ACTE I
Marjorie Belmont est dans son salon. Elle arrange quelques fleurs dans un vase. Son mari arrive, sortant de son bureau.
ANTOINE. – Tu voulais me parler, ma chérie ?
MARJORIE. – Si tu veux bien m'accorder quelques minutes de ton précieux temps...
ANTOINE. – Pas de problème, mon dernier client vient de partir à l'instant...
MARJORIE, calmement. – Cliente.
ANTOINE, surpris. – Pardon ?
MARJORIE, toujours aussi calmement. – Je disais que ce n'est pas un client qui sortait de l'agence, mais une cliente.
ANTOINE, un peu dérouté. – C'est possible...
MARJORIE. – Non seulement c'est possible mais c'est même certain. A moins que ce ne soit un écossais, il ne t'a pas échappé que ce « client » portait une jupe ?
ANTOINE, piqué au vif, s'énervant. – C'est quoi ces allusions à deux balles ? J'ai employé le terme « client » de façon générique pour désigner un habitué de l'agence... Il n'y a pas de quoi en faire tout un plat !
MARJORIE, calmement. – Ne t'énerve pas comme ça.
ANTOINE, très énervé. – Je ne m'énerve pas !.
MARJORIE, même jeu. – Si, un petit peu quand même... Ce n'est pas parce que j'ai reconnu ta maîtresse qu'il faut te mettre dans tous tes états.
ANTOINE, faussement outré. – Marjorie !
MARJORIE. – Je t'en prie Antoine, pas d'hypocrisie. Aie le courage d'assumer tes actes et ta conduite.
ANTOINE. – Ma chérie, je te jure sur ma tête que...
MARJORIE, le coupant. – Ne jure surtout pas ! Et encore moins sur ta tête, tu vas en avoir sacrément besoin dans les jours à venir.
ANTOINE, faisant le fier. – Tu te rends compte des accusations que tu formules à mon égard ? On est à la limite de la diffamation et si tu n'étais pas ma femme, je porterais plainte.
MARJORIE, toujours aussi calme. – Et tu perdrais ton procès. En règle générale les gens trompés sont souvent les derniers avertis. Il se trouve qu'une bonne âme a eu pitié de moi et m'a gentiment mise au courant de tes infidélités conjugales.
ANTOINE, bravache. – Et peut on connaître le nom de ce corbeau calomniateur ? Sans doute un anonyme soucieux de nuire à ma réussite d'agent immobilier ...
MARJORIE. – L'anonyme s'appelle Françoise Duchemolle.
ANTOINE, se forçant à rire. – Françoise Duchemolle ! Il y a de quoi rire.
MARJORIE, très sérieuse. – Mais je ris, je ris. Ça ne se voit peut être pas extérieurement mais intérieurement, qu'est ce que je me bidonne !
ANTOINE, chargeant. – Une folle excentrique, radoteuse et nymphomane...
MARJORIE, toujours aussi calmement. – Françoise Duchemolle qui fut ta maîtresse pendant six mois et que tu recevais dans l'agence, trois soirs par semaine, en fin de journée, comme dernier « client »...
ANTOINE, en rajoutant une louche. – Tu ne vas pas t'abaisser à croire les affabulations de cette détraquée sexuelle ? Pas toi Marjorie, pas une femme de ta classe.
MARJORIE, expliquant. – La femme de classe voudrait bien ne pas croire la « détraquée sexuelle », mais quand celle-ci me décrit avec précision les endroits où sont placés tes grains de beauté sur ton anatomie de mâle viril et conquérant... alors là !
ANTOINE, au bord de la débâcle. – Une folle je te dis et soit disant astrologue de surcroît.
MARJORIE. – J'en conclus que si elle n'a pas vu ça dans les astres, le marc de café ou dans sa boule de cristal, cela signifie qu'elle t'a vu à poil suffisamment longtemps pour cartographier et mémoriser avec attention tous ces emplacements intimes. Qu'en penses tu ?
ANTOINE, entre ses dents. – Oh la salope !
MARJORIE. – Eh oui, les femmes sont toujours des salopes quand elles se vengent.
ANTOINE. – Bon d'accord, j'avoue que j'ai cédé aux avances de cette névrosée mais c'était purement physique... Je n'ai jamais cessé de penser à toi.
MARJORIE, cynique. – Tu n'imagines pas comme ça me fait plaisir de savoir que tu pensais à moi tout en pelotant Françoise Duchemolle.
ANTOINE, essayant de se racheter. – Oui, mais tout ça, c'est terminé, fini, balayé, oublié...
MARJORIE, le coupant. – Dans les bras de Salomé Francesco, danseuse effeuilleuse au cabaret les Oies sauvages...
ANTOINE, dépassé. – Oh putain !
MARJORIE. – Tu as le chic pour trouver les mots justes, mon chéri.
ANTOINE, tentant autre chose. – Avoue que tout ça n'est pas de ma faute.
MARJORIE, faussement étonnée. – Ah bon ! Quel est donc alors l'odieux responsable ?
ANTOINE, culotté. – Mon sex- appeal ! Reconnais que je suis plutôt beau gosse, drôle...
MARJORIE, moqueuse, le coupant. – Surtout en ce moment.
ANTOINE. – Et efficace dans mon travail...
MARJORIE. – Effectivement, tu ne ménages pas tes heures supplémentaires.
ANTOINE. – Tu peux rire. N'empêche que ce n'est pas facile tous les jours de résister sans succomber à la tentation.
MARJORIE. – Quel supplice épouvantable ! Tu dois souffrir le martyre par moment, mon pauvre Antoine.
ANTOINE. – Ajoute à cela mon agence immobilière qui fonctionne plutôt bien et qui fascine les gens...
MARJORIE. – De maman...
ANTOINE, perdu. – Comment ça... de maman ?
MARJORIE. – L'agence immobilière … de maman... dans laquelle tu es juste associé, grâce à ton beau mariage avec sa fille unique.
ANTOINE, outré. – Oh que c'est petit ça... oh que c'est mesquin de me rappeler que je ne suis pas chez moi... Tu me déçois beaucoup, tu sais Marjorie. Je te croyais au dessus de ces basses considérations matérielles. !
MARJORIE. – Désolée de ne pas avoir ta largesse d'esprit. Cela dit, quels sont tes projets ?
ANTOINE, faiblement. – Quels projets ?
MARJORIE. – Avec tes conquêtes, voyons ! Apparemment, la mère Duchemolle est reléguée au rayon des antiquités mais quid de l'effeuilleuse ? Toutes ses feuilles sont tombées ou tu attends la fin de l'automne ?
ANTOINE, péteux. – Ce n'est pas un sujet facile à débattre pour moi...
MARJORIE. – Alors que pour moi, c'est un jeu d'enfant...
ANTOINE, lui prenant les mains. – Ecoute Marjorie, ne pourrions nous pas faire table rase du passé et repartir sur de nouvelles bases toi et moi ?
MARJORIE, moqueuse. – Ah oui ? Et en faisant quoi par exemple ?
ANTOINE, brusquement enflammé. – Tiens, je t'invite à dîner chez Jeannot, le spécialiste du poisson.
MARJORIE, moqueuse. – Une immersion parmi les maquereaux et les morues, en quelque sorte... (Avec humour.) Je me sentirai moins sole...
ANTOINE, déçu. – Tu n'y mets pas beaucoup de bonne volonté.
MARJORIE, brusquement sérieuse. – Ton cynisme est déconcertant. Ecoute moi bien Antoine. Je suis une honnête femme, droite et fidèle. J'aurais pu me venger en te trompant. Ce ne sont pas les occasions qui m'ont manquée.
ANTOINE, réagissant, matcho. – Ah non, pas toi. Tu n'as pas le droit. Qu'auraient pensé les enfants de la conduite de leur mère ?
MARJORIE, brusquement sérieuse. – Nous n'avons pas d'enfants, Antoine...
ANTOINE. – Eh bien c'est heureux... Tu imagines leur déception si on en avait eu ?
MARJORIE. – J'ai ma fierté mais ce n'est pas pour autant que je vais supporter tes frasques qui m'humilient et me rendent ridicules aux yeux de mes proches. Cocue certes, mais cocue consciente !
ANTOINE, faux cul. – Je peux te comprendre tu sais... c'est humain...
MARJORIE. – Aussi, je vais demander à maman de se chercher un autre associé et tu continueras tes fréquentations hors des murs de notre maison.
ANTOINE, minable. – Tu ne peux pas me faire ça !
MARJORIE. – Chiche ?
ANTOINE, de + en + minable. – Marjorie, ma chérie... en souvenir de toutes les belles années passées ensemble...
Elle lui tourne le dos et, face au public, elle lui fait un doigt d'honneur.
MARJORIE. – Va te faire voir, minable baratineur !
Elle sort côté chambre.
ANTOINE, en colère. – Et merde, merde, merde et merde !
On sonne à l'entrée.
ANTOINE, énervé. – Marjorie, on sonne ! (Réalisant et se radoucissant.) Oui, bon, c'est peut être pas le moment de l'énerver davantage.
Il va vers la porte d'entrée et ouvre. Un homme entre. C'est Amédée. Poète, rêveur, à l'allure dégingandée, vêtu sobrement mais proprement et avec goût. Ne pas en faire l'idiot du village...
AMÉDÉE, tendant la main à Antoine. – Bonjour. Je m'appelle Amédée...
ANTOINE, ne répondant pas à sa poignée de main. – J 'en suis désolé pour vous, croyez le bien.
AMÉDÉE, retirant sa main gauchement. – Bouard... Amédée Bouard...
ANTOINE, moqueur. – En plus ! Eh ben dîtes donc, avec un nom pareil, vous partez avec un sacré handicap dans la vie.
AMÉDÉE. – Pas facile à porter tous les jours... Mes amis m'appellent Dédé.
ANTOINE. – C'est très sympathique, mais je ne pense pas faire partie de vos amis. Vous êtes venu me voir pour un conseil ?
AMÉDÉE, s'enhardissant. – Oui... enfin non.... enfin... c'est à dire que voilà... c'est pour un avis... d'ordre personnel... très personnel même...
ANTOINE. – Je ne fais pas dans l'assistance sociale, cher monsieur Ception.
AMÉDÉE, corrigeant, timidement. – Amédée Bouard, pas Amédée Ception. Dédé pour les intimes.
ANTOINE, agacé. – Mes déboires, mes déceptions, c'est quasiment pareil. Vous voudrez bien m'excuser mais je viens d'avoir une journée très chargée et j'aspirerai à un peu de repos si cela ne vous ennuie pas. De surcroît, je ne reçois que sur rendez vous
AMÉDÉE, timidement. – J'arrive de Chausson les Ribouis, dans les Vosges...
ANTOINE, agacé. – Et alors ?
AMÉDÉE. – Je ne voudrais pas avoir fait ce long voyage pour rien...
ANTOINE, l'invitant à s'asseoir, à contre coeur. – Je vous écoute, mais soyez bref.
AMÉDÉE, embêté. – Ça ne va pas être facile...
ANTOINE, l'invitant à parler. – Vous souhaitez vous installer dans notre région ? Je peux vous aider à trouver une maison et m'occuper de vos affaires ?
AMÉDÉE, étonné. – Ah, parce que vous êtes habilité à cela ?
ANTOINE, agacé. – Je suis agent immobilier, vous n'avez pas vu ma plaque à l'entrée de la propriété ?...
AMÉDÉE. – Désolé, je n'ai pas prêté attention... dans la hâte de faire votre connaissance.
ANTOINE, de + en + agacé. – Soyons brefs. Vous voulez un conseil sur l'achat d'un bien ?
AMÉDÉE. – Non point...j'ai une coquette petite maison qui me suffit amplement à Chausson les Ribouis... dans les Vosges.
ANTOINE, de + en + agacé. – Je pense qu'il serait temps d'arrêter de vous moquer de moi !
AMÉDÉE, en toute bonne foi. – Je ne me moque pas de vous.
ANTOINE, de + en + agacé. – Dans ce cas, quel est le but de votre visite chez moi ?
AMÉDÉE. – C'est une longue histoire...
ANTOINE, n'y tenant plus. – Je n'ai aucune aptitude à écouter les histoires en général et celles des autres en particulier....
AMÉDÉE. – J'entends bien, mais dans celle ci, monsieur Belmont, vous y jouez un tout premier rôle.
ANTOINE, bras croisés. – Ah oui ? Et qu'est ce qu'un agent immobilier de l'ouest de la France vient faire dans l'histoire d'un habitant des Vosges ? Je vous le demande ! (A actualiser selon vos positions.)
AMÉDÉE. – Je vais vous l'expliquer mais essayez de ne pas m'interrompre...
ANTOINE, regardant sa montre. – Eh bien, on n'est pas couché. Je vous donne cinq minutes, pas une de plus !
