Danton – Robespierre, les racines de la liberté

22 mars 1794 : ultime face à face, duel à mort entre Danton et Robespierre, ces deux figures de proue de la révolution française qui sont se sont aimées, détestées, respectées et qui espéraient un nouveau monde, plus juste et équitable.
Leur affrontement va décider de l’avenir de la France mais aussi de leur avenir personnel. À l’ombre de la guillotine s’ouvre une lutte fratricide autour des valeurs de liberté et d’égalité, éclairées par un espoir fou de fraternité.
Un texte d’une actualité troublante, où tout est historiquement vrai… et le reste est vraisemblable.
Un lien entre présent et passé, vieux et nouveau monde. Et pour les incarner, deux corps, deux identités, le choc de deux intelligences concevant les racines de notre liberté.




Danton - Robespierre, les racines de la liberté

L’actrice passe derrière un tulle au lointain comme un fantôme, apparait en déshabillé, et Robespierre s’apprête à vue : chemise, lavallière, gilet…

On entend des cris de foule. Ils montent, atteignent un paroxysme, puis un silence, rompu par le bruit du couperet de la guillotine, aussitôt suivi de clameurs : « Vive la liberté ! »

Robespierre sort.

Quand le plateau se rallume on découvre Danton qui arpente la scène comme un fauve.

Danton se retourne à l’entrée de Robespierre. Grand sourire de Danton.

Danton Aaah ! (Il ouvre grand les bras, Robespierre reste de marbre. À distance.) Tu as l’air fatigué, Maximilien. Que fais-tu donc de tes nuits ?

Robespierre Je travaille. Tu voulais me voir, Danton ? Pour quelle raison ?

Danton Après tout ce qu’on a vécu, a-t-on besoin d’une raison ? (Pas de réponse de Robespierre.) J’ai fait un songe.

Robespierre Et… ?

Danton J’espère qu’il n’était pas prémonitoire. On me tranchait la tête.

Robespierre Ah. La guillotine…

Danton Non, à l’ancienne, à coups de hache. Mon bourreau a dû s’y reprendre à trois fois, la lame était mal aiguisée. Le temps qu’on lui apporte une meule, qu’il l’affûte… La deuxième fois, le manche a lâché. Évidemment, j’étais conscient tout le temps.

Robespierre On dit que le cerveau continue à fonctionner plusieurs secondes après coup.

Danton J’ai vu ma tête rouler. Elle n’est pas belle…

Robespierre Je n’ai rien dit.

Danton … mais je m’y suis habitué. Je veux sauver ma tête, Maximilien.

Robespierre Rejoins-moi. Personne n’osera te toucher !

Un temps. Les deux hommes s’observent. Danton sourit.

Danton Te rejoindre ?

Robespierre Pendant que toi tu fais des songes moyenâgeux, moi je poursuis un rêve. Je veux bâtir un nouveau monde.

Danton Bien. Très bien ! C’est pour quand ?

Robespierre Pardon ?

Danton Non, je te pose la question parce que ça fait cinq ans que la Bastille est tombée. Cinq ans, une éternité, que nous nous battons contre le monde entier et que le peuple a faim ! Alors les projets d’avenir radieux…

Robespierre Il faut donner du temps au temps.

Danton C’est quoi cette formule imbécile ? Tu sais ce que c’est que de se lever à six heures pour faire la queue devant des échoppes où il ne reste souvent plus rien quand on accède à l’étal ?

Robespierre La révolution exige des sacrifices.

Danton Elle exige ma tête, aussi ? La révolution est gourmande !

Robespierre Une carcasse comme la tienne nourrirait plusieurs familles… Je crains d’être moins comestible.

Danton Trop sec ?

Robespierre Trop de mauvais morceaux. Peu de chair sur beaucoup d’os.

Danton Où va la révolution, Maximilien ?

Robespierre Nous avons accompli une œuvre de titan. Nous avons arraché le pouvoir des puissants pour le donner au peuple.

