ACTE 1
SCENE 1
CLAUDE
Avant l’ouverture de rideau, on pourra passer la chanson « Femme, femme, femme » de Serge Lama.
A l’ouverture du rideau, on découvre Claude, un balai qu’elle serre dans ses bras et avec lequel elle entreprend des pas d’une danse langoureuse.
CLAUDE (chantant, sur l’air de Mon manège à moi) – Tu me fais tourner la tête, mon ménage à moi, c’est toi. Je suis toujours à la fête quand je te tiens dans mes bras. (Théâtrale à l’excès, tout en donnant un coup de balai et en envoyant la poussière sous l’armoire.) Poussière, tu n’es que poussière… (Au public.) Vous avez entendu ? Pas mal le ton, hein ?... (Epelant.) Ton, T O N, pas T H O N… Quand j’y pense, j’aurais dû faire du théâtre… (Réfléchissant.) Remarquez, pour me retrouver face à un public qui n’a aucun goût et qui n’y comprend rien ! Je ne parle pas de vous, hein… Quoique… (Elle sort un magazine télé de la poche de sa blouse et un crayon.) Alors… Voyons voir… En six lettres… Commençant par e. Survolté… J’hésite entre excité et énervé… Ceci dit, c’est pas tout à fait pareil… Tenez, mon beauf Maurice, eh ben quand il s’est marié avec ma sœur, elle l’excitait, maintenant, elle l’énerve… (S’adressant à un couple de spectateurs dans le public.) Je parie que c’est comme ça dans votre couple, hein ? Allez : faut pas me la faire à moi… Ce qui me gêne avec excité, c’est le x… Le x, je m’y vois pas… (Au public.) Vous non plus… (Contrariée mais sans plus.) Merci… (Reprenant son magazine.) Et là, en horizontal : nom des habitants de Chantilly… (Au public.) Vous n’en avez pas la moindre idée, je suppose ?... Je ne sais pas si ça vous fait ça, mais moi, plus je me creuse la cervelle, plus j’ai des trous de mémoire… Bon, on cause, là, et le ménage ne va pas se faire tout seul… Faut encore que je me tape le local à archives ; entre nous, j’aimerais autant me taper un mec, local ou d’une autre commune, je ne suis pas difficile. (A un homme du public.) Vous, par exemple, vous ne seriez pas libre après le spectacle ?... D’accord : je ne suis pas de la première fraîcheur mais faut être réaliste : vous non plus et je vous le redis : je ne suis pas difficile ! (Reprenant son balai et chantant à nouveau, sur l’air de La vie en rose.) Quand je le prends dans mes bras, je le passe comme ça, ce n’est plus l’heure de la pause… Je le passe dans le séjour, parfois même dans la cour, et ça fait quelque chose…
SCENE 2
CLAUDE, JEAN
On sonne avec insistance. Claude se dirige vers la porte d’entrée, en traînant les pieds. Elle a laissé son magazine sur la table basse.
CLAUDE – Et voilà ! On ne peut même pas travailler en paix ! Je vous jure, il y a des fois, on ferait mieux de ne rien faire ! Vous me direz, c’est ce que je faisais déjà hier, mais comme je n’avais pas fini…
Claude va ouvrir. Un homme est devant la porte d’entrée ; il a une mallette en main.
JEAN (enjoué) – Madame
CLAUDE (rectifiant) – Non, mademoiselle. (Soupirant, mais sans plus.) C’est pas que j’y tienne, mais c’est comme ça
JEAN (compatissant) – On ne fait pas toujours comme on veut
CLAUDE – Si vous êtes représentant en quoi que ce soit ou en autre chose, les patrons ne sont pas encore arrivés
Jean entre et serre vigoureusement la main de Claude.
JEAN – Grasset. Jean Grasset
CLAUDE – Tant mieux pour vous
JEAN (rigolant) – Parce que Jean Graisset, ce ne serait pas terrible. Jean Grosset non plus
CLAUDE – Vous en avez d’autres en stock ?
JEAN (spontané) – Oui : Jean Crasset
CLAUDE – Là, on doit avoir fait le tour
JEAN – A vérifier. (Réfléchissant.) Je n’ai pas de pelle mais il faudrait peut-être que je creuse davantage
CLAUDE – Et vous êtes là pour quoi au juste ?
JEAN – Société Millebureaux. (Déclamant.) Millebureaux, la copie sans défaut. Ca en jette, n’est-ce pas ? C’est le slogan de ma boîte. A ne pas confondre avec une boîte avec un seul gant… (Rigolant.) Slogan, seul gant
CLAUDE (un brin amusée) – Alors vous !
JEAN – Quand je suis lancé, c’est dur de m’arrêter
CLAUDE – Tout ça ne m’explique toujours pas ce que vous venez faire ici
JEAN – C’est vous qui nous avez appelés
CLAUDE – Moi ?
JEAN – Oui, enfin vos patrons ; c’est pareil
CLAUDE – Pas au niveau des salaires
JEAN – Je suis là pour la révision de la photocopieuse
CLAUDE – J’y suis
JEAN – L’important, c’est d’y rester !… A ce que j’ai compris, même si elle est encore jeune, on s’en sert beaucoup
CLAUDE (soupirant) – Tout le contraire de moi
JEAN – Celle-là, elle me plaît bien… Je vous parle de votre blague
CLAUDE (fataliste) – Il vaut mieux en rire
JEAN – Vous avez raison : de nos jours, les gens sont trop graves
CLAUDE – Comme les accents
JEAN – Bah dites donc : vous aussi vous aimez plaisanter à ce que je vois !... Au fait, vous le trouvez comment ?
CLAUDE – Quoi donc ?
JEAN – Mon accent. (Légèrement grivois.) Vous pensiez à autre chose je parie ?
CLAUDE – Non
JEAN (un brin déçu) – Ah ? L’accent, c’est parce que je suis Picard
CLAUDE – Ce sont des choses qui arrivent
JEAN – Quand je dis Picard, je ne vous parle pas de la marque, hein ?... Les congelés, très peu pour moi. Gelés ou pas d’ailleurs
CLAUDE – Un vrai festival !
JEAN – Pour être plus précis, je suis du département de la Somme, d’Amiens exactement
CLAUDE – Je compatis. En un mot, là aussi
JEAN – Ca fait seulement trois semaines que je suis à Paris pour le boulot
CLAUDE – Moi, ça fait trente ans
JEAN – Vous connaissez Amiens ?
CLAUDE – Non
JEAN – C’est presque au cœur de la Picardie. (Rigolant.) C’est mieux qu’une tachycardie au cœur ! (Donnant un coup de coude à Claude.) Pas mal celle-là non plus, hein ? On ne dirait pas mais ça cogite là-dedans !
CLAUDE – Ca a l’air
JEAN – Entre nous, Amiens, c’est vraiment une ville à découvrir
CLAUDE (sans grande conviction) – Oh ! Sûrement
JEAN – Pas attirante du premier abord mais qui gagne à être connue
CLAUDE – Tout comme moi
JEAN (sur sa lancée) – Avec une magnifique cathédrale à visiter, qu’on croie ou qu’on soit athée
CLAUDE – Sans doute, mais l’heure tourne et je crois qu’il faut se hâter
JEAN – Vous avez raison. Le travail avant tout, c’est ma devise
CLAUDE – La mienne serait plutôt tout avant le travail
JEAN – La bête est où ?... Je vous parle de la photocopieuse, hein
CLAUDE (désignant le local de la photocopieuse) – Là
JEAN – Dans notre jargon, on appelle cette pièce la salle de reproduction
CLAUDE (à l’homme du public qu’elle avait apostrophé) – Je vous y attends après le spectacle
JEAN – Bon. Je vais m’y atteler
CLAUDE – C’est ça : attelez-vous
JEAN – Il est possible que je fasse des allers-retours jusqu’à ma voiture ; ça va dépendre des travaux et s’il y a des pièces à changer
CLAUDE – Vous n’aurez pas besoin de sonner : la porte ne sera pas refermée à clé. Ce matin, avant votre arrivée, je l’avais fermée pour être tranquille. La porte, pas la bouche
JEAN – Je suis désolé d’avoir débarqué si tôt… J’avais même peur de ne trouver encore personne à cette heure-ci
CLAUDE – Perdu
JEAN – Navré si je vous ai dérangée en plein travail
CLAUDE – Le risque était minime
JEAN – Tant mieux. Allez Jean : au turbin !
Jean est entré dans le local de la photocopieuse. On sonne à nouveau.
CLAUDE – C’est pas vrai ! Il y a un complot ou quoi ? Une conspiration de casse-pieds ! Ah ! Il faut vraiment tout faire ici ! Et à force de tout faire, croyez-moi, on ne fait pas grand-chose !
SCENE 3
CLAUDE, PETULA
Claude finit par aller ouvrir, en traînant à nouveau les pieds. Une jeune femme se tient à l’entrée. Très maquillée, elle porte des talons très hauts et un tailleur très court. Elle a un sac à main en bandoulière.
PETULA (très expansive) – Bonjour !
CLAUDE (nettement plus distante) – Bonjour
PETULA – Je peux entrer ?
CLAUDE – C’est déjà fait il me semble
PETULA – Ah oui ! Je suis bête des fois
CLAUDE (ironique) – Si ce n’est pas tout le temps, c’est déjà ça
PETULA – C’est dingue : on fait des choses sans s’en rendre compte
CLAUDE – Ouais… Moi, même quand je ne fais rien, je ne m’en rends pas compte
PETULA – Je me présente
CLAUDE – Si ça vous fait plaisir
PETULA (spontanée) – Ah ça, le plaisir, c’est essentiel dans la vie, surtout pour une femme, pas vrai ?
CLAUDE (qu’on sent gênée) – Euh… Oui…
PETULA – Je suis Pétula
CLAUDE – Quézako ?
PETULA – Je sais : c’est très original. Moi, ça me plaît
CLAUDE – C’est déjà ça
PETULA – Et ça plaît aux hommes, c’est ça qui compte, non ?
CLAUDE – Ouais…
PETULA – Je remplace Germaine
CLAUDE (interloquée) – Germaine ?
PETULA – Oui, un machin comme ça
CLAUDE – Ca ne serait pas plutôt Georgette ?
PETULA – Voilà ! Georgette ! Un prénom de vieille quoi. (Directe.) Et le vôtre, c’est quoi ?
CLAUDE – Claude
PETULA – Ah ? (Cherchant à se rattraper.) C’est… particulier. Je pensais que c’était plutôt pour les hommes
CLAUDE – C’est androgyne
PETULA (qui n’a visiblement pas compris) – Je… Si vous le dites
CLAUDE – Si vous préférez, c’est comme Dominique ou Frédéric, ça fait deux sexes en même temps
PETULA (bas) – Je ne dis pas non
CLAUDE (sur sa lancée) – Quoique Frédéric, il y a q minuscule pour les filles
PETULA – Moi, j’en ai connu une de Frédérique, eh bien ce n’était pas le cas : un vrai camionneur la gonzesse… Remarquez, les camionneurs, j’aime bien, pas vous ?
CLAUDE – Hum…
PETULA – Et on ne vous a jamais prise pour un homme ?
CLAUDE – Rarement. Inversement, un homme m’a rarement prise
PETULA – Ca compense
CLAUDE – Ouais, on va dire ça… Dites, sans grand espoir, vous ne connaitriez pas le nom des habitants de Chantilly ?
PETULA – Oh là non ! Il y en a bien trop !
CLAUDE – C’est cela oui… (A elle-même.) Pour Chantilly, je n’en sais pas plus, mais là, on n’a pas la crème !
PETULA – Au fait, j’espère que ce n’est pas trop grave pour… Georgette… J’ai bon, là ?
CLAUDE – Oui, vous êtes bonne
PETULA – On me le dit souvent
CLAUDE – Elle s’est méchamment amoché l’épaule en patins à roulettes
PETULA – Les patins, j’adore !
CLAUDE – J’en suis convaincue
PETULA – Et vous, vous faites quoi ici ?
CLAUDE – Ca ne se voit pas ?... Pour l’instant, je vous écoute et c’est déjà pas mal. En théorie, le ménage, quand on ne m’empêche pas de le faire. En ce qui vous concerne, je suppose que c’est Monsieur Berthier qui vous a recrutée ?
PETULA – C’est Louis… Enfin, je veux dire c’est lui… Enfin, les deux quoi
CLAUDE – Moi, je ne l’appelle jamais par son prénom
PETULA – Il n’est pas encore arrivé ?
CLAUDE – Il ne devrait plus tarder
PETULA – Je me prendrais bien un café en l’attendant… J’ai besoin de me regonfler
CLAUDE (observant la poitrine de Pétula) – Pas de partout
PETULA – Faut vous dire qu’hier et avant-hier, j’étais en boîte
CLAUDE – Ca, c’est pas mon truc. Les guinguettes à la limite
PETULA – Vous devriez essayer : les boîtes, ça conserve
CLAUDE (avec un ton de complainte) – Les boîtes de conserve, je les digère mal
PETULA – J’espère quand même ne pas m’endormir face à l’ordinateur
CLAUDE – Ca ne risque pas de m’arriver : l’informatique, c’est pas mon truc non plus
PETULA – Et c’est quoi votre truc ?
CLAUDE – Je ne vous demande pas le vôtre
PETULA (toujours spontanée) – Vous pouvez
CLAUDE – J’ai ma petite idée…
PETULA – Vous savez, passer la journée devant un écran, ce n’est pas toujours une partie de plaisir
CLAUDE – Il vaut mieux devant que derrière
PETULA (allusive) – Ca dépend pour quoi…
CLAUDE – En plus, l’informatique, je m’en méfie… Mon beau-frère Maurice, il a commandé en ligne un livre « Comment arnaquer les gens sur Internet » eh bien il ne l’a jamais reçu
PETULA – Ah bah ça, ce n’est pas de chance… Alors : un café, ça vous tente ?
CLAUDE – Non merci. Le matin, j’aime bien me faire mon thé
PETULA (bas et à nouveau allusive) – Moi aussi, mais pas forcément dans le sens où on l’entend… et pas que le matin…
SCENE 4
Les mêmes, LOUIS
La porte d’entrée s’ouvre. Louis entre, fringant. Il a une tenue plutôt décontractée.
LOUIS – Bonjour Mesdames. Désolé de vous déranger en pleine conversation, passionnante assurément
CLAUDE – Bof
PETULA (en écho) – Il y a mieux…
LOUIS (à Claude, avec un très léger ton de reproche) – Pourquoi n’êtes-vous pas en train de travailler ?
CLAUDE – Parce que je ne vous ai pas vu arriver
LOUIS – Ca se tient. Mais il serait temps de vous y mettre, non ?
CLAUDE – Vous croyez ?
LOUIS – J’en suis convaincu
Claude donne un coup de balai.
LOUIS – Claude, vous pourriez nous laisser une minute ?
CLAUDE – Même plus s’il le faut vraiment
LOUIS – J’ai des choses à montrer à Pétula
CLAUDE – Ah ?
PETULA (visiblement intéressée) – Oh !