AMÉDÉE. – J'approche de la quarantaine (à voir.) et voilà bientôt vingt ans que je suis représentant de commerce dans la chaussure...
ANTOINE, moqueur. – Et vous habitez Chausson les Ribouis. Vous le faîtes exprès ?
AMÉDÉE. – Et que je suis toujours célibataire...
ANTOINE, avec humour. – Vous n'avez pas trouvé chaussure à votre pied. (Il rit.)
AMÉDÉE. – J'apprécie votre humour monsieur Belmont et je m'en félicite. Cela ne pourra que faciliter notre discussion future.
ANTOINE, le relançant. – Ne vous arrêtez pas, je vous prie. Célibataire donc ?
AMÉDÉE. – C'est cela oui. Disons que j'ai consacré toute ma vie à la godasse … et à la poésie.
ANTOINE, même jeu d'humour. – La poésie qui va forcément avec les pieds... (Il rit à nouveau. Tête de Amédée.) Les pieds... les rimes... pour la poésie... vous avez compris ?
AMÉDÉE, se forçant à rire. – Ah ah ah ah ! Très drôle celle là aussi. Vous êtes un comique monsieur Belmont.
ANTOINE, se renfrognant. – On ne peut pas vraiment dire ça... tout dépend des jours. Mais continuez, continuez...
AMÉDÉE. – Entre ces deux passions, je n'ai jamais vraiment pensé aux femmes. Oh, non point que les occasions me manquassent. Vous savez, nous autres les représentants, on en rencontre de toutes les couleurs dans nos prospections...
ANTOINE. – J'imagine, j'imagine... continuez.
AMÉDÉE. – Oh non, vous n'imaginez pas monsieur Belmont car vous êtes un homme bon, droit et sain et vous ne pouvez pas comprendre toutes les tentations corporelles auxquelles nous sommes confrontés, nous les représentants de commerce...
ANTOINE. – Même pas une petite aventure de temps en temps ?
AMÉDÉE. – Aucune ! Disons que j'étais en jachère... en attente d'être cultivé par une semeuse digne d'un grand et véritable amour.
ANTOINE. – On sent bien votre côté poète là, il n'y a pas photo.
AMÉDÉE. – Lorsque, le mois dernier, de passage dans votre ville pour prendre une commande dans le magasin de chaussures de la rue de la gare, je me suis trouvé face à la femme de ma vie, telle que je me l'imaginais dans mes rêves les plus fous.
ANTOINE. – Vous m'en voyez ravi mais je ne...
AMÉDÉE, le coupant. – Elle était là, gracieusement assise, telle une princesse, sur un siège de velours rouge et elle essayait une chaussure qui lui allait comme un gant.
ANTOINE. – Une chaussure qui lui allait comme un gant ? C'est une métaphore de poète sans doute ?
AMÉDÉE. – Son pied menu... sa cheville fine... sa jambe gracile... son genou rond et bien fait laissaient deviner... laissaient deviner...
ANTOINE. Une suite des plus prometteuses, n'est ce pas ?
AMÉDÉE. – Absolument. Mais c'est surtout son visage qui m'a subjugué. Son regard était doux, tendre et son rire... son rire lorsqu'elle a trouvé la bonne pointure ! Un cadeau du ciel, monsieur, que d'entendre un rire pareil. Un rire que j'aimerais entendre toute la journée dans ma petite maison de Chausson les ribouis... J'étais heureux, monsieur.
ANTOINE.- Elle avait acheté une paire de chaussure de votre collection ?
AMÉDÉE. – D'un concurrent. Mais je m'en fichais, tellement elle était heureuse. Ah monsieur, je suis follement tombé amoureux de cette dame. Oui, je l'aime... Vous vous rendez compte, je l'aime !
ANTOINE, le conduisant vers la sortie. – Je me rends surtout que vous me faîtes perdre mon temps avec votre conte à dormir debout. La sortie est par là, je ne vous retiens pas. (Il le plante devant la port et revient au centre de la pièce.)
AMÉDÉE, revenant sur les pas de Antoine. – Vous avez raison... c'est un conte, un vrai conte de fée...
ANTOINE, le conduisant de nouveau vers la sortie. – Dans lequel vous êtes le prince charmant courant après Cendrillon pour lui faire essayer la chaussure perdue à la sortie du bal.
AMÉDÉE, même jeu, revenant sur les pas de Antoine. – Je n'ai point besoin de courir pour retrouver ma bien aimée et vous avez tort de rire monsieur Belmont.
ANTOINE, curieux. – Et pourquoi donc, je vous prie ?
AMÉDÉE, cérémonieux. – Parce qu'il s'agit de votre femme.
ANTOINE, incrédule. – Vous pouvez me répéter ça plus lentement ?
AMÉDÉE, cérémonieux. – Celle qui m'a séduit par son pied et dont je rêve de prendre la main... c'est votre femme, monsieur Belmont.
ANTOINE, abasourdi. – Vous êtes venus tout exprès du fin fond des Vosges me confier que vous êtes amoureux de Marjorie ?
AMÉDÉE, étonné. – Ah ! Elle se prénomme Marjorie ?
ANTOINE, de + en + abasourdi. – Vous ne le saviez pas ?
AMÉDÉE, ravi. – Je l'ignorais totalement. Marjorie est un joli prénom qui lui va merveilleusement bien...
ANTOINE, de + en + abasourdi. – J'en suis très heureux...
AMÉDÉE, ravi. – Et qui me plaît beaucoup...
ANTOINE, dont la colère monte. – A moi aussi voyez vous.
AMÉDÉE, avec réalisme. – Nous avons les mêmes goûts, c'est fascinant. Rien d'étonnant à ce que nous soyons tous les deux amoureux de la même femme.
ANTOINE, dont la colère monte. – A cette exception près, cher monsieur que j'ai connu Marjorie bien avant vous et qu'elle est mon épouse légitime depuis bientôt vingt ans (Voir âge.)
Amédée, sans s'occuper de lui, se lance dans un quatrain improvisé à la gloire de Marjorie.
AMÉDÉE, déclamant. – Ô toi, belle inconnue qu'au hasard de ma vie
A l'étal de chaussures, je croisai un matin,
J'apprends que tu te nommes ma jolie Marjorie
Et reste subjugué par ton rire enfantin.
ANTOINE, complètement sonné. – Alors là... Je suis complètement sonné.
AMÉDÉE, ravi. – Vous êtes sonnet... par un quatrain. Ah ah, c'est drôle...
ANTOINE, le reconduisant vers la sortie. – Bien, je pense qu'on a fait le tour des plaisanteries du poète vendeur de godasses. Si vous voulez bien vous donner la peine d'évacuer les lieux.
AMÉDÉE, revenant. – Vous ne me croyez pas, n'est ce pas ? C'est normal et je comprends que vous ne puissiez admettre que votre femme va vous quitter pour partir avec un parfait inconnu.
ANTOINE, abasourdi. – Parce que vous comptez m'enlever ma femme ?
AMÉDÉE, avec évidence. – Bien sûr... puisque nous nous aimons.
ANTOINE, de + en + abasourdi. – Ma femme vous aime ?
AMÉDÉE, aux anges. – Elle ne le sait pas encore mais ce n'est pas possible qu'elle ne partage pas les sentiments que j'éprouve pour elle.
ANTOINE, de + en + abasourdi. – Vous êtes fou à lier, mon vieux !
AMÉDÉE. – Fou d'amour, tout simplement. Et comme je ne voulais pas que vous souffriez de l'inconfort de cette situation en l'apprenant par d'autres - les gens sont si méchants - je tenais à vous en informer moi même.
ANTOINE. – Vous êtes un grand malade.
AMÉDÉE. – Si être amoureux est une pathologie, alors oui, monsieur, je suis souffrant et je me déclare même en longue maladie.
ANTOINE, s'approchant de lui, menaçant. – Heureusement pour vous, je connais le remède efficace à votre souffrance...
AMÉDÉE, en pleine confusion, ravi. – Ah monsieur, j'étais certain de pouvoir compter sur votre compréhension. Entre gentleman n'est ce pas ?
ANTOINE, il ouvre la porte. – Voulez vous que nous commencions le traitement de suite ?
AMÉDÉE. – Le plus tôt sera le mieux.
Antoine passe brusquement derrière Amédée et l'empoigne, une main au col et l'autre à l'arrière du pantalon. Il l'oblige à une course à l'échalote une fois ou deux autour de la pièce jusqu'à la sortie où il l'éjecte.
ANTOINE, le poussant en avant, une fois la course terminée. – Dehors ! Et soyez heureux de ne pas vous prendre mon poing dans la figure !.
Amédée revient tout en se réajustant chemise et pantalon.
AMÉDÉE, placide. – Plutôt brutal votre médication. Personnellement, je préfère l'homéopathie. Non, sérieusement, quels sont vos projets ?
ANTOINE. – Quels projets ?
AMÉDÉE. – Avec votre femme voyons. Vous la prévenez vous même ou vous préférez que je m'en charge ?
ANTOINE, se frottant les mains et avançant, menaçant, vers Amédée. – Je sens que je vais me le farcir, le poète !
AMÉDÉE, un peu apeuré, reculant. – Restez calme... pas de violence... Vous allez vous mettre dans votre tort et NOTRE Marjorie sera meurtrie par votre manque de fair-play.
ANTOINE. – Vous allez me piquer MA Marjorie et je manque de fair-play ? Non, mais je rêve !
AMÉDÉE. – Elle en pleurera certainement de voir l'homme qu'elle croyait aimer se conduire avec aussi peu de tact.
ANTOINE, dépassé. – Moi, je manque de tact !
AMÉDÉE. – Et ses jolis yeux vairons seront tristes à en mourir...
ANTOINE, dépassé. – Marjorie a les yeux vairons ?
AMÉDÉE. – Oui, le gauche est très légèrement plus clair que le droit. (Réalisant soudain.) Ne me dîtes pas que vous ne l'aviez jamais remarqué ?
ANTOINE. – Si si bien sûr. Ce n'est là qu'un détail insignifiant de son anatomie...
AMÉDÉE, bras tendu, accusateur. – Oh le menteur ! Faut il que l'amour, chez vous, ait fait place à l'indifférence pour ne plus voir ce délicat et « insignifiant » détail qui irradie de lumière, le visage de votre femme.
ANTOINE, à la limite de craquer. – On s'en fout ! A défaut de voir les yeux de ma femme, j'ai déjà largement assez vu les vôtres. (Bras tendu.) Dehors !
AMÉDÉE. – Et la pointure de son pied ? Vous connaissez la pointure de son joli pied ?
ANTOINE, dépassé. – Euh... Je n'en sais rien et je m'en fiche !
AMÉDÉE. – Du 35 monsieur... Vous vous rendez compte que vous ignorez jusqu'à la finesse des pieds de votre femme ?
ANTOINE, à la limite de craquer. – Et moi, c'est du 45 grand taille que je vais vous coller dans les fesses. (Bras tendu.) Pour la 3ème fois... Dehors !
AMÉDÉE, déclamant. – Nous aurions pu, tous deux, connaître l'amitié,
Si je n'avais croisé, en chemin, votre femme,
Sachez que je vous plains et vous prends en pitié,
Ô triste infortuné, brûlé vif par ma flamme.
ANTOINE, ironique. – Vous vous prenez pour Baudelaire avec votre poème débile que vous pourriez appelé « Les flirts du mâle » ?
AMÉDÉE, appréciant. – Ah ah … les flirts du mâle pour les fleurs du mal. Quel humour en pareille circonstance monsieur Belmont. Mais je ne flirte pas... je suis amoureux.
ANTOINE, bras tendu, se retenant. – Dehors !
AMÉDÉE, têtu. – Si je sors par la porte... je reviendrai par la fenêtre.
ANTOINE, bras tendu, voix forte. – Dehors j'ai dit !
AMÉDÉE, lui glissant sa carte de visite dans la main. –
Quand la raison, enfin, ouvrira votre esprit,
Quand votre cœur, enfin, entendra la raison,
Quand votre corps entier, enfin, aura compris,
Alors, appelez moi, hôtel des quat' saisons.
ANTOINE, bras tendu, hurlant. – Sortez !
AMÉDÉE, sur le pas de la porte, saluant avec courtoisie. – A revoir monsieur Belmont et très cher concurrent. Nous sommes appelés à nous revoir bientôt... Hôtel des quatre saisons, j'y suis en vacances pour huit jours. (Il sort.)
