Les personnages évolueront sur plusieurs mois. Le passage d'un appartement à l'autre ne respecte pas de façon précise le déroulement du temps. Il peut s'être déroulé un jour comme une semaine ou bien un mois entre chaque scène.
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CHAMBRE DE BONNE PIERRE
Dans le noir le bruit de quelques frappes caractéristiques, mais très irrégulières d'une vieille machine à écrire. (Remington) ainsi que le bruit d’une douche qui coule.
Lumière progressive. Nous découvrons la chambre de bonne. À peu près 15 m2. Des manuscrits et des feuilles volantes entassés de-ci, de-là. PIERRE, de dos, tape de façon très irrégulière sur sa machine...en off
OFF HELENE - J’ai encore envie...
PIERRE - Non ! Non ! Non !
OFF HELENE - Merci, c’est charmant.
PIERRE - J’en ai assez !
Hélène apparaît avec juste une serviette autour de son corps, les épaules encore mouillées.
HELENE - C’est à moi que tu parles ?
PIERRE - Hum ?
HELENE - C’est à moi que tu disais : l’imitant : j’en ai assez ?
PIERRE - Mais non ! Écoute Hélène, ce n’est pas le moment. Il faut absolument que je remette au moins un chapitre de ce foutu roman.
HELENE - Et alors ?
PIERRE - Et alors ? Je n’arrive même pas à commencer la première page. Je suis à sec. Totalement à sec.
HELENE - Et bien justement. Ca va te détendre. Allez, viens…
PIERRE - De toute façon, j’ai promis de ne pas rentrer tard. Attention où tu marches s’il te plaît !
HELENE - Quelle idée aussi de mettre ces feuilles sur le sol.
PIERRE - C’est ma façon de travailler. De cette façon, j’ai une vision globale de la progression de mon histoire.
Il se lève, nous découvrons qu’en fait de Remington, il s’agit d’un ordinateur portable dernier cri. Hélène le saisit par la main et l’entraîne sur le canapé-lit.
HELENE - Entendu. Mais avant, tu me refais magnifiquement l’amour.
PIERRE - Ecoute Hélène...je t’ai déjà dit que…
HELENE - Que ce n’était pas le moment. Je ne suis pas encore sourde. Embrasse-moi…
PIERRE l’embrasse
- Je te reverrai quand ?
PIERRE - Et bien...demain...heu, non pas demain, j’emmène les enfants à leur cours de dessin. Jeudi ! Tu peux rester dormir si tu veux.
HELENE - Sans toi ce n’est pas la même chose.
PIERRE - A Jeudi…
Il lui dépose un baiser sur les lèvres
APPARTEMENT BERTRAND
Bertrand est en train de corriger des copies. Deux tas impressionnants se dressent à ses côtés. Derrière lui, un désordre de plantes vertes et surtout, beaucoup, beaucoup de livres.
BERTRAND - Affligeant…6. Désespérant…5. Nul…2….il délaisse un temps ses copies et pose son regard sur une plante Pourquoi n'y ai-je pas pensé ?
- Il saisit son téléphone et compose un numéro.
- Allo ! Pierre, salut c'est moi, Bertrand. T'as une drôle de voix mon vieux…la scarlatine. Tu l'as attrapée ? … alors, ça va; enfin, je veux dire pour les enfants c'est une étape un peu obligatoire, on n'appelle pas ces maladies, infantiles, pour rien non plus. Temps Pierre, j'ai absolument besoin de te voir …Oui, maintenant, je sais qu'il est très tard... Fais vite s’il te plaît...
Il raccroche et se dirige vers la salle de bain. Réapparaît, enclenche un disque (Requiem Mozart ou Fauré) et retourne dans la salle de bain en sifflotant. Noir très court. Il sort en peignoir, vient s'allonger sur son sofa. Se redresse, se sert une grosse gorgée qu'il avale d'un trait et se rallonge. Se redresse à nouveau, remplit à nouveau son verre à ras bord et boit d'une traite. Se rallonge. Seul le requiem envahit l'atmosphère.
Noir
Pierre pénètre dans l'appartement. Bertrand fait signe à Pierre de s’approcher d’un drap qui recouvre un objet. Bertrand découvre le drap. Une plante se trouve en dessous. Il s'approche et s'éloigne de la plante, l'observant sans retenue.
BERTRAND - Extraordinaire non ?
PIERRE - ... C'est une plante. Ne me dis pas que tu m'as fait traverser cette ville à toute allure pour me montrer une plante ?
BERTRAND - Elle est bien plus que cela.
PIERRE - En apparence pourtant je t'assure qu'elle ne fait penser à rien d'autre qu'une plante.
BERTRAND - Oublie les apparences et écoute-moi.
PIERRE Tendu - Je t'en prie…
BERTRAND - Et bien cette plante qui se trouve devant toi, est une horloge.
PIERRE - Une horloge ...Tu es certain que ça va ?
BERTRAND - Une horloge d'un type particulier je te l'accorde, mais une horloge tout de même.
PIERRE - Qu'est-ce que tu racontes ? C'est une plante, avec des feuilles, comme une plante.
BERTRAND - Elle est bien, bien plus que cela.
PIERRE - Je sais, tu viens de me dire que c'est une horloge. Bertrand. Si en plus, tu m'annonces que cette plante a des pouvoirs surnaturels ou autre chose de ce genre, je te préviens, je pique une colère. Je te rappelle que j'ai traversé cette ville en prenant des risques énormes.
BERTRAND - Et je t'en remercie infiniment, vieux frère. Assieds-toi. Ce que j'ai à te dire tient de…l'exceptionnel.
PIERRE - Vue l’heure qu’il est, c’est un minimum.
BERTRAND - Grâce à cette plante, je viens enfin, de trouver la lumière.
PIERRE - La lumière ?... Grâce à ta plante verte ? Bertrand ...
BERTRAND - Tropicale. C'est une plante tropicale. Malayalam tallipat. Tallipot si tu préfères.
PIERRE - Je n'ai pas de préférence.
BERTRAND - On la trouve généralement en Chine, mais celle-ci vient de l'île Maurice. Tu sais, on ne prend jamais assez de temps pour observer l'essentiel.
PIERRE - Bertrand !
BERTRAND - Oui ?
PIERRE - Va ... À l’essentiel.
BERTRAND - Tu as raison... la plante que tu as sous les yeux, possède en elle une fleur qui met, à quelques années près, 60 ans pour éclore.
PIERRE - ...C'est ce qui s'appelle se faire désirer. Et ?
BERTRAND - Et elle meurt dans la journée.
PIERRE - C’est ballot !
BERTRAND - Le secret de la vie. Bertrand invite Pierre à s'asseoir Tu vas comprendre, observe.
PIERRE - Observe ? Que veux-tu que j'observe ?
BERTRAND - Elle...
PIERRE - Bertrand ! Je ne suis pas venu à cette heure pour observer pousser une plante !
BERTRAND - Chut ! Le moment est solennel.
PIERRE - Solennel…Mais il est complètement… Et tu sais quand sa fleur va éclore au moins ?
BERTRAND - Non.
PIERRE - Non ?
BERTRAND - Non.
PIERRE - Mais tu te fiches de moi !
BERTRAND - C'est la raison pour laquelle je t'ai demandé de venir au plus vite. Je m'en voudrais de te faire manquer un pareil spectacle.
PIERRE - On ne va tout de même pas rester en faction devant une plante sans savoir à quel moment sa fleur est censée éclore ?
BERTRAND - C'est très important d'assister à la naissance d'un miracle.
PIERRE - Ce n'est qu'une plante Bertrand ! Avec une particularité sans doute rare, je te l'accorde, mais elle demeure une plante. Il est tard, je me lève tôt demain...
BERTRAND - Elle est bien plus que cela. Elle est un guide, un repère de ce que devraient être nos vies. Il n'existe pas de plus délicieux moments que ceux dans lesquels on profite pleinement de ce que l'on va perdre.
PIERRE - Qu'est-ce que tu racontes ?
BERTRAND - Grâce à cette merveille, j'ai trouvé la solution, Pierre.
PIERRE - La solution a quoi ?
BERTRAND - A l'amour !
PIERRE - A l'amour … Tu me fais tout ce cirque pour me dire que tu as trouvé la solution à l'amour ?
BERTRAND - Oui...Tout homme a besoin de limites pour se sentir libre.
PIERRE - Si tu veux tout savoir, je suis en train d’atteindre les miennes...je t’appelle, salut !
BERTRAND - Attend ! ...Une femme malade est l'unique solution pour faire vivre l'amour le plus intensément possible ! L'amour ainsi compressé devient un amour haut de gamme.
PIERRE - Tu plaisantes ?
BERTRAND - Non.
PIERRE - Bertrand ?
BERTRAND - Oui ?
PIERRE - Tu es sérieux ?
BERTRAND - Oui.
PIERRE - Quand tu dis malade, vraiment malade ?
BERTRAND - Oui, vraiment malade.
PIERRE - Mon ami est fou. Mon meilleur ami est complètement fou.
BERTRAND - La compression augmente la densité, Pierre. C'est une loi physique.
PIERRE - On ne peut appliquer une loi physique sur des sentiments. T'es malade !
BERTRAND - Pourquoi pas ?
PIERRE - C’est bien ce que je dis : Il est fou à lier.
BERTRAND - Je veux compresser mes sens et non les laisser se diluer dans le temps...Seul bémol à l'affaire, la médecine.
PIERRE - Quoi, la médecine ? Quoi, la médecine ? Quoi, la médecine ? Bertrand ? Tu délires là...
BERTRAND - Le progrès de la médecine est considérable aujourd'hui. N'importe quelle maladie ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Tout juste le petit octroi pour continuer sa route.
PIERRE - Si tu me trouves un individu qui n'est pas d'accord avec le progrès de la médecine, fais-moi signe.
BERTRAND - Rendez-nous immortels et il n'y aura plus de société.
PIERRE - Mais oui, bien sûr. Le voilà l'individu… Quand tu parles de maladie. Tu veux parler de quel genre de maladie ?
BERTRAND - Une maladie incurable. L'équation amour-temps-maladie est l'unique solution pour ne plus jamais laisser à la dérive nos sentiments. Alors ? Elle n’est pas fabuleuse ma découverte ?
PIERRE - Tu veux que je te dise, jusqu'à maintenant ta vie m'amusait, ton côté professeur tournesol, tes aventures avec tes élèves, mieux même, tu me faisais rêver, tu étais une sorte de repère de notre jeunesse évanouie. Tu étais mon album de photos à toi tout seul, mais ce que tu viens de me dire est ignoble. Souhaiter le mal de quelqu'un pour mieux l'aimer tient de la pure folie. Comme j'ai de l'estime pour toi je dirais que tu es plutôt irresponsable et que tu t'es enfermé avec tes crevettes depuis trop longtemps que, t'as oublié de respirer la vie, la vraie, celle de dehors.
BERTRAND - Astacus Leptodactylus si tu veux bien.
PIERRE - Pardon ?
BERTRAND Ce ne sont pas des crevettes, mais des astacus leptodactylus ou encore écrevisses.
Temps dans lequel Pierre cherche à mieux comprendre puis, cherchant l'humour comme une bouée
PIERRE - ...Et pour son physique, tu as aussi des critères particuliers ou bien elle peut être moche ?
BERTRAND - Malade, ma théorie se défend, moche ça peut devenir suspect. Je voudrais éviter le côté humanitaire si possible.
PIERRE - Je te comprends… Et tu as pensé à cette pauvre fille ? Tu vas lui dire pourquoi tu veux t'unir à elle ?
BERTRAND - Pas de suite, elle pourrait ne pas comprendre.
PIERRE - Tu crois... Et tu penses la rencontrer où ta malade ? Les gens ne se promènent pas avec leur état de santé autour du cou.
BERTRAND - J'ai pensé à passer une petite annonce.
PIERRE humour - Oui … c'est bien une petite annonce. Je la vois bien même. Homme, professeur de sciences, cherche femme atteinte d'une maladie incurable en vue d'un amour fou. Un bilan de santé sera exigé. C'est sûr, tu vas trouver.
BERTRAND - Je sais, ce n'est pas très strict comme démarche.