CLAUDE – Bon, je n’ai plus qu’à retourner à mes casiers
LOUIS – Excellente initiative
CLAUDE – Eux, au moins, ils sont fidèles
Claude se dirige vers le local à archives.
CLAUDE (chantonnant, sur l’air de Sans amis de Mike Brandt) – Seule, je nettoierai seule, sans toi et sans pelle
Claude a quitté la pièce. Pétula s’appuie sur le bureau.
PETULA (fort, relevant sa jupe) – Salut toi !
LOUIS (un brin paniqué) – Oh là là ! Plus bas !
PETULA – Ok : plus bas pour la voix, mais plus haut pour la jupe, non ?
LOUIS (paniqué) – Mais… Mais qu’est-ce que tu fais ?
PETULA – Je relève le niveau
LOUIS – Tu n’y penses pas ?
PETULA (lascive) – Si, tout le temps… Toi aussi, non ?
LOUIS – Oui… (Se reprenant aussitôt.) Enfin non, pas aujourd’hui
PETULA – Il n’y a pas de jour pour ça !
LOUIS – Tu es complètement folle !
PETULA – De toi, peut-être, mon Loulou !
LOUIS – Je n’aime pas ce surnom
PETULA – Oh là là ! Qu’est-ce que tu es ronchon ! Détends-toi !
LOUIS – Facile à dire ! A tout moment, on pourrait nous surprendre dans ce bureau
PETULA (lascive) – Oh oui, prends-moi sur ce bureau !
LOUIS – C’est pas possible !
PETULA – Si, tout est possible : au bureau, sur le bureau, sous le bureau !
LOUIS – Là, on a fait le tour des prépositions
PETULA – Moi, je suis preneuse de toutes les propositions
LOUIS – Oh là !
PETULA – Et de toutes les positions !
LOUIS – Oh là là !
PETULA – Ce n’est pas ce que tu avais prévu quand tu m’as proposé ce job ?
LOUIS – Si, enfin… Ce travail, c’était aussi pour que tu puisses te faire un peu d’argent
PETULA – Vraiment ?
LOUIS – Oui, ce n’était pas pour baiser… (Se reprenant aussitôt.) Euh pour biaiser
PETULA – Je reconnais qu’en ce moment, j’ai un grand découvert
LOUIS (le regard pointé sur sa jupe relevée) – Je vois ça
PETULA – Et mon banquier ne veut plus me couvrir
LOUIS – Il a tort. Moi, je serais lui…
PETULA – Justement : une avance sur salaire serait envisageable ?
LOUIS – Faire des avances, ça te connaît
PETULA – Ca m’arrangerait surtout
LOUIS – Il te faudra malheureusement attendre un peu
PETULA – Je ne suis pas patiente pour un sou
LOUIS – Pour un sou, sans doute, mais pour plusieurs billets, tu peux faire des efforts, non ?
PETULA – Pour quelques billets, je peux faire des tas de choses !
LOUIS – En ce moment, la situation est un peu tendue
PETULA – Oh oh !
LOUIS – Mais elle devrait se redresser
PETULA (se collant contre lui) – Tu sais que je connais un moyen infaillible pour la redresser !
LOUIS – Je crois deviner…
Louis repousse Pétula et va ouvrir la porte d’entrée. Il jette un regard inquiet à l’extérieur.
Pétula a ouvert un battant de l’armoire, dont elle se sert comme d’un paravent. Elle se met à chantonner « I wanna be loved by you ». Retour de Louis. Derrière son paravent de fortune, Pétula a enlevé son string, qu’elle fait tournoyer dans les airs et envoie en direction de Louis ; Louis le ramasse aussitôt et le cache illico presto sous le canapé.
LOUIS (affolé) – C’est pas vrai !
Pétula revient vers le centre de la pièce et commence à déboutonner son chemisier.
PETULA – Si si !
LOUIS – Je te répète que nous ne sommes pas seuls !
PETULA – C’est ça qui est excitant !
LOUIS – Claude est à côté
PETULA – Un plan à trois, ça pourrait me tenter, pas toi ? (Réfléchissant.) Remarque : avec cet engin, pas trop… Avec le tien, c’est autre chose…
LOUIS – Et ma femme va débarquer d’une minute à l’autre
PETULA – Et alors ? (Réalisant.) Ta femme ?
LOUIS – Bah oui
PETULA – Parce que tu es marié ?
LOUIS – Forcément, si c’est ma femme
PETULA – Merci de la précision
LOUIS (faussement naïf) – Je ne te l’avais pas dit ?
PETULA – Non
LOUIS – Ah ? Oh ! Un simple oubli
PETULA – Evidemment. (Sur un ton de reproche.) Comme ton absence d’alliance quand on s’est rencontrés samedi
LOUIS – Voilà. Des détails
PETULA – Sympa pour elle. (Qu’on sent contrariée.) Décidément, moi qui te croyais friqué et célibataire
LOUIS – Pour l’argent, c’est provisoire, enfin j’espère
PETULA – Et pour ta femme ?
LOUIS – Bah…
PETULA – Et qu’est-ce qu’elle vient faire ici ?
LOUIS – Travailler
PETULA – Comme moi… Enfin… En théorie
LOUIS – Avec ma femme, on est associés
PETULA – De mieux en mieux
LOUIS – En fait, elle ne devait pas être là de toute la semaine
PETULA – Ce qui t’arrangeait
LOUIS – Je l’avoue. Mais son emploi du temps a été complètement chamboulé
PETULA – Un peu comme toi j’ai l’impression
LOUIS – J’ai essayé de te téléphoner hier soir pour te prévenir mais tu ne m’as pas répondu
PETULA – J’ai mes raisons. Résultat : elle est là !
La porte s’ouvre.
LOUIS – Tu ne crois pas si bien dire ! Oh là là !... Pas un mot, hein ?
SCENE 5
Les mêmes, CLAIRE
Claire fait son apparition. Elle porte une tenue stricte et distinguée à la fois. Pétula a juste eu le temps de raboutonner son chemisier.
CLAIRE (à Louis) – Finalement, je comprends mieux pourquoi tu m’as demandé de garer la voiture
PETULA (bas) – Moi aussi
CLAIRE – C’est une vraie galère pour trouver une place
LOUIS – C’est ce que disent souvent les demandeurs d’emploi
PETULA – Je confirme
CLAIRE (à Pétula) – Bonjour. Vous devez être Pétula ?
PETULA – Bonjour. Oui : c’est bien moi
LOUIS – C’est bien elle
CLAIRE – Soyez la bienvenue
PETULA – Merci
CLAIRE – Entre nous, j’aurais aimé que mon mari ne me mette pas devant le fait accompli, mais bon… Pour une fois qu’il prend seul une décision
PETULA – Ah ?
LOUIS (peu convaincant) – Georgette ne m’a prévenu de son accident que très tardivement et comme tu étais à Londres, j’ai paré au plus pressé ; la situation ne m’a pas laissé le temps de me retourner
PETULA (allusive, désignant Louis) – Lui non plus ne m’a pas laissée le temps de me retourner
LOUIS – Hum…
CLAIRE – Enfin, maintenant que vous êtes là, on ne va pas vous demander de repartir
PETULA – J’aimerais autant pas. (Taquine.) Et je parie que je ne suis pas la seule…
LOUIS – Hum…
CLAIRE – Vous avez de solides références j’espère
PETULA – Je crois
CLAIRE (avec autorité) – Faut pas croire, faut être sûre !
PETULA – Alors je crois que je suis sûre
LOUIS – Pétula m’a été chaudement recommandée par Maître Locatelli
PETULA – Voilà. Par Maître… Enfin par lui
CLAIRE – Maître Locatelli est décédé il y a deux ans
LOUIS – Ah ?... Le pauvre ! (Cherchant à se remettre en selle.) Toujours est-il que Pétula a su mettre en avant de jolis arguments
CLAIRE (les yeux sur le décolleté de Pétula) – Je vois ça. Mon mari a eu le temps de vous expliquer en quoi consistait le travail ?
PETULA – Brièvement
LOUIS – J’ai fait un raccourci
CLAIRE (le regard sur la jupe de Pétula) – Un raccourci, en effet. Il s’agira avant tout d’assurer l’accueil
PETULA – Pas de souci. J’ai un grand sens du contact
LOUIS – Je confirme
CLAIRE (sèche) – J’en jugerai. Et après tout, ce n’est que pour une semaine
PETULA – C’est court
LOUIS (le regard sur la jupe de Pétula) – Oui, très court
CLAIRE (même jeu) – Trop court
LOUIS – Mais assez pour nous montrer toute la hauteur de vos talons… (Se reprenant.) Euh de vos talents
CLAIRE – En général, je me fais assez vite une opinion. (A Louis.) En attendant, tu te rappelles que c’est ce matin que débute le stage de Jean-Damien ?
LOUIS – De ?
CLAIRE – Jean-Damien
LOUIS – J’avoue que ça m’était sorti de l’esprit
CLAIRE (caustique) – Il n’est pourtant pas très occupé… Enfin, peut-être pas par le travail. Avec l’absence de Georgette, je reconnais que ce stage ne tombe pas forcément très bien
LOUIS – Qui pouvait prévoir ?
CLAIRE – Même pas moi, c’est dire
LOUIS – Pétula pourra s’en occuper
PETULA – Avec plaisir
CLAIRE – Je n’en doute pas une seconde, mais mon mari devrait sans grande difficulté se libérer du temps pour lui
PETULA – Jean-Damien vous dites ?
CLAIRE – Oui : Jean-Damien de la Butinière
PETULA – Oh là ! Tout ça pour lui ! Bah dites donc !
CLAIRE – Pour votre gouverne, sachez que son père est conseiller régional et qui plus est notre plus gros client
PETULA – Pas trop gros j’espère… Les grassouillets, c’est pas trop mon truc
CLAIRE (sèche) – Nous nous passerons volontiers de vos traits d’humour. Nous sommes une maison sérieuse
LOUIS (faux) – Parfaitement
CLAIRE – Bien. Je compte sur chacun pour réserver à Jean-Damien le meilleur accueil possible
PETULA – Pas de souci !
LOUIS – C’est comme si c’était fait
CLAIRE – Efforçons-nous de lui confier des missions intéressantes
LOUIS – Faut juste les trouver
CLAIRE – Et ce même si sa mère tient à ce qu’il touche à tout
PETULA – Avec moi, pas de problème : il pourra toucher à tout !
CLAIRE (sur sa lancée) – Y compris à des tâches moins passionnantes, comme par exemple réaliser des photocopies… Elle a lourdement insisté à ce sujet
LOUIS – Le terme lourdement lui correspond bien
CLAIRE – Commentaire déplacé et totalement inutile
LOUIS – Ah ?
CLAIRE – Sachez encore que Jean-Damien est un jeune homme qui poursuit de belles études en droit
PETULA (allusive) – Endroit ou envers, quel dilemme !
CLAIRE – C’est aussi quelqu’un de réservé
LOUIS – Pour ne pas dire coincé
CLAIRE – Tout dépend où on positionne son curseur
PETULA – C’est important de savoir où positionner son cu…rseur
CLAIRE – Et il conviendra donc de ne pas le brusquer
LOUIS – Je suppose qu’on l’installera dans le bureau inoccupé ?
CLAIRE – Evidemment : pas sur mes genoux
PETULA – Ni sur les miens. (Bas, à elle-même) Quoique…
CLAIRE – Bon. (A Louis.) Il est plus que temps de nous plonger dans les dossiers
LOUIS – C’est ça : plongeons !
CLAIRE (à Pétula) – Quant à vous, si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à me demander
LOUIS – Pareil pour moi
CLAIRE – Mon bureau est sur la droite, tout au fond du couloir
PETULA – C’est noté
CLAIRE – Et, au cas où vous ne le sauriez pas encore, juste en face de celui de mon mari
Claire et Louis gagnent les bureaux.
PETULA – Oh là là ! Rigide la bonne femme ! Ouais, Pétula, va falloir faire profil bas… (Son portable sonne.) Allô ? Ah, c’est toi ?… Bah oui déjà levée… Et pourtant, personne ne m’a poussée du lit ce matin… Oui : j’ai passé la nuit seule… C’est rare mais ça arrive… Non non : on n’est plus ensemble. Un lourdaud pareil, ça ne pouvait pas durer, tu penses bien !... Avec recul, je me demande comment j’ai pu le fréquenter, même si c’est seulement quelques jours… Mon tableau de chasse en a pris un sacré coup… A ma décharge, il faut reconnaître que j’étais déprimée quand on s’est rencontrés et que j’avais bu… Si au moins il avait eu du fric, ça aurait pu passer… Même pas : un looser sur toute la ligne !... Le souci, c’est que depuis que je l’ai largué, il n’arrête pas de m’appeler… Je n’aurais jamais dû lui donner mon numéro de portable ! Qu’est-ce que j’ai été cruche avec cette gourde ! Heureusement : il n’a pas mon adresse… Non : on allait chez lui… Le problème, c’est que maintenant, quand mon portable sonne, je ne décroche même plus… Il n’est pas malin mais assez futé pour utiliser des numéros différents… Oui, je sais, ce n’est pas une solution et ça ne peut pas durer… Tu as raison… La prochaine fois qu’il m’appelle, je réponds et je lui dis que je suis avec un nouveau mec… Oui, j’inventerai… (Allusive.) Simuler, ça me connaît… Merci pour ton conseil… (On aperçoit alors la tête de Claude, qui va écouter la fin de la conversation téléphonique.) Un autre homme en vue ?... Bah, pour une fois, je croyais être sur un bon coup mais non… Je m’étais trop bercée d’illusions… Mais j’ai peut-être une autre piste… Je te raconterai… Et toi ?... Comme moi, toujours le cul entre deux chaises ?… Ouais, comme tu dis, les fesses entre deux barreaux plutôt… C’est bien trouvé… Pour ce soir ?… Mais bien sûr que je te couvre Chloé… Oui, tu es censée passer la soirée chez moi, j’ai compris… A charge de revanche… Je t’embrasse. Bye.
SCENE 6
PETULA, CLAUDE
Pétula, en se retournant, a aperçu la tête de Claude.
PETULA – Dites donc : ça ne vous dérange pas d’écouter la conversation des autres ?
CLAUDE (sortant du local à archives) – Pas plus que ça. C’est mieux que de s’écouter causer, et je sais de quoi je parle ! De toute façon, je n’ai absolument rien entendu de ce que vous avez raconté à votre copine Chloé sur vos aventures respectives
PETULA – Bon
CLAUDE – Alors : vous avez fait la connaissance des patrons ?
PETULA – Oui
CLAUDE – Et qu’est-ce que vous en pensez ?
PETULA – Qu’il fallait bien que ça se fasse
CLAUDE – D’accord, mais je voulais savoir ce que vous pensiez de vos patrons ?
PETULA – Ca vous regarde ?
CLAUDE – Ca m’intéresse
PETULA – Madame est assez sèche, non ?
CLAUDE – C’est une femme de caractère. Entre nous, heureusement qu’elle est là pour faire tourner la boutique
PETULA – J’en ai l’impression
CLAUDE – Faut dire que la boîte lui appartient
PETULA – Ca ne me surprend pas
CLAUDE – C’est son père qui l’a créée… La boîte comme la fille
PETULA – Et son mari ?