ANTOINE, en colère, même jeu qu'au début. – Et re merde, merde, merde et re merde ! (Montrant la porte des appartements.) Il ne suffisait pas de l'autre qui menace de me virer de l'étude... Tout ça à cause de la cinglée de mère Duchemolle... si je la retrouve sur mon chemin celle-là... voilà maintenant qu'un amoureux transi débarque dans ma vie et envisage de me piquer ma femme ! Quel crétin ! Quel bouseux ! S'il croit que je vais lui laisser Marjorie sans résister alors que c'est grâce à elle que je mène cette vie de pacha, il rêve tout debout le poète maudit ! Sans compter que Marjorie n'est pas une femme à tromper son mari... (Pris d'un doute.) Encore que... sait on jamais... (Sortant la carte d'Amédée de sa poche et la regardant.) S'il était prouvé qu'elle avait une aventure, les rapports de force s'inverseraient et je pourrai reprendre la situation en main... Amédée Machin, c'est le ciel qui vous envoie... A nous deux, pudique Marjorie !
Il se frotte les mains et entre dans son bureau.
RIDEAU
ACTE 2
Le lendemain, dimanche matin. Geneviève Lussac, belle mère d'Antoine est là, attablée au petit déjeuner auprès de sa fille. Elles sont toutes deux en robe de chambre.
GENEVIEVE, tout en mangeant. – Avec ce que tu m'as raconté hier soir, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit. Tu es sûre de ce que tu avances ?
MARJORIE. – Tu fais confiance à ta fille ou à cet obsédé sexuel ?
GENEVIEVE, essayant de relativiser. – Obsédé sexuel... c'est peut être un bien grand mot, non ?
MARJORIE. – Ah oui, tu trouves ? Que mon mari me trompe avec deux femmes différentes en moins de six mois, ça ne te choque pas ?
GENEVIEVE, essayant de relativiser. – Si bien sûr. La question que je me pose c'est de savoir pourquoi il va courir ailleurs alors qu'il a tout ce qu'il faut à la maison.
MARJORIE. – Pourquoi ? Mais parce que ce type qui est ton gendre et, accessoirement mon mari, est un dragueur de la pire espèce. Voilà pourquoi !
GENEVIEVE, essayant de plaisanter. – Il est comme ces jeunes veaux qui aiment bien changer d'herbage.
MARJORIE. – Ça veut dire quoi cette métaphore agricole ?
GENEVIEVE, moralisatrice. – Excuse moi, ma petite fille, mais quand certaines femmes sont un peu coincées de la fesse, les maris ont tendance à aller voir si la fesse est plus tendre dans la verte prairie d'à côté.
MARJORIE. – Pour reprendre ta très poétique expression, je ne pense pas être coincée de la fesse et je te trouve un peu mal placée pour me donner des leçons à ce sujet alors que papa t'a quittée il y a plus de dix ans.
GENEVIEVE, accusant le coup. – Eh bien justement, je sais de quoi je parle et je ne voudrais pas que tu finisses comme moi. Réfléchis bien.
MARJORIE. – C'est tout réfléchi ! Je ne peux plus continuer à vivre ainsi, mon statut de cocue m'est insupportable et me rend complètement folle.
GENEVIEVE. – Ma petite fille, si tous les cocus faisaient des dépressions nerveuses, les hôpitaux psychiatriques seraient submergés depuis belle lurette.
MARJORIE. – Maman, oui ou non, veux-tu m'aider à me débarrasser de ce chien en rut ?
GENEVIEVE. – Tu ne veux pas, non plus, le faire piquer par un vétérinaire tant que t'y es ?
MARJORIE. – Très drôle. Je te demande juste de le virer de l'agence et de lui trouver un remplaçant. Ce n'est quand même pas compliqué !
GENEVIEVE. – Je vais m'en occuper dès demain matin. En attendant, laisse moi profiter de ce dimanche de repos.
Arrivée de Antoine, tout fringant.
ANTOINE, embrassant Marjorie sur le front. – Bonjour chérie, bien dormi ?
MARJORIE, sans s'occuper de lui. – Si tu avais partagé le même lit que moi, tu le saurais.
ANTOINE, pragmatique. – Si je dors dans la chambre d'amis, c'est pour ne pas t'embêter avec mes ronflements, tu le sais bien.
MARJORIE. – Mais bien sûr. Chez toi tout part toujours d'un bon sentiment.
ANTOINE, embrassant sa belle mère. – Et vous mamie, ça va bien ce matin ?
GENEVIEVE, accusant le coup. – Pas vraiment, compte tenu de ce que Marjorie m'a appris hier soir. Quelle désillusion... moi qui avait une telle confiance en vous...
ANTOINE, sans vergogne. – Je comprends votre déception mamie, mais c'est du passé tout ça... je vais changer, c'est promis.
MARJORIE, toujours aussi calmement. – Arrête ton baratin Antoine, tu ne changeras jamais et tu le sais parfaitement.
ANTOINE, se posant en victime. – Tu ne vas tout de même pas me reprocher toute ma vie cette erreur de jeunesse !
GENEVIEVE, réagissant. – Erreur de jeunesse... à quarante cinq ans ? (A actualiser.) Votre adolescence a duré sacrément longtemps.
ANTOINE, se posant en victime. – J'ai été bien trop sage à l'époque, je savais que ça resurgirait un jour... C'est physiologique.
MARJORIE, toujours aussi calmement. – Ce qui est aussi physiologique, c'est qu'une femme trompée par deux fois n'a pas la faculté morale de l'être une troisième. Alors, tu boucles ta valise et tu vas faire tes cochonneries ailleurs. Je contacte mon avocat dès demain matin.
ANTOINE, se posant en victime. – Mamie, vous n'allez pas la laisser faire... Vous avez besoin de moi pour l'agence... pour les dossiers en cours... pour...
GENEVIEVE, le coupant. – Désolé mon petit Antoine, je vous envoie un courrier dès demain... Nous allons nous séparer en bons termes. Je ne suis pas inquiète pour vous, vous saurez rebondir...
ANTOINE, faussement triste. – Mais non, je ne sais pas rebondir... Toute ma vie est ici...
MARJORIE, faussement apitoyée. – Comme c'est beau, on y croirait presque.
ANTOINE, en rajoutant une louche. – Dans cette agence... parmi tous mes dossiers... avec vous deux...
MARJORIE, complétant. – Entourées de la mère Duchemolle et de Salomé Francesco... Allez, dégage !
ANTOINE, tendant un bras accusateur. – Tu as tort Marjorie de ne pas croire à mon repentir. (Moralisateur.) Que celui qui n'a jamais péché, me jette la première pierre.
GENEVIEVE, le coupant. – Faîtes bien attention à ne pas vous prendre une volée de cailloux en pleine poire.
ANTOINE, insinuant. – Qui me dit que sous des allures de sainte Nitouche, certaines ne dissimulent pas des instincts lubriques ? Il y en a qui savent bien cacher leur jeu...
MARJORIE et GENEVIEVE, bras tendus. – Valise !
Il sort en grommelant avec un regard noir vers les deux femmes. Petit temps. Elle se regardent en soupirant. On sonne. Elles se regardent, surprises.
MARJORIE. – Qui peut venir nous voir un dimanche matin ? Tu attendais quelqu'un ?
GENEVIEVE. – Ne bouge pas, je vais voir.
Elle va dans le vestibule de l'entrée.
GENEVIEVE, voix off. – Bonjour monsieur. Vous désirez ?
AMÉDÉE, voix off. – Bonjour madame. Pourrais je parler à Marjorie s'il vous plaît ?
GENEVIEVE, voix off. – Marjorie... ma fille ?
AMÉDÉE, voix off. – Vous êtes la maman de Marjorie ? Que Dieu vous bénisse, madame.
Geneviève entre, suivie de Amédée tenant une rose dans une main et un paquet dans l'autre.
GENEVIEVE, entrant. – Suivez moi, monsieur mais ne demandez pas au Seigneur de bénir toutes les mères de famille, il a bien autre chose à faire, je pense !
AMÉDÉE, déclamant. – Pour avoir pu, un jour, porter en votre sein
Un joyau aussi pur, madame, que votre fille,
Comment n'auriez vous pas, la gloire des cieux divins,
Et mon admiration d'amoureux qui frétille.
GENEVIEVE, surprise. – Ouhlà ! Vous parlez toujours comme ça quand vous frétillez ?
AMÉDÉE. – Seulement dans les moments de grande admiration ou de grande tristesse.
GENEVIEVE. – Et vous êtes dans quel état en ce moment ?
AMÉDÉE, grandiloquent. – En admiration pour vous madame... qui avez réussi un tel chef d'oeuvre et transmis votre beauté à votre descendance.
GENEVIEVE, ravie. – Eh bien dîtes donc, ce n'est pas tous les jours qu'on est complimentée par un poète. En général, on nous parle plus de nos rides et de nos vergetures... et pas en alexandrins !
AMÉDÉE, se tournant vers Marjorie. – Et pour vous Marjorie... dont la grâce, la beauté, la douceur, le rire cristallin m'ont frappé dès notre première rencontre.
MARJORIE, éberluée. – Notre première rencontre ?! Je crains qu'il n'y ait une légère méprise, je ne vous connais pas.
AMÉDÉE. – C'est normal, toute absorbée que vous étiez dans le choix de votre paire de chaussures...
MARJORIE, éberluée. – Ma paire de chaussures ?
AMÉDÉE, reprenant très vite. – Que vous avez achetée hier au magasin « Dix doigts, deux pieds », rue de la gare... Vous ne m'avez pas remarqué mais moi, je n'ai vu que vous et je suis tombé follement amoureux de vous.
GENEVIEVE, choquée. – Marjorie, qu'est ce que ça veut dire ?
MARJORIE, éberluée. – Je ne comprends pas... je t'assure maman que je ne connais pas ce monsieur...
AMÉDÉE, tendant la main très vite. – Bouard... Amédée Bouard... Dédé pour les amis et pour les intimes dont j'espère faire partie très rapidement.
MARJORIE, serrant sa main machinalement. – Vous êtes sûrement très sympathique, monsieur Bouard, mais...
AMÉDÉE, la coupant. – Ah Marjorie ! Vous êtes la première personne à ne pas vous moquer du calembour que provoquent mon nom et mon prénom réunis.
GENEVIEVE, mi amusée, mi choquée. – Faut avouer que vos parents ont fait fort sur ce coup là. J'ai connu des Aubin Mary... des Marc Raud, mais des comme vous...jamais !
MARJORIE, reprenant très vite. – Soit, mais je ne vois pas pourquoi vous feriez partie de mes amis intimes.
AMÉDÉE, chaleureusement. – Mais parce que je vous aime... et que vous m'aimez.
MARJORIE, en plein étonnement. – Moi, je vous aime ?
AMÉDÉE. – Vous ne le savez pas encore car votre subconscient refuse cette réalité en préférant rester dans le flou de votre platonique amour quotidien.
MARJORIE, en proie à une vive émotion. – Je suis marié depuis 20 ans (A actualiser.) avec un monsieur qui...
AMÉDÉE, la coupant à nouveau. – Qui ne vous aime pas, soyez réaliste.
MARJORIE, entre émotion et surprise. – Qu'en savez vous ?
AMÉDÉE. – Un homme qui, après vingt années de mariage, ne se souvient plus de la pointure de la femme à qui il a demandé la main, cet homme là, madame,ne peut pas être amoureux.
GENEVIEVE, choquée. –Antoine ne sait pas combien tu chausses ?
AMÉDÉE, la prenant à témoin. – Eh oui, madame, c'est effarant n'est ce pas ? Ce sont avec des petits détails pareils que l'on voit que l'amour s'en est allé...
MARJORIE, minimisant l'accusation. – Ce n'est quand même pas si grave en soi.
AMÉDÉE, déclamant. – Il est là chaque jour et vous sert de mari
Vous regarde passer mais jamais ne vous voit
S'attarde t-il parfois sur votre pied chéri ?
Et de vos yeux vairons, en reste -t-il pantois ?
GENEVIEVE, suspicieuse, à sa fille. –Alors là ! Pour repérer que tu as un œil plus foncé que l'autre, il a quand même fallu qu'il te reluque de près, le poète !
MARJORIE, se défendant. – Puisque je te dis que je n'ai jamais approché ce monsieur !
AMÉDÉE, à Geneviève. – C'est vrai madame, votre fille a raison. Non, le plus triste voyez vous, c'est que monsieur Antoine Belmont ne semble plus se rappeler de la couleur des yeux de Marjorie.
MARJORIE, un peu agacée. – Mais qu'en savez vous, à la fin ?
AMÉDÉE. – Il a paru très étonné quand je lui en ai parlé... hier soir
MARJORIE, étonnée. – Vous avez rencontré mon mari hier soir ?
AMÉDÉE. – Je tenais absolument à lui faire part de mes sentiments à votre égard. Je ne veux pas que notre liaison parte sur de mauvaises bases. Il n'y a rien de pire que d'être cocu sans le savoir.