PIERRE regarde son ami avec la mine de celui qui ne sait plus qui est à côté de lui.
PIERRE - Tu ne penses pas que tu fausses l'amour en agissant de la sorte ?
BERTRAND - Au contraire ! Avec ma théorie, on arrête de remettre au lendemain. On privilégie l'instant. L'amour est un fruit qui doit être dévoré le jour même.
PIERRE - Et qui te dis que ton amour ne s'évanouira pas deux fois plus vite parce qu'il te reste deux fois moins de temps ?
BERTRAND - L'essentiel est dans l'effort, non ? Il n'y a rien de pire que le refus. Le jour où tu renonces, c'est la fin.
PIERRE - Je ne vois pas en quoi le fait d'être avec une femme en parfaite santé exprimerait le renoncement.
BERTRAND - Parce que l'existence de l'homme ne peut être grandiose que si elle s'exprime à travers des limites.
PIERRE - Laissons le fruit du hasard nous accompagner si tu veux bien.
BERTRAND - Justement non ! Ton fruit est pourri. Il est trop confortable si tu préfères. Il évite tout effort.
Long, très long silence…
- Tu m’en veux ? Je sens que tu m’en veux...
PIERRE - ...Tu m'annonces dans la même soirée que tu attends l'éclosion d'une fleur qui met soixante ans à naître et que tu es à la recherche d'une femme condamnée par une maladie incurable. Que veux-tu que je te dise ? Ce soir les mots n'ont plus guère de sens.
BERTRAND - Je suis sûr que ma théorie tient la route. Vraiment. Enfin, je parle pour moi, bien évidemment. Je sais que toi, enfin, vous, c'est différent,
PIERRE - N'exagère pas.
BERTRAND - Je vous ai toujours beaucoup admiré, tu sais.
PIERRE - Je sais...
BERTRAND - Irene va bien ?
PIERRE - Oui.
BERTRAND - Les enfants ?
PIERRE - A part la scarlatine pour Jeanne, ça va.
BERTRAND - Et ton roman ?
PIERRE - Seul au milieu d’un océan de mots, mais ça va, le bateau ne prend pas encore l’eau.
Long silence
BERTRAND - Tu es mon ami, mon vieil ami. Alors j’aime bien te savoir heureux.
PIERRE - Je sais... Et toi…tu es certain que ça va ?
BERTRAND - Je crois que, ça va aller maintenant...
PIERRE - Tant mieux mon Bertrand, tant mieux.
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CHAMBRE DE BONNE PIERRE
Pierre est devant son ordinateur. Il va pour taper plusieurs fois de suite, mais hésite et finalement se rétracte à chaque fois. Hélène est en déshabillé.
HELENE - "Votre futur, est déjà notre passé." C'est bien comme ça ?
PIERRE - Hum…
HELENE - Tu peux être un minimum à mon écoute s'il te plait ?
PIERRE - Hum…
HELENE - Je te demande juste 5 min de ton attention.
PIERRE - Tu ne vois pas que je travaille.
HELENE - A ce rythme tu ne vas pas l'user ton clavier.
PIERRE - On voit bien que tu ne sais pas ce que c'est que d'écrire.
HELENE - Je plaisante. Alors, tu m'écoutes ?
PIERRE - Je t'écoute.
HELENE - "Votre futur…c'est déjà notre passé". Alors ?
PIERRE - Oui. C'est bien.
HELENE - C'est tout.
PIERRE - Oui. C'est tout; que veux-tu que je te dise ?
HELENE - Je ne sais pas moi. Enfin. Tu penses que je fais bien passer le message ?
PIERRE - C'est de la pub, Hélène. Juste de la pub.
HELENE - Justement. Pour que je l'obtienne cette pub il faut que je sois bonne. Et si j'appuyais un peu sur le "votre" passé ?
PIERRE - Sans doute.
HELENE - Merci de ton aide.
Elle se rapproche, très tendre. Lui passe la main dans les cheveux. Pierre se retire.
HELENE - Et bien alors ? Qu'est ce qui t'arrive mon trésor ?
PIERRE - Ne m'appelle pas mon trésor.
HELENE - D'habitude tu…
PIERRE - D'habitude peut-être, mais pas là.
HELENE - T'inquiètes, tu vas y arriver. Ça arrive, aux meilleurs tu sais. Les plus grands ont connu la page blanche.
PIERRE - Merci. C'est gentil de ta part, mais je n'ai pas besoin de ta pitié.
Elle lui caresse les cheveux, il tourne la tête.
HELENE - Je te rappelle qu'on ne se voit que deux fois dans la semaine.
PIERRE - Je sais.
HELENE - Dis-moi ce qui ne va pas ? Je peux peut-être t'aider ? Je ne suis pas qu'une machine à baiser, tu sais.
PIERRE - Ce n'est pas le problème.
HELENE - D'accord mon chéri. D'accord.
PIERRE - Ne m'appelle pas mon chéri.
HELENE - Si au bout de trois ans on ne peut pas appeler "mon chéri" son chéri alors là…
PIERRE - Ne m'appelle pas mon chéri.
HELENE - Ca te gêne ?
PIERRE - Oui.
HELENE - Rapport à ta femme ? Monsieur n'assume pas.
PIERRE - Ne m'ennuie pas Hélène.
HELENE - Ne m'ennuie pas, ça veut dire, reste à ta place et ferme là c'est ça ?
PIERRE - Y a de ça.
HELENE - Tu crois que c'est facile pour moi.
PIERRE - Fallait choisir avant.
HELENE - Les sentiments ne choisissent pas l'instant où ils se mettent à vivre.
PIERRE - Ecoute, je te dis que ce n'est pas le moment. Tu peux comprendre ?
HELENE - Qu'est ce qu'il y a ?
Elle s'approche et lui passe langoureusement la main dans le dos
PIERRE - Hélène…arrête !
HELENE - Bon, d'accord. Je ne vois vraiment pas l'intérêt que je vienne ici si on ne fait plus rien.
Long silence
- Tu as bien regardé mes bas ? Les pointes et les talons sont renforcés, tout comme tu aimes...
PIERRE - Ca n'a rien à voir. N'insiste pas.
HELENE - Si même mes bas ne te font plus d'effet.
PIERRE - Hélène, s'il te plaît.
HELENE - Dis-moi ce qui te tracasse. Cela fait toujours du bien de parler. C’est ta femme ?
PIERRE - Non.
HELENE - Tes gosses ?
PIERRE - Non. C'est Bertrand.
HELENE - Bertrand ? Ton vieux copain ? Le prof qui vit avec des écrevisses et des plantes vertes ? Celui que tu dois me présenter, mais tu ne le fais pas, car tu as honte de moi.
PIERRE - Je n'ai pas honte de toi. L'occasion ne s'est jamais présentée.
HELENE - Les occasions, ça se provoque.
PIERRE - Il me croit fidèle.
HELENE - Tu veux dire que ton meilleur ami n'est pas au courant que tu trompes ta femme ?
PIERRE - Non. Et il a une telle image de mon couple que je n'ose pas. Ca peut te paraître idiot, mais je n'ai pas envie de lui faire de la peine.
HELENE - Voilà qui est mignon tout plein. L’écrivain mal léché aurait donc un petit coeur qui bat ? Comme c’est attendrissant.
PIERRE - Je suis inquiet. Il déconne à plein régime en ce moment.
HELENE - Ca veut dire quoi, déconner ? Tout le monde déconne un peu en ce bas monde.
PIERRE - Lui particulièrement. Il m'a appelé l'autre soir pour me parler d'une théorie sur l'amour.
HELENE - Et alors ?
PIERRE - Du pur délire.
HELENE - Raconte. C'est quoi sa théorie ?
PIERRE - Il veut se mettre en couple avec une fille malade.
HELENE - Une fille malade ?
PIERRE - Pas en bonne santé.
HELENE - J'avais compris. C’est plutôt bien ça. C’est son côté saint-bernard à ton copain.
PIERRE - Tu ne comprends pas. Je te dis vraiment malade. Une femme condamnée.
HELENE - Une condamnée ?
PIERRE - Il prétend que l'amour absolu ne peut exister qu’avec une personne qui doit mourir. Selon lui, de cette façon, tu vas à l'essentiel. Que « la compression du temps augmente la densité de l'amour. »
HELENE - C’est fort !
PIERRE - C’est surtout complètement fou!
HELENE - Tu lui as dit ce que tu en pensais ?
PIERRE - Je le lui ai dit. Mais il est têtu comme tu ne peux pas t'imaginer. Le parfait scientifique. Convaincu de son propos. Et à la fois, il est tellement touchant dans ses convictions.
HELENE - Mais toi, que penses-tu réellement de sa théorie ?
PIERRE - Et bien justement. Je pensais une chose et puis…Je ne pense plus forcément comme avant.
HELENE - Tu veux dire que tu es d'accord avec lui ?
PIERRE - Non, pas vraiment, mais…pour être tout a fait franc avec toi, un peu quand même.
HELENE - Comme disait le grand philosophe suédois. « Nul n'a raison, nul n'a tort. Il y a juste des idées qui circulent. »
Lui passant la main sur la poitrine
- A propos d’idées qui circulent…
PIERRE - Je ne sais pas si je vais être très performant. Je dois travailler sur mon roman...je dois...
HELENE - Te laisser aller, tu me laisses faire, tu oublies tout, tout, tout…
La lumière s’estompe. Ils s’embrassent…
APPARTEMENT BERTRAND
Sur fond de requiem. Bertrand corrige ses copies. Il se lève et arrose ses plantes. Il s'arrête particulièrement sur le Tallipot
BERTRAND - Je suis certain que cette idée va faire son chemin...
APPARTEMENT PIERRE
Hélène fume dans le lit. Pierre boit un café.
PIERRE - Et toi ?
HELENE - Comme d'habitude mon chéri, le pied, le grand et vrai pied. Celui qui t'envoie bien haut dans le ciel.
PIERRE - Non. Je voulais dire et toi, tu en penses quoi de sa théorie ?
HELENE - Sa théorie ?
PIERRE - La théorie de Bertrand !
HELENE - Désolée mais j'étais sur une autre théorie. D'ailleurs si cette théorie pouvait être de nouveau démontrée, j'avoue que j'en reprendrais bien…
PIERRE - Hélène, s'il te plaît.
HELENE - Cela te travaille tout ça.
PIERRE - Ca ne te choque pas alors ?
HELENE - Non. Je me demande juste, comment il compte s'y prendre pour la trouver sa malade ?
PIERRE - Je lui ai conseillé les hôpitaux.
HELENE - Logique. Malade, hôpitaux. Bravo. Je salue ton sens pratique.
PIERRE - Je ne sais pas si j’ai bien fait.
HELENE - Pourquoi ?
PIERRE - Il va tomber sur une pauvre fille qui va s'accrocher à lui, pensant …je ne sais quoi d'ailleurs.
HELENE - Et bien tant mieux.
PIERRE - Non ! Ils vont se faire très mal. Lui parce qu'il est dans sa sincérité et la fille parce qu'elle aura trouvé une bouée, juste une bouée. Les sentiments seront forcément tronqués.
HELENE - Ils ne peuvent pas être tronqués s'ils sont sincères.
PIERRE - Ils peuvent être sincèrement tronqués.
HELENE - Que veux-tu faire ?
PIERRE - Justement, je ne sais pas.
HELENE - Dis-moi plutôt si c’est bon si je le dis comme ça.
PIERRE - Quoi ?
HELENE - Mon texte ! Très suave « Votre futur, c’est déjà notre passé ! » alors ?
PIERRE - Je préfère.
HELENE - C'est vrai ?
PIERRE - Tu me demandes, je te dis.
HELENE - Tu sais, vraiment ça me barbe ces casting de pub.
PIERRE - A quand remonte ton dernier cachet ?
HELENE - Ca commence à faire un petit moment.
PIERRE - Alors, c’est très bien.
HELENE - Quand tu dis : « c'est très bien ». Tu penses que je ne peux pas prétendre à mieux, c'est bien cela ?
PIERRE - Pas du tout. Je pense réellement que c'est très bien. Tu n'as pas joué depuis longtemps, cela te fait un entraînement. Voilà.