CLAUDE – Je crois qu’il a quelques billes dans l’affaire. Même si c’est un peu une grande gueule, il n’a pas trop son mot à dire avec sa femme
PETULA – J’avais remarqué
CLAUDE – Autant dire que c’est madame qui porte la culotte
PETULA (réalisant) – Au fait, où est-ce qu’elle est ?
CLAUDE – Quoi donc ?
PETULA – Rien. Ou si peu de choses…
CLAUDE – Dites : tout ce que je vous raconte là, vous le gardez pour vous, hein ?
PETULA – Mais oui : ça ne sortira pas du bureau
CLAUDE – Vous me rassurez. Allez : faut quand même que je termine ce que j’ai commencé… Et comme je n’ai pas commencé grand-chose, il y a du taf, croyez-moi !
Claude regagne le local à archives.
Le portable de Pétula sonne.
PETULA – Allô ?... Ah, c’est toi, j’aurais dû m’en douter… Dis donc ! Je réponds si je veux, à qui je veux et quand je veux… Je te le répète une dernière fois : c’est fini entre nous… Fini !... Finito ! Basta !... Pourquoi ?... Je vais te répondre pourquoi… Parce que… Parce qu’il y a quelqu’un d’autre, voilà pourquoi !... C’est aussi simple que ça !... Qui ça ?... T’as pas à le savoir ! C’est un mec… Un mec qui assure très bien, lui !... Son nom ? Et puis quoi encore ?... Au moins son prénom ? … Si je te le donne, tu me ficheras définitivement la paix ?... (Réfléchissant.) Alors, c’est… C’est… Jean-Damien, oui, c’est ça : Jean-Damien… Oui ça existe !... Ca te suffit ?... T’es content ?... Que tu le sois ou pas, je m’en balance !... Maintenant, je ne veux plus que tu me rappelles, c’est clair ?... (Elle arrête la conversation.) Eh ben voilà… Je m’en suis sortie… Ouais, j’ai plutôt bien brouillé les pistes… J’en ai assez dit pour le décourager définitivement et pas assez pour qu’il en sache trop… Well done ma jolie darling !
SCENE 7
PETULA, CLAIRE
Retour de Claire. Elle a une pile d’enveloppes dans les mains.
CLAIRE – Pétula ?
PETULA – C’est moi
CLAIRE – Cette fois-ci, je le savais, merci. Pourriez-vous aller à la Poste envoyer ces lettres en recommandé ?
PETULA (naturelle) – Pourquoi pas ?
CLAIRE – Ca doit entrer dans le champ de vos compétences
PETULA – Ca devrait
CLAIRE – Il y a une agence postale à cent mètres sur la gauche en sortant de l’immeuble
Pétula a pris un calepin et note.
PETULA – Cent mètres sur la gauche… Voilà. Quand on n’a pas de tête…
CLAIRE (du tac au tac) – On a des jambes
PETULA – Et de quoi noter ! Ceci dit, les jambes, c’est très utile dans la vie
CLAIRE – Pour vous, je n’en doute pas
PETULA – Donnez-moi vos lettres, je m’en occupe, promis !
CLAIRE (ferme) – Il est très urgent de les poster et je veux que vous alliez à la Poste dès maintenant.
PETULA – Personnellement, je n’y vois pas d’inconvénient
CLAIRE – Encore heureux !
PETULA – Et toujours heureuse !
Claire donne les lettres à Pétula, ainsi qu’un billet. Pétula sort.
CLAIRE – On n’a pas hérité du gros lot… Et je me demande de plus en plus si… Oh ! Mais je finirai bien par en avoir le cœur net… Patience, patience !
SCENE 8
CLAIRE, LOUIS puis ANEMONE et JEAN-DAMIEN
Retour de Louis.
LOUIS – Pétula n’est pas là ?
CLAIRE – Je viens de l’envoyer à la Poste
LOUIS – Ah ? Très bien…
CLAIRE – Tu as besoin de ses services ?
LOUIS (bredouillant) – Ah… Euh… Non… Enfin…
CLAIRE – Je voulais te demander…
LOUIS – Oui…
CLAIRE – A propos de cette fille…
On sonne… opportunément.
LOUIS – Je crois qu’on a sonné. (On sonne à nouveau.) Oui…
CLAIRE (consultant sa montre) – Sûrement Jean-Damien
LOUIS – Je vais ouvrir
Louis va ouvrir la porte. Sur le seuil se tiennent une dame d’apparence assez austère et, derrière elle, un jeune homme en costume mal ajusté, avec des lunettes aux verres en cul de bouteille.
ANEMONE – Bonjour
LOUIS (avec exagération) – Mais qui voilà !
CLAIRE (nettement plus pondérée) – Soyez les bienvenus !
ANEMONE – Merci
JEAN-DAMIEN (timidement) – Oui, merci
LOUIS – Ma chère Anne-Marie
CLAIRE (rectifiant) – Anémone
LOUIS – Ah ?... Et là, je parie que c’est Jean-Denis
CLAIRE (rectifiant à nouveau) – Jean-Damien
LOUIS – Là, j’y étais presque… (Dévisageant Jean-Damien.) Laissez-moi vous regarder… Tout le portrait de votre père ! Même prestance, même vivacité dans le regard
ANEMONE – Mon mari aurait aimé lui aussi accompagner Jean-Damien, mais le travail, vous savez ce que c’est
LOUIS – Et comment !
CLAIRE (dubitative) – Hum…
ANEMONE – Une nouvelle fois, merci de prendre Jean-Damien en stage
JEAN-DAMIEN – Oui, c’est gentil
CLAIRE – C’est tout naturel
LOUIS – Vu les contrats qui nous lient à son père
Claire donne un coup de coude à Louis.
LOUIS (à Jean-Damien) – Si j’ai bien suivi, et ça m’arrive, vous êtes en droit, n’est-ce pas ?
ANEMONE – Oui, il va commencer sa cinquième année
LOUIS – Comme on dit : le droit mène à tout, à condition d’en sortir
CLAIRE – Oui, merci
LOUIS (en rajoutant) – Et si on n’est pas trop gauche
CLAIRE (agacée) – Là, ça ira comme ça… (A Jean-Damien.) Et vous vous dirigez vers quelle profession ?
ANEMONE – Il hésite
JEAN-DAMIEN – Oui, je…
ANEMONE – Le monde de l’assurance semble l’intéresser
JEAN-DAMIEN (cherchant à s’affirmer) – Il m’intéresse
ANEMONE – Ne me contredis pas s’il te plaît
LOUIS – Après tout, même s’il manque d’assurance, pourquoi ne pas en faire son métier ?
CLAIRE (à Jean-Damien) – La politique ne vous tente pas, comme votre père ?
ANEMONE – Oh que non, Dieu merci !
JEAN-DAMIEN – Je…
ANEMONE – Il est bien trop timide pour ça
LOUIS – Et puis après cinq ans de droit, ce serait bête de faire le reste de travers
CLAIRE (sèche) – Louis !
LOUIS (cherchant à se rattraper) – Enfin, en cherchant vraiment bien parmi les politiques, il doit y avoir des exceptions
CLAIRE – Peut-être que ce stage lui permettra d’y voir plus clair
LOUIS – Il a déjà de sacrées lunettes !
ANEMONE – En tous les cas, je vous le répète : je ne veux pour lui aucun traitement de faveur
JEAN-DAMIEN – Ah bah non
ANEMONE – N’hésitez pas à lui confier tous les travaux, même les plus ingrats
CLAIRE – Comptez sur moi
LOUIS – Oui : comptez sur elle !
ANEMONE – Mon mari a démarré au bas de l’échelle et il ne souhaite pas que son fils prenne l’ascenseur
CLAIRE – C’est imagé
ANEMONE – Comme je vous l’ai dit, s’il y a des photocopies à faire, qu’il les fasse
JEAN-DAMIEN (se risquant, en rigolant) – Des photocopies, pas des fautes de copie
ANEMONE – Jean-Damien !
LOUIS (à Jean-Damien) – Alors là, je sens poindre une touche d’humour et ça me plaît énormément ! Si si ! Jean-Damien, je suis sûr que nous allons bien nous entendre
ANEMONE – J’espère
JEAN-DAMIEN – Moi aussi
LOUIS – Et dans un mois, je mets ma main au feu que vous vous serez complètement lâché
ANEMONE – Là, je n’espère pas… Mais je vous le redis : il ne faut pas qu’on le ménage !
LOUIS – Non, mais qu’on le manage, oui !
ANEMONE – Confiez-lui toutes les tâches !
Claude a fait un retour opportun.
CLAUDE – Pour les taches et le ménage, c’est moi !... Bien le bonjour m’sieurs dames
CLAIRE – Hum… Voici Claude… Elle s’occupe de l’entretien du cabinet
CLAUDE (rigolant) – Pas que… Je fais aussi les autres pièces !
ANEMONE (distante) – Bonjour
JEAN-DAMIEN – Bonjour Madame Claude
CLAUDE (rectifiant) – Mademoiselle
CLAIRE (continuant les présentations) – Madame de La Butinière
LOUIS – Anémone de son prénom
CLAUDE – Oh là ! N’en jetez plus !... Remarquez : Anémone avec Butinière, c’est plutôt bien choisi… Si en plus vous aviez eu une taille de guêpe, on avait le tiercé gagnant !
CLAIRE – Oui oui
CLAUDE – Dites : avec Pétunia, on est fleuris !
LOUIS (rectifiant) – Pétula… (A Anémone.) C’est notre secrétaire
CLAIRE – Très provisoirement
CLAUDE – Je dirais même que c’est le bouquet
JEAN-DAMIEN – Pétula, c’est joli comme prénom
CLAUDE – Il n’y a pas que le prénom, croyez-moi ! Oh là là !
JEAN-DAMIEN (qu’on sent émoustillé) – Ah…
CLAIRE (à Claude) – Je pense que vous avez du travail à finir
CLAUDE – C’est ce que tout le monde semble dire… Et je sais que dans le genre collant, je suis au top… Allez : je file !
CLAIRE – C’est préférable en effet
Claude se dirige vers le local à archives puis revient sur ses pas.
CLAUDE – C’est marrant ce que je viens de dire
LOUIS – Pourquoi donc ?
CLAUDE – Bah, il y a peine dix minutes, j’ai filé mon collant… (Relevant sa jupe sous le nez de Jean-Damien.) Tenez : vous voyez ?
JEAN-DAMIEN (ajustant ses lunettes) – Oh là !
ANEMONE (sur un ton de réprimande) – Jean-Damien, voyons !
Claire montre à Claude la direction du local à archives.
CLAUDE – J’ai compris : je suis de trop… Et je vous laisse entre gens de bonne compagnie… C’est mieux que de rester en compagnie de la bonne
Claude regagne le local à archives en chantonnant.
CLAUDE – C’est point commode d’être à la mode quand on est la bonne du quartier
Claude a quitté la pièce.
CLAIRE – J’espère que la familiarité de Claude ne vous a pas trop choqués ?
JEAN-DAMIEN – Non non
ANEMONE (bien moins indulgente) – J’avoue que…
CLAUDE (off, chantonnant) – N’avoue jamais, jamais, n’avoue jamais…
ANEMONE (ferme) – Mais il est vrai que mon mari et moi-même ne laisserions jamais passer de tels propos
CLAIRE (un peu décontenancée) – Ah…
ANEMONE – J’espère au moins qu’elle est irréprochable au niveau de son travail
CLAIRE – Ce serait exagéré
ANEMONE – Alors pourquoi la gardez-vous ?
LOUIS – Elle fait, comment dire, partie des meubles
ANENOME (sèche) – Un meuble, ça se déplace ou ça se change
CLAIRE – Nous… Nous y songerons
ANEMONE – Bien. Je vais vous laisser
CLAIRE – Partez tranquille : Jean-Damien est dans de bonnes mains
ANEMONE – Tant qu’il n’est pas entre les mains de la bonne !
CLAIRE – Le lundi matin, le cabinet est fermé et nous le consacrons surtout à mettre à jour nos dossiers
LOUIS – Voilà
CLAIRE – Nous aurons donc du temps à consacrer à Jean-Damien
LOUIS – Voilà
ANEMONE – Parfait. (A Jean-Damien.) Travaille bien !
JEAN-DAMIEN – Ne t’inquiète pas
Anémone quitte la pièce.
CLAIRE (à Jean-Damien) – Comme j’ai des documents importants à signer, Louis va se faire un plaisir de s’occuper de vous… (A Louis.) Tu n’as qu’à commencer par lui présenter notre activité
LOUIS – Bonne idée. (A Jean-Damien.) Suivez-moi ! (Il prend Jean-Damien par l’épaule.) Mon cher Jean-Damien, je vois qu’on va bien s’entendre !
JEAN-DAMIEN (rigolant) – Je suis très myope mais j’ai une très bonne audition
LOUIS – Alors vous ! Vous n’en ratez pas une ! Et j’aime ça !
Claire, Louis et Jean-Damien gagnent les bureaux.
SCENE 9
PETULA, JEAN
Retour de Pétula.
PETULA – Finalement, faudra que je retourne à la Poste ! Pas mal du tout le guichetier ! Prête à lui obéir à la lettre ! Avec une timbrée comme moi, ça devrait coller
Jean sort du local de la photocopieuse. Il découvre Pétula.
JEAN (déjà sous le charme) – Bonjour
PETULA – Bonjour… Je… Otez-moi d’un doute…
JEAN (rigolant) – Je veux bien vous ôter tout ce que vous voulez
PETULA (faussement choquée) – Oh !
JEAN – Même s’il ne restera alors pas grand-chose
PETULA – Vous ne seriez pas Jean-Damien par hasard ?
JEAN – Euh… Si… Les nouvelles vont vite à ce que je vois… Jean et d’Amiens… Deux en un !
PETULA – C’est drôle
JEAN – Ouais, mais j’ai mieux en réserve
PETULA – Je pensais que vous seriez plus…
JEAN – Plus ?
PETULA – Jeune
JEAN – Ah ?... Et ça vous déçoit ?
PETULA – Disons que ça me surprend un peu mais bon…
JEAN – Vous savez, comme disait mon grand-père, même si les feuilles commencent à tomber, la sève coule toujours !
PETULA – Vous étiez occupé avec la photocopieuse je parie ?
JEAN – Bah oui
PETULA – Forcément
JEAN – Je suis là pour ça, non ?
PETULA – Pas que j’espère… Pas que…
JEAN – Et vous, vous ne m’avez pas encore donné votre joli prénom ?
PETULA – Pétula
JEAN – Pétula ? Ah ! C’est sympa… Je dirais même que c’est… pétulant
PETULA – Alors celle-là, on ne me l’avait jamais sortie
JEAN – Ah ?... Mais je peux en sortir une autre vous savez
PETULA (un brin allumeuse) – Mais j’y compte bien !
JEAN – Ah ?... Des fois, à trop dire de bêtises, j’ai l’impression que je rase les gens
PETULA (fausse) – Non
JEAN – Et pourtant je ne suis pas barbier !
PETULA – Bah non
JEAN – Dites : vous ne me trouvez pas trop lourd ?