MARJORIE, en aparté. – A qui le dîtes vous...
GENEVIEVE. – Dîtes moi, monsieur Amédée, vous êtes sous traitement actuellement ?
AMÉDÉE. – Absolument pas, je vous rassure, je me porte comme un charme, future belle maman.
GENEVIEVE, stupéfaite. – Future belle mam... Ah oui carrément... vous en êtes déjà là ?
MARJORIE. – Et quelle a été la réaction de mon mari, suite à votre visite ?
AMÉDÉE, faisant la moue. – J'avoue avoir été surpris et choqué par son manque de fair play.
GENEVIEVE, réaliste. – Antoine est plus du genre à prendre... qu'à donner.
AMÉDÉE. – Sans doute. Cependant, je ne lui ai pas trouvé un enthousiasme débordant pour vous défendre du potentiel prédateur que je représentais à ses yeux.
MARJORIE. – Que voulez vous dire ?
AMÉDÉE. – Qu'à part une ridicule petite course à l'échalote autour de votre salon, votre mari ne s'est guère montré agressif à mon égard.
MARJORIE. – Antoine n'est pas du genre violent, voilà tout.
AMÉDÉE. – Moi, si j'avais eu la chance d'avoir une femme telle que vous, je me serais battu bec et ongles pour vous garder. Et ce n'est pas une minable course à l'échalote que j'aurais infligée à mon rival, mais un duel sur le pré, avec témoins et bain de sang.
GENEVIEVE, admirative. – Quelle classe ! Vous commencez à me plaire, cher monsieur Amédée. Un duel au pistolet ou à l'épée ?
AMÉDÉE, bravache. – Qu'importe le moyen... du moment que les lauriers de la victoire me soient remis par vous, Marjorie.
GENEVIEVE, dubitative. – Et vous êtes expert en maniement d'armes ?
AMÉDÉE, un peu moins bravache. – Pas le moins du monde. J'ai du tuer quelques moineaux au lance pierres, quand j'étais môme, dans mon village...
GENEVIEVE, déçue. – Un duel au lance pierres, ce n'est pas très chevaleresque et ça ne va pas attirer grand monde.
AMÉDÉE, bravache. – C'est pourquoi, je préférerais croiser le fer, cela me paraît plus noble. (Lyrique à la façon de Lagardère, bras tendu en avant.) Si tu ne vas pas à Amédée... Amédée ira -t'a-toi.
MARJORIE. – Pauvre malheureux ! Antoine ne ferait qu'une bouchée de vous, il pratique l'escrime une fois par semaine.
GENEVIEVE. – Il vous embrocherait comme un vulgaire poulet.
AMÉDÉE, à genoux, déclamant. – Que m'importe la mort, car une vie sans vous
Aujourd'hui, me paraît carrément impensable
Et sur le vert gazon, transpercé, à genoux,
Rendre l'âme à vos pieds me serait préférable.
MARJORIE, un peu troublée. – Tout cela n'est pas très sérieux, voyons. Je suis une honnête femme monsieur Bouard et je ne...
AMÉDÉE, la coupant. – Mais je l'espère bien car moi aussi, je suis honnête et je vous promets une vie sans mensonge, là bas, dans mon village de Chausson les Ribouis.
MARJORIE, de + en + troublée. – Parce que vous voulez m'emmener vivre avec vous... dans votre région... à Chausson les Ribouiboui...
AMÉDÉE, enflammé. – Cela vous changerait de la ville et de ses nuisances.
MARJORIE, regardant sa mère. – Je suis en plein rêve... Maman dis quelque chose...
AMÉDÉE, se trompant. – Ne soyez pas inquiet pour votre mère, nous l'emmènerons avec nous. Je la trouve très sympathique et je suis certain que nous nous entendrons bien, tous les trois ensemble.
GENEVIEVE, hochant la tête. – Quand on voit les fortunes que la NASA dépense pour savoir s'il y a des êtres vivants sur les autres planètes et qu'on a là, un extraterrestre à portée de main !
AMÉDÉE, avec humour. – E.T avait apporté cette rose pour votre fille, ne sachant pas que vous habitiez sous le même toit. Il se permet de vous l'offrir... avec ses respects interplanétaires.
GENEVIEVE, gênée, prenant la rose. – Je suis confuse...
AMÉDÉE, avec emphase. – Ne le soyez pas. Ceci est un modeste cadeau à la chair de la chair de celle qui m'est chère.
GENEVIEVE. – Eh bien dîtes donc, vous n'arrêtez jamais. Cela dit, vous me plaisez de plus en plus.
AMÉDÉE, avec humour. – J'en suis ravi. Et pour vous, Marjorie, cette paire de chaussures que vous avez essayée plusieurs fois et finalement abandonnée au profit d'une paire de bottines.
MARJORIE, embarrassée. – Je ne peux pas accepter, c'est contraire à tous les usages...
GENEVIEVE, intéressée. – Elles sont jolies ces godasses. Tu devrais accepter... tu vas le vexer.
MARJORIE, outrée. – Enfin... maman !
GENEVIEVE, intéressée. – Si tu as des scrupules, on chausse la même pointure... je te donne la rose et tu me refiles les pompes.
AMÉDÉE, avec humour. – Je vous laisse vous arranger entre vous, ça ne sortira pas de la famille.
GENEVIEVE. – Monsieur Amédée est bien plus cool que toi. Il ne fait pas sa chochotte, lui.
MARJORIE, se rebiffant. – Moi, je fais ma chochotte ?
GENEVIEVE. – Parfaitement tu fais ta chochotte.
MARJORIE, prenant Amédée à témoin. – Je fais ma chochotte ?
AMÉDÉE, prudemment. – Juste un petit peu... quelques secondes... (Avec humour.) Une sorte de chochotte minute. (Il rit, entraînant Geneviève.)
GENEVIEVE, en riant. – Chochotte minute... vous êtes impayable. (A sa fille.) Allez ma chérie, soulève la soupape de sécurité et laisse partir la pression, je te sens prête à exploser.
MARJORIE, vexée, allant vers la porte. – Maman, tu voudras bien reconduire monsieur Bouard, je me retire.
AMÉDÉE, implorant. – Je vous en prie, ne me laissez pas comme ça...
MARJORIE, revenant sur ses pas. – Et comment voulez vous que je vous laisse ?
AMÉDÉE, implorant. – Dîtes moi au moins que nous nous reverrons...
MARJORIE, près de lui. – Amédée, retournez vite dans votre village de Chausson les Ribouis d'où vous n'auriez jamais dû partir...
AMÉDÉE. – Pas sans vous...
MARJORIE, près de lui. – N'insistez pas. Adieu monsieur tout est fini. (Elle repart vers la porte.)
AMÉDÉE, instinctivement. – Darla dirla dada... Ce n'est pas possible, nous venons juste de nous rencontrer.
MARJORIE, près de la porte. – Je suis certaine qu'il y a des femmes célibataires très bien dans votre région et bien plus jolies que moi... qui n'attendent que de croiser votre chemin.
AMÉDÉE, fataliste. – Elles n'auront jamais votre classe, votre rire cristallin, vos yeux vairons et ne chausseront pas du 35.
GENEVIEVE, amusée. – Vos critères de sélection sont bien trop précis. Si vous devez vérifiez la longueur des panards de chaque femme que vous rencontrez, vous n'y arriverez jamais mon vieux. Va falloir vous munir d'un pied à coulisses à chacune de vos sorties.
AMÉDÉE, implorant. – Ah madame ! Intervenez en ma faveur. Dîtes lui que je l'aime... qu'elle ne rencontrera jamais un homme aussi amoureux que moi.
GENEVIEVE. – Marjorie, tu devrais peut être...
MARJORIE, la coupant. – Maman, s'il te plaît, n'en rajoute pas.
GENEVIEVE, calmée. – Elle a raison, c'est sa vie. Et compte tenu de ce que j'ai fait de la mienne, je me vois mal lui donner des conseils.
AMÉDÉE, déclamant. – Quand la raison, enfin, ouvrira votre esprit, Quand votre cœur, enfin, entendra la raison,
Quand votre corps...
AMÉDÉE, s'arrêtant. – Zut, je l'ai déjà sorti à votre mari hier soir, celui là. (Il déclame.)
Ne voyez vous, cruelle,
Mon cœur ensanglanté
Et la triste étincelle
De mon regard troublé.
Marjorie s'approche de lui et l'embrasse sur la joue.
MARJORIE. –J'ai été ravie de vous rencontrer, preux chevalier des temps modernes. Maintenant, rentrez chez vous et soyez heureux.
Elle quitte la pièce. Il reste là, tout penaud, sourire béat, caressant sa joue embrassée, sans rien dire.
GENEVIEVE, lui passant les mains devant les yeux. – Ouh ouh ! Beau chevalier, on se réveille... La princesse est partie prendre sa douche...
AMÉDÉE, béat. – Elle m'a embrassé... Vous avez vu, elle m'a embrassé...
GENEVIEVE, relativisant. – Une petite bise sur la joue, comme un bon copain. Pas de quoi en faire un fromage.
AMÉDÉE, béat. – Oh si, un fromage... Ses lèvres sont douces et onctueuses comme... comme... comme de la vache qui rit...
GENEVIEVE. – Comme de la vache qui rit ? Ouh là, le poète s'égare un peu dans des métaphores fromagères.
AMÉDÉE, béat, même jeu. – Ou du Saint Moret...
GENEVIEVE. – Ah oui... si vous placez Marjorie sur un plateau de fromages, entre le camembert et le reblochon... (Avec humour.) ça va faire beaucoup de brie pour rien. (Elle rit de son calembour.)
AMÉDÉE, riant faiblement. – Beaucoup de Brie... Désolé de ne pas apprécier votre bon mot à sa juste valeur mais je suis encore sous le charme de ce baiser.
GENEVIEVE. – Relativisez Amédée, relativisez...
AMÉDÉE, déclamant. – J'ai senti sur ma joue la fraîcheur de ses lèvres.
Le doux frémissement de son baiser donné
A ravivé en moi une possible fièvre
Et je sais maintenant ce que c'est qu'être aimé.
GENEVIEVE. – Vous ne pouvez pas parler autrement qu'en alexandrins ?
AMÉDÉE (réagissant, déclamant) – Dès ma plus tendre enfance, je bannissais la prose
Mes parents m'ont appris des rimes pour chaque chose
Chez nous, la poésie est tout notre univers
Et mon corps tout entier est empli de beaux vers.
GENEVIEVE, amusée.– Au lieu de vous apprendre la poésie, vos parents auraient mieux fait de vous vermifuger. Vous auriez moins de problème avec les vers aujourd'hui et vous seriez plus facile à suivre.
AMÉDÉE, découragé.– Je suis un poète maudit, destiné à vivre et à mourir seul...
GENEVIEVE, le regardant, désolée. – Ouh làlà ! Mais qu'est ce qu'on va faire de vous ? !
AMÉDÉE. – Faîtes de moi ce qu'il vous plaira, du moment que je puisse voir votre fille tous les jours...
GENEVIEVE.– Tous les jours ! Vous n'y pensez pas. Et son mari ?
AMÉDÉE. – M'en fiche !
GENEVIEVE, essayant de la raisonner.– Et votre métier... vos chaussures ?
AMÉDÉE. – Je viens de trouver chaussure à mon pied et je n'entends pas qu'on me la reprenne...
GENEVIEVE, essayant de la raisonner.– Allons, soyez raisonnable, Amédée.
AMÉDÉE, suppliant, tentant une manoeuvre. – Vous n'auriez pas besoin d'un homme à tout faire pour le jardinage ou le bricolage ?
GENEVIEVE.– Désolé, on a déjà le père Martineau qui vient trois jours par semaine et qui fait largement l'affaire.
AMÉDÉE, tentant autre chose. – Le ménage... la cuisine...le repassage ?
GENEVIEVE.– C'est aussi le père Martineau qui s'en occupe.
AMÉDÉE, déçu mais admiratif. – Il sait tout faire c't'homme là ! C'est une vraie fée du logis.
GENEVIEVE, réagissant.– Qu'est ce que vous venez de dire ?
AMÉDÉE, reprenant. – Qu'il savait tout faire le père Martineau...
GENEVIEVE, réagissant.– Non, juste après ça...
AMÉDÉE, timidement. – Que c'était une vraie fée du logis ?
GENEVIEVE, réagissant.– Mais bien sûr, la voilà la solution !
AMÉDÉE, paumé. – La solution pour quoi ?
GENEVIEVE.– Pour vous garder près de nous quelques temps.
AMÉDÉE, revivant. – Vous feriez ça pour moi ?
GENEVIEVE.– Quelques jours tout au plus, pour vous rendre compte que Marjorie n'est pas femme à tromper son mari. Mais je vous préviens que ça ne va pas être facile pour vous.