Danton Depuis qu’il a pris la Bastille, le peuple a peur. D’une vengeance des royalistes, d’une Saint-Barthélemy des patriotes, de tout. Et cette peur le rend fou.

Robespierre La peur est le moteur de l’Histoire.

Danton Tu planes très haut, là. Redescends parmi les mortels.

Robespierre La peur aiguillonne les hommes. Le confort les endort. Regarde-toi, Danton : depuis que tu es propriétaire, tu aspires au repos.

Danton Ne t’y fie pas, je peux encore grogner !

Robespierre Mais moins fort. Le peuple est comme la grenouille : jette-la dans l’eau bouillante, elle sautera de la casserole. Plonge-la dans l’eau froide, allume le feu, et elle se laissera cuire sans se rendre compte de rien. Tous les cuisiniers et les hommes politiques le savent.

Danton Les sans-culottes ne sont pas des animaux dociles.

Robespierre Ce ne sont pas non plus des lions.

Danton Le peuple a pris la Bastille.

Robespierre Après avoir courbé le dos pendant des siècles de monarchie. Il l’a prise parce que, oui, il avait peur d’être massacré par les vingt mille soldats du roi qui entouraient Paris pour écraser sa révolte. La peur est l’alliée des révolutions.

Danton Tu devrais expliquer ça au peuple, ça l’intéresserait.

Robespierre Soit on dit la vérité aux gens, soit on fait de la politique. Les deux sont incompatibles. La seule chose qui importe, c’est l’intérêt des plus faibles.

Danton Tes faibles ont faim, et il leur faut un bouc émissaire. Ma tête est en jeu.

Robespierre Alors cesse de critiquer ma politique. Les instants que nous vivons nous dépassent toi et moi. L’important c’est que demain tes fils n’auront à ployer le genou devant personne.

Danton L’important serait aussi qu’ils aient un père en vie !… Cela fait combien de temps qu’on ne s’est vus ?

Robespierre Je travaille dix-huit heures par jour. Je n’ai plus une minute à moi.

Danton En nous penchant, sur les bancs de l’Assemblée, nous pourrions nous toucher.

Robespierre Sans doute.

Danton Faisons-le.

Robespierre Quoi donc ?

Danton Nous serrer la main, au vu de tous. Pour témoigner de notre entente…

Robespierre Notre entente ? Ce n’est pas sur ton ordre que le journal de Camille Desmoulins m’attaque ?

Danton Ne sois pas susceptible, c’est fatigant. Camille critique la Terreur, c’est différent.

Robespierre Mais c’est bien sur ton ordre ?

Danton Maximilien, la Seine est rouge du sang des raccourcis. Il est temps qu’on économise la vie des citoyens.

Robespierre À t’entendre, on croirait qu’il ne reste plus personne à guillotiner.

Danton En serais-tu fâché, Robespierre ? En serais-tu fâché ?

Robespierre Tu veux la clémence ? Bien. Ce beau sentiment t’honore. Pour qui ? Pour les accapareurs qui affament le peuple ? Pour les corrompus qui l’étranglent ?

Danton Enferme-les à la Conciergerie. Je passerai leur donner la fessée tous les matins si tu insistes. Mais cesse de les décolleter à tour de bras.

Robespierre En temps de paix, je suis opposé à la peine de mort, tu le sais. Mais nous sommes en guerre !

Danton C’est vrai. Mais nous l’avons gagnée. Nous avons repris Marseille, Bordeaux, Lyon, Nantes, Toulon ; toutes les villes qui s’étaient révoltées contre nous. L’armée vendéenne est décimée, anéantie.

Robespierre Les royalistes…

Danton … sont morts ; comme l’Autrichienne, comme son gros mari.

Robespierre Ceux qui restent…

Danton … se terrent ou ont émigré. Maxime, il est temps de faire la paix.

Robespierre Où est passé ton élan républicain, Danton ? La flamme révolutionnaire a embrasé le pays à la...

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