PETULA – Légèrement, mais ce n’est pas ça qui compte
JEAN – Et sans indiscrétion, vous faites quoi ici ?
PETULA – Mettons que je suis secrétaire
JEAN – C’est important une secrétaire… Dans une société, vous êtes un peu la femme à tout faire
PETULA – Ca, je sais faire plein de choses…
JEAN – C’est commode… (Rigolant.) Secrétaire… Commode… Pas mal, hein ?
PETULA – Oui oui
JEAN – Et spontané en plus
PETULA – Alors vous, vous savez causer
JEAN – Normal : avec les secrétaires, faut savoir meubler… Bien trouvé aussi, hein ?
PETULA – Très bien très bien
JEAN – Meubler, pas meugler… Ce serait vache ! Et quand on est vache, on n’est pas commode ! Et voilà : la boucle est bouclée
PETULA – Voilà voilà. (Aguicheuse.) Et si on parlait plutôt de vous ?
JEAN – De moi ?
PETULA – Oui : je brûle d’impatience d’en savoir plus
JEAN – Bah… Vous savez déjà mon prénom et d’où je viens, c’est un bon début !
PETULA – Euh… Oui… Mais c’est la suite qui va être intéressante…
JEAN – Au niveau de la photocopieuse, j’ai presque fini
PETULA – Vous avez donc du temps pour moi
JEAN – En fait, il ne me reste plus qu’à la nettoyer et vous pourrez vous en servir autant que vous voulez
PETULA (allusive) – Je ne demande qu’à
JEAN – Recto verso si ça vous chante
PETULA – Recto verso : quel programme !
JEAN – Et au niveau du format, pas de souci
PETULA – Si vous le dites
JEAN – Soyez rassurée : A3, pas de problème !
PETULA – A trois, je ne dis pas non
JEAN – A4, ça roule aussi
PETULA – Je ne demande qu’à essayer
JEAN – Pour faire un agrandissement, vous savez comment faire ?
PETULA – J’ai ma technique
JEAN – L’important, pour ce genre de truc, c’est d’être correctement outillé
PETULA – A qui le dites-vous !
JEAN – Et de ce côté-là, je reconnais que je suis bien équipé
PETULA – Je ne demande qu’à voir…
Le téléphone sonne.
JEAN – Euh… Il y a le téléphone, si je ne m’abuse
PETULA – Tant que vous n’abusez pas de moi… Remarquez, ça ne me dérangerait pas…
JEAN – Ca a l’air important
PETULA – Comment le savez-vous ?
JEAN – Je le suppute
PETULA – Vous…
JEAN – Je le subodore… Ou je le suppose si vous préférez
PETULA – Les trois me vont
JEAN – Moi, l’étroit, ça me boudine… (Le téléphone sonne à nouveau.) Si vous voulez mon avis, vous devriez décrocher
Pétula finit par décrocher.
PETULA – Ah ?... Euh… Oui… J’arrive… (A Jean.) C’est la patronne, avec la ligne interne… Elle a besoin de moi et tout de suite. Commençant à la connaître, mieux vaut ne pas la faire attendre
JEAN – Déjà que vous l’avez fait poireauter au téléphone
PETULA – Mais entre nous, ce n’est que reculer pour mieux sauter
JEAN – Oh là !
PETULA – A trois, à quatre, peu importe ! Même à cinq ! Soyons fous !
JEAN – Ah non : A5, ce ne sera pas possible ! La machine a plein de fonctionnalités, mais pas celle-là !
PETULA – La machine… C’est donc comme ça que vous l’appelez… Pourquoi pas ?... Allez : à tout de suite ! J’ai hâte de jouer les machinistes !
Pétula gagne les bureaux.
JEAN – Ouh là là ! Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Je me demande ce qu’elle me veut… Enfin si, j’imagine bien… Avec Claude, il y avait déjà quelque chose, un frémissement, mais là, c’est le ravissement ! Et ce n’est sûrement pas fini ! (Au public.) Pour vous non plus, hein ?
ACTE 2
SCENE 1
CLAIRE, ERIC
La scène est vide. On sonne. Claire sort des bureaux, un dossier en main.
CLAIRE – Décidément, il faut tout faire ici ! (Au public.) Ca, il me semble que quelqu’un d’autre l’a déjà dit, non ?
Claire est allée ouvrir. Un homme très charpenté, en salopette, se tient devant la porte ; il a un gros carton à ses pieds.
CLAIRE – Monsieur
ERIC – M’dame. Berthier, c’est bien ici ?
CLAIRE – Oui. C’est écrit sur la porte
ERIC – J’avais pas fait attention. Entre nous, j’ai eu un peu de mal à vous trouver
CLAIRE – Ah ?
ERIC – Votre société, pas vous
CLAIRE (sèche) – J’avais compris, merci. Venons-en au fait
ERIC – Oh là doucement ! Les fêtes, c’est pas pour tout de suite ! On n’est qu’en juillet
CLAIRE – Vous êtes là pour une livraison, je ne me trompe pas ?
ERIC – Ouais, dans le mille Emile… Je ne sais pas vous mais moi, j’aime bien cette expression
CLAIRE (s’impatientant) – Alors ?
ERIC – Bah : le gros colis, là, c’est pour vous. Gros colis, hein, pas brocoli !
CLAIRE – C’est cela, oui
ERIC – Ca fait toujours rire quand je la raconte
CLAIRE (toujours sèche) – Non, pas toujours
ERIC – Ah ?... Pourtant… Tenez, pas plus tard que vendredi, y’a une vieille dame, encore plus vieille que vous, c’est dire, eh ben elle était pliée en deux… Pas parce qu’elle avait mal au dos mais à cause du jeu de mots gros colis brocoli… Et elle s’est poilée quand elle m’a dit que j’étais un chou… (Se grattant la tête.) Je ne vois pas trop pourquoi d’ailleurs…
CLAIRE – Et vous savez ce qu’il y a dans ce carton ?
ERIC – Une armoire… (Réponse du berger à la bergère.) Comme vous dites, c’est écrit dessus
CLAIRE – Ah oui, c’est vrai qu’on a fait une commande. Mais j’en attendais deux
ERIC – Minute papillon ! Soyez pas trop gourmande !
CLAIRE – Je me passe de vos commentaires
ERIC – L’autre est dans ma camionnette. Vu le poids, une à la fois ! Tiens, ça rime… Mais rassurez-vous : pas de blème, no problem : elles y passeront toutes
CLAIRE – Une nouvelle fois, merci de garder vos expressions pour d’autres
ERIC – J’voudrais bien, mais en ce moment, je n’ai plus personne
CLAIRE – Ca vous regarde
ERIC – Ca me rend malade surtout… Vous ne pouvez pas vous imaginer !
CLAIRE – Non, et je ne cherche pas à le faire
ERIC – A tel point que je n’en dors plus
CLAIRE – Dans la vie, il y a des hauts et des bas
ERIC – Remarquez, avec vous, c’est plutôt haut… Quatrième étage, merci !
CLAIRE – Il y a un ascenseur
ERIC – Le hic, c’est que j’ai dû prendre les escaliers. Ouais, le carton est trop gros pour rentrer avec dans l’ascenseur
CLAIRE – Oui oui… Ceci dit, heureusement que vous êtes charpenté
ERIC – Livreur, pas charpentier… Bon, je vous la pose là… Je vous parle de l’armoire. (Il pose le carton contre un mur.) Je vais chercher la deuxième
CLAIRE – Faites
ERIC – Mais avant de redescendre, un petit remontant !
Eric sort une bouteille d’alcool de la poche de sa salopette et en boit une bonne rasade.
ERIC – Voilà une bonne chose de faite… Vous n’avez rien vu, hein ?
CLAIRE – Si ça vous arrange
ERIC – Merci. Je vous laisserai signer le bon de livraison à mon retour
CLAIRE – Ce sera certainement Pétula qui s’en chargera
ERIC – Peu importe
Eric s’apprête à sortir mais il revient sur ses pas.
ERIC – Pétula ?
CLAIRE – Oui, notre nouvelle secrétaire
ERIC – Attendez attendez
CLAIRE – Mon temps est précieux
ERIC – Pétula vous dites ?
CLAIRE – Je reconnais que c’est un prénom qui ne court pas les rues
ERIC (à lui-même) – Les rues, peut-être pas, les bars, sûrement
CLAIRE – Vous dites ?
ERIC – Rien : je soliloquais… Ouais, c’est un mot que j’ai appris hier
CLAIRE – Il n’est jamais trop tard pour s’instruire
ERIC – Il faut bien que je le recase
CLAIRE – Sans doute
ERIC – Votre Pétula, elle ne serait pas blonde par hasard ?
CLAIRE – Oui, par hasard ou par teinture
ERIC – Avec de très longs cheveux
CLAIRE – Oui. Inversement proportionnels à la taille de sa jupe
ERIC – Ouais, c’est sûrement elle… (Désignant le bureau de Pétula.) Ce ne serait pas son bureau, là ?
CLAIRE – Si… Pour l’instant…
ERIC (découvrant le sac à main de Pétula) – Et là, c’est son sac à main
CLAIRE – C’est sûr que ce n’est pas le mien
ERIC – Il n’irait pas du tout avec vous
CLAIRE – Merci. Mais vu à quoi il ressemble, j’en suis heureuse. Franchement, quel mauvais goût !
ERIC (le sac entre les mains) – Je le lui ai acheté la semaine dernière. Ca m’a d’ailleurs coûté un bras
CLAIRE – Pour un sac à main, ça s’entend
ERIC – Non, pas de doute : je le reconnaitrais entre mille
CLAIRE (en écho) – Emile, c’est ça ?
ERIC (bêtement) – Bah non, moi, c’est Eric ! Eric Roux
CLAIRE – Hum…
ERIC (réfléchissant) – Dites donc : Jean-Damien, ça vous parle ?
CLAIRE – Oui
ERIC – J’en étais sûr !... Finalement, le hasard fait bien les choses
CLAIRE – Comme la teinture… Ecoutez : je ne comprends pas trop ce que vous me racontez
ERIC – Moi, je me comprends
CLAIRE – C’est déjà ça… Vous pourriez m’en dire davantage ?
ERIC – Non
CLAIRE – Vraiment ?
ERIC – Ouais : faut que je sois sûr
CLAIRE – Bon. Je ne veux pas vous contrarier
ERIC (s’énervant) – Manquerait plus que ça ! Moi, quand je suis contrarié, je cogne !
CLAIRE – Oh là !
ERIC – Et quand je cogne, je ne fais pas semblant, si vous voyez ce que je veux dire
CLAIRE (impressionnée) – Oui… Très bien
ERIC – En revanche, je peux vous dire ce que je compte faire
CLAIRE – C’est mieux que rien
ERIC – Primo : chercher la deuxième armoire
CLAIRE – Bonne idée
ERIC – Il ne manquerait plus qu’on me la fauche. On m’a déjà piqué ma gonzesse, ça suffit largement !
CLAIRE – Ca peut se comprendre
ERIC (plongé dans ses réflexions) – Ne m’embrouillez pas !... C’est assez compliqué comme ça… Alors… Où j’en étais… Ah oui ! Deuzio : remonter jusqu’ici avec l’armoire
CLAIRE – Logique
ERIC – Et troisio… Bah… On verra ce qu’on verra ! Patience, patience !
CLAIRE – Ca, je l’ai déjà dit il y a peu
ERIC – Je ne vais pas tirer des plans sur la camionnette… Mais je parie qu’il va y avoir très vite de l’ambiance !
Eric boit une nouvelle fois à sa bouteille et quitte le bureau.
CLAIRE – Qu’est-ce que c’est que ce gars ? Un pauvre type qui s’est fait larguer, c’est sûr… Pour le reste, je me demande si… Mais pourquoi il a parlé de Jean-Damien ?… Qu’est-ce qu’il aurait à voir là-dedans ?... Bizarre… Bon… Comme il l’a dit : on verra bien… Wait and see !
SCENE 2
CLAIRE, JEAN-DAMIEN
Retour de Jean-Damien.
CLAIRE – Ah ! Jean-Damien
JEAN-DAMIEN – Je… Oui madame
CLAIRE – Appelez-moi Claire, voyons
JEAN-DAMIEN – Je… Si vous voulez
CLAIRE – Je pensais à vous à l’instant
JEAN-DAMIEN (un peu troublé) – A moi ! Oh là !
CLAIRE – Tout se passe bien ?
JEAN-DAMIEN – Je pense
CLAIRE – Mon mari s’est occupé de vous ?
JEAN-DAMIEN – Oui, très bien
CLAIRE – Parfait. (Bas, à elle-même.) S’il pouvait faire pareil avec moi…
JEAN-DAMIEN – Et il m’a confié la rédaction d’un rapport
CLAIRE – Déjà ? C’est ambitieux… J’ai certes compris qu’il ne fallait pas vous ménager mais vous-même, ménagez-vous !
JEAN-DAMIEN – Je devrais m’en sortir
CLAIRE – Attention toutefois à ne pas faire à la place de mon mari son propre travail ; entre nous, ça l’arrangerait
JEAN-DAMIEN – Vous voulez dire qu’il aurait facilement tendance à se décharger ?
CLAIRE (allusive) – Avec certaines personnes, oui
JEAN-DAMIEN – Ah ?
CLAIRE – Il a quand même eu le temps de vous parler de notre cabinet ?
JEAN-DAMIEN – Oui, il a été très clair, Claire
CLAIRE – Tant mieux tant mieux. Vous y voyez donc mieux ?
JEAN-DAMIEN (rigolant) – Avec ma paire de lunettes, ça va aller
CLAIRE – Jean-Damien, j’ai l’impression que vous commencez à vous sentir plus à l’aise parmi nous ; j’ai raison ?
JEAN-DAMIEN – Je crois, oui…
CLAIRE – Et je suis persuadée qu’en très peu de temps, ce votre stage va vous transformer
JEAN-DAMIEN – Qui sait ?
CLAIRE – Et faire de vous… comment dirais-je… un autre homme
JEAN-DAMIEN – Quand même…
CLAIRE – D’ici à ce que votre mère ne vous reconnaisse pas !
JEAN-DAMIEN – Comme sur un cahier, il y a de la marge
CLAIRE – Oh ! Jean-Damien !
Jean-Damien promène son regard partout.
CLAIRE – Vous semblez chercher quelque chose ?
JEAN-DAMIEN – Oui : ma serviette. Je croyais l’avoir laissée ici, mais a priori non
Le portable de Claire sonne.
CLAIRE – Excusez-moi… Les affaires, vous savez ce que c’est
JEAN-DAMIEN – Moi, j’ai tendance à souvent perdre les miennes : la preuve !
CLAIRE – Décidément !
Claire regagne son bureau.
JEAN-DAMIEN (balayant à nouveau la pièce du regard) – Non, rien… Tant pis… (Jean-Damien regagne son bureau.) Jean-Damien, au rapport
SCENE 3
JEAN, ERIC
Jean sort du local de la photocopieuse. Il siffle et se frotte les mains.