AMÉDÉE, revivant. – Je suis prêt à toutes les audaces. (Enflammé.) Ah madame, vous me faîtes revivre. (Il s'apprête à déclamer à nouveau.) Je suis venu tout seul mais par un prompt renfort...
GENEVIEVE, le coupant.– Je vous arrête tout de suite, on ne sera pas trois mille en arrivant au port. Et on ne va pas le faire en alexandrins, vraiment trop chiant votre truc. Dîtes moi plutôt où je peux vous joindre.
AMÉDÉE, lui donnant sa carte. – Hôtel des quatre saisons, j'y suis pour la semaine.
GENEVIEVE.– Allez y vite, je vous appelle d'ici une heure.
Il lui saute au cou et l'embrasse fébrilement puis va vers la sortie et se retourne une dernière fois avant de sortir.
AMÉDÉE, grandiloquent. – Ah madame... madame ! (Il sort.)
GENEVIEVE, mi figue-mi raisin.– Je ne sais absolument pas où je m'embarque mais je sens que je vais m'amuser comme une petite folle. Ça va me changer de la rigueur de mon agence, de mon dragueur de gendre et de mon imbécile de fille qui est en train de tomber amoureuse.
Elle se frotte les mains de plaisir, récupère en souriant la fleur et la paire de chaussures et sort, côté appartement. Un très léger temps puis Amédée revient discrètement et va frapper à la porte de l'agence. Antoine paraît.
ANTOINE, surpris, regardant sa montre. – Vous ! Déjà là !
AMÉDÉE. – Quand vous m'avez appelé hier soir, à mon hôtel, pour m'inviter à rencontrer votre femme ce matin, j'ai piaffé d'impatience toute la nuit dans ma chambre comme un étalon dans son box la veille du grand prix d'Amérique.
ANTOINE, moqueur. – Etalon, étalon... Vous tiendriez davantage d'un percheron boulonnais que d'un pur sang, mon pauvre vieux. (Ou d'un cheval de labour au choix...)
AMÉDÉE. – Peu importe la bête. Du coup, je me suis présenté ici, le plus vite possible.
ANTOINE, inquiet. – Et vous avez déjà rencontré ma femme ?
AMÉDÉE, enthousiaste. – Oui... et votre belle mère aussi. Une femme charmante cette madame Lussac... On a papoté ensemble comme des amis de longue date... Quelle chance vous avez de posséder une belle mère pareille.
ANTOINE, s'emportant. – Mais bougre d'andouille, ce n'est pas ce qui était prévu entre nous ! Vous deviez arriver ici à dix heures précises... vous deviez séduire ma femme et moi, planqué derrière la porte de l'agence, je devais intervenir pour la prendre en flagrant délit d'adultère. Là dessus, j'aurais demandé le divorce et je l'aurais virée de la maison...
AMÉDÉE. – Vous l'auriez virée ? Je croyais avoir compris que la maison et l'agence appartenaient à madame Lussac...
ANTOINE, éludant la question. – Petit détail sans importance ! J'aurais donc virée Marjorie et vous étiez alors libre de l'emmener avec vous à Machin les Ribouis, filer le parfait amour avec elle.
AMÉDÉE, faussement gêné. – Oh zut, c'est ballot...
ANTOINE, éludant la question. – Au lieu de ça, monsieur fait du zèle et fait capoter un plan qu'il m'a été, moralement, très dur de mettre au point.
AMÉDÉE, faussement gêné. – J'imagine...
ANTOINE, faussement fâché. – Non, vous n'imaginez pas ! Vous débarquez chez moi en vous déclarant amoureux de ma femme, ce qui, dans un premier temps, m'a mis hors de moi. Et puis, une fois parti, devant votre détermination, je me suis dit que je n'avais aucune chance de conserver Marjorie. Alors autant que vous soyez heureux tous les deux... et tant pis pour ma souffrance...
AMÉDÉE, même jeu. – C'est vraiment ballot ballot... En même temps, cela m'aurait terriblement ennuyé de mettre Marjorie dans une situation aussi désobligeante pour elle.
ANTOINE, agacé. – Mais c'est pas possible de voir ça ! Que vous êtes niais !
AMÉDÉE, fier. – Niais ou pas, n'empêche que votre femme m'a quand même embrassé...
ANTOINE, intéressé .– Marjorie vous a embrassé ?
AMÉDÉE. – Parfaitement monsieur Belmont. Et même devant votre belle mère....
ANTOINE, de + en + intéressé .– Devant ma belle mère ?
AMÉDÉE. – Qui, je dois le dire, a trouvé ça fort sympathique.
ANTOINE, de + en + intéressé .– Ma belle mère a trouvé cette embrassade très sympathique. De mieux en mieux. Voilà enfin un point positif qui change tout mon programme. (Il ricane.)
Il cherche dans sa poche et en sort quelques billets qu'il tend à Amédée. Tête étonnée de ce dernier.
ANTOINE, lui tendant les billets .– Tenez... pour vous dédommager.
AMÉDÉE, surpris. – Me dédommager de quoi ?
ANTOINE, lui tendant les billets.– D'avoir bien voulu m'aider à confondre ma femme qui se prend pour un modèle de fidélité et qui se permet de me donner des leçons de morale pour quelques malheureuses incartades.
AMÉDÉE, paumé. – Vous venez de me dire il y a deux minutes...
ANTOINE, en riant.– Que je vous aurais laissé partir avec Marjorie ? (Amédée acquiesce de la tête.) Non seulement vous êtes très niais mais vous êtes aussi carrément très con ! Vous ne voulez pas mon pyjama et mes pantoufles par dessus le marché ?
AMÉDÉE, comprenant. – Mais alors, vous voulez dire que...
ANTOINE, en riant.– Que vous m'avez servi d'appât pour piéger ma femme sur laquelle je vais reprendre de l'ascendant maintenant que vous avez mené votre mission à bien. Allez, prenez cet argent et dégagez la piste.
AMÉDÉE, outré. – Mais vous êtes un monstre, monsieur Belmont !
ANTOINE, suffisant.– N'exagérons rien cher monsieur. Je suis un homme qui aime bien les plaisirs terrestres et qui compte beaucoup sur sa femme pour subvenir à ses besoins. (Lui tendant à nouveau les billets .) Votre solde...
AMÉDÉE, repoussant les billets. – Jamais je n'accepterai de l'argent aussi mal gagné. (Il déclame.)
Je vais user mon temps à une noble cause
Et rendre à Marjorie tout son honneur perdu,
Réparer mon erreur, sans trêve ni sans pause,
Vous confondre monsieur et triste individu !
ANTOINE, moqueur.– Je ne suis pas aussi doué que vous pour manier la rime mais je vous offre cette pensée largement inspirée de Michel Audiard :
Si l'on mettait, demain, tous les cons sur orbite,
Je crains fort, Amédée, que vous tourniez longtemps !
Sur ce, je vous salue bien bas et ne vous raccompagne pas. Vous connaissez la sortie.
Il sort, côté agence, laissant Amédée, complètement sonné tandis que le rideau se ferme.
RIDEAU
et
ENTRACTE
ACTE 3
Le lendemain matin. Comme en début d'acte 2, Geneviève Lussac est là, attablée au petit déjeuner auprès de sa fille. Marjorie est habillée, sa mère est encore en robe de chambre.
GENEVIEVE, tout en mangeant. – Ça n'a pas l'air d'aller ce matin. Tu as mal dormi ma chérie ?
MARJORIE, boudeuse. – Très mal. J'ai cauchemardé toute la nuit.
GENEVIEVE, sans s'arrêter de manger. – J'espère que monsieur Amédée n'est en rien responsable de tes mauvais rêves.
MARJORIE, agacée. – Maman !
GENEVIEVE. – Ce serait trop bête. Tu as vu l'individu ! Faudra chercher un sacré moment pour former la paire avec celui là....
MARJORIE, agacée. – Il est parti, c'est bon, n'en parlons plus.
GENEVIEVE, insidieusement. – Complètement hors sol ce garçon. A mon avis, il a du avoir un accident de poussette étant môme... C'est pas possible d'être cintré pareillement. (Observant sa fille du coin de l'oeil.) Qu'est ce que tu en penses ?
MARJORIE, agacée. – Ça va, c'est bon, on s'en fiche...
GENEVIEVE, faussement détachée. – Je dis ça... j'ai rien dit.... J'espère juste qu'il ne va pas faire une bêtise, ce pauvre homme...
MARJORIE, réagissant. – Comment ça... une bêtise ?
GENEVIEVE, faussement inquiète. – Je n'en sais rien... mais il avait l'air tellement éploré d'avoir été éconduit que...
MARJORIE, brusquement inquiète. – Que quoi ?
GENEVIEVE, faussement inquiète. – Tu n'aurais jamais du l'embrasser aussi... ça l'a complètement chamboulé.
MARJORIE, se défendant. – Il me faisait tellement pitié à me regarder avec les yeux tristes d'un cocker devant sa gamelle vide..
A ce moment précis, la porte de l'agence s'ouvre violemment et Antoine arrive, en pleine fureur. Il fonce droit vers les deux femmes.
ANTOINE, en pleine colère. – Alors c'était donc vrai !
MARJORIE, ironique. – Tu écoutes aux portes, toi, maintenant ?
ANTOINE, en pleine colère. – N'essaie pas de changer de conversation s'il te plaît ! Tu reconnais avoir embrassé monsieur Bacle ?
GENEVIEVE, rectifiant. – Bouard... Amédée Bouard, pas Amédée Bacle.
ANTOINE, en pleine colère. – M'y ferai jamais ! Peut pas s'appeler Durand ou Dupond comme tout le monde ce pervers, ce cocufieur, cette larve infecte qui séduit ses innocentes proies en leur déclamant des poèmes pourris.
MARJORIE. – L'innocente proie te prierai de te mêler de tes affaires.
ANTOINE, la pointant du doigt. – Jusqu'à preuve du contraire, tu fais partie de MES affaires.
MARJORIE, rectifiant. – Je ne fais pas partie de TES affaires mais de TA vie et cela en vertu d'une signature apposée au bas d'un acte de mariage. Modeste papier qui peut se déchirer à tout moment.
ANTOINE, pointant les deux femmes. – Quand je pense qu'hier matin, vous vouliez me virer pour infidélité conjugale et que, dans l'heure qui a suivi, ton amant est venu me voir, plein d'arrogance, me narguer d'avoir reçu un baiser de toi. Et devant ta mère qui, de surcroît, jouait les entremetteuses.
GENEVIEVE, voulant rectifier. – Ah non non, je n'entremets rien du tout. Ce n'est pas ce que vous croyez, mon petit Antoine.
ANTOINE, en colère. – Je ne suis plus votre petit Antoine ! J'ai passé tout le reste de la journée d' hier et toute la nuit à me morfondre, à souffrir en silence... à espérer un coup de bluff de ce minable vendeur de godasses et ce matin... ce matin... derrière cette porte... (Voix faussement chevrotante.) j'entends la confirmation de ce que je refusais de croire... Tu l'as embrassé ! (Il se met faussement à pleurer.)
MARJORIE, calmement. – Si tu veux bien que je t'explique...
ANTOINE, la coupant brutalement. – Et puis quoi encore ! C'est un peu trop facile ! Madame joue les saintes Nitouche, la femme trompée, délaissée... qui, dès que son mari a le dos tourné, se venge en se jetant dans les bras du premier imbécile venu. Ah bravo ! Elles sont jolies les leçons de morale.
GENEVIEVE, timidement. – Si vous permettez...
ANTOINE, la coupant aussi brutalement. – Je ne permets rien du tout ! Je vous préviens charitablement que si vous tentez de me virer, je vais brailler partout en ville que ma femme me trompe avec des représentant de commerce, dans sa propre maison et avec l' aide de sa propre mère.
GENEVIEVE. – Qui vous croira ?
ANTOINE, perfide. – Les gens sont avides de ce genre de nouvelles et je suis certain que les membres de votre club n'y seront pas insensibles, mamie...
GENEVIEVE. – Vous n'avez aucune preuve..
ANTOINE, montrant son portable. – L'enregistrement de sa conversation sur mon téléphone.
GENEVIEVE. – Oh le mufle !
ANTOINE, perfide, à sa femme. – Et que penseront les chanteuses de ta chorale, ma chérie, ainsi que les commerçants chez qui tu fais tes courses... et ta coiffeuse. C'est fou ce qu'on peut colporter comme nouvelles dans les salons de coiffure...
MARJORIE, affolée. – Tu ne peux pas nous faire ça ?
ANTOINE, sûr de lui. – Chiche ?
On sonne.
ANTOINE, grand seigneur. – Ne bougez pas, je vais ouvrir. Je m'en voudrais de troubler davantage votre petit déjeuner.