HELENE - Hum…T'as raison. Alors comme ça tu aimes bien ?
PIERRE - Oui.
HELENE - Je vais le faire comme ça. On verra bien. Et puis tout le monde a tellement insisté pour me voir. Le réalisateur, l’agence…
Il la regarde avec insistance
- Pourquoi tu me regardes avec cet air là ?
PIERRE - Quel air ?
HELENE - Un petit air dépravé qui te donne un charme fou.
PIERRE - J'ai encore envie.
HELENE - Et bien pour un type qui ne se sentait pas très en forme.
PIERRE - Tu es si… désirable.
Pierre l'embrasse langoureusement
HELENE - Tu le sais que la moindre de tes caresses me fait frémir.
PIERRE - Oui... As-tu à t'en plaindre ?
HELENE - Hum…Non…
PIERRE - Alors, laisse-moi faire.
HELENE - Avec plaisir...
Pierre observe Hélène avec insistance, sûr de son pouvoir de séduction...
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Pendant la scène qui va suivre entre Hélène et Bertrand on voit dans une pénombre la silhouette de Pierre, scotchée devant son ordinateur qui frappe toujours de façon très très irrégulière, se lève, fait quelques pas, se rassoit, se lève de nouveau, se rassoit...
CHAMBRE BONNE PIERRE
PIERRE - Non ! Non ! Non ! Et merde tiens !
APPARTEMENT BERTRAND
BERTRAND - Laissez-moi regarder.
Elle ôte sa chaussure
- Cela vous fait mal si je manipule votre cheville ?
HELENE - Aie !
BERTRAND - Pourtant, elle ne semble pas enflée.
HELENE - C’est tellement stupide.
BERTRAND - Les accidents le sont le plus souvent, mais tout le plaisir est pour moi.
HELENE - Merci. Vous êtes gentil. Je suis vraiment désolée de vous importuner.
BERTRAND - Vous ne m’importunez pas.
HELENE - Vous devez avoir mille choses à faire.
BERTRAND - Non. Je vous assure.
HELENE - Vous semblez pourtant occupé.
BERTRAND - Ce sont des copies à corriger. Si elles sont toutes de la qualité des premières, je n’en aurai pas pour longtemps.
HELENE - Vous êtes professeur ?
BERTRAND - J’enseigne les sciences dans une université.
HELENE - Les sciences… ce doit être intéressant…j’aurais aimé pouvoir poursuivre mes études.
BERTRAND - Vous n’avez pas pu ?
HELENE - Pas véritablement.
BERTRAND - Et aujourd’hui ? Vous faites quoi dans la vie ?
HELENE - Un peu de tout.
BERTRAND - Et plus précisément ?
HELENE - ...Cette plante est de toute beauté.
BERTRAND - Enfin une personne digne de bon sens.
HELENE - Pourquoi dites-vous cela ?
BERTRAND - Mon ami trouve que c'est une vulgaire plante verte.
HELENE - Ah, vous avez une amie ?
BERTRAND - Non, pas du tout. Je voulais dire mon ami, mon meilleur ami. C'est un homme.
HELENE - Et bien, Il n'est pas très observateur votre meilleur ami.
BERTRAND - C'est un garçon pourtant sensible. Il est écrivain.
HELENE - Il est connu ?
BERTRAND - Disons qu'il a déjà été édité, il a même eu quelques prix. Il écrit très bien.
HELENE - Quel genre de littérature ?
BERTRAND - Plutôt…philosophique. Malheureusement, il est en panne en ce moment. Il est assez orgueilleux et ne supporte pas cette idée de ne plus en avoir. Bref, il est à fleur de peau et par conséquent malheureux.
HELENE - Donc vous l'êtes un peu aussi ?
BERTRAND - Oui.
HELENE - Vous l'aimez beaucoup votre ami ?
BERTRAND - Oui. Beaucoup.
HELENE - Il doit sans doute aussi beaucoup vous aimer ?
BERTRAND - Sans doute. Du moins, je l’espère. En tout cas, notre amitié fêtera prochainement ses … depuis le collège.
HELENE - C'est un bel âge.
BERTRAND - Oui. Mais, vous ne m’avez pas répondu.
HELENE - A propos ?
BERTRAND - Votre travail. Peut être suis-je trop indiscret ? Vous travaillez dans les services secrets ?
HELENE - Non. En réalité, je ne peux plus travailler. Je suis un peu « hors jeu ».
BERTRAND - C'est-à-dire ?
Hélène le dévisage assez longuement et se lance…
HELENE - ...Je suis atteinte d’une maladie orpheline. Une maladie dégénérative. Nous ne sommes que huit cas dans le monde. Moi qui aie toujours aimé me distinguer, je suis servie.
Bertrand explose de rire.
BERTRAND - Je ne vous crois pas…
HELENE - Pardon ?
Puis, Confus
BERTRAND - Heu…Pardonnez-moi.
HELENE Offusquée - Vous avez sans doute une explication ?
BERTRAND - Une explication ?
HELENE - Oui, je vous dévoile une partie intime, extrêmement douloureuse de ma vie et cela génère en vous un éclat de rire. Je ne comprends pas ?
BERTRAND - Je…je suis désolé. C’est stupide.
HELENE - C’est entendu. Vous êtes désolé et cela est stupide. Mais vous ne me donnez toujours pas d’explication.
BERTRAND - …Voilà. Il se trouve que j’ai développé une théorie, en fait pas vraiment, mais…
HELENE - Ce n’est pas clair. Quelle théorie ? Une théorie sur quoi ?
BERTRAND - Heu…c'est-à-dire que…
HELENE - Laissez. Temps Elle fait des fleurs votre plante ?
BERTRAND - Oui…une.
HELENE - Une seule fleur ?
BERTRAND - Oui. Et qui fleurira en une journée.
HELENE - Comme c’est romantique.
BERTRAND - Je suis navré pour mon impertinence,
HELENE - Je vous en prie. Vous devez avoir une bonne raison, ou pas...Cela n'a pas d'importance.
BERTRAND - Si, bien sûr que si que cela a de l'importance. C'est tout à fait stupide et je m'en veux terriblement, mademoiselle…Je ne sais même pas votre nom ?
HELENE - Je m’appelle Hélène Marchal.
BERTRAND - Enchanté Hélène. Je m’appelle Bertrand. Bertrand Seller.
HELENE - Vous êtes de la famille des pianos ?
BERTRAND - Par alliance. Une branche du côté de ma mère.
HELENE - Celui-ci fait partie de la branche ?
BERTRAND - Oui, mais totalement désaccordé. Il sonne comme une pierre rebondit sur le lit de la rivière.
HELENE - Je me débrouille dans ce genre de chose. Si vous le voulez, je pourrais y jeter un coup d’œil.
BERTRAND - Vous êtes dans la musique ? C'est bien cela ? Musicienne ?
HELENE - De cœur. L'idée de jouer en public me paralyse.
BERTRAND - Vous êtes timide ?
HELENE - Je préfère regarder où je pose mon pied que regarder où je pose mon âme.
BERTRAND - C'est très joli.
HELENE - Ce n'est pas de moi.
BERTRAND - C'est joli quand même.
Long silence
BERTRAND - Il y a longtemps que vous savez pour…votre maladie ?
HELENE - Non. En fait, c’est assez récent. Très, très récent même. Je ne m'y attendais pas.
BERTRAND - Malheureusement, ce genre de chose ne prévient pas.
HELENE - Non. Ca c'est le moins que l'on puisse en dire.
BERTRAND - J'imagine que cela vous a fait un choc ?
HELENE - On peut dire cela comme ça.
BERTRAND - C’est incroyable...
HELENE - Qu'est-ce qui est incroyable ?
BERTRAND - Que vous soyez là. Je veux dire que vous vous fouliez la cheville devant chez moi. C’est incroyable. Merveilleusement incroyable.
HELENE - Le destin sans doute.
BERTRAND - Il est sublime alors…
HELENE - J'avoue depuis peu avoir quelques désillusions sur le côté sublime des choses.
BERTRAND - Ne dites pas cela Hélène, je vous en prie.
HELENE - Vous avez raison. Un temps assez long C'est sympa chez vous. C'est bien comme ça qu'on dit ?
BERTRAND - On le dit si on le pense.
HELENE - Je le pense.
BERTRAND - En ce cas, vous êtes la bienvenue.
Elle s’approche de lui, encore, encore plus près, tend ses lèvres
HELENE - C'est étrange…
BERTRAND - Oui ?
HELENE - J'ai très envie de vous embrasser Bertrand.
BERTRAND - Ah ?
HELENE - Puis, plus,
BERTRAND - Ah…
HELENE - Puis de nouveau, et …
BERTRAND - Et finalement vous vous décider pour ?
HELENE - Partir.
BERTRAND - Ah ?
HELENE - Je dois partir.
BERTRAND - J’ai dit encore une bêtise ?
HELENE - Cela n'a rien avoir avec vous. J'ai un rendez-vous très important qu'il m'est impossible de reporter. Vous aviez presque réussi à me le faire oublier. Je…je vous appelle. Promis. Vous aimez les impressionnistes ?
BERTRAND - Pardon ?
HELENE - Il y a en ce moment aux palais des arts une exposition sur les impressionnistes parait-il extraordinaire. Cela vous tente ? Vous m’expliquerez votre théorie sur le chemin.
BERTRAND - Oui.
Elle se dirige vers la porte, se retourne et laisse tomber son écharpe.
- Cela me fera une excuse.
Hélène sort. Bertrand ramasse l'écharpe et se caresse doucement la joue avec.
BERTRAND - Comme la vie peut être étrange parfois… Bon ! Prends cela comme un cadeau et n'imagine rien de plus.
Il saisit un tas de copies.
- Alors, voyons voir…L’écrevisse à pattes rouges (Astacus astacus), également connue sous l’appellation « pieds rouges », est une espèce se rencontrant en Europe occidentale, centrale et orientale. Bien ! Elle est notamment présente dans les ruisseaux et les étangs le genre Astacus comprend trois espèces :Astacus astacus, écrevisse à pattes rouges. Astacus leptodactylus, écrevisse à pattes grèles ou écrevisse turque. Astacus palipes ou Austropotamobius palipes, écrevisse à pattes blanches. Les deux premières sont susceptibles de s'hybrider. Excellent ! 17
CHAMBRE DE BONNE PIERRE
Elle lui caresse les cheveux. Il l’embrasse.
HELENE - Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce sourire sur ton visage.
PIERRE - Cela fait longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien.
HELENE - Tu es heureux pour ton ami ?
PIERRE- Pour lui, pour toi. …Tout le monde trouve son compte dans ce petit mensonge.
HELENE - Petit mensonge…
PIERRE- Il rêve, tu joues, là est l'essentiel.
HELENE - Je crois bien que je ferais n'importe quoi pour toi.
PIERRE - Je t'adore.
HELENE - D'ailleurs, C'est assez effrayant quand on y pense.
PIERRE - Quoi donc ?
HELENE - De faire n'importe quoi pour une personne.
PIERRE - Je ne suis pas n'importe quelle personne.
HELENE - Non, je te l'accorde. Tu n'es pas le modèle courant. N'empêche. Je n'aurai jamais cru dépendre sexuellement d'un homme. Temps Pierre ?
PIERRE - Hum ?
HELENE - Tu m'aimes un peu quand même ?
PIERRE - Bien sûr.
HELENE - Comme on aime une maîtresse…
PIERRE - Tu es ma maîtresse.
HELENE - Tu aimes quand je te fais l'amour ?
Pas de réponse
- Oui, bien sûr, sinon je ne serais plus ta maîtresse.
PIERRE - Bon raisonnement.
HELENE - Tu ne veux pas juste faire un peu comme si tu m'aimais ?
PIERRE - Je t'aime.
HELENE - C'est vrai ?
PIERRE - Mais oui, c'est vrai.
HELENE - Je veux bien te croire un peu. Tu vois, les femmes ne sont pas si compliquées qu'on veut bien le rapporter. Il suffit juste de nous dire ce que l'on veut entendre et tout va bien. Tu ne veux pas me le redire un petit coup ?
PIERRE - Je t'aime...
HELENE - Bah tu vois ça me suffit.