JEAN – Voilà une bonne chose de faite ! (Au public.) Dites : vous ne savez où est passée Pétula ? J’aurais bien repris notre conversation où on l’avait laissée
Retour d’Eric. Il pose le deuxième carton à côté du premier.
ERIC – M’sieur !
JEAN – Bonjour
ERIC – Petite question : vous ne seriez pas Jean-Damien ?
JEAN – Petite réponse : si !
ERIC (satisfait) – Bah voilà
JEAN – Jean et d’Amiens par la même occasion
ERIC – Je n’aurais pas eu à attendre longtemps
JEAN – Décidément, ici, je vais finir par être connu comme le loup blanc !
ERIC – Et quand on parle du loup, il montre sa queue, non ?
JEAN – Attention : pas à n’importe qui !
ERIC – C’est ça !
JEAN (rigolant) – On sait se tenir en société tout de même
ERIC – Rigole tant que tu peux !
JEAN – Le rire, c’est important
ERIC – Parce que ça ne va pas durer
JEAN – Ah ? Dommage... Mais vous me tutoyez ?
ERIC (goguenard) – Ouais
JEAN – On se connaîtrait donc ?
ERIC – Par intermédiaire, si tu vois ce que je veux dire
JEAN – Pas vraiment non
ERIC – Eric Roux, ça ne te dit rien ?
JEAN – Non...
ERIC – Bah c’est moi
JEAN – Enchanté. Ceci dit, je n’ai rien contre le tutoiement : ça brise la glace !
ERIC (de plus en plus énervé) – Moi, je vais te briser autre chose !
JEAN – J’ai peur de deviner quoi…
ERIC – Mais avant, laisse-moi te regarder
JEAN – Si vous voulez, enfin si tu veux
ERIC (ironique) – Franchement, je me demande ce qu’elle te trouve
JEAN – Figurez-vous, enfin figure-toi, qu’aujourd’hui, je me le suis demandé moi aussi
ERIC – T’as vu ta tronche ?
JEAN – Brièvement, dans le miroir, ce matin
ERIC – Remarque, tu devrais la regarder attentivement
JEAN – Pourquoi ?
ERIC – Parce que dans deux minutes, tu ne vas pas la reconnaître
JEAN – Deux minutes, c’est déjà ça
ERIC – Ouais, je ne suis pas peintre, mais je vais te retoucher le portrait
JEAN – Ca, les bonnes photocopieuses le font également
ERIC – Et grâce à moi, tu vas être une pâle copie de toi-même !
JEAN – Une copie pâle, c’est souvent le toner qui est à changer… C’est d’ailleurs ce que je viens de faire
ERIC (en rage) – Fous-toi pas de moi !
JEAN – Je… Je ne me le permettrais pas… Mais j’aimerais juste comprendre
ERIC – Comprendre quoi ?
JEAN – Bah…
ERIC – Pétula, ça ne te dit rien peut-être ?
JEAN – Ah si !
ERIC – Ben voilà !
JEAN (toujours sous le charme) – Ah ! Pétula ! Pétula !
ERIC – Ce qui est dommage, c’est que je ne suis pas partageur !
JEAN – C’est un bien vilain défaut
ERIC – Ah si ! Je partage volontiers les coups !
JEAN – C’est un début… Et mon petit doigt me dit que je vais en profiter
ERIC (lui présentant son poing) – Et mon gros poing le confirme
JEAN – Reprenez-vous : vous vous méprenez !
ERIC – Et toi, tu sais ce que tu vas prendre ?
Eric a pris Jean par le col et lui donne un coup de poing au visage.
SCENE 4
JEAN, CLAUDE puis PETULA
Claude est sortie sans bruit du local à archives et, par derrière, elle a asséné un coup de pelle à Eric, qui s’écroule derrière le canapé.
CLAUDE (à Eric, inconscient) – En voilà des manières ! Espèce d’ours mal léché ! (A Jean.) Ca va ?
JEAN – Moui… (Désignant Eric.) Et lui ?
CLAUDE – Il a eu son compte, en tout cas pour l’instant
Pétula est sortie des bureaux.
PETULA – Qu’est-ce qui s’est passé ?
CLAUDE – Ne vous inquiétez pas : j’ai repris la situation en main
JEAN – Et ce n’était pas de main morte
CLAUDE – J’ai eu la main lourde, effectivement
PETULA (désignant Jean) – Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
CLAUDE (désignant Eric) – Demandez à ce gros patapouf, là
PETULA (découvrant Eric) – C’est pas possible ! Pas lui !
CLAUDE – Vous connaissez cet orang-outan ?
PETULA – Je… Je crois…
CLAUDE – Sacrées fréquentations !
PETULA – A éviter, je sais… Il fait partie de ces gars toxiques
JEAN (rigolant) – Moi, j’ai un cousin, il fait partir des gaz toxiques… Je ne vous explique même pas ce que ça peut donner après un bon cassoulet
PETULA – Inutile : on s’en passera
JEAN – On l’a même surnommé le cousin péteur et…
PETULA (le coupant) – Oui oui…
CLAUDE (à Pétula) – Fréquentable ou pas, vous direz à cet olibrius qu’on ne s’en prend pas comme ça aux gens
JEAN – Parfaitement. Aux Pierre, aux Paul ou aux Jacques, à la limite, mais pas aux Jean !
CLAUDE – Surtout sans raison
PETULA – Oh ! Il en avait une
CLAUDE – Peut-être, mais ce n’est pas une façon de faire
JEAN – Ca non !
CLAUDE (désignant Jean) – Voyez le résultat… Le pauvre !
PETULA – Ce n’est pas le terme le plus approprié… Laissez : je vais m’occuper tout personnellement de lui
JEAN – Ah ?
CLAUDE – Mais je peux très bien…
PETULA (avec autorité) – Je m’en charge je vous dis
JEAN – Oui, si elle vous le dit
CLAUDE – Bon, puisque vous insistez tous. (A Jean.) J’espère au moins que vous aviez fini de réviser la photocopieuse
JEAN – Affirmatif
PETULA (intriguée) – Comment ça ?
CLAUDE – Bah oui : au cas où vous ne le sauriez pas, monsieur est réparateur de photocopieuses
JEAN (déclamant) – Millebureaux, la copie sans défaut
PETULA – Attendez… Ce n’est pas Jean-Damien ?
CLAUDE – Si… Jean, de la ville d’Amiens
JEAN – Grasset. Jean Grasset
PETULA (réalisant) – Ouh là là !
JEAN – Jean Grasset, pas Jean Crasset… Avouez que ce serait bête pour un réparateur de photocopieuses
PETULA – Je crois que j’ai fait une boulette !
CLAUDE – Comment ça ?
PETULA – Une grosse boulette
JEAN – Tant que ça ?
PETULA – Une horrible confusion
JEAN – Ca arrive… Tenez, moi…
PETULA (le coupant) – A se demander si ce ne serait pas plutôt une fusion de cons…
JEAN – Je ne vois pas à quoi elle fait allusion
PETULA (mécontente) – Et dire que je me suis décarcassée pour rien ! (A Jean.) Merci beaucoup !
JEAN – De rien. Tout le plaisir était pour moi
PETULA (sèche) – Je confirme. (A Claude.) Vous vouliez vous en occuper ?
CLAUDE – Oui
PETULA – Alors je vous le laisse bien volontiers
CLAUDE – Faudrait savoir
PETULA – Non : il n’en vaut plus la peine
JEAN (déçu) – Ah ?
CLAUDE – Souvent femme varie !
JEAN – Pour une fois que les maximes disent vrai
PETULA – Les Maxime, je n’en ai jamais connus, alors question franchise, je n’en sais trop rien
CLAUDE (à Jean) – Allez, suivez-moi : je ne vais pas vous laisser tomber, moi !
JEAN – Vous êtes gentille
CLAUDE – Même si vous n’êtes pas friqué
JEAN – Pas trop, non
PETULA (soufflant) – Ouais, malheureusement
CLAUDE – Ni d’une grande beauté
PETULA – Ouais, heureusement finalement
CLAUDE – Ma mémé m’a toujours dit qu’il ne fallait jamais laisser un chien abandonné, même si c’est un corniaud
JEAN – Merci
CLAUDE – Suivez-moi aux archives… Vous y serez au frais pour y récupérer de vos émotions
JEAN – Je reconnais que j’ai été servi
CLAUDE – Et à l’abri de toute cette agitation
JEAN – On se croirait dans le métro aux heures de pointe
PETULA – Moi, en ce moment, j’ai des problèmes avec ma ligne
JEAN (les yeux sur Pétula) – Je ne trouve pas
CLAUDE (à Jean) – Allez !
JEAN – Vous êtes gentille
CLAUDE – Je sais : vous venez de me le dire
JEAN – C’est toujours agréable à entendre
CLAUDE – Vous aimez le thé ?
JEAN – Oui. Le T, c’est quand mieux que le H, non ?
CLAUDE – Dans ce cas
JEAN (amusé) – Cas, comme la lettre
CLAUDE – Voilà !
PETULA (ironique) – Vous allez vous tapez les 26 ?
JEAN – Faudrait une sacrée forme !
CLAUDE (à Jean) – Arrêtez de dire des âneries
JEAN – Des âneries, pour une bête de la Somme comme moi, c’est normal
CLAUDE – C’est ça… Allez : appuyez-vous sur moi… Mais n’en profitez pas… (Réfléchissant.) Enfin, ça ne me gênerait pas plus que ça
Jean s’appuie sur Claude ; tous deux gagnent le local à archives.
PETULA – Avec tous ces toquards, j’ai bien fait de ne pas jouer au tiercé !
On entend Eric grommeler.
PETULA (paniquant) – Oh là là ! Faut surtout pas qu’il me voie !
Pétula se glisse dans le local de la photocopieuse.
SCENE 5
ERIC, JEAN-DAMIEN
Au moment où Eric se redresse péniblement, Jean-Damien fait son apparition.
ERIC (la tête entre les mains) – Oh là là ! Ma tête !
JEAN-DAMIEN – Bonjour Monsieur… Ca n’a pas l’air d’aller ?
ERIC – Si : l’extase
JEAN-DAMIEN – Tant mieux… Nonobstant votre assertion, puis-je vous prêter main forte ?
ERIC (qui n’a visiblement rien compris) – Quoi ?
JEAN-DAMIEN – Pour faire plus simple, avez-vous besoin de mon aide ?
ERIC (agressif) – Vous êtes qui ?
JEAN-DAMIEN – Jean-Damien
ERIC – Décidément : il y un élevage ici
JEAN-DAMIEN – Je ne vois pas trop à quoi vous faites allusion
ERIC – Alors l’autre, c’était qui ?
JEAN-DAMIEN – Ecoutez, je ne comprends pas un traître mot à votre salmigondis
ERIC – Eh oh ! Ne me prends pas de haut !
JEAN-DAMIEN – Et sachez que je n’apprécie que très modérément votre tutoiement
ERIC – Je m’en tape
JEAN-DAMIEN – Même si notre écart d’âge pourrait le permettre
ERIC – Dis tout de suite que je suis vieux
JEAN-DAMIEN – Tout de suite ou pas, c’est pareil ! Le temps ne changera rien à l’affaire
ERIC – Ca, je n’ai jamais été fortiche en maths et je m’en tamponne
JEAN-DAMIEN – Je vous le répète : je n’aime guère votre familiarité
ERIC – J’m’en fous !
JEAN-DAMIEN – Nous n’avons pas élevé les cochons ensemble, me semble-t-il
ERIC – Les cochons, p’t’être pas, mais les cochonnes ?
JEAN-DAMIEN – Et je vous saurais gré de cesser sur le champ ce verbiage outrecuidant
ERIC – Oh là ! Cherche pas à m’embrouiller le ciboulot avec tes mots à la mords-moi-le nœud !
JEAN-DAMIEN – Mon Dieu ! Maître Capelo se retournerait dans sa tombe s’il vous entendait
ERIC – Qui c’est encore que cet apôtre ? Un avocat ?
JEAN-DAMIEN – Fichtre non !
ERIC (donnant un coup de poing sur le bureau) – Moi, les avocats, j’en fais de la purée
JEAN-DAMIEN – Ecoutez mon vieux
ERIC – Mon vieux ! Et il insiste !
JEAN-DAMIEN – C’est l’expression idoine
ERIC – Hein ?
JEAN-DAMIEN – Ou l’expression consacrée si vous préférez
ERIC – Et moi, j’ai l’expression d’un sacré con, c’est ça ?
JEAN-DAMIEN – Même si les apparences le laisseraient fortement penser, je vous laisse juge
ERIC – Après l’avocat, voilà le juge ! On se croirait au tribunal !
JEAN-DAMIEN – Ou devant le parquet
ERIC – Rien à cirer du parquet !
JEAN-DAMIEN – Ca, c’est amusant
ERIC – Tu vas pas tarder à t’y retrouver sur le parquet, et ça va être moins drôle !
JEAN-DAMIEN – Avant que vous ne fassiez une lourde erreur
ERIC (le coupant) – La lourde erreur, c’est toi qui l’a faite en me piquant ma meuf !
JEAN-DAMIEN – Hein ? Mais ça ne va pas !
ERIC – Non, depuis que Pétula m’a quitté
JEAN-DAMIEN – Pétula, c’est la secrétaire, c’est ça ?
ERIC (le dévisageant) – Franchement, je ne vois pas ce qu’elle te trouve à toi non plus… L’autre zigoto, c’était déjà limite, mais là, on a franchi un cap !
JEAN-DAMIEN – Je ne vous permets pas
ERIC – J’ai pas besoin de ton accord… Ouais… Ce doit être le fric… Je parie que tu es plein aux as
JEAN-DAMIEN – Ca ne vous regarde pas
ERIC – Non, mais elle, ça l’intéresse… Toutes les mêmes !
JEAN-DAMIEN – Je n’ai pas trop d’avis sur la question… Ecoutez mon brave
ERIC – Mon brave ?
JEAN- DAMIEN – Là aussi, c’est une expression
ERIC – Assez jacté ! J’ai p’t’être pas tout saisi à votre combine à tous les trois, mais j’en connais un qui va payer pour tous !
JEAN-DAMIEN – Je suppose sans grand risque que c’est de moi dont il s’agit
Eric a saisi Jean-Damien par le col.
ERIC – Comme tu as du pèze, c’est normal, non ?
JEAN-DAMIEN – Mais enfin… Vous êtes stupide ou quoi ?
ERIC – On fait moins le malin d’un coup !
JEAN-DAMIEN – Calmez-vous !
ERIC – Pas envie !
JEAN-DAMIEN – Si j’ai pu vous blesser en vous traitant de stupide, j’en suis désolé : je pensais que vous le saviez déjà
ERIC – Trop tard. Moi, faut pas me chercher des toises
JEAN-DAMIEN – Et vous briser les toix ?
ERIC – Euh… Oui, aussi
JEAN-DAMIEN – Avant toute confrontation inutile, sachez que je fais du jujitsu
ERIC – Et moi, je vais te taper dessus !
A peine a-t-il asséné un coup de tête à Jean-Damien, qui se retrouve au sol, qu’Eric s’effondre à son tour derrière le canapé, après avoir été assommé par derrière par Pétula, à l’aide d’une grosse agrafeuse. Pétula aide Jean-Damien à se relever, l’installe sur le canapé et s’assoit tout à côté de lui.