Il sort. Les femmes se regardent, abasourdies.
AMÉDÉE/VALÉRIE, voix off. – Bonjour. Je suis la nouvelle femme de ménage.
Retour de Antoine suivi d 'Amédée, complètement travesti en femme. Il doit être méconnaissable et emprunter une voix féminine.
ANTOINE. – Il paraît que c'est la nouvelle femme de ménage. (A Valérie.) Vous tombez bien, ces dames ont besoin de balayer devant leur porte.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Pas de problème, je m'adapte à toutes les situations.
MARJORIE, étonnée. – Pourquoi une nouvelle femme de ménage ?
GENEVIEVE, inventant au fur et à mesure. – J'ai oublié de te prévenir que le père Martineau avait été... hospitalisé... d'urgence... hier matin...
MARJORIE. – En urgence ? C'est grave ?
GENEVIEVE, inventant au fur et à mesure. – Je n'ai pas très bien compris ... Un truc qui se dilate...à la rate... ou à la prostate... Alors du coup, j'ai appelé l'agence d'intérim qui m'a proposé les services de Valérie...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Quand Valérie fait le ménage, la poussière déménage ! (Têtes des autres.) C'est mon slogan publicitaire
GENEVIEVE, prenant la direction des opérations. – Je vous remercie d'avoir répondu à l'agence avec autant de rapidité.
AMÉDÉE/VALÉRIE, voix efféminée. – Je n'ai pas trop le choix.... Quand on est seule, il faut bien travailler pour survivre...
MARJORIE, gentiment. – Votre mari est décédé ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, pris dans son jeu. – Si ce n'était que ça, ce ne serait pas grave... (Têtes des autres.) Il m'a quittée pour une autre femme, il y a six mois, en me laissant seule avec Jean-Louis...
MARJORIE, gentiment. – Votre fils ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, pris dans son jeu. – Non... notre berger allemand qui mange comme quatre et qui me coûte la peau des fesses... Et je ne parle pas de Minette...
MARJORIE, gentiment. – Votre chatte ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, pris dans son jeu. – Non, ma mère... Marinette... qu'on surnomme affectueusement Minette...
GENEVIEVE, agacée par la tournure de la discussion. – Et qui mange beaucoup, sans doute, elle aussi ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, pris dans son jeu. – Vous ne pouvez pas imaginer. Elle a la maladie d'Alzheimer et passe ses journées à bouffer les croquettes de Jean-Louis. (Tête attristée.) La vie n'est pas facile tous les jours vous savez...
GENEVIEVE, pleine de sous entendus. – Apparemment, le sort ne vous a pas gâtée, ma pauvre.
AMÉDÉE/VALÉRIE, prenant son rôle au sérieux. – Je ne veux pas vous importuner avec mes histoires. Voulez vous que je commence par le ménage ?
GENEVIEVE. – Attendez que je vous présente les gens de la maison. Antoine, mon gendre...
AMÉDÉE/VALÉRIE, s'inclinant légèrement. – Monsieur...
ANTOINE, qui l'observait avec attention. – Bonjour Valérie. Dîtes moi, vous n'êtes jamais venue travailler en intérim ici ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, très vite. – Jamais jamais, monsieur !
ANTOINE. – C'est drôle parce que votre visage ne m'est pas inconnu...
AMÉDÉE/VALÉRIE, très vite. – Un sosie peut être... En ce qui me concerne, je suis très physionomiste et je n'aurais jamais oublié un visage et un physique tels que les vôtres, monsieur.
ANTOINE, séducteur. – C'est gentil ça, Valérie. J'espère que vous allez bien vous habituer parmi nous. Je vous laisse, les affaires m'appellent. N'est ce pas mamie ?
Il regagne, hautain, son bureau. Amédée le regarde s'éloigner.
AMÉDÉE/VALÉRIE, à Geneviève. – Quelle élégance a votre gendre et comme il a l'air de vous apprécier...
MARJORIE, gentiment. – Ne vous fiez pas aux apparences, elles sont parfois trompeuses. Je suis Marjorie Belmont, la femme de ce coq de basse cour et voici Geneviève Lussac, ma mère, propriétaire de l'agence et belle mère du coq.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Je suis terriblement désolée, je ne voulais pas m'immiscer dans vos histoires de famille.
GENEVIEVE. – Ce n'est pas grave. Et puis, parfois, il vaut mieux savoir où l'on met les pieds. (A sa fille.) Je vais faire un brin de toilette, je te laisse donner du travail à Valérie.
Elle sort, côté appartement.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Pardonnez ma maladresse, je ne pensais pas qu'il y avait de la tension dans votre couple.
MARJORIE. – De la tension est un doux euphémisme... Mais parlez moi plutôt de vous, Valérie.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement affolée. –Je suis venue pour travailler et si l'agence apprend que je discute avec mes employeurs, elle ne me proposera plus aucune mission.
MARJORIE. – Soyez tranquille, je vous couvre. Voulez vous un petit café avant de commencer ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement gênée. – Vous me gênez madame Belmont... je n'ose pas...
MARJORIE, la rassurant. – Osez osez ! Et appelez moi Marjorie, ce sera plus cool.
Elle lui sert une tasse de café prise dans la cafetière du petit déjeuner et elle va s'asseoir sur le petit canapé.
MARJORIE, l'invitant à venir, en tapotant le siège du canapé. – Venez vous asseoir près de moi.
Amédée s'approche très doucement, tasse à la main, en tremblant.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement gênée. – Votre gentillesse me trouble tellement que j'en tremble comme une parkinsonienne... Il ne restera plus une goutte de café dans ma tasse quand j'arriverai près de vous...
Marjorie se lève et lui prend la tasse qu'elle pose sur la table basse puis elle revient le chercher et le fait asseoir près d'elle. Elle garde ses mains dans les siennes.
MARJORIE, lui serrant les mains. – Là... là... on se calme. (Lui caressant les mains.) Oh, ma pauvre, vos mains sont très sèches, abîmées par l'usage des produits d'entretien.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement gênée. – Les mains de travailleuses n'ont, hélas, guère droit aux soins des manucures...
MARJORIE, les posant contre sa joue. – Par contre, elles sont chaudes... ce qui est plutôt rare chez une femme.
AMÉDÉE/VALÉRIE, s'empêtrant dans ses explications. – J'ai des bouffées de chaleur... par moment... sur... sur... surtout aux extrémités...
MARJORIE. – Vous aussi ? Moi, je les ressens au visage. C'est désagréable...
AMÉDÉE/VALÉRIE, s'empêtrant dans ses explications. – Oh là là ! A qui le dîtes vous... J'ai parfois l'impression d'être en pleine ébullition.
MARJORIE, en pleine confidence. – Et vous y faîtes quoi ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Que voulez vous que j'y fasse... c'est hormonal... et ce n'est pas mon activité sexuelle en RTT qui va me les réguler..
MARJORIE. – Désolée d'avoir ravivé votre douleur.
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Quand je pense que Roger me trouvait brûlante comme de la braise et qu'il est parti se chauffer chez une autre femme. C'est rageant quand même.
MARJORIE. – Vous n'avez pas vu venir son infidélité ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – J'aurais dû deviner. Il ne me regardait presque plus...Quoi que je fasse, changement de vêtement ou de coiffure... je devenais transparente pour lui... (Il renifle.)
MARJORIE, la prenant par les épaules et l'appuyant contre elle. – N'hésitez pas à pleurer si ça peut vous soulager...
AMÉDÉE/VALÉRIE, se laissant faire. – Un soir, pour le séduire, j'ai sorti le grand jeu. Petit chemisier noir en dentelle bien échancrée, soutien gorge noir sexy, petite jupe noire courte et moulante, bas noirs en résille... et quand il est arrivé...
MARJORIE, l'écartant et la regardant dans les yeux. – Il n'est pas tombé sous votre charme ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, se laissant faire. – Pire ! Il m'a regardé de la tête aux pieds et il m'a dit : « Ta mère est morte ? ! »... Il me croyait en deuil cet imbécile !
Amédée se remet à trembler et à renifler. Marjorie le resserre contre elle et le berce.
MARJORIE, le berçant. – Le goujat ! Comme vous avez dû souffrir.
AMÉDÉE/VALÉRIE, se laissant faire. – Je ne m'en remettrai jamais.
MARJORIE, le secouant. – Mais si, mais si... il faut réagir. Vous êtes jolie, sympa et intelligente. Vous ne pouvez pas rester seule, ce n'est pas possible.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement attristée. – Qui peut s'intéresser à une femme comme moi... qui a des mains de bûcheron et des pieds en forme de péniche ?
MARJORIE, relativisant. – Si la nature vous a ainsi faite, c'est pour que vous les ayez bien sur terre, vos pieds...
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement joyeuse. – Et puis en cas de grand vent, je ne risque pas de m'envoler... j'assure une bonne prise au sol... (Petit rire forcé.)
MARJORIE. – Je suis contente de vous voir rire. Et cela n'enlève rien à votre féminité. Un peu d'épilation pour les poils superflus de votre menton et vous serez encore plus désirable.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Depuis le départ de Roger, j' me laisse aller, j' me laisse aller.
MARJORIE. – Quant à vos mains, elles sont peut être rugueuses, mais votre cœur est tendre, Valérie...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Qu'en savez vous ?
MARJORIE. – Entre femmes on se comprend. (Soupirant.) Les hommes sont si décevants...
AMÉDÉE/VALÉRIE, allant dans son sens. – Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre... Quand j'étais petite, je rêvais de devenir princesse...
MARJORIE, la coupant. – Et vous attendiez le prince charmant avec son épée passée à la ceinture, monté sur son fidèle destrier blanc...
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement triste. – Oui... Mais c'est Roger qui s'est pointé... avec sa tenue de plombier et son chalumeau, jugé sur sa mobylette bleue... Autant vous dire que depuis, je ne crois plus aux contes de fées.
MARJORIE. – Moi aussi, je ne croyais plus aux princes charmants...(Rêveuse.) jusqu'à hier matin...
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement intéressé. – Que s'est il donc passé hier matin ?
MARJORIE, rêveuse. – Un homme a croisé ma route dans un magasin de chaussures et il est tombé follement amoureux de moi.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement curieuse. – Comme ça … sans vous connaître ?
MARJORIE, rêveuse. – Comme ça... c'est fou, non !
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Oh oui, c'est dingue ! Est il beau au moins ?
MARJORIE. – Beau, beau, on ne peut pas dire ça. (Tête déçue de Amédée.) Il a cette beauté sauvage et rustique des hommes qui vivent seuls...
AMÉDÉE/VALÉRIE, déçu. – Ah oui, quand même...
MARJORIE, rêveuse. – Mais son visage est doux, il transpire la bonté par tous les pores de sa peau et il parle en alexandrins...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Un poète ?
MARJORIE, rêveuse. – Un poète amoureux perdu dans un siècle différent du sien...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Ce ne doit pas être très facile à vivre pour lui ?
MARJORIE, rêveuse. – Il a l'air pleinement heureux de sa condition... et le pire...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Le pire ?
MARJORIE. – C'est que son bonheur est contagieux. Il a même réussi à contaminer ma propre mère...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Il a rencontré madame votre mère ?
MARJORIE. – Il est d'abord venu voir mon mari pour lui faire part de son intention de me rencontrer et il est arrivé ici, hier matin, persuadé que j'étais amoureuse de lui...
AMÉDÉE/VALÉRIE, insidieusement. – Et ce n'est pas le cas ?
MARJORIE, troublée. – Je ne sais pas... je ne sais plus... (Se cachant les joues.) J'en rougis de honte.
AMÉDÉE/VALÉRIE, gentiment. – Ce n'est pas de la honte... On va dire que ce sont vos hormones qui vous travaillent...
MARJORIE. – Vous êtes gentille, vous ne me jugez pas. J'ai l'impression qu'en quarante huit heures, il en connaît plus sur moi que mon mari qui me côtoie depuis plus de vingt ans. (A voir.)
AMÉDÉE/VALÉRIE, la testant. – C'est peut être un intrigant attiré par votre réussite sociale...
MARJORIE, réagissant très vite. – Lui ! Il se moque éperdument de l'agence dont il ignorait l'existence et rêve de m'emmener vivre avec lui, à Chausson les Ribouis.
AMÉDÉE/VALÉRIE, innocemment. – Cela se situe où ?
MARJORIE. – C'est un petit village dans le fin fond des Vosges où, paraît il, il fait bon vivre..
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Et vous partiriez avec lui ?
MARJORIE, rêveuse. – Il me semble que... que je serais prête à tenter l'aventure.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Alors, cela veut dire, Marjorie, que vous très certainement amoureuse.
