André le Magnifique

Le sujet ? Un couple de villageois de Vigoulet, bourgade du sud-ouest de la France, tente de sauver le petit théâtre municipal, aujourd’hui promis à la destruction, en donnant un spectacle amateur racontant l’histoire du village.

Janine et Alexis, ancien maire de la commune et auteur de la pièce, sont aidés par Norbert, brave garçon qui leur sert de factotum, et André, jardinier municipal, solitaire et dévot, qui assure les rôles de souffleur et gardien du théâtre.
Afin d’attirer un public nombreux, ils ont engagé un acteur professionnel de relative notoriété, Jean-Pascal Faix, enthousiasmé par cette expérience très « terroir ». Il interprétera le rôle capital du chevalier Saint-Germaine, fondateur de Vigoulet…




André le Magnifique

Acte I

Scène 1

Une faible lumière de service éclaire la scène.

Une table recouverte d’une nappe blanche où sont posés des verres et une bouteille. Au premier et deuxième plan à jardin et à cour, des découpes d’arbres. Arrive par la salle André portant une valise. Il est habillé simplement. Il se dirige vers la scène et lentement monte sur le plateau. Voix d’Alexis dans les coulisses.

ALEXIS (Off.) Norbert !… Norbert !… Miladíou de miladíou… (Il entre. C’est un homme d’un certain âge avec un accent du Sud.) Ah ! André ! En voilà un qui est à l’heure, au moins, c’est bien !

ANDRÉ Bonjour, monsieur Ader.

ALEXIS … Il a encore éteint, oui… Et adieu, ça va ?

ANDRÉ Ça va… Alors, ça s’est bien passé… avec M. Faix ?

ALEXIS Ah ! ça s’est bien passé, oui, ça s’est pas passé du tout, il est pas encore arrivé ! On n’a pas de nouvelles. Eh bé, tu vois, finalement, tu pourras le prendre avec nous, ce pot.

ANDRÉ Il est pas arrivé ?

ALEXIS Eh bé, non ! Ça fait trois heures qu’on l’attend. Il était pas là au dernier train, alors on sait plus quoi faire. Je comprends pas, c’est quand même pas compliqué de passer un coup de téléphone… Enfin, bon ! On a l’impression que tu es parti pour un grand voyage, là, avec ta valise.

ANDRÉ Ah non ! Ça, c’est mes affaires. J’ai pris une couverture… parce que je sais pas si y fait froid dans le théâtre.

ALEXIS Oui, tu as raison.

ANDRÉ J’ai amené aussi mes affaires de toilette, ma radio, des chaussettes…

ALEXIS Pose-la, que tu me fais mal au bras. Alors, je t’ai amené un matelas, je te l’ai mis par là, je te le montrerai tout à l’heure…

ANDRÉ Alors, je dors… ?

ALEXIS Eh bé, où tu veux. Tu choisiras, quelque part dans le théâtre… (Il va pour sortir.)

ANDRÉ Et le matelas… ?

ALEXIS Oui, bon… Je vais allumer et je te le montre.

Alexis sort. André reste seul quelques instants. Les projecteurs s’allument dans son dos. Il se retourne. Aveuglément. Alexis revient.

ANDRÉ C’est grand…

ALEXIS C’est beau, hein ? Et quand tu penses qu’ils veulent le détruire ! Un endroit aussi magnifique… Mais ça, il faudra qu’ils me passent sur le corps avant… Bon, allez !

ANDRÉ Et pour les clefs ?

ALEXIS Ah oui !… Alors ça, c’est la clef de l’entrée principale ; tu passes par là, tu vois. Ça, c’est la clef de l’entrée arrière gauche…

ANDRÉ Ça… c’est la clef… de l’entrée… arrière…

ALEXIS … arrière gauche, celle-là arrière droite, celle-ci c’est la clef du cagibi où maintenant que tu es là…

ANDRÉ Le cagibi… il est… ?

ALEXIS Là, derrière.

ANDRÉ Ah oui, je l’vois… Y faut que je le ferme ?

ALEXIS Oui. Quand on s’en va, tu fermes tout.

ANDRÉ À quelle heure je ferme ?

ALEXIS Eh bé, quand on s’en va, tu fermes, voilà.

ANDRÉ Et… à quelle heure j’ouvre ?

ALEXIS J’ai un double des clefs, ne t’inquiète pas pour ça.

ANDRÉ Celle-là, monsieur Ader, c’est quoi ?

ALEXIS Ah oui ! C’est la clef des toilettes. Tu t’étonnes pas : des fois quand on est à l’extérieur on n’arrive pas toujours à ouvrir, et des fois quand on est dedans on n’arrive pas à sortir.

