Personnage
Théodora
Prologue.
La conseillère Pôle emploi
Je m’approche elle est là la conseillère Pôle emploi
Elle me regarde la conseillère Pôle emploi
Elle me dit bonjour comment allez-vous elle me dit la conseillère Pôle emploi
Elle regarde son ordinateur
Elle me regarde
Et elle dit par ici
La conseillère Pôle emploi
La putain de conseillère
Je rentre dans son bureau
Enfin
Dans un bureau
Comme
Un box
Elle me dit en souriant asseyez-vous
Je m’assieds et putain
J’ai envie de fuir mais je m’assieds
Et là
Avec la conseillère Pôle emploi
On parle
On parle
On parle
Enfin
On
Dialogue
Enfin
Même pas
On babouine
On fait comme des babouins
On fait des bruits
Des bruits de babouin
On babouine pendant dix-sept minutes
Soit mille ans pour elle qui ne sait pas quoi faire pour moi
Soit dix secondes pour moi qui ne sais pas quoi faire pour moi
Et après
La conseillère Pôle emploi
Elle me dit donc j’attends les documents manquants par e-mail
Tu sais où je vais te les mettre tes documents manquants je pense moi en regardant la conseillère Pôle emploi
Dans ton putain de fondement j’ai envie de les fourrer
J’ai pensé j’ai envie de nourrir ta saloperie de colon avec mes formulaires remplis pour ton putain de logiciel
J’ai envie de te faire ça
Conseillère Pôle emploi
Tu sais conseillère Pôle emploi
On aurait pu être amies
On aurait pu dans une autre vie où moi je ne serais pas moi et toi conseillère Pôle emploi tu ne serais pas conseillère Pôle emploi
On aurait pu être amies
À la rigueur que moi je reste moi pourquoi pas
Mais j’aurais pu être autre chose
Alors que toi
Conseillère Pôle emploi
Si tu avais été conseillère Pôle emploi aussi dans l’autre vie et que moi j’aurais été
Autre chose
Eh bien pas moyen
Je t’aurais bourré le colon de papelards en pensée
Pas moyen de devenir amies
Pas moyen je vois pas comment
Je pense ça moi dans le bureau
Enfin le box
Enfin l’espace de réception des adhérents
Je pense tout ça pendant qu’elle continue à babouiner
Polie la saloperie
Elle babouine des en vous remerciant
Des bon courage à vous
Des bonne continuation
Elle sent le café la conseillère Pôle emploi
Elle sent le café de la cafetière parce que merde le café de la machine il est dégueu alors avec les collègues on a décidé de se cotiser pour acheter une petite cafetière parce que vraiment le café de la machine on en peut plus mais que hmm le café de la cafetière c’est bon surtout en arrivant le matin parce qu’on est fatigué parce qu’il fait un temps pourri parce qu’on est pas bien réveillé et que là avec tous les rendez-vous et les mails en retard on va jamais y arriver et comme je suis en RTT vendredi je dois finir parce que M. Bidule veut qu’on ait fini avant de faire le pont
Elle sent ce café-là la conseillère Pôle emploi
Vous voyez le genre de fille
Et la cigarette elle sent la cigarette froide le tabac dans la gorge et les cheveux la conseillère Pôle emploi
Elle sent le tabac malgré son parfum à la mûre sauvage et son tailleur-pantalon
Elle présente bien la conseillère Pôle emploi
Je me dis ça elle présente bien mais elle sent le tabac et ça casse l’image de la fille qui présente bien parce que ça fait j’ai un vice en fait je peux pas m’en empêcher je suis addicte mais je veux pas arrêter j’ai déjà essayé quelques fois des premiers janvier des anniversaires mais impossible pas moyen en fait je n’en fume que cinq par jour c’est pas beaucoup cinq c’est juste comme ça pour rythmer le travail une avant d’arriver au boulot une pendant la pause du matin une après le déjeuner avec le sacro-saint café de la cafetière pas la machine la vraie cafetière une pendant la pause de l’après-midi et une le soir après le dîner j’ouvre la fenêtre de la cuisine pour pas que ça sente parce que Thomas ou Vincent ou Karim il aime pas ça que je fume il laisse faire parce qu’il m’aime et qu’il ne veut pas trop en parler pour ne pas entrer dans un conflit parce que je suis pas vraiment addicte juste c’est mon petit plaisir je suis pas une criminelle quand même et merde les gens on a encore le droit de fumer dans ce sale pays à la con où tout est interdit non mais n’importe quoi
Je pense à tout ça en sentant la conseillère Pôle emploi qui me tend sa main parfaite manucurée et tout pour que je la serre en signe de politesse et d’amabilité de convivialité que son patron a dû lui dire pour que les adhérents pas les gens pas les chômeurs pas les demandeurs d’emploi les adhérents se sentent comme à la maison alors que impossible ici les murs ont la couleur de la moquette des Punto et les ordis ils ont les mêmes dans Inspecteur Derrick c’est dire
Je pense tout ça moi face à la conseillère Pôle emploi