MARJORIE, réagissant très vite. – Vous le croyez vraiment ?
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Vos jolis yeux vairons le confirment et en brillent de joie.
MARJORIE, étonnée. – C'est drôle... tout comme lui, vous avez remarqué la couleur différente de mes yeux.
AMÉDÉE/VALÉRIE, essayant de se rattraper. – Je suis tellement proche de vous que je ne pouvais pas les rater.
MARJORIE. – Il connaît aussi ma pointure de chaussures...
AMÉDÉE/VALÉRIE, sans hésiter, sous le charme. – Du trente cinq...
MARJORIE, sursautant, étonnée. – Comment le savez vous ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, se rattrapant. – J'ai dit ça... comme ça... parce que c'est la pointure dont j'ai toujours rêvée. (Tendant son pied en avant.) Malgré ma modeste condition, la nature m'a obligée à vivre sur un grand pied. (Il rit.)
MARJORIE, lui prenant les mains. – Valérie, je me confie à vous comme jamais je ne me suis confiée à quelqu'un d'autre.
Une petite musique romantique peut monter doucement pendant les répliques suivantes.
AMÉDÉE/VALÉRIE, se laissant tripoter les mains. – Ouiiiii...
MARJORIE, même jeu, se rapprochant doucement de lui. – Tout comme Amédée, vous dégagez un charisme, un magnétisme étonnants...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Ouiiiiiiii.... (Les oui doivent monter en intensité et en longueur.)
MARJORIE, se rapprochant encore plus de lui. – Comme j'aimerais que ce soit lui qui soit près de moi en ce moment...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Ouiiiiiiiiiiiii...
MARJORIE, leurs visages se touchent presque. Ils ferment leurs yeux, se tenant toujours les mains. – Poser mes lèvres sur les siennes...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Oh Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiii...
MARJORIE, leurs lèvres se touchent presque. Ils ferment leurs yeux. – Et me laisser emporter dans un tourbillon de sentiments nouveaux...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Oh Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
Une petite musique appropriée peut accompagner cette scène. Elle s'arrêtera en un affreux gargouillis qui sortira les personnages de leur torpeur. Ils vont réaliser la situation et tous deux vont reprendre leur place, gênés et maladroits.
MARJORIE, très gênée. – Excusez moi... je ne sais pas ce qu'il m'a pris...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Moi aussi... je suis désolée... Dans vos bras, j'avais presque oublié mon plombier de Roger...
MARJORIE, très gênée. – Et moi, mon coq de mari... Cela dit, je ne suis pas homosexuelle...
AMÉDÉE/VALÉRIE, spontané. – J'espère bien...
MARJORIE, étonnée. – Pourquoi donc ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, se reprenant très vite. – Pour ce pauvre poète, bien évidemment.
Ils sont maintenant gênés, assis l'un près de l'autre et ne savent plus quoi se dire.
MARJORIE, pianotant sur ses genoux. – Voilà voilà....
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Voilà voilà voilà voilà...
MARJORIE, se levant. – Je vais peut être vous donner un peu de travail...
AMÉDÉE/VALÉRIE, même jeu. – Bien sûr, je suis venue pour ça...
MARJORIE. – Du repassage, ça vous va ?
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Du repassa... oui oui, pas de problème.
MARJORIE. – Ne bougez pas, je reviens.
Marjorie s'apprête à sortir mais la porte de l'appartement s'ouvre et sa mère arrive avec la table et le fer à repasser dans les bras.
GENEVIEVE, innocemment. – Tu sortais ma chérie ?
MARJORIE, entre étonnement et doute. – J'allais justement chercher la table à repasser mais apparemment, tu m'as devancée.
GENEVIEVE, innocemment. – Les grands esprits se rencontrent. Par contre, je veux bien que tu m'apportes le panier de linges à repasser.
MARJORIE, suspicieuse. – Si tu n'étais pas ma mère, je croirais que tu écoutes aux portes.
GENEVIEVE, faussement outrée. – Marjorie ! Un par famille, cela suffit. Il y a déjà ton mari qui excelle dans ce domaine, je ne vais pas lui faire concurrence.
Marjorie sort, pas convaincue, avec un regard sur sa mère. Amédée reprend sa voix normale.
AMÉDÉE/VALÉRIE, montrant la porte. – Je ne le crois pas... vous écoutiez à la porte ?
GENEVIEVE, amusée. – Si peu... juste comme ça, en passant. De toute façon, avec mes acouphènes, j'ai pas tout capté.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Vous avez quand même compris l'essentiel ?
GENEVIEVE, amusée. – J'ai surtout compris qu'il faut lâcher la poésie pour faire du théâtre, mon vieux. Entre Jean-Louis, Minette, les bouffées de chaleur et le plombier Roger, vous êtes très doué pour l'improvisation.
AMÉDÉE/VALÉRIE, enthousiaste. – Vous avez entendu... elle m'aime ! Elle est prête à tout quitter pour me suivre.
GENEVIEVE, étonnée. – Je ne la croyais pas accrochée à ce point. Quand je vous ai appelé hier et que vous m'avez raconté le piège dans lequel Antoine vous a entraîné pour confondre ma fille, je n'ai plus eu la moindre hésitation à vous faire entrer dans la place.
AMÉDÉE/VALÉRIE, enthousiaste. – Et je ferai mon possible pour éloigner Marjorie de son monstre de mari.
GENEVIEVE, brusquement sérieuse. – Je crains, hélas, que ce ne soit guère facile.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Pourquoi donc ? Je l'aime, elle m'aime... Où est le problème ?
GENEVIEVE. – Il a enregistré vos confidences sur son portable et menace de les divulguer dans la ville si Marjorie le quitte et si je le licencie.
AMÉDÉE/VALÉRIE, abattu. – Alors, c'est fichu... Elle va finir ses jours avec un homme qu'elle n'aime pas et qui la déteste.
GENEVIEVE. – Tout n'est peut être pas perdu, j'ai encore un joker ou deux dans ma manche que j'ai activés tout à l'heure.
AMÉDÉE, déclamant. – Que serais-je sans vous qui vîntes à ma rencontre,
Que serais je sans vous qu'un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée, au cadran de ma montre...
GENEVIEVE, le coupant. – Hop hop hop, on oublie la poésie ! Et en plus, vous êtes en train de piquer dans les textes de Jean Ferrat. (Poème d'Aragon.) (En riant.) Allez allez, on se refait belle Valérie et on y croit.
AMÉDÉE/VALÉRIE, reprenant sa voix féminine. – On y croit, on y croit.
GENEVIEVE, geste à l'appui. – Et pensez à vous raser la barbe et les poils des pattes quand vous reviendrez demain matin.
AMÉDÉE/VALÉRIE, reprenant sa voix féminine. – Pourvu que j'y pense. Entre le maquillage et tout l'équipement... ce n'est pas rien d'être une femme.
Retour de Marjorie avec le panier de linge à repasser..
MARJORIE, voulant lui montrer. – Il y a un peu de tout... des serviettes, des chemises, des...
GENEVIEVE, la coupant. – Laisse là se débrouiller, ce n'est quand même pas la première fois qu'elle repasse.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Alors là... pour repasser souvent... je repasse souvent.
MARJORIE, insistant. – Il y a des tissus fragiles et le fer chauffe très fort...
GENEVIEVE, la coupant à nouveau. – Fais lui confiance bon sang ! Viens plutôt avec moi, il faut que je te parle des comptes de l'agence... J'ai découvert un truc bizarre qui me chiffonne...
MARJORIE, en sortant. – Je te suis.
Elles sortent toutes les deux, laissant Amédée seul dans la pièce. Il commence à regarder le linge dans le panier, bien ennuyé. (Eviter le gag lourd et mille fois vu de la culotte extra large, exhibée devant le public.).Il en sort une chemise d'homme qu'il ne sait pas par quel bout prendre.
AMÉDÉE/VALÉRIE, reprenant sa voix féminine. – Où me suis je embarqué...
Il étale la chemise sur la table à repasser, attrape le fer qui était en chauffe et commence à le passer sur la chemise. Sans faire de bruit, Antoine sort de son bureau et arrive, discrètement, dans le dos de Amédée qui n'a rien entendu.
ANTOINE, surprenant Amédée. – Alors comme ça, vous n'auriez jamais oublié un physique tel que le mien ?
Amédée sursaute en poussant un cri avec sa voix normale.
AMÉDÉE/VALÉRIE, de sa voix d'homme. – Ça va pas ! (Réalisant son erreur, reprenant sa voix de femme.) Ouh là...vous m'avez fait peur.
ANTOINE, mielleux. – Pardonnez moi, je ne voulais pas vous effrayer.
AMÉDÉE/VALÉRIE, timidement. – Je suis ridicule... j'ai les nerfs à fleur de peau.
ANTOINE, séducteur. – Vous n'êtes pas ridicule Valérie, vous êtes une femme sensible, courageuse... qui doit terriblement souffrir de sa solitude.
AMÉDÉE/VALÉRIE, faussement attristée. – Oh là là, si vous saviez...
ANTOINE, tournant autour de lui. – Mais je ne demande que ça... de savoir. (Langoureux.) Parlez moi de vous, Valérie.
AMÉDÉE/VALÉRIE, se trompant. – Vous aussi ?
ANTOINE, s'arrêtant net. – Comment ça... moi aussi ?
AMÉDÉE/VALÉRIE, se rattrapant. – Je voulais dire... vous aussi... parlez moi de vous.
ANTOINE, repassant derrière lui. – Je vous intéresse donc ? J'étais sûre, petite coquine, que vous n'étiez pas insensible à mon charme.
AMÉDÉE/VALÉRIE, sentant venir « la menace ». – On peut être sensible... tout en restant fidèle à son passé.
ANTOINE, lui posant les mains sur les épaules. – Fidèle à quel passé ? A ce minable Roger qui est parti courir la gueuse en abandonnant, dans son foyer, un joyau tel que vous.
AMÉDÉE/VALÉRIE, se ratatinant un peu sur lui même. – C'était mon compagnon de tous les jours depuis des années quand même...
ANTOINE, commençant à l'enlacer. – Parfois, il vaut mieux être seule que mal accompagnée.
AMÉDÉE/VALÉRIE, continuant tant bien que mal à repasser. – Comme vous savez bien parler aux femmes, monsieur Belmont...
ANTOINE, dans son dos, posant les deux mains sur sa fausse poitrine. – Antoine... appelez moi Antoine... Pas de chichi entre nous.
AMÉDÉE/VALÉRIE, le fer dans une main, bien embêté. – Qu'est ce que vous faites monsieur Bébel... monsieur Bébel... monsieur Belmont ?
ANTOINE, les mains courant sur le corps de Valérie. – Ah Valérie ! Tu as mis le feu en moi. Dès que je t'ai vue entrer tout à l'heure, j'ai tout de suite compris qu'il allait se passer quelque chose entre nous.
AMÉDÉE/VALÉRIE, véritablement ennuyé. – Monsieur Belmont, je ne suis pas une femme facile vous savez...
ANTOINE, de plus en plus entreprenant. – Tant mieux, j'aime qu'on me résiste. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire...
AMÉDÉE/VALÉRIE. –Arrêtez de me tripoter, je ne suis pas de la pâte à modeler.
ANTOINE, riant. – Tu es drôle, tu as du tempérament...(Lubrique.) J'aime ça, ça m'excite !
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Si votre femme arrivait...
ANTOINE, mauvais. – Ma femme... cette mollassonne que je ne supporte que parce qu'elle m'est une source incontournable de revenus. (Excité.) Tandis que toi, tu as du chien...
AMÉDÉE/VALÉRIE, trouvant la scène un peu longue. – Attention monsieur Belmont, les chiens peuvent mordre parfois...
ANTOINE, en feu. – Tu es belle... tu as du corps .... tu es chaude comme de la braise...
A ces mots, Amédée lui applique le fer à repasser brûlant sur la main qui enserrait son sein. Antoine ouvre la bouche en grand mais aucun son n'en sort. Il lâche prise et court dans la pièce par petits bonds tout en soufflant sur sa main brûlée. Amédée repose le fer sur la chemise et le suit, bien ennuyé.
AMÉDÉE/VALÉRIE, s'excusant. – Faut pas m'en vouloir... c'est un geste instinctif de défense.... Juste avant de me larguer, Roger m'avait aussi comparée à de la braise... Alors forcément...
ANTOINE, entre colère et admiration. – T'es pas du genre facile toi... Tu ne m'as pas raté. Ça sent même le roussi.
AMÉDÉE/VALÉRIE, étonné. – Le roussi ?
Il regarde vers la table à repasser et comprend. Il s'y précipite et retire le fer de dessus la chemise d'Antoine. Il prend la chemise qui présente la marque brune du fer à repasser sur son dos.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Oh pétard !