SCENE 6
JEAN-DAMIEN, PETULA
PETULA – Ca va ?
JEAN-DAMIEN – Je… Je crois
PETULA – Ouh là là ! Il vous sacrément amoché dites donc !
JEAN-DAMIEN – Ce n’est rien
PETULA (entamant un jeu de séduction, qui va aller crescendo) – Vraiment ?... Laissez-moi regarder de plus près
JEAN-DAMIEN – Heureusement, il n’a pas cassé mes lunettes, comme c’était arrivé à Léon Zitrone
PETULA – Un ami à vous sans doute ?
JEAN-DAMIEN (amusé) – De longue date si j’ose dire
PETULA – Une vieille branche quoi ?
JEAN-DAMIEN – Voilà. (Ses lunettes à la main.) A ce propos, j’en vois une qui est tordue… Il faudra la remettre droite
PETULA (lascive) – Pour ce genre de choses, je sais comment faire
JEAN-DAMIEN – Ah ? Vous allez jouer les opticiens ?
PETULA – Je vais surtout être aux petits soins
JEAN-DAMIEN – La monture en a vu d’autres
PETULA (allusive) – Je confirme… Côté jockeys, j’ai souvent été bien servie
JEAN-DAMIEN – Euh… Oui… En tous les cas, je vous remercie
PETULA (flatteuse) – Ttt ttt ttt ! Je suis persuadée que vous alliez lui régler son compte
JEAN-DAMIEN – Vous croyez ?
PETULA – Mais oui. Bâti comme vous êtes !
JEAN-DAMIEN – Je… Malgré tout, sans vous…
PETULA – C’est naturel de vous avoir secouru et quelque part, ça m’arrange… (Se reprenant.) Je veux dire que ça ne me dérange pas
JEAN-DAMIEN – Tout bien considéré, il est vrai que j’allais peut-être retourner la situation à mon avantage
PETULA (allusive) – Savoir se retourner, ça a toujours des avantages
JEAN-DAMIEN – Euh… Oui… Dites : je peux vous demander qui vous êtes ?
PETULA – Pétula
JEAN-DAMIEN – Je l’aurais parié. Je mets enfin un nom sur un visage
PETULA – Et il vous plaît ?
JEAN-DAMIEN (décontenancé) – Que… Quoi donc ?
PETULA – Mon visage
JEAN-DAMIEN – Je… C’est-à-dire que…
PETULA – Et le reste aussi j’espère ?
JEAN-DAMIEN – Ah oui ! Vous avez un prénom ravissant et si j’osais…
PETULA – Osez, voyons ! Osez !
JEAN-DAMIEN – Eh bien je vous dirais que ça fait même classe
PETULA – Vous savez qu’on dit parfois de moi que je suis BCBG
JEAN-DAMIEN – Ca, vous avez du chic !
PETULA – Et je suis votre genre ?
JEAN-DAMIEN – C’est-à-dire que…
PETULA – Entre nous, vous savez que BCBG, ça veut dire autre chose…
JEAN-DAMIEN – Ah ?
PETULA – Je me comprends
JEAN-DAMIEN – Moi, ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est ce qui m’est arrivé
PETULA – Laissez tomber… Ce qui compte, c’est de comprendre ce qui va vous arriver
JEAN-DAMIEN – Pourquoi diantre s’en est-il pris à moi ?
PETULA – Ne cherchez pas
JEAN-DAMIEN – C’est lui qui m’a cherché
PETULA – Je n’en doute pas une seconde
JEAN-DAMIEN – Et j’ai cru saisir que je n’étais pas le premier
PETULA – Et vous ne serez pas le premier à me saisir
JEAN-DAMIEN – Vous connaissez ce Wisigoth ?
PETULA – Ce ?... Oh, vaguement… Mais croyez-moi : il n’en vaut pas la peine
JEAN-DAMIEN – Il ne faisait pas dans la dentelle
PETULA – Alors que moi, j’adore les dentelles
JEAN-DAMIEN – Ah… Mais j’aimerais quand même découvrir les dessous de cette histoire
PETULA – Ah ça, les dessous, c’est important de les découvrir… J’en ai d’ailleurs un tout en dentelles… Vous voulez que je vous le montre ?
JEAN-DAMIEN – Je…
PETULA – Ah bah non, je suis bête : je n’en porte plus !
JEAN-DAMIEN – Je… Quoi qu’il en soit, ce triste sire semblait vous connaître
PETULA – Ne parlons plus de lui… mais plutôt de vous
JEAN-DAMIEN – De… De moi ?
PETULA – Oui…
JEAN-DAMIEN – C’est qu’il n’y a pas grand-chose à dire
PETULA – Ne jouez pas les modestes Jean-Damien
JEAN-DAMIEN (étonné) – C’est effectivement mon prénom
PETULA – Je l’aurais parié moi aussi… (Le dévisageant.) Oui : là, c’est effectivement plausible. (A elle-même.) Je me demande vraiment comment j’ai pu penser que l’autre ringard pouvait l’être
JEAN-DAMIEN – Plaît-il ?
PETULA – Plaît-il ? Comme c’est mignon !
JEAN-DAMIEN – Comment se fait-il que… ?
PETULA – Que je connaisse votre prénom ?
JEAN-DAMIEN – Oui
PETULA – C’est qu’on m’a beaucoup parlé de vous
JEAN-DAMIEN – Vraiment ?
PETULA – Oui… Jean-Damien par-ci, Jean-Damien par là… C’est simple : je n’ai eu que des éloges à votre sujet
JEAN-DAMIEN – Oh ! On se sera trop avancé
PETULA (se rapprochant de Jean-Damien) – Mais vous aussi avancez-vous… Alors comme ça, on fait du droit ?
JEAN-DAMIEN – A la rentrée, j’attaquerai ma cinquième année
PETULA – Dites donc !
JEAN-DAMIEN – Laquelle, selon ce que j’en sais, n’est pas la plus facile
PETULA – Moi, c’est l’année de ma cinquième qui a été compliquée
JEAN-DAMIEN (amusé) – Vous êtes drôle
PETULA – Pas que, pas que…
JEAN – On verra bien si le plus dur est à venir
PETULA (allusive) – Je pense que ce sera le cas… Et vous voulez faire quoi quand vous serez grand, je veux dire après vos études ?
JEAN-DAMIEN – Bah…
PETULA – Vous vous tâtez ?
JEAN-DAMIEN – Oui : je m’interroge… Peut-être assureur
PETULA – Ce qui explique votre présence ici pour ce stage
JEAN-DAMIEN – Oui … Vous savez, on a pas mal de possibilités en suivant le chemin du droit
PETULA – Mes parents m’ont toujours répété qu’il fallait suivre le droit chemin… Je ne sais pas si je les ai toujours écoutés
JEAN-DAMIEN – Je pense que les miens seraient fiers si je devenais huissier ou notaire… Oui, au fond, ils aimeraient que je me fasse maître
PETULA – Tout comme moi !
JEAN-DAMIEN – Euh… Oui… Entre nous, je vais vous confier quelque chose
PETULA – Je suis suspendue à vos lèvres
JEAN-DAMIEN – Voilà : je suis assez introverti
PETULA – Tiens donc !
JEAN-DAMIEN – Et je n’aime pas trop m’épancher
PETULA (collant presque sa poitrine sous les yeux de Jean-Damien) – Parfois, se pencher permet de voir la profondeur des choses
JEAN-DAMIEN – Effectivement… Mais on a parlé de moi et je n’en sais pas trop sur vous
PETULA – Oh ! Je n’ai rien à cacher
JEAN-DAMIEN – Je… Je vois ça… Comme moi, peut-être n’aimez-vous pas trop vous mettre à nu ?
PETULA – Oh si, j’adore !
JEAN-DAMIEN – Secrétaire, ce ne doit pas être toujours facile
PETULA – Ca dépend du patron…
JEAN-DAMIEN – Il y a sûrement de bons côtés
PETULA – Moi, de tous les côtés, ça me va !
JEAN-DAMIEN – Cela doit supposer des qualités certaines
PETULA – Je reconnais que j’ai certaines qualités…
JEAN-DAMIEN – Savoir tenir sa langue
PETULA – A ce niveau, je me débrouille pas mal
JEAN-DAMIEN – Faire preuve de souplesse
PETULA – Je l’entretiens
JEAN-DAMIEN – De disponibilité
PETULA – En ce moment, je suis disponible
JEAN-DAMIEN – Gérer les importuns
PETULA (qui n’a visiblement pas compris le sens du mot) – Les importuns ?... Oui, c’est important aussi
JEAN-DAMIEN (désignant Eric) – D’ailleurs, qu’est-ce qu’on va faire de celui-là ?
PETULA – Je m’en contrefiche
JEAN-DAMIEN – Si vous me permettez l’expression, ça vous fait une belle jambe
PETULA – Voilà. Au fait, qu’est-ce que vous en pensez ?
JEAN-DAMIEN – De quoi ?
PETULA – De mes jambes
JEAN-DAMIEN – De… Bah, il y en a deux
PETULA – Oui, comme mes seins et vos mains ; le monde est bien fait, non ? Moi, je les aime bien mes jambes… Mais des fois, j’ai l’impression qu’il y en a une plus courte que l’autre… (Pétula pose ses jambes sur les genoux de Jean-Damien.) Vous voyez…
JEAN-DAMIEN – Je… Je vois…
PETULA – Vous ne trouvez pas ?
JEAN-DAMIEN (la repoussant mollement) – Ecoutez : je ne sais pas où vous voulez en venir
PETULA – Moi si
JEAN-DAMIEN – Mais j’ai un rapport qui m’attend et…
PETULA – Vous avez la forme dites donc !
JEAN-DAMIEN – Sur la forme, ça devrait aller et sur le fond, j’ai ma petite idée
PETULA – Moi aussi je fourmille d’idées !
JEAN-DAMIEN – Ah ?
PETULA – Pour mieux s’y plonger, vous ne pensez pas qu’on devrait aller dans votre bureau ?
JEAN-DAMIEN – C’est sûr qu’on y serait plus tranquilles. (Désignant Eric.) Mais lui, il ne risque pas de prendre ses jambes à son cou ?
PETULA – On s’en moque. Et moi, je préfère avoir un cou entre mes jambes !
JEAN-DAMIEN – Je ne connaissais pas cette expression
PETULA – On peut la découvrir ensemble…
JEAN-DAMIEN – Si… si vous insistez…
PETULA – Allez viens, grand fou ! Un rapport, ça n’attend pas !
Pétula prend Jean-Damien par la cravate et l’entraîne vers les bureaux.
SCENE 7
CLAUDE
Claude, une fois n’est pas coutume, a glissé la tête entre la porte ; elle a naturellement entendu (et écouté !) la fin de la conversation entre Jean-Damien et Pétula.
CLAUDE (entrant) – Eh ben dites donc ! La mouche a changé d’âne à ce qu’on dirait ! Pas folle la guêpe ! (Au public.) Oui, c’est encore moi… Pas pour longtemps, rassurez-vous… (Elle cherche son magazine de jeux, qu’elle finit par retrouver.) Ah ! Le voilà !... Voyons voir… (Lisant.) Sagittaire : si une occasion se présente, ne la laissez surtout pas filer !... J’en étais sûre ! Claude, à toi de conclure !
Claude regagne le local à archives.
SCENE 8
LOUIS, ERIC
Retour de Louis.
LOUIS – Pétula !... Pétula !
ERIC (se relevant avec difficulté) – Désolé : c’est pas elle
LOUIS – Mo… Monsieur
ERIC – Alors comme ça, on en a après Pétula ?
LOUIS – Je… C’est-à-dire que…
ERIC – A ce que je vois, quand il y en a pour un, y’en a pour deux et même pour trois !
LOUIS – Ecoutez…
ERIC (énervé) – Rien du tout ! Alors comme ça, on a ouvert un baisodrome
LOUIS – Mais…
ERIC – J’aurais bien aimé être invité à l’inauguration
LOUIS – Qu’est-ce que…
ERIC (le dévisageant) – Remarque, là, je comprends mieux Pétula… Avec un balourd et un bigleux, elle était tombée bien bas… Là, c’est acceptable
LOUIS – Pour le bigleux, je vois de qui il peut s’agir… Pour l’autre…
ERIC – Je sais éclaircir les idées quand il faut
LOUIS – Et par rapport à Pétula, vous seriez qui ?
ERIC – C’est pas dur à deviner, non ?
LOUIS – Tout de même pas son père ?
ERIC – C’est ça ! Tu m’as bien regardé ?
LOUIS – Pas plus que ça. Son frère alors ? Quoique la ressemblance n’est pas frappante
ERIC (montrant son poing) – Je connais autre chose de nettement plus frappant !
LOUIS – Un cousin ?
ERIC – Arrête tes fables !
LOUIS (sentencieux) – Si ce n’est toi, c’est donc ton frère, ou quelqu’un des tiens
ERIC – Alors comme ça, monsieur assure ?
LOUIS (évidemment pas sur la même longueur d’onde) – Effectivement… Qui vous l’a dit ?
ERIC – Pétula, pardi !
LOUIS – Ah ? D’ailleurs, si vous-même en avez envie, je peux…
ERIC (estomaqué) – Alors l’autre !
LOUIS – Je suis sûr que vous apprécierez ma compagnie
ERIC – Eh ben bravo ! On range à tous les ateliers à ce que je vois !
LOUIS – Et ce sera avec plaisir que je vous couvrirai !
ERIC – Mais je ne mange pas de ce pain-là, moi !
LOUIS – De votre côté, vous pourrez vous retirer quand vous voulez
ERIC – Et il persiste avec ça !
LOUIS – Vous savez, on n’est jamais trop aidé !
ERIC – Stop !
LOUIS – Bon, je n’insiste pas… Ce n’est peut-être que partie remise ?
ERIC – Partie ou partouse ?
LOUIS – Hum… Je vous laisse quand même réfléchir à ma proposition
ERIC – Réfléchir, je ne fais que ça
LOUIS – Vous disposeriez d’un délai de rétractation d’une semaine
ERIC (sur sa lancée) – Ouais, je n’arrête pas de penser… Je pense… Je repense… Je gamberge… Je rumine… Je fulmine
LOUIS – Avec vous, Audiard n’a qu’à bien se tenir
ERIC (très fort) – Et ça dure depuis combien de temps ton histoire avec Pétula ?
LOUIS (l’index sur la bouche) – Chut !
ERIC – Moi, si j’ai envie de brailler, je braille, ok ?
LOUIS – Ce qui, entre nous, est mieux que bâiller… Ca donne un air moins assommant
ERIC (toujours fort) – L’assommant, il est devant toi !
LOUIS – Pas trop fort, voyons !
ERIC – Côté force, je vais avoir du mal à me contenir
LOUIS – Je voulais dire doucement : ma femme pourrait nous entendre
ERIC – Et marié en plus ! Bravo !
