Lucie III
Lucie III a fugué. Des privés sont à sa recherche. Ses parents, scientifiques reconnus, se déchirent à son sujet. Mais Lucie, devenue, en grandissant, laide et voûtée, couverte de poils, est-elle vraiment leur fille?
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Le jeune mercenaire et le tueur se préparent à bivouaquer en montagne. Bruits d'un feu de camp. Des rafales de vent troublent par instant le silence inquiétant, ponctué de craquements de branches et de cris d'animaux. Le tueur prépare le café.
Le jeune mercenaire : Bordel c'est sinistre. On s'les caille. Pour roupiller y a franchement mieux. Pas d'étoiles, pas de lune. (Un temps. L'autre ne répond pas.) C'est pourri plein de flotte ici. On est à combien? (Un temps. L'autre ne répond pas.) Hé! On est à combien?
Le tueur : 1700.
Le jeune mercenaire : Putain 1700 m ! Y a plus que des rochers c'est un vrai casse-gueule.
Le tueur (Il verse le café.) : Café brûlant. Beurre, sel et sucre. Rien que ça pour tenir. Maintenant on n'est pas loin. Demain on l'aura.
Le jeune mercenaire : Demain? On va décrocher le bingo, hein! Putain ma première mission. J'en banderais dis donc.
T'as fais l'Irak, toi, j'suis sûr que t'as fais l'Irak!
Ils boivent le café.
Le tueur : De la pissotte de pisseuse. La Tchétchénie oui ça tu m'dis. La Yougoslavie oui ça tu m'dis. Le Rwanda.
Le jeune mercenaire : Le Rwanda? Toi t'es d'la Légion, hein! C'est ça tes tatouages. Moi ils ont pas voulu. Trop intello, tu crois pas! Je me suis rabattu sur la Sécurité.
T'as vu les traces alors c'est ça, hein, t'as vu les traces? Comment tu fais t'es un vrai sioux toi, un vrai, un dur, tu dis rien mais tu vois tout. Une fois qu'on l'aura capturée on sera riches, t'as vu combien ils payent!
Le tueur se couche.
Le tueur : Là-haut, après le col. C'est là qu'elle se terre. Demain.
Le jeune mercenaire : La bête, le monstre. T'as vu les traces? (Un temps. L'autre ne répond pas.) Ok tu roupilles.
Un temps. Un son étrange se fait entendre, une mélodie lointaine.
Le jeune mercenaire : Hé! T'entends ça? (Un temps. L'autre ne répond pas.) Hé?
Le tueur : Vent, pluie, fantômes.
Le jeune mercenaire se couche à son tour. Le son se fait à nouveau entendre.
Le jeune mercenaire : Une mélodie, on dirait une mélodie. Merde alors... T'as raison, les fantômes.
2
Une musique classique est diffusée en sourdine dans l'appartement. La mère se verse un verre de whisky.
Le père : Tu devrais arrêter. Le whisky ne permet pas d'oublier.
La mère : Ah! Notre fille a disparu et tu voudrais que je l'oublie. Ah! Le whisky me donne la force, cher ami.
Le père : Elle n'a pas disparu, elle a fugué. Tout simplement. Nous a assez menacés.
La mère : Tu fais une croix sur elle, déjà. Ah! Qui nous dit qu'elle n'a pas été enlevée? Un être exceptionnel, unique, incroyable. Ah! Mon dieu ma petite chérie, l'amour de ma vie, où es-tu? Reviens-moi!
Le père : Ta mélancolie de comptoir est touchante.
La mère : Comment puis-je rester auprès d'un type comme toi, aride de sentiments! Tu ne te saoules qu'avec l'illusion du succès scientifique! Moi l'alcool toi la gloriole. Ah! Lucie, ma Lucie où es-tu?
La mère se verse un autre verre de whisky.
Le père : Tu es pathétique ma chère, très! Tu oublies vite que nous l'avons faite - que dis-je faite - fabriquée à deux. Pour notre plus grand profit.
La mère : Tu es immonde, immoral! Appelle la police, je crains le pire. Ah! Pour sa vie, elle est fragile, tu le comprends ça?
Le père : Les détectives font leur travail, des spécialistes. Elle doit se terrer dans un lieu isolé, elle sait le faire. Ses gènes le lui ont appris, son instinct de survie a repris le dessus.
La mère (gémissante) : Mon enfant d'autrefois. Ah! D'il y a longtemps... si longtemps.
3
Le jeune mercenaire et le tueur, essoufflés, progressent difficilement dans un univers montagnard chaotique. Des rafales de vent troublent par instant le silence inquiétant, ponctué de craquements de branches et de cris d'animaux.
Le jeune mercenaire : Putain de rochers! Quand même pour le Rwanda, j'aimerais savoir. Comment t'as fait pour te retrouver là-bas? (Un temps, l'autre ne répond pas.) Hé!
Bruit d'un couteau à cran d'arrêt. Le tueur saisit le jeune mercenaire au cou et le menace avec sa lame.
Le tueur : Pas la bonne question, ça!
Le jeune mercenaire (voix étranglée) : Aïe! Ok ok mec je retire, j'ai rien dit, rien pensé j'te jure, là c'est ok, ok, d'accord?
Le tueur : Ta gueule maintenant, après le col on est avec le vent. (Un temps.) Là-bas!
Le jeune mercenaire : Où ça ? Merde oui la caverne ! C'est de la fumée ça, pas du brouillard.
Le tueur : Au sol!
Ils approchent en rampant. Ils parlent à voix basse.
Le jeune mercenaire : Putain de rochers ! Y a quelque chose, non? Ça bouge.
Le tueur : Localisation de la chose en visuel. Phase 1.
