite. Monsieur ton parrain ordonne et toi tu la boucles ; ça se voit que tu sais pas d’où tu viens…
Patron Toni
Quoi ? Qu’est-ce que vous sous-entendez ?
Sgualda
Je me comprends, c’est le principal. Je cède la place au mérite. Dame, posez donc votre Lustrissime croupion. Quant à toi, Checca, m’invite plus jamais. Chez toi, j’y foutrai plus ni le pied ni le reste ! À moi, une femme distinguée, me faire ce putain d’affront ! Ah on préfère une étrangère à sa propre cousine ! Allez crever tous autant que vous êtes : père gaga, fille idiote, parrain rapiat, fiancé sans un, et Lustrissime au rabais. (Elle sort.)
Beatrice
Je ne pense pas m’avancer trop en disant que cette fille est dérangée.
Catte
C’est vrai, chère madame, mais même dérangée, elle a plus de cervelle que vous.
Eleonora
Comment me parlez-vous ?
Catte
Avec la bouche !
Eleonora
Cela suffit. Je m’en vais. Demeurer est incompatible avec ma dignité. Jolie fiancée, adieu. Je ne souhaite pas rester en présence de cette femme vulgaire. (Elle sort.)
Catte
Bécasse !
Beatrice
Vous avez dit…
Catte
Bécasse ! Oui, j’aime la bécasse alors je crie : « Bécasse ! » Je vous ai donné faim ?
Beatrice
Vous m’avez donné envie de vous traiter comme vous le méritez, mais pour ne pas contrarier davantage notre fiancée, je me contenterai de partir en vous prévenant : si vous ne contrôlez pas votre langue, je vous la ferai trancher. (Elle sort.)
Catte
Aïe z’ai mal ! Aïe ze souffre !
Patron Toni
Vous savez quoi, petite madame, je vais vous dire. Dans ma maison, les gens arrogants je n’en veux pas, vous avez été invitée, bien traitée, mais vous ignorez les bonnes manières, alors allez les apprendre ailleurs.
Catte
Quoi ? Vous me foutez dehors ? Vous êtes pas digne de m’avoir chez vous. Vous vous en repentirez. Checca, je m’en vais, mais parole que tu te souviendras de Catte la blanchisseuse. (Elle sort.)
Scène 3
Checchina, Beppo, Pantalon, Patron Toni.
Pantalon, à Patron Toni.
Jolie réunion ! Quelle charmante famille vous avez !
Patron Toni
Ouf, elles sont parties. Nous allons pouvoir parler de nos affaires entre nous. Checca, ton fiancé est là, ton parrain aussi ; si tu veux la bague, Beppo va te la donner. Même si on n’a pas les cris de joie des commères, c’est pas grave, on fera le charivari plus tard.
Checchina
Pour moi, quand Beppo est là, le monde entier est là.
Beppo
Et moi je ne veux rien d’autre que ma Checca.
Pantalon
Tiens, prends la bague et mets-la-lui au doigt.
Beppo
Comment on fait ? Montrez !
Pantalon
Oh l’homme ! C’est facile ! Regarde ! (Il essaie de passer la bague au doigt de Checchina.)
Beppo
Oui, bon, laissez, laissez, je vais le faire. Laissez tomber !
Pantalon
Vous êtes jaloux ? Je suis votre parrain.
Beppo
Dites voir, monsieur Pantalon, le parrain, quand il a donné la bague, c’est fini pour lui ?
Pantalon
Si vous voulez, c’est fini.
Patron Toni
Mais tu es fou ? Tu ne connais pas M. Pantalon ? Tu ne sais pas quel homme c’est ?
Pantalon
Filleul, minuit a sonné. Ma barque n’a plus de mât, de gouvernail j’en ai plus, comment je pourrais « hisser le grand pavois » ?
Beppo
Oh ce cher Pantalon est vraiment drôle. (Il passe la bague au doigt de Checchina.)
Checchina
On est mariés ?
Patron Toni
Non ma fille, c’est un gage d’amour.
Checchina
Pas besoin de gage ! Qu’il m’épouse tout de suite !
Patron Toni
Il faut faire les choses dans l’ordre.
Checchina
Oh, ce qu’elle est belle cette bague !
Pantalon
Elle vous plaît ?
Checchina
La bague oui, mais bien plus celui qui me l’a donnée !
Pantalon
C’est moi qui vous l’ai donnée.
Checchina
Non, je parle de celui qui me l’a mise au doigt.
Pantalon
Oh mes enfants, vous faites ma joie. Je retourne à mes affaires. Le ciel vous bénisse. Si vous avez besoin de quelque chose, je suis là. (À part.) Ah que c’est beau la jeunesse ! Je suis vieux, mais une petite cérémonie de ce genre, ça me dirait bien. Passer la bague, ça irait encore… c’est le reste qui passerait pas… (Il sort.)
Scène 4
Checchina, Beppo, Patron Toni.
Patron Toni
Bon, Beppo, si vous avez quelque chose à faire, c’est le moment.
Beppo
Euh, non, j’ai rien à faire.
Patron Toni
Si vous, vous n’avez rien à faire, moi oui. On y va.
Beppo, à part.
Ah d’accord, il veut pas que je reste seul avec elle. (Haut.) Checca, au revoir.
Checchina
Beppo, aimez-moi.
Beppo
Mon cœur est à vous.
Checchina
Béni soit votre cœur.
Patron Toni
Deux fiancés qui s’aiment, quoi de plus beau ? (Il sort.)
Beppo
Ô chère toi. (Il sort.)
Checchina
Ô cher toi ! Ô cher lui ! Je suis la femme la plus comblée de l’univers. Mes chères cousines m’ont chauffé la bile ; mais n’y pensons plus. Puisque mon Beppo m’aime, et que mon Beppo est à moi, oublions ces caqueteuses… Je n’veux plus avoir affaire à elles. (Elle sort.)
Scène 5
Donna Catte avec un panier rempli de linge.
Merlino, une corbeille sur la tête.
Catte
Allez, il faut livrer ce linge. Courage ! Avance !
Merlino
J’ai un problème… j’aime pas travailler…
Catte
Dans ce pays, si tu veux manger, faut travailler.
Merlino
Je préfère être un sans emploi fixe et tendre la main.
Catte
Alors là, ici, si tu demandes la charité, ils t’enverront au diable, ils te diront : « Travaille, fainéant, travaille ! »
Merlino
Oh mais, j’ai un vrai métier ! Regarde ! (Il fait le manchot.) Quelques petits sous pour un pauvre manchot. (Il fait l’estropié.) À votre bon cœur, m’sieurs-dames, pour un pauvre estropié ! (Il fait l’aveugle.) Pitié et compassion pour un aveugle de naissance… (Il marche sur les fesses à l’aide de ses mains.) Ouvrez votre porte-monnaie à un pauvre maçon tombé de son échafaudage et qui peut plus travailler.
Catte
Dis donc, tu es expert en honnêteté. Tu viens d’où ?
Merlino
Je suis un digne mendiant napolitain.
Catte
Oh, çui-là, je veux plus qu’il me porte mon panier, c’est un gredin qui peut me voler… Tiens, voilà deux sous ! Et bon vent !
Merlino
Vous voulez plus de moi ?
Catte
Non, ça ira comme ça.
Merlino
Que les morbacs tortorent les parties velues de ta mater, de ton dab et de tous les gniards des...