ANDRÉ Ah bon !

ALEXIS Vaut mieux pas que tu fermes quand tu es dedans. Mais la plupart du temps on a du mal à ouvrir… Enfin, tu essayes, tu verras bien…

ANDRÉ Comment je fais pour… les toilettes…

ALEXIS Ben… pour la petite commission, tu vas dehors, autour du théâtre, et puis pour la grosse commission… Ça te fait rire, couillon, va ! Si vraiment tu n’arrives pas à ouvrir, tu pousses jusque chez Ducomet… et tu lui demandes, voilà !

ANDRÉ Et… qu’est-ce que… qu’est-ce que je lui dis ?

ALEXIS Eh bé, tu lui dis… voilà, quoi…

ANDRÉ Voilà… je… ?

ALEXIS Bon, je le préviendrai, ne t’inquiète pas, va ! (Il va pour sortir.)

ANDRÉ « Ô mon bien-aimé, enfin tu reparais ! Merci Sainte Vierge que j’ai tous les soirs priée. »

ALEXIS Tu sais le texte par cœur ?

ANDRÉ Ben, oui… Tout le texte… Ce que vous écrivez bien ! Qu’est-ce que c’est beau ! Moi, ce que je préfère, ben c’est le moment où le chevalier y revient et puis y retrouve Victorine… Tout ce qu’elle dit, là…

ALEXIS Ça t’a plu ?

ANDRÉ Beaucoup, beaucoup…

ALEXIS Eh bé, ça me fait bien plaisir. Mais tu sais, mon grand, c’était pas la peine de l’apprendre. Le souffleur, il prend le texte, il le regarde et puis il souffle.

ANDRÉ Ah bon ! Je pensais que… J’avais pas compris…

ALEXIS C’est pas grave, c’est même mieux… J’espère que t’as pas autant souffert que Janine pour te le mettre dans la tête !

ANDRÉ Elle va bien, Janine ?

ALEXIS Ah oui, elle va bien, oui… Elle est toute paniquée, elle récite son texte à longueur de journée… Ça fait trois fois qu’elle fait réchauffer les anchouquettes, la pauvre, et lui, il est toujours pas là !

ANDRÉ Elle a fait des anchouquettes ?

ALEXIS (Se laissant aller à la joie.) Oui… Bon, allez… (Il va pour sortir.)

ANDRÉ Et le trou ?

ALEXIS Le trou ?

ANDRÉ Ben… le trou !

ALEXIS Ah ! le trou du souffleur, tu veux dire ? Eh bé, y en a plus ! Quand j’étais petit, y en avait un, il était là… Il était là, il a été rebouché, je sais pas…

ANDRÉ Y en a plus ? Ben je vais me mettre où ?

ALEXIS J’en sais rien, moi, dans un coin, sur les côtés… Tu verras ça avec M. Faix… Enfin, s’il arrive.

ANDRÉ Mais c’est important, le trou…

ALEXIS Je sais bien, mais faut pas t’inquiéter, tu sais, c’est un baptême pour tout le monde, moi c’est la première fois que j’écris, on est tous dans le même bain, on va se serrer les coudes. (Il va pour sortir.)

ANDRÉ Simplement, monsieur Ader… Celle-là, c’est la clef de…

ALEXIS Écoute, mon grand, je n’ai pas le temps… Tu n’auras qu’à mettre des étiquettes.

ANDRÉ Ah oui, des étiquettes…

ALEXIS Voilà… Bon…

ANDRÉ Parce que… quand je suis rentré, c’était ouvert.

ALEXIS C’est normal, puisqu’on est là !

ANDRÉ Ah oui !

ALEXIS Bon, tu t’installes, tu fais comme chez toi. À tout à l’heure. (Il sort.)

ANDRÉ Et le matelas… ?

Alexis traverse la scène, passablement énervé.

ALEXIS Il est là, regarde… (Il sort.)

ANDRÉ Ah oui, je le vois…

ALEXIS (Off.) Norbert !

ANDRÉ … Et pour les étiquettes, monsieur Ader, je vais chez Ducomet ?… Monsieur Ader ? Monsieur Ader ? (Il va à la recherche du trou du souffleur.) Dans un coin, dans un coin… Moi je veux bien, dans un coin… (Il tape et gratte le sol.) C’est collé… C’est collé… (Il va finalement se mettre dans le coin.)

Scène 2

Janine entre. C’est une femme un peu forte avec un accent du Sud. Elle porte un plateau d’anchouquettes tout en répétant son texte à voix basse. Elle aperçoit la valise d’André et se fige.