Le son étrange se fait entendre, une mélodie. Ils approchent toujours.
Le jeune mercenaire : Tu entends, merde alors! C'est quoi?
Le tueur : Position mi debout, mi courbée.
Le jeune mercenaire : Un singe, un ours. Une sorte de mélange, ça existe? C'est tout poilu en tout cas.
Le tueur : Maîtrise du feu.
Le jeune mercenaire : Ça peut être dangereux ? Qu'a dit le professeur? (Un temps, l'autre ne répond pas.) Hé !
Lucie III, le nez au vent, renifle dans leur direction.
Le tueur : La chose nous renifle, elle nous a repérés. Je l'appelle.
Il compose un n° sur son téléphone portable.
4
Une musique classique est diffusée en sourdine dans l'appartement. La mère se verse un verre de whisky.
La mère : Notre fille, mon enfant unique, je veux que tu me la ramènes tu comprends ça, la douleur d'une mère! Ah!
Le père : Elle n'est pas plus ta fille que n'importe quel autre vivant décérébré. Elle n'est qu'une reproduction fidèle. Tout ça à cause de ton manque d'utérus !
La mère : Tu es... un monstre! (Elle jette un objet à travers la pièce.)
Le père : Tu es folle! Ma réplique du crâne de l'homme de Chancelade, arrête j'te l'ordonne!
La mère : Tu ne m'ordonnes rien ! Tu me dois tout! Ces mammouths congelés dans ce coin pourri de Sibérie, je savais que des humains ne seraient pas loin! Mon arrière-grand-père avait trouvé des os. Si je ne t'avais pas poussé, jamais on n'aurait découvert Lucie II !
Le père : Tu oublies que c'est mon équipe qui l'a trouvée! Avec les moyens uniques que j'ai mis au point!
La mère : Avec ma fortune! Ah! Pourquoi suis-je restée avec toi !
Le père: Sans mon génie tu aurais tout perdu. Depuis longtemps. Tes recherches sur l'ADN de Lucie II ont réveillé en toi de vieux démons.
La mère : Tu n'es qu'un vil égoïste! Jamais tu ne t'es penché sur mes douleurs. Ah! J'espérais qu'un jour un enfant vienne enfin, même du fond des âges.
Le père : Folie aveugle!
La mère : Tu ne voyais que l'auréoles du succès, l'inventeur de Lucie III, notre fille, ce serait toi. Mon argent ne t'a pas fait honte ! (Elle lance un vase à travers la pièce.)
Le père : Ça suffit maintenant! (Il la saisit aux poignets.)
La mère : Aïe lâche-moi espèce de brute!
Le père : Lucie III ta fille n'est qu'un monstre, tu entends! Ce clone de Lucie II ne nous apporte à présent que honte et opprobres.
Le téléphone sonne. Le père lâche la mère et décroche. La mère se sert un verre de whisky, elle monologue.
Le père : Allo...?
La mère : Ô Lucie, ma Lucie III, mon aimée, tu étais si mignonne quand tu es née, tu faisais l'admiration de tous, ils s'extasiaient sur ton retour après des milliers d'années. Mais tu es devenue... laide... poilue... voûtée... pourquoi Lucie, pourquoi? Ah! Ils nous ont bannis, nous sommes devenus des parias, des monstres qui ont engendré une chimère!
Le père raccroche.
La mère (inquiète) : Alors?
Le père : Ils l'ont retrouvée. Dans l'Oural... Sur la route de ses ancêtres probablement.
5
Le jeune mercenaire et le tueur sont devant la caverne où s'est réfugiée Lucie III. Vent, pluie.
Lucie III va à leur rencontre. Elle émet des sons accueillants.
Le tueur (Au jeune mercenaire) : T'approche pas, reste à distance!
Lucie III : … 'jour... hum hum... vous... loin... très loin....?
Le jeune mercenaire : Mais... t'entends... ça parle...!
Le tueur : Recule je te dis.
Le jeune mercenaire : Mince ce n'est pas une bête, regarde, c'est une.... c'est dingue ça... C'est une fille... une jeune fille!
Lucie III : … oui moi... fille.... vous... loin.... manger... boire....?
Le tueur arme son fusil et met en joue Lucie III.
Le jeune mercenaire : Hé! Qu'est-ce que tu fais, elle n'est pas dangereuse!
Le tueur : Phase 2. Elimination. Recule!
Le jeune mercenaire : Arrête, on doit la capturer, et la ramener, elle n'est pas dangereuse je te dis.
Le tueur : Pousse-toi de là mec!
Le jeune mercenaire : Baisse ton fusil! Tu vois bien que c'est pas un monstre, c'est un être humain, comme toi et moi!
Le tueur : Tire-toi!
Le jeune mercenaire : T'es dingue!
Le tueur fait feu.
Le jeune mercenaire : Ah!
Le jeune mercenaire, touché à mort, s'écroule. Lucie III crie et s'enfuie. Le tueur la poursuit.
Le tueur : Merde! Reviens salope! Putains de rochers! Aaahhh!
Il glisse et tombe, mortellement blessé. Il râle.
Lucie III se rapproche prudemment de lui en gémissant.
Elle se saisit du portable et fait un n°.
6
Une musique classique est diffusée en sourdine dans l'appartement. Le téléphone sonne, Le père décroche.
Le père : Allo... Allo? Allo?
Lucie III est au bout du fil.
Lucie III (au père) : … pôpa... je... voudrais... parler... môman...
La mère (inquiète) : Alors? Ils vont la ramener, hein? Ma petite chérie adorée, ma Lucie. Ah!
Le père raccroche subitement.
Le père : Non, ils ne la ramèneront pas. Elle est tombée. Dans un ravin. Un accident. Un tragique accident.
FIN