Temps assez long dans lequel Hélène semble flotter, heureuse…
PIERRE - Et... tu lui as dit comme ça ?
HELENE - Dis quoi ? A qui ?
PIERRE - A Bertrand.
HELENE - Excuse-moi, mais je pensais à nous. Temps Non, je ne lui ai pas dit comme ça. Enfin, un peu quand même. Parce que, quand il m'a demandé ce que je faisais dans la vie, j'ai inventé au fur et à mesure que ça me venait. Et c'est venu assez vite.
PIERRE - Et qu'est-ce que tu lui as dit au juste?
HELENE - Et bien ce qu'il voulait entendre. Une maladie incurable. Comme de toute façon il fallait lui dire à un moment ou à un autre, j'ai pensé que le plus tôt serait le mieux.
PIERRE - Et il t'a cru ?
HELENE - Dis donc, tu ne serais pas en train de mettre en cause mes talents de comédienne ?
PIERRE - C'est juste pour savoir, c'est tout.
HELENE - Et bien tu le sais.
PIERRE - Alors il a marché ?
HELENE - Je viens de te le dire. Il a marché, à fond !
PIERRE - A fond…
HELENE - A fond.
PIERRE - C'est bien.
HELENE - Mieux que ça. On dit : tu es la plus extra-or-di-naire comédienne que je n'aie jamais rencontrée. Allez ! Répète !
Elle le chatouille
PIERRE - Arrête !
HELENE - On dit : Hélène Capri, vous êtes la plus extraordinaire comédienne que je n'aie jamais rencontrée.
PIERRE - Voilà.
HELENE - Non, pas voilà. Dis-le ! Dis-le ou je te fais l'amour sur le champ.
PIERRE - Tu es la plus extraordinaire comédienne que je n'aie jamais rencontrée.
HELENE - Voilà !
Durant la scène qui va suivre entre PIERRE et BERTRAND on verra en parallèle, HELENE dans la chambre de bonne de PIERRE.
CHAMBRE DE BONNE PIERRE
HELENE, devant la psyché, s’appuyant sur une canne d’un côté, puis de l’autre. Elle joue.
HELENE - Ca va aller, ça va aller, je vous remercie, Bertrand. Vous êtes décidément très gentil. Aie ! Non, ce n’est rien. Merci…
Elle se regarde un long moment dans la psyché. D’abord, exsangue, un sourire va petit à petit imprimer son visage.
APPARTEMENT BERTRAND
PIERRE - Et tu l'as rencontré à l'hôpital ?
BERTRAND - Même pas. La providence mon vieux. La providence a frappé à ma porte. J'allais sortir et je suis tombé sur elle. Devant le seuil de la porte de l'immeuble. Incroyable n'est ce pas ?
PIERRE - Incroyable…
BERTRAND - Tu dis ça comme si c'était tout naturel.
PIERRE - Je dis que c'est incroyable, que faut-il que je dise ?
BERTRAND -Il est banal ton incroyable.
PIERRE - Bon. Vas-y, raconte ! Elle est comment ?
BERTRAND - Comme je la rêvais…enfin, je veux dire, comme je me l'imaginais,
PIERRE - Et, comment avez-vous fait ?
BERTRAND - Très simplement. Comme si l'histoire était…évidente. C'est ça, évidente. Presque écrite.
PIERRE - Et …
BERTRAND -Oui ?
PIERRE - Niveau ?
BERTRAND - Tu veux savoir si nous avons fait l’amour ?
PIERRE -Oui.
BERTRAND - On ne s’est vu qu'une fois. Mais nous devons nous revoir pour aller à une exposition de peinture. De toute façon, je ne suis pas pressé. Ce n'est pas le but non plus.
PIERRE - Tu as raison. Ce n'est pas le but.
BERTRAND - La vie est …savoureuse Pierre.
PIERRE - Savoureuse…
BERTRAND - Tu bois quelque chose ?
PIERRE -Oui. Merci.
BERTRAND - Et toi ? Ca va ? Oui, comme d’habitude. Ca va toujours toi.
PIERRE -Exactement.
BERTRAND -Tu sais Pierre, avouer que tu n’es pas en grande forme n’est pas un aveu de faiblesse.
PIERRE - Mais je vais très bien ! Tu es pénible quand même.
BERTRAND -Tu me le dirais sinon ?
PIERRE -Bien sûr.
BERTRAND -Avec Irène, ça va ?
PIERRE -Mais oui.
BERTRAND -Et les enfants ?
PIERRE -En pleine forme.
BERTRAND -Et ton bouquin ?
PIERRE -Il avance, il avance.
BERTRAND -Bon. Tant mieux. Je pourrais lire quelques chapitres avant que tu ne le rendes à ton éditeur ?
PIERRE -Oui, oui. On verra. Bertrand ?
BERTRAND -Oui ?
PIERRE -Tu es heureux toi ?
BERTRAND -Comment ne pas l'être ? Je te parle d'une théorie et quelques jours plus tard elle se trouve devant moi.
PIERRE - Je suis content pour toi mon vieux.
BERTRAND - Ne bouge pas. J'ai acheté un petit single malt 18 ans d'âge. Tu m'en diras des nouvelles. De l’irlandais. Extrêmement tourbé. Un pur bonheur.
PIERRE - Envoie le bonheur alors...
CHAMBRE BONNE PIERRE
Pierre est devant son ordinateur. Exsangue.
HELENE - Ca va mon chéri ?
PIERRE -…Oui.
Elle s'approche pour embrasser Pierre qui reste de marbre
HELENE - Ca n'a pas l'air. Qu'est-ce qui ne va pas ?
PIERRE - Non. Rien.
HELENE - Il prend de la place ton rien.
PIERRE - J'ai vu Bertrand. Il est à fond dans cette histoire.
HELENE - Faut dire aussi que je mets le paquet.
PIERRE - Je me demande si c'est une bonne chose...
HELENE - Ne me dis pas que tu regrettes. Pierre, je te rappelle que c’est toi qui m’a demandé de jouer ce rôle pour ton ami.
PIERRE - Je sais.
HELENE - Alors soit heureux.
PIERRE - A la fois, je le suis et puis, pas vraiment...
HELENE - Tu as été à son écoute, comme tout ami, digne de ce nom, se doit de l'être. Je te rappelle que ce sont tes propres mots.
PIERRE - Je sais, je sais tout ça.
Elle se fait louve, mais Pierre demeure impassible
- Excuse-moi.
HELENE - Sois tranquille. J'ai les choses en main. On s’amuse un peu.
PIERRE - Mais jusqu’où tout ça va aller ?
HELENE - On verra bien. Laissons faire la vie. Et puis de toi à moi, même s’il n’est pas cher payé, je commence à l'aimer ce rôle. Alors, laisse-moi encore m'amuser.
La sonnerie du téléphone portable de PIERRE retentit. PIERRE regarde.
PIERRE - Ma femme.
HELENE - réponds...
Hélène lui dépose 1000 baisers.
PIERRE - Non.
Tandis qu’elle lui embrasse le torse, PIERRE jette un oeil à son téléphone
HELENE - Je te dis de répondre.
PIERRE - Non, c’est bon. Je regarde juste si elle laisse un message.
La sonnerie de la messagerie retentit
HELENE - Je confirme. Il y a un message.
PIERRE - Je l’écouterai plus tard..
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Durant la scène entre Hélène et Bertrand, on distingue dans la pénombre de la chambre de bonne, Pierre, scotché devant son ordinateur qui frappe toujours de façon très très irrégulière.
PIERRE - Non...C'est mauvais ! C'est mauvais !
Il se lève, fait les cent pas et s’écroule sur le canapé et se prenant la tête entre les mains.
APPARTEMENT BERTRAND
Hélène et Bertrand reviennent d'une exposition
HELENE - Comment voulez-vous nier l'évidence ?
BERTRAND - Quelque chose, l'instinct sans doute, me permet de douter de cette évidence
HELENE - On ne peut à la fois douter et constater ce qui apparaît évident. Pardonnez-moi, mais je trouve que c'est idiot.
BERTRAND - Comme vous y allez ! Je trouve cela plutôt sain de douter. L'homme a toujours tendance à se méfier des idées des autres alors que ce sont ses propres idées qui sont les murs de sa prison. Et je sais de quoi je parle.
HELENE - Je ne vois pas ce que vous voulez dire ?
BERTRAND - Le danger vient de nos convictions. C'est pour cela que je trouve plutôt sain de contrarier sa propre pensée. Sain et honnête.
HELENE - Seriez-vous en train d'insinuer que je suis malhonnête ?
BERTRAND - Lorsque vous refusez de contrarier ce qui vous semble l'évidence, un peu. Sans compter que parler d'évidence à propos d'une œuvre d'art, est terriblement présomptueux.
HELENE - Si vous allez par là, rien que le fait de discuter à propos de l'art est présomptueux.
BERTRAND - Je vous l'accorde.
Bertrand marque un temps dans lequel il plonge son regard dans celui d'Hélène. Un large sourire imprime son visage.
HELENE - Bertrand ?
BERTRAND - Oui ?
HELENE - Ça va ? Vous ne vous sentez pas bien ?
BERTRAND - Au contraire. Je me sens merveilleusement bien. Je vous en prie, déshabillez-vous.
HELENE - C'est votre fantasme ?
BERTRAND - Pardon ?
HELENE - Nous n'avons pas encore atteint le salon que vous me demandez de me déshabiller, alors j'en déduis que ce doit être l'un de vos fantasmes.
BERTRAND - Pardonnez-moi, je me suis mal exprimé. Je pensais que vous souhaitiez …enfin, pour que vous vous mettiez à l’aise …
HELENE - Vous semblez si différent subitement.
BERTRAND - Je suis désolé. Je propose qu'on recommence. D'accord ?
HELENE - Qu'on recommence quoi ?
BERTRAND - Faisons comme si nous n'étions pas encore entrés dans l'appartement.
HELENE - Vous êtes un drôle de type Bertrand. Mais, je ne suis pas contre un peu de folie dans la vie. Elle est trop courte.
Ils ressortent puis pénètrent a nouveau dans l'appartement.
BERTRAND - Je vous en prie.
HELENE Jouant - Hum ! Sympa.
BERTRAND - Merci.
HELENE - C'est … propre.
BERTRAND - Je reconnais être un brin maniaque.
HELENE - Il faudrait que je m'y mette aussi chez moi, c'est dans un état. Je ne sais pas si c'est le temps ou bien mon état, mais sans soleil j'ai le courage qui s'évanouit.
BERTRAND - C'est normal, c'est l'automne. L'automne est la saison dans laquelle les gens dépriment toujours un peu. Les premiers froids, il fait nuit tôt, les rhumes sévissent.
Rires complices
BERTRAND - Hélène ?
HELENE - Oui ?
BERTRAND - Je crois que je vous aime.
HELENE - Il ne faut pas.
BERTRAND - Non.
HELENE - Voilà qui est plus raisonnable.
BERTRAND - Non. Je disais, non. Je ne crois pas, je suis certain de vous aimer. J’aime tout de vous. Vos cheveux, votre dos, vos hanches, vos jambes, j’aime le lobe de vos oreilles, c'est très rare d'avoir de beaux lobes. J'aime vos yeux, vos lèvres, vos mains, J'aime, j'aime…la vénusté de votre corps.
HELENE - Vous ne l'avez jamais vu.
BERTRAND - Nos rêves sont les actes manqués de notre morale. Ils matérialisent l'indicible.
HELENE - Poète...
BERTRAND - Réaliste. Au moins sincère.
HELENE - Vous voulez dire que j'ai hanté réellement vos nuits depuis la dernière fois que nous nous sommes vus ?
BERTRAND - Mes nuits, mes jours, mes absences.
HELENE (troublée) - On ne m'a jamais fait la cour de cette façon.
BERTRAND - Vous me préféreriez plus direct ? Plus cru peut-être ?
HELENE - Non, c'est agréable. J'ai l'impression que…vous essayez de me connaître de l'intérieur.
BERTRAND - Pour comprendre les fleurs, il faut toujours remonter à leurs racines.
HELENE - ...Tous vos mots sont beaux Bertrand.