JANINE Monsieur Faix ?… Alexis !… Norbert !… Dépêchez-vous ! Il est arrivé ! (Elle découvre André.) Aïe !… Tu m’as fait peur !

ANDRÉ Non, c’est… c’est ma valise !

JANINE Ah ! c’est ta valise ! (Elle l’embrasse. Alexis entre.) Bonjour !

ANDRÉ Bonjour, Janine.

ALEXIS Il est où ?

JANINE (Désignant André.) Eh bé, il est là !

ALEXIS Qu’est-ce que tu racontes, toi ?

JANINE André a laissé sa valise en plein milieu, j’ai cru que c’était celle de M. Faix, voilà, je me suis trompée, c’est tout.

ALEXIS C’est ça, tu me fais des fausses joies, toi…

JANINE Range-la, ta valise, André, ne la laisse pas au milieu comme ça, enfin !

Alexis prend la valise pour la ranger.

ALEXIS Oui, allez, range-moi ça…

ANDRÉ (Se précipite vers Alexis.) Non, laissez, monsieur Ader… Laissez…

Norbert entre.

JANINE (À Norbert.) Alors ?

ALEXIS Alors ?

NORBERT Eh bé, rien !

ALEXIS Rien, rien ! Comment ça, rien ? Comment ça se fait qu’on a pas de nouvelles ? Ils ont pas le téléphone, à Paris ?

JANINE (Doucement, tout en disposant ses anchouquettes.) Calme-toi, calme-toi…

Norbert et André se saluent.

ALEXIS (À Norbert.) Et le cagibi ? Il va se vider tout seul ?… Y faut le faire. On joue dans cinq jours… (Norbert se dirige vers les anchouquettes.) C’est ça ! Fais le sourd…

JANINE On ne touche pas !

Norbert sort.

ALEXIS Eh bé, je m’en occuperai moi-même, qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

JANINE Alexis, arrêtez de vous chamailler tout le temps comme ça, c’est pénible ! Dis-moi, ces pauvres anchouquettes, si on ne les mange pas tout de suite, c’est la catastrophe…

ALEXIS Elles seront bonnes quand même, va, ma poupette. (Il l’embrasse.)

NORBERT (Il revient.) Il a peut-être eu un accident !

ALEXIS Ne parle pas de malheur, toi, hein !

JANINE Tu crois ?

NORBERT Ben quoi, c’est des choses qui arrivent.

JANINE Il faut appeler l’hôpital, peut-être, non ?

ALEXIS Ah ! ça y est !

NORBERT J’y vais !

ALEXIS Reste là ! Non, ma poupette, tu commences pas à te monter le bourrichon, on reste calme et on attend. (Il va pour sortir.)

ANDRÉ Monsieur Ader !

ALEXIS Quoi ?

ANDRÉ Vous m’avez dit qu’il était pas au dernier train ?

ALEXIS Oui.

ANDRÉ C’est parce qu’il aura manqué la correspondance à Auch ! C’est pas facile comme correspondance, je le sais, je me suis déjà fait avoir une fois l’année dernière, quand j’avais été…

ALEXIS et

JANINE Oui, oui, et alors ?

ANDRÉ Eh ben, il est resté en gare d’Auch, sur le quai no 3, il a dû prendre la correspondance pour Carensac à 16 h 02 qui l’a fait arriver à Montarnaud à 17 h 05, là il a dû attendre un moment sur le quai avant de prendre la micheline pour Tissoul de 17 h 53. Montarnaud-Tissoul, y a cinquante… cinquante-deux… cinquante-six kilomètres… Il est arrivé à Tissoul à 18 h 58 et à Tissoul il a dû prendre le bus de M. Gauthier qui fait la liaison tous les ­mercredis et qui arrive sur la place de Vigoulet à 19 h 47.

Un temps.

JANINE Et quelle heure il est, là ?

ALEXIS Il est 8 heures !

ANDRÉ Eh ben, il est là.

Ils regardent tous en direction de la salle.

ALEXIS Janine ! Va sur la rue Grande… Norbert ! Va à la porte de Rouède. André, tu restes là.

Ils se dispersent tous. Norbert revient prendre une anchouquette.

ANDRÉ Y faut pas… Nono ! Janine, elle a dit que… (Norbert sort rapidement.) Recrache !

Scène 3

André est seul. Il va pour prendre une anchouquette. Du bruit dans les coulisses : « Ah ! merde ! C’est pas vrai… » André repose son anchouquette. Entrée de Jean-Pascal Faix. C’est un homme élégant. Il a un sac de voyage à la main et des lunettes de soleil sur le front. Le journal Libération dépasse de sa poche.