LOUIS – Merci, mais vous savez, notre mariage n’est pas toujours un long fleuve tranquille, comme pour tous les couples… Je pense que je ne vous apprends rien
ERIC – Je ne peux pas dire : je le connais pas votre couple
LOUIS – Je vous parlais du couple en général
ERIC – J’ai rarement été avec quelqu’un, alors…
LOUIS – Ah ?
ERIC – C’est sans doute mon aspect russe qui ne joue pas en ma faveur
LOUIS – Vous voulez dire rustre ?
ERIC – Ah ? Ouais… Ce mot-là, je ne l’ai pas encore rentré… Enfin, l’un ou l’autre, ça me dessert
LOUIS (bas, en écho) – Ou fromage
ERIC (sur sa lancée, avec une voix devenue plaintive) – C’est pour ça qu’il faut me comprendre : Pétula, c’était inespéré pour moi
LOUIS – Effectivement : en vous regardant tous les deux, ça peut se comprendre
ERIC – Autant dire que retrouver quelqu’un, c’est pas gagné
LOUIS – Il faut toujours garder espoir, même s’il est très faible, comme dans votre cas
ERIC (s’énervant à nouveau) – Et c’est pour ça que j’accepte pas qu’un autre me l’ait prise
LOUIS – Rassurez-vous : avec Pétula, c’est juste une aventure sans avenir… Une passade sans lendemain… Appelez ça le démon de midi si ça vous chante
ERIC – La chanson, c’est Les démons de minuit, pas de midi
LOUIS – Je suis sûr qu’à court terme, avec certes une probabilité fort réduite, vous pourriez être à nouveau avec elle
ERIC – Moi, ce dont je suis sûr, c’est qu’à très court terme, je vais te casser la gueule et ça, c’est plus que probable
LOUIS – Et c’est reparti ! Ecoutez : il doit certainement y avoir une autre solution que de me casser la gueule
ERIC – Oui
LOUIS (respirant) – Bah voilà !
ERIC – Te bouziller le bras ou te péter le tibia… Mais les trois ne sont pas incompatibles
LOUIS – Avant d’en arriver là, posons-nous et faisons le point
ERIC – C’est mon poing que je vais te poser… Mais avant, je vais assurer mes arrières…
LOUIS – Notre compagnie assure pour beaucoup de choses mais pas pour ça
ERIC – Je me suis fait avoir deux fois, pas trois !
Eric regarde derrière lui, en direction des portes qui conduisent aux locaux à archives et à la photocopieuse. Rassuré, il empoigne Louis.
SCENE 9
LOUIS, CLAIRE
Sans bruit, Claire est entrée (du côté où Eric ne l’attendait pas…) et a assommé Eric avec un gros classeur ; une troisième fois, Eric s’effondre au sol, derrière le canapé.
LOUIS – Au théâtre, c’est ce qu’on appelle les trois coups
CLAIRE – Sauf que nous ne sommes pas au théâtre
LOUIS – Quoique…
CLAIRE – J’ai l’impression que je suis arrivée à point
LOUIS – Le mot n’est pas des mieux choisi
CLAIRE – A une minute près, tu y passais
LOUIS – Rassure-toi : il n’allait pas s’en tirer comme ça… Tu oublies que j’ai fait du judo
CLAIRE – Ceinture jaune, non ?
LOUIS – J’allais passer à l’orange
CLAIRE – Là, tu étais bon pour une prune dans ta fraise
LOUIS – C’est imagé. Je te remercie quand même
CLAIRE – Tu connais cet individu ?
LOUIS – Je ne l’avais jamais vu auparavant
CLAIRE (dubitative) – Ah ?
LOUIS – C’est sans doute un fou… J’ai entendu dire qu’une clinique psychiatrique s’était ouverte pas très loin d’ici… Il se sera échappé que ça ne m’étonnerait pas. Ce ne serait pas le premier. Il y a vraiment un manque de surveillance dans ces établissements
CLAIRE – C’est un livreur
LOUIS (désarçonné) – Ah ?... Un… Remarque, c’est plausible : il a la carrure pour
CLAIRE – Il était venu nous apporter les deux armoires
LOUIS (esquivant) – J’espère qu’il a eu le temps de le faire, parce qu’on en a vraiment besoin pour ranger les dossiers
CLAIRE – J’ai l’impression qu’il en avait après toi, je me trompe ?
LOUIS – Ce que j’ai surtout compris, c’est qu’il en avait après la terre entière
CLAIRE – Il n’y aurait pas une femme là-dessous ?
LOUIS – Où donc ?
CLAIRE – Louis, il est temps d’avoir une conversation sérieuse
LOUIS (fuyant) – Oh ! Très certainement
On sonne.
LOUIS – Tu as entendu ? On a sonné… Laisse : j’y vais
SCENE 10
Les mêmes, ANEMONE
Anémone est devant la porte. Elle a une serviette (cartable) dans une main et un sac de viennoiseries dans l’autre.
LOUIS – Ah ! Ma chère Aurore !
ANEMONE (rectifiant) – Anémone
LOUIS – Oui, aussi… Plus on est de folles !
ANEMONE – Hum…
CLAIRE – Quel vent vous ramène jusqu’à nous ?
LOUIS – Un vent de fraîcheur voyons !
ANEMONE – Figurez-vous que j’ai perdu une de mes boucles d’oreille
LOUIS – Non ?
ANEMONE – C’est un cadeau de mon mari
CLAIRE – Et vous y tenez ?
ANEMONE – A ma boucle d’oreille, oui. Je l’ai cherchée dans la voiture… Rien… Alors je me suis dit qu’elle était peut-être tombée ici
LOUIS – C’est finement raisonné
CLAIRE – Il n’y a qu’à chercher
LOUIS – Tous à quatre pattes !
CLAIRE – Hum…
Tous se mettent à chercher. Anémone découvre le string de Pétula.
ANEMONE – C’est à vous ?
LOUIS – Pas à moi
CLAIRE – Ni à moi
LOUIS – Il y a vraiment du laisser-aller avec Claude
ANEMONE – Vous en convenez
CLAIRE – Ca m’étonnerait que ce soit à elle
LOUIS – La connaissant, c’est tout à fait possible…
CLAIRE – Sans jeu de mots, la ficelle est un peu grosse, non ?
ANEMONE (découvrant Eric) – Et là, sauf erreur de ma part, il y a un homme allongé
CLAIRE (faussement étonnée) – Ah ?
LOUIS (même jeu que Claire) – Tiens donc !... C’est pourtant vrai
ANEMONE – C’est fou ce qu’on peut trouver par terre ici
LOUIS – Oui, sauf votre boucle d’oreille
ANEMONE – Permettez-moi de vous dire que c’est tout de même assez étrange tout ça
CLAIRE – Oui, ça peut interpeler
LOUIS – J’en conviens également
CLAIRE – Non : pas de trace de votre boucle d’oreille
ANEMONE – Tant pis… Mais je ne serai pas venue pour rien
LOUIS (avec emphase) – Vous ne venez jamais pour rien !
ANEMONE – J’ai apporté la serviette de Jean-Damien ; il l’avait oubliée dans la voiture
LOUIS – Quel étourdi !
ANEMONE – Dites : sans être trop curieuse…
LOUIS – Ce n’est pas votre genre
ANEMONE – Voilà… Je voulais savoir : même si c’est tout récent, son intégration se passe bien ?
LOUIS – Sans souci. Il a rapidement trouvé ses marques
ANEMONE – Tant mieux. Lui qui est d’une nature si réservée
CLAIRE – Ce n’est peut-être qu’une apparence
LOUIS – Je ne voudrais pas trop m’avancer mais je sens qu’il va beaucoup apprendre ici
ANEMONE – C’est l’objectif
LOUIS – Croyez-moi : il va en prendre plein les yeux !
ANEMONE – Je pourrais le voir ?
CLAIRE – Evidemment
LOUIS (théâtral) – Que refuserait-on à une mère ?
ANEMONE – Je suis passée à la boulangerie et je lui ai pris des viennoiseries pour son goûter
LOUIS – C’est une délicate attention
CLAIRE – Il doit être dans son bureau
SCENE 11
Les mêmes, JEAN-DAMIEN puis PETULA
Retour de Jean-Damien.
JEAN-DAMIEN – Je suis là
ANEMONE (découvrant le visage tuméfié de Jean-Damien) – Mais… Mais que t’est-il arrivé ?
CLAIRE – Alors ça…
LOUIS (se grattant le menton) – J’ai bien ma petite idée…
JEAN-DAMIEN (relativisant) – Oh ! Ce n’est rien
ANEMONE (à Louis) – C’est sans doute ce que vous appelez en prendre plein les yeux
LOUIS – Je ne pensais pas si bien dire
ANEMONE – Je vous avais demandé de ne pas le ménager mais quand même !
CLAIRE – Quand je disais que sa mère n’allait pas le reconnaître, je n’étais pas loin de la vérité ANEMONE (avec force) – J’exige une explication
CLAIRE – Bah… Louis, tu peux nous éclairer ?
LOUIS – C’est-à-dire que…
ANEMONE – Une femme de ménage culottée et de la lingerie olé olé, passons
LOUIS – C’est marrant ce rapprochement
ANEMONE (sur sa lancée) – Un homme inconscient, admettons… Mais là, c’est le pompon !
LOUIS – Ca rime !
ANEMONE (à Jean-Damien) – Mon pauvre petit ! Où es-tu tombé ?
LOUIS (bas) – Sur le plancher
JEAN-DAMIEN – Maman, je te le répète : ça va
LOUIS – Vous voyez ?
ANEMONE (sortant de ses gonds) – Alors vous, la ferme ! (A Jean-Damien.) Je crois que nous n’avons plus rien à faire dans ce lieu de dépravation
LOUIS (mollement) – N’exagérons rien
CLAIRE – Oui, nous vous assurons…
ANEMONE – Côté assurance, ce ne sont pas les cabinets qui manquent
CLAIRE – Est-ce à dire que…
ANEMONE – Vous m’avez compris
LOUIS (cherchant à imiter la voix du général de Gaulle) – Je vous ai compris !
CLAIRE (lançant un regard noir en direction de son mari) – Alors toi, tu crois que c’est le moment ?
ANEMONE (à Jean-Damien) – Récupère-tes affaires. Je t’attends
JEAN-DAMIEN (avec une voix inhabituellement ferme) – Inutile
ANEMONE (déstabilisée par le ton employé par Jean-Damien) – Co… comment ?
JEAN-DAMIEN – Oui : inutile
ANEMONE – Tu veux rentrer seul ?
JEAN-DAMIEN – Non. Mais pas avec toi
ANEMONE – Comment ça ?
Pétula fait son apparition.
JEAN-DAMIEN – Maman, je te présente Pétula
ANEMONE – Pétula ? C’est qui déjà celle-là ?
CLAIRE – C’est notre secrétaire
LOUIS – C’était, j’en ai bien peur…
ANEMONE – Ah bah ça !
CLAIRE – Recrutée par mon mari
ANEMONE – A se demander comment il l’a trouvée
CLAIRE – A son goût
LOUIS – Hum…
ANEMONE – On est bien monté !
PETULA (allusive) – Ca dépend qui…
JEAN-DAMIEN – Maman, je ne vais pas y aller par quatre chemins
PETULA (l’encourageant) – Très bien !
JEAN-DAMIEN – Et je ne vais pas tourner autour du pot
PETULA – Je te l’ai dit : sois direct !
JEAN-DAMIEN – Alors voilà. Il y a eu quelque chose entre Pétula et moi
LOUIS – J’imagine bien quoi…
JEAN-DAMIEN – Et nous envisageons de grands projets ensemble
PETULA – A commencer par un voyage
JEAN-DAMIEN – Après-demain, nous décollons pour l’île Maurice
PETULA – En première classe
ANEMONE – Mais… Mais enfin… Tu… Tu as bien réfléchi ?
JEAN-DAMIEN – Oui
ANEMONE – Tout cela n’est-il pas prématuré ?
JEAN-DAMIEN – Non
ANEMONE – Vous vous connaissiez avant ?
JEAN-DAMIEN – Non : nous nous sommes rencontrés ici
PETULA – Il y a moins d’une heure
JEAN-DAMIEN – Et ça nous a suffi
PETULA – C’est fou ce qu’on peut faire en si peu de temps
LOUIS – Là aussi, j’imagine
JEAN-DAMIEN – C’est assez pour comprendre que Pétula et moi, nous sommes faits pour aller l’un avec l’autre
LOUIS (bas) – Ou l’un dans l’autre
JEAN-DAMIEN – Pétula est une personne comme on n’en rencontre que rarement
LOUIS (bas) – Ca dépend où
JEAN-DAMIEN – Très ouverte
LOUIS (bas) – Je confirme
JEAN-DAMIEN – Avec beaucoup d’entrejambe… (Se reprenant.) Euh d’entregent
ANEMONE – Mais…
JEAN-DAMIEN – Inutile d’essayer de me faire changer d’avis
PETULA – Bravo !
JEAN-DAMIEN – Ma décision est prise
PETULA – En route !
ANEMONE (à Louis) – Et vous, vous ne dites rien ?
LOUIS – Vous m’avez demandé de la fermer
ANEMONE – Oui, mais tout de même
LOUIS (bêtement, à Jean-Damien) – Vous ne prenez pas votre serviette ?
JEAN-DAMIEN – Où nous allons, pour quoi faire ?
LOUIS (tentant l’humour) – Sur la plage, ça pourrait servir
ANEMONE – Et tu n’as même pas de maillot
PETULA – Moi, je me baigne nue. Il fera pareil
JEAN-DAMIEN – Oui
LOUIS – Et pour le rapport ?
PETULA – C’est fait
LOUIS – En plus de ça, on n’aura plus notre secrétaire
CLAIRE (bas) – Ce n’est pas forcément une grosse perte
PETULA – Loulou devrait facilement retrouver quelqu’un ?
ANEMONE (à Louis) – C’est vous qu’elle appelle ainsi ?
LOUIS (décontenancé) – Bah…
ANEMONE – Décidément !
CLAIRE – Pour la remplaçante, cette fois-ci, je m’en occupe
LOUIS – Ah ?
CLAIRE – J’ai déjà une piste très sérieuse. (A Louis.) Lucienne Locatelli, ça ne te dit rien ?
LOUIS – Ma foi…
CLAIRE – La veuve du notaire… Celui qui est décédé il y a deux ans et qui t’avait recommandé Pétula
LOUIS – Ah ?
CLAIRE – Elle a beau avoir soixante-trois ans, elle est encore très dynamique
LOUIS – Certainement une femme qui a de l’expérience
PETULA – Comme moi
CLAIRE – Sauf qu’avec elle, on ne risque pas grand-chose
PETULA (s’impatientant) – On y va ?
JEAN-DAMIEN – Tout de suite
PETULA (reprenant son string, posé sur le canapé.) – Ah, ça, c’est à moi… Je ne sais pas s’il peut servir mais bon… Je l’enfilerai plus tard
LOUIS (bas) – A se demander de quoi elle parle…
Pétula et Jean-Damien ont quitté la pièce. Anémone s’est effondrée sur le canapé.