Et je sais pas pourquoi y a un truc qui cloche je sais pas si c’est le café la poignée de main ou la cigarette à la mûre sauvage mais y a un truc qui cloche
Je la regarde la conseillère que j’ai disséquée en pensée
Et je me surprends oui je me surprends à lui dire à la conseillère Pôle emploi
Vous
Vous êtes en danger
En danger vous êtes je lui dis
Elle me dit pardon
Je lui dis non rien
Elle me dit excusez-moi je n’ai pas compris
Et moi je me dis normal j’ai marmonné un truc bizarre que tu peux pas comprendre parce que moi-même je le comprends pas
Je lui redis non non rien du tout
Elle me redit encore je n’ai pas compris
Je remarmonne vous êtes en danger
Elle me dit non
D’accord je lui dis
Merci je lui dis
Et là je la regarde encore dans les yeux
Et la mort j’ai vu
La mort dans son putain d’œil de conseillère Pôle emploi qui fume et qui boit du café
Je lui fais une tête de merlan
Elle me fait une tête de merlan
On fait des putains de têtes de poisson dans le couloir moquetté de cette agence qui sent les pieds du centre de Paris
Avec les ordis de Derrick
Et là je décide que je dois vraiment partir parce que faire le colin éberlué avec la fille du Pôle emploi c’est plus que gênant surtout que j’ai l’impression étrange qu’elle va crever
Elle va clamser la buveuse de café à la mûre sauvage je me dis en boucle en m’éloignant et ma main à couper qu’elle pense déjà plus à moi qu’elle s’est dit c’est une folle elle marmonne des dangers qu’y a pas
Je sors de l’agence Pôle emploi et là je me prends tout le froid de Paris le souffle glacial de cet hiver de merde de Paris mais faut pas se plaindre déjà qu’il y a trop de soleil paraît que ça fait fondre les glaciers au pôle Nord mais là c’est pas le pôle Nord c’est le Pôle emploi et sa conseillère et son café et sa cigarette et sa mort proche et Paris glacé quand on en sort et je me rends compte que putain putain putain ça sert à rien ces rendez-vous pour me dire qu’il faut que je cherche du travail croient quoi eux que je trouve ça chouette d’être là sans heure pour me lever sans heure pour me coucher et parfois là hop il faut être dans le bois de Vincennes à six heures du mat’ et parfois là hop faut être à vingt-deux heures dans un studio et parfois là hop trois jours de tournage pas payés mais putain que c’est bon de faire son métier ça fait chier de pas le faire plus et de pas être payée mais putain que c’est bon de le faire de se sentir
À sa place
Pas à celle de la conne qui doit écouter la conseillère Pôle emploi mais à la place de celle qui joue
À la place de
Dans le rôle de
Dans le rôle de l’actrice
Celle qui joue
Celle qui fait pour de faux mais on se dit waouh on dirait que c’est vrai
Celle qu’on regarde et on se dit waouh
Cette putain de fille dont on dit waouh
Waouh qu’on se dit quand on la voit quand on l’écoute
Je suis actrice ou je suis pas actrice
Je suis quoi en fait si je joue pas je suis quoi
Faut jouer pour être actrice
Faut gagner du fric en jouant pour être actrice
Faut avoir du succès pour être actrice
Faut quoi
Faut savoir faire quoi
Faut être reconnue par qui
Faut être reconnue par les gens
Faut être reconnue par le métier
Faut être reconnue par qui
C’est ça que je me dis dans le Paris glacial alors que j’attends le bus il est onze heures quarante-deux matinée fichue
Et là j’entends l’ambulance
Le pin-pon il vient de loin mais tout de suite je l’entends le pin-pon
Il se rapproche le pin-pon il va vite le pin-pon c’est une urgence c’est pas le pompier qui met le pin-pon pour exciter les minettes c’est le pompier qui met le pin-pon parce que y a une urgence
Le camion s’arrête devant l’agence Pôle emploi
Le pompier de la race des pompiers il sort
Pas de la race des queutards à minettes de la race des pompiers
J’aurais voulu être ça moi sauver des fillettes du feu et être un sex-symbol
Et d’autres pompiers et une civière et ça se presse
Je reste là je regarde le bus passe je m’en fiche j’ai rien de mieux à faire là que de regarder sortir la fille à la mûre sauvage qui est quasi morte je suis sûre que c’est elle
J’attends un peu
Les gens s’arrêtent ils matent les pompiers et le camion
Et là la civière elle sort de l’agence Derrick-Punto-Pôle emploi
Et la fille à la mûre sauvage-café-cigarette elle est sur la civière
Et moi je ne sais pas pourquoi mais je le sais
Elle va crever
Je rentre chez moi
J’envoie par mail tous les papiers
Les putains de papiers
Pas de réponse
Pas de réponse
Pas de réponse
J’appelle quelques jours plus tard
On me dit elle est décédée
Décédée elle est la conseillère qui traite mon dossier
Décédée je l’avais vue je le savais et ça s’est fait
Et là
Je me suis dit
Putain mais c’est pas la...