BERTRAND - Parce que vous êtes, belle...Hélène.
Bertrand tente de l'embrasser
HELENE - C'est impossible.
BERTRAND - Pourquoi cela ?
HELENE - Il y a plein de raisons…
BERTRAND - Oui ?
HELENE -Et bien…pour commencer... nous avons visité deux expositions et sur chacune nos avis divergent.
BERTRAND - Ne pas être du même avis, c'est déjà partager quelque chose.
HELENE - Soit, mais, il existe encore plein d'autres raisons…
BERTRAND - Lesquelles ? Ces choses se vivent de l'intérieur. On ne peut les expliquer.
HELENE -Puisqu'il faut vous mettre les points sur les ii. Je vous rappelle que je ne suis pas votre futur Bertrand.
BERTRAND - Le futur ne se vit que d'une manière, au présent ! Laissez-moi vous aimer.
HELENE - Je n'en ai pas le droit.
BERTRAND - Pourquoi ?
HELENE - Et bien… parce que, la société moderne exige de la femme qu'elle réponde à l'attente et aux rêves de l'homme. Je ne réponds plus à grand-chose.
BERTRAND - Je me fiche de la société moderne.
HELENE - Les bons sentiments ne font pas forcément de bons amours.
BERTRAND - Mais ils n'en font pas de mauvais non plus.
HELENE - Pourquoi moi ? Je n'ai rien de très…
BERTRAND - Vous avez tout de très…
HELENE - Je dois vous prévenir, j'ai le moral aussi fluctuant que le cours de la bourse.
BERTRAND - Cela ne me fait pas peur, j'ai toujours su miser sur les bonnes actions. Un sixième sens sans doute.
HELENE - Vous avez réponse à tout.
BERTRAND - Ma motivation est grande.
HELENE - Vous savez Bertrand. Vivre avec une personne malade ce n'est pas vivre, c'est survivre. C'est une mauvaise association. On respire pour deux, on pense pour deux parce que l'autre traîne sa misérable vie. La vie est un kaléidoscope, le mien n'a plus qu'une face. Vouloir s'y projeter tiendrait de la pure folie.
BERTRAND - Et passer à côté de l'amour de sa vie, n'est-ce pas cela qui serait le plus fou ?
HELENE - Attendons encore un peu voulez-vous avant de parler d'amour ?
BERTRAND - Entendu. Mais, juste un peu.
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Différents tableaux dans lesquels on voit Hélène et Bertrand aux musées, aux concerts de plus en plus complices…
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PIERRE - Et...avec ?
BERTRAND - Tu veux dire Helene…
PIERRE - Oui.
BERTRAND - Cette fille est tombée du ciel au moment où je ne m’y attendais le moins. Elle me bouleverse.
PIERRE - …
BERTRAND - Si nous en avions le temps, je crois que je lui ferais un enfant.
PIERRE - Tu plaisantes ?
BERTRAND - Non pourquoi ? Tu en as bien toi des enfants. Il est temps que je m’y mette.
PIERRE - M’enfin pas avec cette fille !
BERTRAND - Et pourquoi pas avec cette fille ? D’abord tu ne la connais pas alors je ne te permets pas de parler de cette façon …
PIERRE - Tu as raison. Je suis désolé. Oui; c’est totalement absurde je parle d’une personne que je ne connais pas. C’est stupide.
BERTRAND - On dirait que cette histoire te gêne ?
PIERRE - ...non. Je...suis parfaitement heureux pour toi mais c’est juste que, comme tu as dit qu’elle était ...malade, je me dis que ce n’est peut-être pas la meilleure des solutions.
BERTRAND - Mon vieux j’invente une théorie pour...enfin, j’invente une théorie et elle vient frapper à ma porte. Je t’avoue que je ne la pensais pas si...jolie ma théorie. Laisse-moi un peu de temps et je te la présenterai.
PIERRE - Ca ne presse pas.
BERTRAND - ...Sinon, les idées fusent monsieur l’écrivain ?
PIERRE - Tu ne vas pas me demander cela à chaque fois que l’on se voit ! Bertrand !
BERTRAND - Tu as raison. Désolé. Une petite vodka, pour changer ?
PIERRE - Avec plaisir !
Bertrand sort deux verres, une bouteille de vodka. Ils trinquent.
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CHAMBRE DE BONNE PIERRE
Pierre travaille sur son ordinateur. Le bruit de la frappe imitation Remington résonne pour la première fois de façon régulière. Pendant ce temps on voit Hélène qui marche à l'aide d'une canne. Elle s'arrête face à la psyché, prend la pose.
HELENE - Ca va aller, ça va aller, je vous remercie, Bertrand.
PIERRE - Qu'est ce que tu fiches avec cette canne ?
HELENE -Je travaille mon rôle.
PIERRE - Ca fait peut-être beaucoup ?
HELENE - L'accessoire est une composante importante de la création d'un rôle.
PIERRE - N'exagère pas.
HELENE - Tu veux ou ne veux pas qu'il y croit ?
PIERRE - Oui, mais tu m'as dit qu'il t'avait cru, c'est bon.
HELENE - Mais non ! Cela ne suffit pas. Ma maladie progresse.
Elle boitille et fait mine de souffrir…
PIERRE - Arrête !
HELENE - Toi, tu as un problème avec ta conscience.
PIERRE - Fiche-lui la paix à ma conscience.
HELENE - Remarque, ce serait logique. Parce que ton copain, il est à fond dans son délire. S'en est touchant tellement il y croit. Quel dommage que ce ne soit pas filmé. Du grand art je t'assure.
Pierre frappe de façon frénétique sur sa "Remington"
- Et toi ? Ca avance mon chéri ? Ca a l'air.
Pierre ne répond pas et continue de taper sur son ordinateur
- Pas de réponse, le grand auteur est dans une extrême concentration.
Elle tente de lire par-dessus les épaules de Pierre.
PIERRE - Ne fais pas cela tu sais très bien que ça m'énerve !
HELENE - Oh !!! Mais il parle ? Comme c'est merveilleux ces petites machines.
PIERRE - Je suis concentré Hélène.
HELENE - Désolée maître. Moi aussi je suis concentrée si tu veux tout savoir. Je suis concentrée sur notre histoire si cela te dit encore quelque chose ?
Pas de réponse
- Ca te dit quelque chose notre histoire ? Pierre ?
PIERRE Agacé - Mais quoi ?
HELENE - J'ai l'impression qu'elle ne va pas très fort notre histoire.
Pas de réponse
- Je crois que, je suis tombée amoureuse de Bertrand.
PIERRE - Quoi ?
HELENE - Qui ne tomberait pas amoureuse d'un homme qui vous écoute, vous parle avec tendresse, vous déclare sa flamme toutes les heures…
PIERRE - Ne me dis pas que tu es réellement tombée amoureuse de Bertrand ? Ça n'a aucun sens.
HELENE - Et pourquoi ? Il n'est pas assez bien ?
PIERRE - Ce n’est pas le sujet.
HELENE - Tu es jaloux ?
PIERRE - Non, je ne suis pas jaloux. Mais ce n'est…
HELENE - Si. Tu es jaloux. Tu es jaloux de ton meilleur ami Pierre. Cela te dérange. Mais c'est aussi la réalité.
PIERRE - Je te rappelle que c'est un rôle.
HELENE - Et bien disons que la réalité a pris le pas sur la fiction.
PIERRE - Tu m'as dit que tu gérais cette histoire.
HELENE - On croit pouvoir et puis…
PIERRE - Tout cela ne tient pas la route.
HELENE - Sans doute. Mais "tout cela" comme tu dis, n'est pas de mon fait. Tu en es l'unique responsable.
Long silence
- tu as entendu ce que je viens de te dire ?
PIERRE - Je ne suis pas sourd.
HELENE - Tu as parlé à ta femme ?
PIERRE - Ce n’est pas le moment.
HELENE - Tu dis toujours que ce n’est pas le moment
PIERRE - Non. Je le dis, en ce moment.
HELENE - Il faudra bien lui dire un jour ou l’autre.
PIERRE - Et bien ce sera l’autre.
HELENE - Et aux enfants tu en as parlé ?
PIERRE - Tu crois que c'est facile. Tu ne sais pas ce que c'est que des enfants. De toute façon, ce n'est pas à l'ordre du jour.
Long silence
HELENE - ...Je suis probablement enceinte Pierre.
PIERRE - Ne dis pas n’importe quoi !
HELENE - Ce n’est pas n’importe quoi que d’être enceinte.
PIERRE - Là, ce serait n’importe quoi.
HELENE - J’en ai tellement envie.
PIERRE - Moi pas.
HELENE - Tu me l’avais promis.
PIERRE - Et bien je me suis trompé. Maintenant, laisse-moi je travaille.
HELENE -Tu parles ! Cela fait des mois que tu ne travailles plus.
PIERRE - Justement, il est temps que je m'y remette. Mon éditeur veut des pages sinon il rompt le contrat.
Un temps long dans lequel Hélène regarde Pierre qui frappe de façon régulière sur son ordinateur. Elle s'approche et lui passe avec douceur la main dans les cheveux.
HELENE - Je peux voir ?
PIERRE - Non.
HELENE - Je suis heureuse que tu puisses retravailler.
Silence
- Tu entends ce que je te dis Pierre ? Je te dis que je suis heureuse que tu aies retrouvé de l'inspiration. Pierre ? Il se passe beaucoup de choses en ce moment. Beaucoup…
Elle sort sans que Pierre ne la remarque. La frappe est toujours régulière… Temps long. Il lève enfin la tête…
PIERRE - Hélène ? Hélène ? Hélène ?
Il se relit…
- c’est bon ça ...
APPARTEMENT BERTRAND
HELENE - S'il ne te restait que quelques heures à vivre, que ferais-tu ?
BERTRAND - Pourquoi me demandes-tu cela, maintenant ?
HELENE - Parce que, c'est exactement à cet instant que j’ai envie de te poser cette question. C’est bien toi qui dis que tout doit se vivre au présent. Qu’il faut être réactif à ses moindres instincts?
BERTRAND - Oui. Mais cela dépend de…
HELENE - Je te propose plusieurs solutions, à toi de choisir la bonne. / Tu irais faire l'amour à un maximum de filles ? / Tu viderais plusieurs bouteilles de grands crus ? / Tu braverais tous les interdits que l'on t'a inculqués depuis ta plus tendre enfance ? / Tu dépenserais l'intégralité de ton compte en banque en une heure ? Tu me ferais l'amour jusqu'à n'en plus pouvoir ? Encore une seconde d'hésitation et je te verse la théière sur ton pantalon. Alors ?
BERTRAND - Je ne sais pas, j'hésite…
HELENE - C'est la raison pour laquelle il y a maintenant un fort pourcentage pour que tu te prennes le contenu de la théière sur ton pantalon.
Elle saisit la théière et s'approche du pantalon, incline le bec. Bertrand a juste le temps d'esquiver le liquide brûlant qui se répand sur le sol.
BERTRAND - Mais tu le ferais en plus !
HELENE - Ne jamais vivre de regret est l'unique solution pour bien terminer.
BERTRAND - Pour bien terminer quoi ?
HELENE - Sa vie.
BERTRAND - Ne parle pas comme ça, je n'aime pas ça.
HELENE - C'est la réalité pourtant.... Tu vas trouver cela idiot, mais depuis que je sais pour ma maladie, j'ai l'impression d'être invisible aux yeux du monde. Comme dans une sorte de couloir dans lequel on ne croise jamais personne.
BERTRAND - Ce n'est pas qu'il ne te voit pas le monde, c'est juste qu'il te regarde de loin.
HELENE - De loin…Ca c'est sûr…Sauf que toute chose prend de la valeur dès l'instant que le plus grand nombre la reconnaît. Je viens de l'assistance publique. Ca laisse toujours des traces.
BERTRAND - Mais je te reconnais moi.
HELENE - Pardonne-moi. De temps en temps je me sens pleine de tristesse.
BERTRAND - Tu ne m'avais pas dit que tu venais de l'assistance publique ?
HELENE - En général ce n'est pas ce que l'on met en premier sur son CV. Et puis, je t'ai déjà dit tellement de choses… Tu pleures parce que je te dis que je viens de l'assistance publique ?