ANEMONE (abattue) – Ah bah ça ! Si je m’attendais
CLAIRE – Moi non plus
LOUIS – Moi pareil
ANEMONE – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
CLAIRE – Rien, bien-sûr mais…
LOUIS – On compatit, c’est déjà ça
ANEMONE – Il ne me reste qu’une chose à faire
CLAIRE – Voyons, vous n’y pensez pas : vous êtes encore jeune
LOUIS (bas) – Tout est relatif
ANEMONE – Oui : téléphoner à mon mari. (Anémone a pris son portable et composé un numéro ; son mari ne répond pas.) C’est étrange : d’habitude, quand je l’appelle sur son portable, il répond aussitôt
LOUIS – Appelez-le à son bureau. A cette heure-ci, il y est sûrement
ANEMONE – Vous avez raison
LOUIS (bas) – Pour une fois
Anémone compose un nouveau numéro.
ANEMONE – Allô ?... Oui, madame de la Butinière à l’appareil… Non, ça ne va pas… Je vous en pose des questions ?... Eh bien en voilà une : pouvez-vous me passer mon mari ? Oui, tout de suite !... Pourquoi ? Non mais dites-donc !... Comment ça pas là ?... Pardon ?... Vous dites ?... Vous êtes sûre ?... Mais… Bon…
CLAIRE – Quelque chose de grave ?
LOUIS – On n’est plus à ça près
ANEMONE – Moi qui suis diabétique, là, c’est la cerise sur le gâteau
LOUIS – Il est arrivé quelque chose à Gaston ?
CLAIRE (rectifiant) – Gabriel
ANEMONE (atterrée) – Il est parti
LOUIS – Lui aussi ?
CLAIRE – Pas trop loin j’espère
ANEMONE – Avec sa secrétaire
LOUIS – C’est de famille dites donc !
CLAIRE (rappelant Louis à l’ordre) – Louis !
LOUIS – Les secrétaires, il faudrait toujours s’en méfier
CLAIRE – Tiens donc ! (A Louis.) D’ailleurs, nous n’avons toujours pas eu le temps de…
LOUIS (gêné) – Euh… Oui… (Cherchant à faire diversion.) On n’a pas sonné ?
CLAIRE – Non, pas cette fois
LOUIS – Ah ?... Dommage !... Enfin, pour l’instant, l’important c’est de s’occuper d’Anémone… Regarde la : elle m’a l’air plus flétrie qu’épanouie… Le mieux, c’est que je vous laisse, pour que vous puissiez discuter tranquillement, entre femmes…
CLAIRE – Soit, mais nous en reparlerons !
Louis gagne son bureau.
ANEMONE – Jamais je n’aurais pensé ça de lui
CLAIRE – Vous parlez de Louis ?
ANEMONE – Mais non, pas de Louis, je m’en moque, mais de lui, de Gabriel
CLAIRE – Allez : ne vous laissez pas abattre
ANEMONE – Et Jean-Damien… Nous étions si proches
CLAIRE – Là, c’est sûr que s’il est à l’île Maurice, vous risquez d’être méchamment éloignés
ANEMONE – En quelques minutes, ma vie a basculé
CLAIRE – Je reconnais que ça fait beaucoup d’un coup
ANEMONE – C’est ce qu’on appelle boire le calice jusqu’à la lie
CLAIRE – A défaut de vin, vous ne voudriez pas un café ?
ANEMONE – Je ne dis pas non
CLAIRE – Ca vous remontera
ANEMONE – Je suis tellement tombée bas qu’il m’en faudrait plus qu’une cafetière
CLAIRE – Vous avez gardé votre esprit, c’est déjà ça
ANEMONE – C’est bien la seule chose que j’ai conservée
CLAIRE – Pétula va nous le préparer
ANEMONE – C’est de l’humour ?
CLAIRE – Pardon… Je… J’avais oublié qu’elle était partie…
ANEMONE (en larmes) – Oui, avec Jean-Damien !
CLAIRE – Finalement, je vais vous le faire moi-même… Ne bougez pas !
ANEMONE – Où voulez-vous que j’aille ?
CLAIRE (au public) – Vous non plus, ne bougez pas, hein ? J’ai comme l’impression qu’on n’est pas encore au bout de nos surprises !
EPILOGUE
CLAIRE, ANEMONE puis tous les autres… ou presque
La scène est vide. Claire sort des bureaux. Elle porte un plateau avec deux tasses dessus.
CLAIRE – Bah où est-elle passée ? Anémone ? Anémone ?
Anémone, visiblement éméchée, sort du local de la photocopieuse. Elle porte la salopette d’Eric.
ANEMONE (chantonnant) – Mon mec à moi, il me parle d’aventures…
CLAIRE – Ca a l’air d’aller mieux
ANEMONE – Ouais… L’air et la chanson
CLAIRE – Mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ?
ANEMONE – Elle est aussi négligée que celle de votre compagnie. Ca fait raccord, non ?
CLAIRE (vexée) – Hum… Voici votre café
Louis sort de son bureau.
ANEMONE – Vous ne pourriez pas y mettre plusieurs gouttes de gniole ?
CLAIRE (sur un ton de revanche) – Là aussi, ça fera raccord
LOUIS – J’ai une bonne poire dans un de mes tiroirs, je ne vous dis que ça
ANEMONE – Et la bonne poire, vous savez ce qu’elle vous dit ?
LOUIS – Je crains le pire
ANEMONE – Pourquoi y’aurait que les mecs qui prendraient du bon temps ? Hein, pourquoi ? J’vous le demande !
CLAIRE – Je vous rejoins : la question mérite d’être posée, n’est-ce pas Louis ?
LOUIS (gêné) – Euh… Oui… Mais c’est vrai que le plaisir, c’est comme les tâches ménagères, ça doit être partagé
CLAIRE – C’est nouveau, ça
ANEMONE – Farpaitement…
Eric sort du local de la photocopieuse. Il est en caleçon et en maillot de corps et il a un soutien-gorge (qu’on devine être celui d’Anémone) sur l’épaule. Il est visiblement éméché lui aussi.
ANEMONE (chantonnant) – C’est un méchant p’tit gars qui fait de dégât sitôt qu’il s’explique… Ca joue du poing, d’la tête et du chausson, un méchant garçon !
ERIC – Pour le poing et la tête, c’est déjà coché, mais pour le chausson… De toute façon, j’ai jamais aimé les pantoufles… Je préfère les mules
ANEMONE – Il ne parle pas de moi, hein ?
ERIC – Ane… et mone !
CLAIRE – Oh là là ! Les ravages de l’alcool
LOUIS (bas) – Ou du temps
ANEMONE – L’alcool, ça permet de passer des moments inoubliables dont on ne se rappelle pas
ERIC – Enterrement d’abord ! (Se reprenant.) Euh, entièrement d’accord !... Enfin, tout comme elle dit
ANEMONE – Allez mon Ricky, on s’en va
CLAIRE – Ricky ?
ANEMONE – Ouais, c’est le diminutif d’Eric
LOUIS – Je n’aime pas les diminutifs
CLAIRE – Tiens donc
ERIC – Ricky, mais pas riquiqui !
ANEMONE (allusive) – Je confirme
CLAIRE – Ah bah ça !
ANEMONE – Bah quoi… Mon fils et mon mari prennent du bon temps avec des secrétaires, moi, c’est avec une armoire à glace !
CLAIRE – Pour le coup, c’est vrai qu’on reste dans le même registre
LOUIS – Rien à redire : il y a de la recherche
ERIC – Moi, plus besoin de recherche pour retrouver une meuf !
LOUIS – C’est pratique
ERIC – J’avais déjà eu du mal à en dénicher une
CLAIRE – C’est donc inespéré
ERIC – Vous me croirez ou pas, mais c’est elle qui m’a carrément sauté dessus quand j’ai retrouvé mes esprits
ANEMONE – Quand il est revenu à lui, il est passé à moi
ERIC – Paf ! Pas eu le temps de dire ouf !
ANEMONE – Et plaf ! Adieu l’autre pouf !
CLAIRE (à Louis) – Je crois savoir de qui il parle, pas toi ?
LOUIS – Si. Il faut reconnaître que le choix est très limité
ERIC – En cinq minutes, c’était plié
ANEMONE (désignant Eric) – Avec lui, ce n’est pas le mot que j’aurais employé
ERIC – Avec Anémone, c’était du tout cuit
ANEMONE – Et moi, je l’ai avalé tout cru !
CLAIRE – Qui l’aurait cru ?
ANEMONE – Allez mon Ricky, en route !
ERIC – En voiture Simone ! Et Anémone aussi !
ANEMONE – C’est moi qui conduis
ERIC – Et c’est moi qui klaxonne… (Dirigeant ses mains vers la poitrine d’Anémone.) Pouët pouët !
CLAIRE – On aura tout vu
ANEMONE (montrant la bouteille vide d’Eric) – Et on aura tout bu !
ERIC – La Jaguar me tend les bras
LOUIS – La couguar aussi
ERIC – Je pourrais la prendre en main ?
ANEMONE – La voiture ?
ERIC – Ouais, mais pas que…
ANEMONE – Tu verras la boîte de vitesses ! Elle a plus de rapports que moi !
ERIC – Et avec bibi, pas de risque de crevaison ! Je suis son Roux de secours
On aperçoit les têtes de Claude et de Jean. Anémone et Eric se dirigent vers la sortie.
ERIC – Direction le Sud !
ANEMONE – A nous Perpignan
ERIC – Narbonne
ANEMONE – Et moi, je veux bien me faire Béziers
ERIC – Toujours prêt !
Anémone et Eric quittent la pièce.
CLAIRE – Je suis sidérée par la métamorphose d’Anémone
LOUIS – Et moi, j’ai vraiment du mal à reconnaître le malabar qui m’est tombé sur le râble il n’y a même pas vingt minutes
CLAIRE – Oui : c’est devenu un vrai toutou
LOUIS (sentencieux) – Si tu veux finir dans les bras d’une dame riche, mieux vaut être un caniche
CLAIRE – Qui aurait cru ça d’Anémone ?
Claude et Jean sortent du local à archives.
CLAUDE – C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes
JEAN – Oui, mais avec des jeunes carottes
CLAIRE – Quand même : à son âge !
JEAN – Rassurez-vous : la Tour Eiffel a plus de cent ans et on la grimpe toujours !
CLAUDE – Oh ! Jeannot !
JEAN – C’est Jean, mais elle m’appelle comme ça
LOUIS – Cette manie des surnoms, qu’est-ce que ça m’agace !
CLAIRE (désignant Jean) – On ne me présente pas ce nouveau personnage ?
LOUIS – Au théâtre, on appelle ça un deus ex machina
CLAIRE – Oui, sauf qu’encore une fois, nous ne sommes pas au théâtre
LOUIS – J’en doute de plus en plus
CLAIRE – Alors : c’est qui ce machin-là ?
JEAN (serrant la main à Claire et Louis) – Grasset. Jean Grasset
CLAUDE – Entre nous, Jean Brasset lui va bien aussi
JEAN – Société Millebureaux
CLAUDE (en écho) – La copie sans défaut
JEAN – Bravo !
CLAUDE – Jeannot était là pour réviser la photocopieuse
JEAN (avec un air de triomphe) – Je suis venu, j’ai vu, je l’ai revue
CLAUDE – C’était bouclé en deux coups de cuillère à pot ! Il est fortiche le Jeannot !
JEAN – N’exagérons rien : j’y ai quand même passé du temps
CLAUDE – Le pauvre : il n’a quasiment pas fait de pause
JEAN – Moi, quand j’ai la tête dans le guidon, on ne m’arrête plus
CLAUDE – Jeannot, c’est un peu le Fausto Copi de la photocopie !
LOUIS – C’est rare, mais là, je reconnais que c’est bien léché
JEAN – Elle a pas mal de kilomètres au compteur mais après un bon décrassage, c’est reparti
CLAUDE – Comme moi, quoi
JEAN – Tout à fait Cloclo
LOUIS – Et encore un surnom !
JEAN – Ce qui est fou, c’est qu’on a presque le même humour
LOUIS – Complètement dingue !
CLAUDE – Et vous voulez que je vous fasse une confidence ?
CLAIRE – Pas plus que ça, mais au point où nous en sommes
CLAUDE – Eh ben j’ai suivi à la lettre mon horoscope
LOUIS – Tiens donc
CLAUDE – J’ai sauté sur l’occasion
LOUIS – La pauvre !
JEAN – L’occasion, c’est moi
CLAIRE – On avait compris
CLAUDE – Faut être réaliste : pour moi, le neuf, il ne fallait pas y compter !
JEAN – Même le neuf avec des défauts d’aspect !
LOUIS – C’est réaliste
CLAUDE – On ne peut pas encore dire que je suis casée mais il y a de l’espoir… (A l’homme du public qu’elle avait apostrophé au début de la pièce.) Désolée mon gars !
JEAN (au même homme) – Vous n’étiez pas de taille
LOUIS (au même homme également) – Ce sera pour une autre pièce
CLAUDE – Ce n’est pas tout ça mais il faut qu’on se bouge nous aussi
JEAN – Je te suis
CLAUDE – Moi, j’essuie et lui, il me suit !
JEAN – Je vous l’avais dit : on est complémentaires !
LOUIS – Comme les numéros du loto
JEAN – Tirage
CLAUDE (du tac au tac) – Et grattage !
CLAIRE – Vous partez en voyage vous aussi ?
CLAUDE et JEAN – Exact
CLAIRE – Pour le Sud ?
LOUIS – L’île Maurice peut-être ?
CLAUDE – Vous ne croyez pas si bien dire : on file à Lille, chez Maurice, vous savez mon beau-frère… Je vous en ai déjà causé
LOUIS – Oui oui
CLAUDE – Il restait des places dans le prochain TGV
JEAN – Le TGV, ça permet d’arriver en retard plus vite
CLAUDE – En plus d’être un comique, c’est un vrai philosophe mon Jeannot
JEAN – Et au retour, on fera un crochet par Amiens
CLAUDE – Jeannot a promis de me montrer sa cathédrale
CLAIRE – Oh oh ! Veinarde !
CLAUDE (à Jean) – On pourrait aussi faire un détour par Chantilly ?
JEAN – Tout ce que tu voudras
LOUIS – Tout bien réfléchi, je me demande si on ne devrait pas ouvrir une agence matrimoniale
CLAUDE – Pourquoi pas ? Après tout, c’est un peu grâce à vous si on s’est rencontrés
JEAN – Ah ! L’amour avec un grand A !
LOUIS (bas) – Ou avec un gros tas
CLAUDE – Finalement, quand on y pense, tout s’est bien goupillé dans cette histoire à tiroirs
CLAIRE (Louis) – Certains mériteront quand même d’être ouverts, n’est-ce pas Louis ?
LOUIS – Ah… Euh… Oui… Et refermés !
JEAN – Gratter les fonds de tiroir, ce n’est jamais bon signe
CLAUDE – On ne sait pas toujours ce qu’on va y trouver
JEAN – Moi, ce que je sais, c’est que j’ai trouvé le bonheur
CLAUDE – Oh !
JEAN – J’ai changé votre toner et j’ai eu le coup de foudre ! Elle n’est pas belle la vie ?
RIDEAU
Le rideau pourra être tiré sous la musique de « It’s raining men » des Weather Girls