JPF Ah ! enfin ! Quelle histoire ! Bonjour. Jean-Pascal Faix… Ça va ? (Il serre la main d’André. JPF attend qu’André se présente, mais André le regarde sans rien dire.) Alors, voilà le théâtre de Vigoulet !

ANDRÉ Oui, c’est ça.

JPF Dites donc : Vigoulet, c’est très mal desservi, hein… C’est le moins qu’on puisse dire…

ANDRÉ Le mercredi, c’est pas facile…

JPF Ah bon ! C’est le mercredi seulement ? Ah ! ben j’ai pas eu de chance, alors, parce qu’après Auch ça a été l’enfer ! J’ai dû prendre divers tortillards qui s’arrêtaient toutes les trois minutes en pleine cambrousse, c’était le far west ! J’ai bien cru qu’on allait être attaqués par les Indiens ! Alors finalement, j’ai pris une diligence pour arriver jusqu’ici…

ANDRÉ Une diligence ?

JPF Oui. Enfin, j’ai pris un bus ou quelque chose comme ça !

ANDRÉ Vous avez pris le bus de M. Gauthier ?

JPF Ah ! ça je ne sais pas, le chauffeur ne s’est pas présenté !

ANDRÉ Vous êtes passé par Tissoul ?

JPF Oui. Je sais pas… Je sais plus…

ANDRÉ Tissoul-Carensac, vous avez pris…

JPF Oui. Y a un bled de ce nom-là…

ANDRÉ C’est parce que vous avez manqué la correspondance à Auch !

JPF Pardon ?

ANDRÉ Vous avez manqué la correspondance à Auch.

JPF À Auch… Ah oui ! Je suis descendu à Auch, j’ai d’abord attendu un taxi… Je pensais qu’un taxi m’aurait été envoyé du théâtre…

ANDRÉ Un taxi ?

JPF Ben oui, un taxi… Pas de taxi ! Alors, finalement, j’ai pris mon mal en patience et j’ai pris le premier train…

ANDRÉ Vous avez pris la micheline, oui, Tissoul-Carensac.

JPF Oui, c’est ça. J’ai pris le premier train…

ANDRÉ C’est ça, oui… Parce que je me suis déjà fait avoir une fois comme vous, l’année dernière, à Noël, j’ai été à Lourdes avec ma tante et, imaginez-vous, j’ai raté la correspondance à Auch, parce que quand on la rate, la correspondance à Auch, c’est cuit… C’est-à-dire y faut pas aller sur le quai no 3, y faut aller sur le quai no 4 parce que…

Norbert est entré. JPF en profite pour se dégager.

JPF Bonjour. Jean-Pascal Faix. Quelle histoire ! (Norbert sort rapidement.) Non, mais je rêve là…

ANDRÉ Faut prendre directement le no 4, faut pas se tromper, hein…

JPF Oui. J’ai pris le premier train…

ANDRÉ C’est ça, oui. Vous avez pris la micheline… Elle est orange… Elle est orange… Elle est tout orange…

JPF Ben oui, comme toutes les michelines…

ANDRÉ Eh ben, comme moi, comme moi, comme moi !

JPF Dites-moi, vous n’êtes pas Alexis Ader ?

ANDRÉ Non ! André Lagachigue.

Scène 4

JANINE (Off.) Monsieur Faix ! Vous êtes là ?

JPF Oui, oui. Je suis sur le plateau !

Janine, Alexis et Norbert entrent.

ALEXIS Ah ! voilà notre chevalier !

JPF Bonjour. Jean-Pascal Faix.

ALEXIS Alexis Ader ! Enchanté…

JPF Et moi, très heureux d’être enfin arrivé… En retard, mais vivant !

JANINE Bienvenue !

JPF (Serrant la main de Janine.) Jean-Pascal Faix…

ALEXIS Par où vous êtes passé ? Moi je vous attendais devant le théâtre !

JPF J’ai fait comme font tous les acteurs : je suis passé par l’entrée des artistes !

ALEXIS Quelle andouille !… J’aurais dû y penser ! Eh bé, on est bien contents de vous voir parce qu’on se faisait un peu de souci, quand même.

JANINE Ça, on peut dire qu’on vous a appelé Désiré…

JPF Pardon ?

JANINE Enfin… Je veux dire… On vous a attendu…

JPF J’ai bien failli ne jamais arriver jusqu’ici !

ALEXIS Et qu’est-ce qui s’est passé, alors ?

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