BERTRAND - De bonheur.
HELENE - Si tu veux mon avis. Ce doit être plutôt le Chablis.
BERTRAND -Ce n'est pas le Chablis. Bon, disons que le Chablis doit être co-responsable à 20%
Elle se lève, saisit sa canne et manque de tomber
HELENE - Le Chablis, à 10 %.
BERTRAND - Tu n'utilisais pas de canne la dernière fois ?
HELENE - La dégradation dans ce genre de maladie est non seulement constante mais aussi fulgurante. Dixit mon médecin. Mais je t'en prie Bertrand, ne tiens pas compte de mon état et fais comme si je n'avais rien. Tu comprends ?
BERTRAND - Oui, bien sûr.
HELENE - Merci. D'ailleurs, si tu le veux bien, je souhaiterais que nous assistions prochainement à un concert. Cette fois ci, quelque chose de plus gai qu'un requiem. Histoire de changer un peu.
BERTRAND Tendre- Oui, bien sûr.
HELENE - Ne me dis pas oui, si tu n'en a pas envie. Je te demande de la compréhension pas de la pitié.
BERTRAND - Oui, bien sûr.
HELENE - Arrête de dire oui, bien sûr.
BERTRAND - Oui, bien…pardon je…je te prie de m'excuser.
HELENE - Alors, mon idée de concert te tente-t-elle ?
BERTRAND - Avec plaisir.
HELENE - Si c'est "avec plaisir", c'est bien.
BERTRAND - C'est "avec plaisir".
BERTRAND - Hélène ?
HELENE - Oui ?
BERTRAND - S'il ne me restait que quelques heures à vivre…Et bien, je te ferais l'amour jusqu'à l'ultime instant.
Bertrand lui prend la main et l’embrasse, elle hésite puis se rétracte.
HELENE - Je ne peux pas.
BERTRAND - Mais ?
HELENE - Je ne peux pas.
BERTRAND - Tu as quelqu’un dans ta vie ? Mais oui, bien sur.
HELENE - Non.
BERTRAND - Alors pourquoi ce refus ?
HELENE - Cela n’a rien à voir avec toi.
BERTRAND - C'est pourtant à moi que tu refuses.
HELENE - Je…Je…C’est à cause de mon corps.
BERTRAND - Ton corps ? Mais il est magnifique ton corps. Enfin, Je le devine…
HELENE - …Il ne peut pas.
Bertrand s’arrête net dans son élan.
BERTRAND - Il me semblait pourtant tout à l'heure que… et puis, tu m'avais demandé d'attendre un peu. J'ai attendu.
HELENE - Je ne voulais pas te blesser Bertrand… Je…Je ne voulais surtout pas te perdre. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée.
Long silence
- Tu es déçu ?
BERTRAND - Un peu.
HELENE - Je suis désolée.
BERTRAND - Finalement, je trouve que cela correspond assez bien à l’exceptionnel de notre histoire.
HELENE Gênée - Sans doute…sans doute.
APPARTEMENT BERTRAND
BERTRAND - Cette fille est tellement, c'est une belle personne tu sais.
PIERRE - Sans doute.
BERTRAND - Il y a une suspicion énorme derrière ton "sans doute".
PIERRE - Je dis sans doute, parce que je ne la connais pas, voilà tout.
BERTRAND - Excuses-moi, mais je souffre tellement de sa situation. Je ne pensais pas tomber sur elle.
PIERRE - Pour que ta théorie fonctionne, il fallait forcément que tu tombes sur une personne malade ?
BERTRAND - Oui, je sais.
PIERRE - Alors, tout va bien.
BERTRAND - Oui et non ! Je…je ne me sens pas complètement sincère. Voilà ce qui me gêne.
PIERRE - Mais tu es sincère. Tu voulais rencontrer une condamnée et vivre le plus intensément l’amour. C’est bien ce que tu vis en ce moment. Ce qui prouve que ta théorie fonctionne.
BERTRAND - Mais je ne pensais pas tomber sur elle !
PIERRE - Je sais Bertrand...Faut pas non plus que tu t'emballes pour cette fille.
BERTRAND - Ne dis pas cette fille, s’il te plaît.
PIERRE - Pardon. A propos…
BERTRAND - D’Hélène.
PIERRE - Oui, d'Hélène.
BERTRAND - Tu ne peux rien dire, tu ne la connais pas. D'ailleurs, il va falloir que j'organise un dîner.
PIERRE - Un dîner ? Pour quoi faire ?
BERTRAND - Pour que vous fassiez connaissance. Tu es mon meilleur ami. J'ai très envie de te la présenter, c'est normal. Et puis, sa maladie est en train de progresser à vitesse grand V. Elle marche avec une canne maintenant. Elle est courageuse. Tu verras, c'est un être exceptionnel.
PIERRE - Tu sais Bertrand, en ce moment je…
BERTRAND - Je sais, tu bosses comme un fou sur ton dernier roman, tant mieux. Je suis heureux pour toi.
PIERRE - ...
BERTRAND - Et puis, cela te fera un break. J'ai besoin que tu la vois, c'est important pour moi. S'il te plaît.
PIERRE - D'accord. D'accord.
BERTRAND - Merci.
PIERRE - Je t'en prie…
BERTRAND - Mais attention, pas de remarque déplacée.
PIERRE - Non...bien sûr. Mais rassure-moi elle n’est pas agonisante quand même ? Parce que je ne suis pas certain de pouvoir supporter …
BERTRAND - PIERRE ! Elle est malade… elle n’est pas agonisante.
PIERRE - T’es sûr de ça ? Je veux dire...enfin...il y a tellement de gens qui...enfin, sont hypocondriaques et forcément ils voient le ...
BERTRAND - PIERRE ! Tu veux que je lui demande son dossier médical ? Qu’est-ce que tu as ?
PIERRE - ...rien. Je suis désolé. Je suis un peu fatigué en ce moment, en fait, je ne sais pas très bien où mon roman me mène, ça me fait peur... Je suis certain que nous passerons une bonne soirée.
BERTRAND - Tu verras comme elle est merveilleuse.
CHAMBRE BONNE PIERRE
PIERRE - C’est impossible ! Il faut absolument que nous trouvions quelque chose.
HELENE - C’est toi l’auteur, c’est toi qui a des idées.
PIERRE - Tu te rends compte que nous allons nous retrouver tous les trois dans le même appartement ?
HELENE - Oui, et alors ?
PIERRE - Mais reviens sur terre !
HELENE - Moi j’ai hâte de faire ta connaissance. Bertrand m’a tellement parlé de toi, de tes peines d’écrivain. Tu dois être un homme très intéressant.
PIERRE - S’il te plaît Hélène ! Cela va mal finir !
HELENE - Cela avait-il bien commencé ?
PIERRE - …
HELENE - PIERRE ?
PIERRE - Oui ?
HELENE - Ne te défile pas. Tu dois venir à ce dîner. Il est important pour tout le monde. Je suis certaine qu’il nous remettra les idées en place. Nous permettre de prendre conscience qui nous sommes les uns pour les autres. Bon, faut que je me prépare. Je vais aller le faire chez moi….Tu préfères que je porte quelle robe ? ...Je vais faire simple. Robe et bottes. C’est bien ?
PIERRE - … Oui
HELENE - Collants ou bas ?
PIERRE - Arrête !
HELENE - A ce propos, pour info, je voulais te dire que nous n’avons pas encore fait l’amour, je parle de Bertrand et de moi. Je lui ai dit que mon corps ne pouvait plus faire ce genre de chose. A toute à l’heure...
Elle sort, laissant PIERRE avec sa solitude, bien pesante...
APPARTEMENT BERTRAND
Bertrand enfile un tablier de cuisine. Hélène est en ensemble pantalon.
BERTRAND - Tu vas voir, c’est un type très sympa. Enfin...c’est mon ami. Un peu fier, mais très sympa.
HELENE - Ce n’est pas incompatible.
BERTRAND - Quoi donc ?
HELENE - D’être fier et sympathique. Il faut juste trouver le bon équilibre.
BERTRAND - Oui...enfin, on pourrait croire qu’il est prétentieux, mais en fait…
HELENE - En fait il est très sympa…
Elle sourit
BERTRAND - Oui…il se cache derrière une attitude, un peu froide, mais il est très sensible.
HELENE - Je verrai cela tout à l’heure. Tu as une idée de ce que nous allons dîner ?
BERTRAND - Rougets grillés avec du riz thaïlandais et des mangues en dessert.
HELENE - Le bonheur ! Tu as parlé de moi à ton ami ?
BERTRAND - Oui. Il a hâte de te rencontrer.
HELENE - J’imagine...il doit même, ne plus tenir, à cette idée de me rencontrer. Je sens que je vais être la reine ce soir.
BERTRAND - Disons, qu’il a hâte de découvrir celle qui me rend si, heureux...
On frappe à la porte
- la preuve ! Une demi-heure d’avance. Ca ne lui ressemble pas. Tu peux aller lui ouvrir s’il te plaît ?
Hélène ouvre la porte PIERRE lui fait face.
HELENE - Bonsoir !
PIERRE - Bon...soir
Ils se tiennent à une bonne distance l’un de l’autre
HELENE - Je vous en prie. Bienvenu.
PIERRE - Merci.
BERTRAND - Oh la ! Personne n’est contagieux ici, alors vous avez le droit de vous embrasser.
ils se tendent la main puis s’embrassent sur la joue
- C’est mieux !
PIERRE - Tiens…
BERTRAND - Un Médoc. On n’est jamais déçu avec un Médoc. Merci mon ami !
HELENE - Pas sur. Les vignes sont toutes aussi capricieuses que les hommes qui les cultivent.
BERTRAND - Sur ces bonnes paroles, je vous abandonne deux minutes. J’ai un dîner moi !
PIERRE - Non !
BERTRAND - Comment non ?
PIERRE - ...heu...je veux dire, reste, le temps que nous...enfin fais les présentations.
BERTRAND - Ne me dis pas que tu vas faire ton timide ?
PIERRE - Ce n’est pas une question de timidité mais de convenance.
BERTRAND - Mazette ! Tu lui fais une grande impression à l’écrivain parce que cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu employer ce genre de mot quand je lui présente une de mes connaissances.
PIERRE - Arrête !
BERTRAND - Ce n’est pas vrai sans doute ? La dernière soirée que j’avais organisé tu es resté dans ton coin avec ton verre de Talisker en main sans adresser la parole à la moindre personne.
PIERRE - Nous n’avions rien à échanger, c’était évident, j’ai préféré me mettre dans mon coin et réfléchir à mon roman.
BERTRAND - Cela signifie qu’il sait ce qu’il va échanger avec toi. Encore un compliment ma chérie…
HELENE - J’en suis flattée. Merci.
PIERRE baisse la tête.
BERTRAND - Bon maintenant que les présentations sont faites je vais pouvoir aller officier dans la cuisine parce que sinon ce ne sera pas des rougets grillés mais carbonisés que nous aurons.
Il les regarde un long moment
- Allez ! Tout va bien se passer. Vous êtes beaux tous les deux comme ça sur mon canapé. Bon, cela tient sans doute à la beauté de ce canapé, mais quand même…
PIERRE - Vous travailler dans quoi ?
HELENE - Je ne travaille pas. Je ne peux plus.
PIERRE - Ah...
HELENE - Oui. Vous n’avez sans doute pas remarqué mais je me sers d’une canne pour marcher. Et de nos jours il n’est pas facile de trouver un emploi avec ce genre de handicap. Déjà pour les personnes en bonne santé ce n’est pas facile, alors avec une canne...comme si une canne ralentissait aussi le fonctionnement du cerveau.
BERTRAND - PIERRE !
PIERRE - Oui ?
HELENE - Bertrand doit sans doute vouloir vous faire remarquer que vous n’avez pas fait attention à mon handicap mais rassurez-vous cela ne me gêne aucunement. Je suis tellement habituée à passer inaperçue.
BERTRAND - Tu pourrais au moins t’excuser.
PIERRE - ...Oui...Bertrand a raison. Je...j’aurai dû, d’autant plus qu’il m’en a parlé…
HELENE - Vous avez sans doute mieux à penser.
PIERRE - ...
HELENE - Vous êtes marié ?
BERTRAND - Oh que oui ! Il l’est et avec une sacrée belle femme !
HELENE - Je suis impressionnée. Que fait-elle dans la vie ?
PIERRE - Elle est...architecte.
HELENE - C’est bien architecte. D’intérieur ou …
PIERRE - Principalement d'intérieur.
BERTRAND - Elle a un talent fou.
HELENE - Je n’en doute pas. Et des enfants ?
BERTRAND - Là, je suis carrément jaloux ! Ils sont à croquer ses petits anges.
HELENE - Le bonheur parfait...mes compliments, PIERRE.
PIERRE - ...
BERTRAND - PIERRE n’est pas qu’un homme comblé. Monsieur est un artiste !
PIERRE - Bertrand !
HELENE - Ah oui ! C’est vrai, Bertrand m’a dit que vous étiez écrivain. Il est très fier de son ami. Vous écrivez quel genre de littérature ?
PIERRE - ...
BERTRAND - Eh oh ! PIERRE ! Tu répètes ton discours pour la cérémonie des Nobel ou bien tu es avec nous ?
PIERRE - Oui ? Pardon je…de...de la fiction.
BERTRAND - Et il a du talent le salopard !
PIERRE - Pas tant que ça ...
HELENE (Séductrice) - J’ai toujours été...fascinée par les écrivains.
PIERRE - ...
HELENE - Oui, toutes ces idées qui fourmillent... comment trouvez-vous l’inspiration ? Cela vient, comme ça ? Ou bien ...on dit que certains écrivains se servent beaucoup de ce qu’ils vivent. Pas vous ?
PIERRE - ...Non, pas vraiment…enfin pas...forcément...un peu...parfois.
HELENE - Un peu...parfois ? Menteur...
PIERRE - ...Comment ?
HELENE - ...Votre vie est trop...sage, sans doute ? Je veux dire. Votre femme, belle, intelligente, les deux enfants, beaux, intelligents...tout ça est un peu trop...beau et intelligent pour donner de la matière.
BERTRAND - OH là ! Comme tu y vas !
HELENE - Pardonnez-moi, mais j’ai toujours entendu dire que les bons écrivains ont une vie un peu...chaotique. Vous n’auriez pas une vie cachée monsieur l’écrivain ? Une jeune maîtresse éperdue d’amour qui vous attendrait sous une alcôve ?
PIERRE - ... Je connais de très bons écrivains qui ne sont jamais sortis de leurs pantoufles et qui ont commis de véritables chefs-d'oeuvre.
HELENE - On n’est jamais si bien servis que par soi-même...vous parlez de vous ?
PIERRE - ...
BERTRAND - PIERRE a raison. Ce n’est pas parce que tu fais le tour du monde que tu as plus de choses à dire.
HELENE - Pardonnez-moi. je ne suis qu’une coméd... Les idées reçues...
PIERRE - … Et vous ? Enfin, je veux dire avant que...enfin...que vous ne...
HELENE - ...Que je ne sois malade ?
PIERRE - ...oui.
HELENE - Je rêvais ma vie. Un peu comme vous. Je veux dire, j’inventais moi aussi, à ma façon des histoires. Des rencontres...
BERTRAND - Bon ! Vous n’allez pas non plus vous laisser vos C.V. Allez ! Je propose que nous passions à table. Les rougets sont prêts. Le riz également. La bouteille est ouverte. Laissons aller nos papilles !
HELENE - On se place comment mon chéri...heu pardon.
BERTRAND - Mais, ne t’excuses pas, c’est très agréable à entendre. N’est ce pas que c’est agréable ce genre de petit mot ?
PIERRE - ...Très...
BERTRAND - Evidemment, monsieur doit l’entendre depuis des années…
HELENE - Des années...je suis admirative.
PIERRE - ...
HELENE - J’imagine que pour pouvoir entendre ce genre de petit mot, il faut aussi être capable d’en formuler d’autres...vous ne devez pas être à court, monsieur l’écrivain...
BERTRAND - Pour qu’il ne soit pas à court de mots, il faut qu’il ne soit pas à court de liquide non plus ! Allez ! Trinquons !
Bertrand remplit les verres. Ils trinquent. Le temps passe...les bouteilles se succèdent.
HELENE - Et si nous dansions ? Bertrand, tu mets un peu de musique, s’il te plaît ...
BERTRAND - Va pour la musique ! Mais ne compte pas sur moi pour danser je suis un véritable poteau.
PIERRE - Et les voisins ?
BERTRAND - Pour une fois, ils nous pardonneront.
Il met de la musique. Hélène se met à se trémousser devant les yeux éblouis de Bertrand et le regard gêné de Pierre, qu’elle invite à danser...Pierre refuse dans un premier temps puis finit par accepter. Ils dansent...
- Il va falloir que je prenne des cours, moi...
HELENE - Monsieur l’écrivain à le rythme dans la peau.
PIERRE - ...N’exagérez pas...
NOIR
CHAMBRE DE BONNE PIERRE
Une bouteille de vodka trône sur la table. Pierre tape avec frénésie sur son clavier. Puis, après avoir relu son travail.
- PIERRE - C’est très bon...très bon...
La mine réjouie se transforme peu à peu en une profonde tristesse. Il se lève et se dirige vers la psyché. S'observe longuement.
Non...je ne peux pas faire ça...C’est immonde. Quel idiot d’avoir eu cette idée...
Il regarde un long moment son reflet. Puis, soudainement, il fracasse son verre contre la psyché. On frappe à la porte. Hélène pénètre dans l’appartement.
HELENE - Bonjour !
PIERRE - Tu aurais pu être plus discrète hier soir.
HELENE - Bonjour !
PIERRE - Oui, bonjour... Tu as entendu ce que je viens de te dire ?
HELENE - C’était plus fort que moi... Je n’ai jamais pu résister à ton charme…c’est de l’ordre de l’ incontrôlable...de la pulsion. Les phéromones... Un truc de fou.
PIERRE - Tout est fou dans cette histoire.
HELENE - A peine plus que ce que nous offre la vie. Mais tellement plus excitant... Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
PIERRE - Un verre. Il...m’a échappé des mains.
HELENE - Bien visé pour un truc qui t’a échappé des mains.
Elle se baisse pour ramasser les morceaux
PIERRE - Laisse...je le ferai.
HELENE - Je peux le faire.
Ils ramassent les morceaux
PIERRE - Non ! Je ne veux pas te voir ramasser mes saletés. C’est à moi de le faire. Tout comme, c’est à moi de mettre un terme à ce mensonge. Il faut que tu arrêtes Hélène.
HELENE - Arrêter ? Tu m'offres le plus beau rôle que l'on ne m'ait jamais offert et tu voudrais que je l'abandonne.
PIERRE - Ce n'est pas un rôle. Ce n'est plus un rôle.
HELENE -C'est quoi alors ?
PIERRE - Une histoire qui ne peut que finir mal.
HELENE - Evidemment puisque je suis malade.
PIERRE - Arrête avec ça !
HELENE - Je n’arrêterai pas !
PIERRE - Ecoute il n'y aura aucun laurier à la fin de cette histoire ! Juste des emmerdes ! Pour tout le monde.
HELENE - Je n'abandonnerai jamais ce rôle Pierre, faut-il que je le joue jusqu'à la fin de ma vie.
PIERRE - Tu penses gagner quoi ? Un premier prix de comédie ? Il y a un âge pour raccrocher ses rêves au vestiaire ma grande. Je te rappelle que cette histoire est fausse de A à Z.
HELENE - Il n'y a pas que cette histoire qui est fausse, Pierre.
PIERRE - Ca veut dire quoi ?
HELENE - Regarde-toi avec ton ordinateur dernier cri et son bruit de Remington, ta moto japonaise imitation vieille anglaise. Tout est faux en toi Pierre, tout. Tout, sauf tes névroses. Je ne disais rien parce que je t'aimais, parce que, cela m'amusait, J'aurais tout donné pour toi. Tout fait. J'ai d'ailleurs tout fait. Jusqu'à tromper ton meilleur ami. Finalement. Tu as raison. Cette histoire nous échappe. C’est sans doute pour cela qu’elle est belle.
PIERRE - Non ! Elle n’est pas belle, elle est même carrément pourrie !
HELENE - Il fallait y réfléchir avant ! Il fallait penser à nous. A la nôtre d’histoire. Mais tu t’es toujours foutu de notre histoire... Pourtant, si tu avais mis un peu de vérité dans notre mensonge, j’aurais été la plus heureuse des femmes.
PIERRE - Ne mélange pas tout ?
HELENE - Tout est déjà mélangé, mon pauvre Pierre. De toute façon, c’est décidé, je continuerai cette… histoire, comme tu dis. D'ailleurs, Bertrand m’a demandé en mariage. C'est la première fois qu'on me demande en mariage. Ca fait tout drôle… Peut-être même qu'il me fera un enfant, lui ? Enfin, nous n'en sommes pas là.
PIERRE - Parce que tu crois qu'il t'aimera encore quand il apprendra que tout est faux ? Que tu n'es pas malade. Que crois-tu qu'il va faire ?
HELENE - Il m'aimera, tout simplement.
PIERRE - Cette histoire va mal finir. Je le sens.
HELENE - Mal ou bien elle finira de toute façon, comme toutes les histoires. Sans compter qu'avec sa théorie, Bertrand nous a obligé à sublimer nos vies. Il nous a donné des majuscules et tu voudrais arrêter tout cela ? Toi aussi tu as sublimé PIERRE, toi aussi...
PIERRE - Je…Je ne vois pas le rapport ?
HELENE - Vraiment ?
PIERRE - Explique-toi.
HELENE - Je n’ai rien à expliquer. Je constate, avec bonheur, que tu as retrouvé l’inspiration. C’est tout. Ta conscience n'est pas tranquille, mais tu as retrouvé l'inspiration. L'essentiel est sauvé.
Il lui saisit fortement le poignet
HELENE - Tu crois que tu me fais peur ? Tu ne me fais pas peur Pierre et surtout, tu ne me fais plus rêver. C'est encore cela le pire.
PIERRE - Nous sommes allés trop loin. Ecoute. Arrêtons là. Je te promets de parler à ma femme et de…
HELENE - C’est impossible de faire machine arrière PIERRE. Cette histoire doit vivre sa vie.
PIERRE - Hélène ! S’il te plaît ...
HELENE - Qu’est ce qui te gêne mon chéri ?
Il la retient fortement par le bras
PIERRE - ...Je ne veux pas te perdre.
HELENE - Ce n'est pas moi que tu ne veux pas perdre. C'est ton jouet, ta poupée gonflable. C'est cela qui te met dans un tel état. Tu es un gosse Pierre. C'est le manque qui te rend malheureux. Comme ces enfants gâtés qui ne regardent plus leur jouet jusqu'au moment, où ils ne le trouvent plus.
PIERRE - Tu ne vois pas que je suis malheureux !
HELENE - Et Bertrand ? Penses-tu qu'il soit heureux en ce moment ? La femme qu'il aime va bientôt mourir et ...
PIERRE - Qu'est ce que tu as dit ?
HELENE - La femme qu'il aime va bientôt mourir... Je viens de recevoir mes résultats d'analyses; le taux de mes globules est en-dessous du seuil de référence, je dois entrer à l'hôpital.
PIERRE - Tu es folle, ce n'est pas possible ! Folle à lier !
HELENE - C'est moi qui suis folle Pierre ?
PIERRE - Il faut être folle pour parler comme tu parles. Tu n'es pas malade Hélène.
HELENE - Qu’en sais-tu ?
PIERRE - Arrête ce petit jeu !
HELENE - C'est vrai. Que sais-tu finalement de moi ?
PIERRE - Je sais que tu n'es pas malade.
HELENE - Tu ne sais rien Pierre. Rien du tout.
PIERRE - Hélène ! Merde !
HELENE - Comment pourrais-tu savoir quoi que ce soit à mon propos puisque tu ne t'es jamais intéressé à moi ? Si. Deux fois par semaine. Il faut bien que le corps exulte. Normal tu me diras; j'étais la maîtresse. Autrement dit, j'étais là pour ça. Mais intéressé à moi toute entière ? A mon âme ? Jamais. Jamais…jamais !
Il veut l'embrasser de force
HELENE - C'est trop tard Pierre.
PIERRE - Vous avez couché ensemble ?
HELENE - Cela ne te regarde pas. Plus. Le temps a passé. On ne conjugue plus au présent tous les deux. Temps
PIERRE - Ecoute. Je te demande pardon. Je vais aller voir Bertrand et je vais lui dire que…
HELENE - Tu ne diras rien du tout PIERRE.
PIERRE - Il le faut !
HELENE - Si tu fais cela, j’informerai ta femme de nos cinq à sept qui durent depuis trois ans maintenant. Cela devrait lui faire plaisir.
PIERRE - C’est ...tu ne peux pas faire ça.
HELENE - Mon pauvre petit PIERRE. Mais je ne suis pas un de tes personnages que tu peux modeler et remodeler indéfiniment à ta convenance. Je suis en chair et en os moi !
PIERRE - Je t’en prie.
HELENE - Dis-moi pourquoi tu veux dévoiler la vérité ? Tu es pris de remords ? Puisque, ton ami est heureux, moi...aussi. Il ne reste que toi et ta conscience. Il te suffira de faire un travail dessus et dans quelques temps il n’y paraîtra plus. Je vais te laisser, je dois aller voir Bertrand justement. Ne t’inquiète pas. Je ne ferai rien qui puisse entacher votre amitié.
PIERRE - Alors pourquoi vas-tu chez Bertrand ?
HELENE - Lui dire au revoir.
PIERRE - Au revoir ? Pourquoi au revoir ?
HELENE - Après j’entrerai sans doute à l’hôpital. Mais pas dans les parages. Au grand air, au bord de la mer. Je me suis renseignée, il y a des établissements très bons au bord de la mer. J’ai un grand besoin d’iode.
PIERRE - Hélène...tu n’es pas...Attends !
PIERRE va dans la pièce à côté, puis en ressort avec un sac rond
HELENE - Qu’est-ce que c’est ?
PIERRE - Ouvre.
HELENE - Un ballon ?
Elle sort l’objet de son sac. C’est un casque à l’ancienne, un bol. Il est beige avec une bande marron. Elle sourit et se met à pleurer PIERRE la prend dans ses bras.
- Tu ne peux pas me faire ça PIERRE.
PIERRE - Je n’ai pas le droit de t’offrir un cadeau ?
HELENE - Parce que..c’est ...c’est pervers de faire ça…
PIERRE - Je te l’avais promis.
HELENE - Il y a presque trois ans...il est trop tard.
Il veut l’embrasser
HELENE - Arrête...s’il te plaît…PIERRE...arrête…
PIERRE - Hélène je…
HELENE - Ne le dis surtout pas…
PIERRE - ...je t’aime
Long silence dans lequel Hélène tient fortement serré contre elle le casque. Elle essuie ses larmes
HELENE - Et tu vas aussi me dire que tu es prêt à me faire un enfant ?... Oui ? Non...faut quand même pas exagérer, pas tout d’un coup…
Il baisse la tête
- Je sais ce qui m’a toujours plus chez toi Pierre. J’ai mis du temps, mais je le sais maintenant. Tu fais partie des ces hommes qui nous font rêver parce que vous êtes totalement inaccessibles, dans votre bulle et comme toutes ces idiotes j’ai pensé que moi, l’unique, pouvait te faire descendre de ton nuage ou que je pouvais monter dessus avec toi, ce qui est encore plus fou. Monsieur PIERRE Belier ne partage pas ses rêves.
Elle dépose le casque sur la table
PIERRE - Il est à toi …
HELENE - Je n’aurai pas l’occasion de l’utiliser...Cela fait combien de temps que vous ne vous parlez plus avec ta femme ?
PIERRE - Hélène...je t’en prie. Arrête avec ça. Je t’ai dit que j’allais lui parler et que... C’est fini avec Irene.
HELENE - Si c’était véritablement le cas. Nous aurions gardé... notre petit.
Long silence
PIERRE - ...C’était une fausse couche.
HELENE - Oui. Encore un vrai mensonge...
Elle va pour sortir mais PIERRE lui saisit la main
PIERRE - Où vas tu ?
HELENE - Dans un coin de ta mémoire…
Elle dépose un tendre baiser sur la bouche de PIERRE et sort.
APPARTEMENT BERTRAND
Hélène s'approche de Bertrand qui se détourne
HELENE - Qu'est-ce qu'il y a ?
BERTRAND - Je t'ai vue avec Pierre hier soir.
HELENE - Tu as vu quoi ?
BERTRAND - Tu le regardais comme si…tu le désirais. Tu crois que je n’ai pas remarqué les piques que tu lui lançais ? Et la façon dont tu as dansé ?
HELENE - Il est séduisant ton ami.
BERTRAND - Pourquoi tiens-tu à me montrer cette face négative de toi ?
HELENE - Parce-qu'elle existe, elle fait partie d'un principe de réalité.C'est ça aussi une condamnée, ça pète les plombs de temps en temps, ce n'est pas fiable.
BERTRAND - Qu'est-ce que cela change ?
HELENE - On fantasme moins. J'ai peur qu'il existe comme une sorte d'aliénation dans ton amour.
BERTRAND - Et si j'ai envie moi, de m'aliéner, c'est mon droit le plus strict.
HELENE - Tu sais l'image du gentil malade qui remonte le moral à tous les biens portants ça se passe uniquement dans les films; la réalité est toute autre. Un malade peut être très chiant, exigeant. En résumé, le moindre défaut se trouve grossi puissance mille. Il y a des ordures chez les mourants tu sais, ne t'illusionne pas. Je suis désolée d'entamer le capital de ta bonne conscience.
BERTRAND - Pourquoi tu me dis ça ? Qu'est-ce que tu veux prouver Hélène ?
HELENE - Que je ne suis pas une fille pour toi ! Qu'une malade n'est jamais une bonne partenaire. Qu'elle passe son temps à se défiler. Qu'elle…Enfin bon dieu ! Fais quelque chose !
BERTRAND - Que veux-tu que je fasse ?
HELENE - N'importe quel type m'aurait déjà foutu une gifle pour ce que j'ai fait hier soir et toi, tu me pardonnes. Je ne veux pas de ta pitié Bertrand.
BERTRAND - J'éprouve juste de la peine à te voir souffrir.
HELENE - Ton positivisme aigu me tape sur les nerfs Bertrand. A moins que cela t'excite que je drague ton meilleur ami devant toi ? C'est ça ? T'es un pervers ? De toute façon, pour vouloir être avec une femme dans mon état, il faut être pervers.
BERTRAND - Ne me parle pas comme ça.
HELENE - Comment veux-tu que je te parle ? Tu ne réagis pas Bertrand.
BERTRAND - Réagir a quoi ? Ce que tu peux être chiante quand tu t'y mets.
HELENE - Tu vois. Ça, c'est la réalité.
BERTRAND - Non ! La réalité c'est que je t'aime, point final.
HELENE - Mon pauvre Bertrand. Ouvrir mes yeux devient une gageure et me lever, sera bientôt l'impossible.
BERTRAND - Le plus grand défi de l'homme c'est d'être un homme. Nous y travaillons jour après jour.
HELENE - Je ne suis pas ton futur !
BERTRAND - Tu es mon présent.
HELENE - Je serai très vite ton passé.
BERTRAND - HELENE ! Merde !
HELENE - Tu vois que je suis chiante.
BERTRAND - Non, t'es... conne. Voilà, je l’ai lâché ! T’es contente ?
HELENE - Enfin, une parole sensée.
BERTRAND - Pourquoi provoques-tu cette scène ?
HELENE - Je suis absolument contre les types comme toi Bertrand. Ils affaiblissent la société avec leurs pensées généreuses.
BERTRAND - Que faut-il faire alors ? Regarder ça de mon fauteuil. Ma conscience est tranquille, mon corps est dans les normes. Le reste c'est rien que du malheur, la vie en est gorgée.
HELENE - Je suis en mille morceaux. On ne peut aimer une femme en mille morceaux.
BERTRAND - Moi je ne vois qu'un morceau, de choix.
HELENE - Arrête ! Arrête !
BERTRAND - Je t'aime Hélène.
HELENE - ...Si tu m'aimes. Il faut que tu me quittes.
BERTRAND - Qu'est-ce que tu racontes ?
Elle éclate en sanglots
HELENE - Je n'y arriverai pas.
BERTRAND - Mais qui te le demande ?
HELENE - ...C'est trop dur...Trop dur…
BERTRAND - Je sais que c'est dur ma chérie. Mais je suis là, je suis là.
Il la prend dans ses bras. Elle s'y blottit avant de le repousser violemment. Puis, elle se lève et marche normalement en oubliant sa canne…Les deux se regardent longuement sans dire un mot. Puis, Hélène se remet à boiter…
BERTRAND - ...Ne bouge pas, je te l'apporte.
Elle hésite un long moment avant de saisir la canne. Elle lui dépose un baiser sur la bouche et juste avant de sortir en s’appuyant sur sa canne
BERTRAND - Où vas-tu ?
HELENE - Te retrouver…
BERTRAND - Explique-moi...
HELENE - La vie n'est qu'un songe, il nous faut la rêver du mieux possible…
BERTRAND - Ce qui veut dire ?
HELENE - Nous allons continuer de nous faire rêver…nous mentir d'amour. Je voudrais juste que tu saches que ...tu comptes beaucoup pour moi. Beaucoup...
BERTRAND - Tu me dis que je compte pour toi et tu pars.
HELENE - Cela fait partie du rêve…
BERTRAND - Et si je me jetais à tes pieds ?
HELENE - Tu te ferais mal aux genoux. Au revoir monsieur le professeur…
Elle dépose un tendre baiser sur la bouche de Bertrand et sort.
BERTRAND - Helene !
Elle est sortie.
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De longues semaines passent dans lesquelles on voit Pierre et Bertrand, chacun dans leur appartement saisir leur téléphone et les mines déconfites, raccrocher à chaque fois presque dans le même mouvement…
Encore quelques semaines plus tard...
Pierre frappe désormais non stop sur son ordinateur (qui n’émet plus le bruit d’une Remington). Bertrand corrige ses copies.
APPARTEMENT BERTRAND
Bertrand est en train de corriger des copies. Deux tas impressionnants se dressent à ses côtés. Derrière lui, un désordre de plantes vertes et surtout, beaucoup, beaucoup de livres...
BERTRAND - Affligeant... 5. comment peut-on être aussi idiot !
Une autre copie
- Atterrant...4. C’est consternant...
Une autre copie
Ce n’est pas possible, ils le font exprès ! C’est désespérant..
On sonne ... Bertrand va ouvrir, c’est Pierre.
PIERRE - On t’entend pester à l’autre bout du couloir.
BERTRAND - Il y a de quoi, je te jure !
Pierre sort de la poche de son manteau un livre.
PIERRE - Le premier exemplaire sortit ce matin en librairie !
BERTRAND - Tu ne m’avais pas dit que tu l’avais terminé.
PIERRE - Je préférais t’offrir le premier exemplaire imprimé. Te faire la surprise.
BERTRAND - J’aime bien le titre.
PIERRE - Il n’est pas de moi...
Temps dans lequel les deux amis se regardent avec une certaine émotion
BERTRAND - Tu bois quelque chose ?
PIERRE - Je veux bien un petit whisky.
Bertrand remplit deux verres. Puis, il parcourt des extraits du roman... Bertrand lève son verre.
BERTRAND - A ton succès !
PIERRE - A l’amitié...
Ils trinquent...
BERTRAND - ...Ce matin j’ai reçu une carte postale d’Irlande. Vierge, juste sa signature.
PIERRE - La mienne a été postée d’Ecosse. Même chose.
Les deux hommes se regardent un long moment. Bertrand ému répond par un tendre sourire. Cherchant une contenance...
BERTRAND - Je te ressers ?
Pierre acquiesce d’un signe de tête. Bertrand rempli les deux verres quand on frappe à la porte. Trois coups. Deux coups...un temps puis de nouveau trois coups. Les deux hommes se regardent longuement.
NOIR