ANTOINE, catastrophé. – Ma chemise... ma chemise préférée... elle est fichue !
AMÉDÉE/VALÉRIE, relativisant. – C'est juste le dos qui est roussi. Si vous portez une veste par dessus, ça ne se verra pas... le devant est intact.
ANTOINE, se retenant. – Suivez moi dans mon bureau pour me poser un pansement. (Il part vers son bureau en ronchonnant.)
AMÉDÉE/VALÉRIE, en aparté, le suivant, pas très rassuré. – Le plan de madame Lussac est vraiment très spécial...
Entrée rapide de Geneviève qui, visiblement, écoutait derrière la porte.
GENEVIÈVE. – J'ai bien fait de laisser Marjorie vérifier seule les comptes. Je n'aurais voulu rater ça pour rien au monde. Il vient de se faire échauder grave mon gendre préféré. (Elle rit.) Quant au poète, alors là, il m'épate, il m'épate, il m'épate !
Elle s'apprête à repartir. On sonne. Elle va à la porte de l'appartement et crie.
GENEVIÈVE. – Ne te déranges pas Marjorie, je vais ouvrir. (Se frottant les mains.) Voilà mon premier joker qui arrive...
Elle va ouvrir et introduit Françoise Duchemolle.
GENEVIÈVE, voix off. – Madame Duchemolle, quelle surprise !
Françoise DUCHEMOLLE, voix off. – Bonjour madame Lussac. Puis je entrer un instant ?
Elle introduit Françoise Duchemolle, un peu embarrassée.
GENEVIÈVE, revenant. – Je vous en prie. Que me vaut l'honneur de votre visite ?
Françoise DUCHEMOLLE, un peu gênée. – C'est personnel... un appel de votre fille m'invitant à la rencontrer...
GENEVIÈVE, faussement joyeuse. – Marjorie s'est enfin décidée à vous appeler ?
Françoise DUCHEMOLLE, se détendant un peu. – Vous êtes au courant de la situation ?
GENEVIÈVE, faussement grave. – Marjorie et moi, n'avons aucun secret l'une pour l'autre et je sais que vous êtes la maîtresse d'Antoine...
Françoise DUCHEMOLLE. – Vous me gênez terriblement madame Lussac...
GENEVIÈVE, faussement arrangeante. – Faut pas, faut pas, détendez vous. (Reprenant.) Sa maîtresse donc depuis plus de six mois. C'est bien cela ?
Françoise DUCHEMOLLE. – Six mois et douze jours, très exactement.
GENEVIÈVE, faussement admirative. – Quelle précision, c'est étonnant.
Françoise DUCHEMOLLE. – Six mois et douze jours de bonheur... jusqu'à ce qu'il succombe aux charmes de cette Salomé Francesco.
GENEVIÈVE, faussement triste. – Et pour ma fille, six mois et douze jours de cocufiage.
Françoise DUCHEMOLLE. – C'est bien triste mais que pouvons nous faire contre l'appel des sens ?
GENEVIÈVE, fataliste. – Rien... sinon se rendre à l'évidence. Vous venez d'en faire l'amère expérience avec cette danseuse de cabaret.
Françoise DUCHEMOLLE. – Je ne m'avoue pas vaincue. Ce n'est pas cette petite remueuse de croupion qui va ma piquer l'homme que j'aime.
GENEVIÈVE. – Vous avez bien raison de vous défendre... d'autant que vous êtes dans la place avant elle.
Françoise DUCHEMOLLE. – J'admire votre fair-play, madame Lussac.
GENEVIÈVE. – Disons que j'ai une certaine expérience en la matière.
Françoise DUCHEMOLLE. – Vous oui... mais votre fille ?
GENEVIÈVE. – Cela n'a pas été facile mais j'ai réussi à convaincre Marjorie de vous appeler pour qu'elle vous abandonne Antoine.
Françoise DUCHEMOLLE, hypocrite. – Quelle grandeur d'âme !
GENEVIÈVE, même jeu. – N'est ce pas...
Françoise DUCHEMOLLE, hypocrite. – Pourrais je la remercier de son geste princier ?
GENEVIÈVE, vivement. – Impossible hélas... elle est souffrante, ce matin.
Françoise DUCHEMOLLE, hypocrite. – Rien de grave j'espère ?
GENEVIÈVE, inventant. – Une angine... laryngisante et... amygdaloire... (Tête de Françoise.) Plus de son... et plus d'image parce qu'elle couchée.
Françoise DUCHEMOLLE, réalisant. – C'est pour cela que je n'ai pas reconnu sa voix au téléphone.
GENEVIÈVE, inventant. – Moi même je ne comprends rien à ce qu'elle raconte ce matin.
Françoise DUCHEMOLLE. – Vous lui transmettrez mes vœux de prompt rétablissement.
GENEVIÈVE. – Je n'y manquerai pas.
Françoise DUCHEMOLLE. – Et Antoine, où est-il ?
GENEVIÈVE. – Vous voulez en prendre livraison tout de suite ?
Françoise DUCHEMOLLE. – Eh bien, ma fois, le plus tôt sera le mieux.
GENEVIÈVE. – Il est occupé dans son bureau mais normalement, ça ne devrait pas être long.
Elle lève un doigt, vers le bureau, comme pour imposer le silence .Un petit temps, les deux femmes se regardent. Visiblement, Geneviève attend quelque chose. Bruit violent de claque assénée sur une joue.
GENEVIÈVE. – Ah... je crois que le rendez vous est terminé.
La porte du bureau s'ouvre et Amédée/Valérie en sort, se remontant la poitrine. Il est suivi d'Antoine, main enveloppée dans un énorme pansement qui se tient la joue extrêmement rouge.
AMÉDÉE/VALÉRIE, à la cantonade. – Même avec une main impotente, il aurait réussi à farfouiller dans mon soutien-gorge.
Il plie et emporte la table à repasser et, très digne, sort vers l'appartement. Geneviève attrape rapidement la bac à linge et le fer et le suit à son tour.
ANTOINE, entre surprise et colère. – Françoise ! Qu'est ce que tu fais ici, je t'avais interdit de venir à mon domicile dans la journée.
Françoise DUCHEMOLLE, hurlant. – Qui est cette femme, Antoine Belmont ?
ANTOINE, un peu gêné. – C'est Valérie, la femme de ménage.
Françoise DUCHEMOLLE, hurlant. – T'es un grand malade, il te les faut toutes !
ANTOINE, même jeu. – C'est elle qui m'a allumé... Elle est chaude comme une baraque à frites.
Françoise DUCHEMOLLE, hurlant. – Elle t'a allumé ? Et c'est pour éteindre l'incendie qu'elle t'a collé une baffe ?
ANTOINE, de mauvaise foi. – Forcément, les apparences sont contre moi.
Françoise DUCHEMOLLE, hurlant. – Et la rougeur sur ta joue, c'est quoi ? Une brusque poussée d'urticaire ?
ANTOINE, de mauvaise foi. – Et pourquoi pas... ça pourrait...
Françoise DUCHEMOLLE, pointant le doigt vers lui. – Te fous pas de ma gueule Antoine Belmont !
ANTOINE, de mauvaise foi. – C'est toi qui dis ça ! Toi qui est allée raconter notre liaison à ma femme pour me punir de t'avoir larguée. Permets moi de te dire que ton comportement n'est pas très fair-play.
Françoise DUCHEMOLLE, arrogante. – Ta femme qui, dans sa grande générosité, m'a pardonnée en renonçant à toi et en me faisant cadeau de ta personne.
ANTOINE, outré. – Non mais oh... c'est quoi ce truc ? Je ne suis pas une bête qu'on se refile comme un vulgaire animal de compagnie...
Françoise DUCHEMOLLE, moqueuse. – Bien sûr que non, mon minou.
ANTOINE, s'énervant. – Je ne suis pas ton minou !
Françoise DUCHEMOLLE, moqueuse. – Te fâche pas mon biquet.
ANTOINE, même jeu. – Je ne suis non plus ton biquet !
Françoise DUCHEMOLLE, même jeu. – Mon poussin... mon canard... mon nounours...
ANTOINE, très énervé. – Stop ! On sort de la basse cour et du parc zoologique !
On sonne. Tous deux se regardent. Irruption instantanée de Geneviève qui, visiblement, écoutait derrière la porte.
GENEVIÈVE, fonçant vers l'entrée. – Vous dérangez pas... continuez votre discussion animalière... je vais ouvrir.
Elle va ouvrir tandis que les deux autres partent très vite dans le bureau. Entrée rapide de Salomé Francesco. Elle est vêtue de façon très provocante et parle (si possible) avec un accent sud américain. Elle tend sa veste à Geneviève qu'elle prend pour l'employée de maison.
SALOMÉ, hautaine. – Prénez en soin, yé vous prie, c'est oune cadeau dé mon bel Antonio.
Geneviève regarde le bras tendu, sans broncher.
SALOMÉ, hautaine. – Ma, qué ce qué vous attendez ? Qué y'attrappe oune tendinite dans lé bras ?
GENEVIÈVE, se prenant au jeu. – Qué madame m'exquiouse mais yé souis admirative dou yoli cadeau dé méssieu Antoine.
SALOMÉ, étonnée. – Vous êtes portougaise ?
GENEVIÈVE, se prenant au jeu. – Si madame, Yé souis Dolorès, portougaise... dé mére en fille et c'est pas tous les yours facile... yé vous lé dis.
SALOMÉ, étonnée. – Yé souis soure qué vous êtes exploitée par cette salopérie de madame Loussac...
Tête de Geneviève qui réagit très vite.
GENEVIÈVE, se prenant au jeu. – Comment qué vous savez qué madame Loussac est oune salopérie ?
SALOMÉ. – C'est mon bel Antonio qui mé l'a dit!
GENEVIÈVE. – C'est cé bon méssieu Antoine qui vous l'a dit ? Comme il est yentil dé vous prévenir...
SALOMÉ. – Si. Et né mé dîtes pas lé contraire... Il n'y a qu'a vous régarder pour comprendre.
GENEVIÈVE, faussement affolée. – Santa Maria ! Pour comprendre quoi ?
SALOMÉ, montrant. – Ma qué vous êtes toute déformée.
GENEVIÈVE, faussement affolée. – Moi, yé souis toute déformée ? Ma quelle abominationne.
SALOMÉ. – Vous êtes dézinguée dé partout, vous avez des rides plein la figoure.
GENEVIÈVE, même jeu. – Santa Maria ! Yé des rides plein la figoure... Ma qué cé pour ça qué mon Ramon y cligne des yeux en mé régardant. Il croyait avoir de la DMLA, lé pauvre.
SALOMÉ. – Elle a dou vous en faire baver pour qué vous soyez dans cet état dé délabrement.
GENEVIÈVE, même jeu. – Oh là là ! Yé pé pas tout vous raconter.
SALOMÉ. – Vous avez quel âge ?
GENEVIÈVE, même jeu. – Yé ou trente six ans... la sémaine dernière.
SALOMÉ, stupéfaite. – Trente six ans ! Doux Yésus, Vous en faîtes le double ma pauvre Dolorès. Réagissez, ne vous laissez pas faire par cette sale bourgeoise capitaliste. Pensez à Che Guévara !
GENEVIÈVE, même jeu. – Yé veux bien penser à loui mais c'est pas le Che qui va passer l'aspirateur à ma place et faire la popote aux capitalistes. Sa spécialité au cubain, c'était plusse la révolutionne qué lé bœuf Miroton.
SALOMÉ, la stimulant. – Courage Dolorès, courage ! Il faut savoir rouer dans les brancardes parfois.
GENEVIÈVE, même jeu. – Vous avez raison. Yé vais rouer dans les brancardes, yé vous lé promets. Yé vais faire aussi ma révolutionne à moi...
SALOMÉ, reprenant sa superbe. – En attendant, pouvez vous m'annoncer à Antoine Belmont, yé souis...
GENEVIÈVE, la coupant. – Salomé Francesco, la maîtresse de méssieu Antoine.
SALOMÉ, étonnée. – Comment lé savez vous ?
GENEVIÈVE, la jouant modeste. – Personne né rémarque les employés, mais nous, on rémarque tout lé monde... Et yé sais même que madame Belmont a yété la spontex.
SALOMÉ, étonnée. – A yété quoi ?
GENEVIÈVE, la jouant modeste. – A yété l'éponge... quand elle a sou quelle rédoutable rivale vous étiez pour elle.
SALOMÉ, hautaine. – Pétite personnalité qué cette Maryorie.
GENEVIÈVE, jouant le jeu. – Yé vous lé fais pas dire.
SALOMÉ, mauvaise. – Telle mère, telle fille !
GENEVIÈVE, jouant le jeu. – Si si. Les labradors né font pas des chats dé gouttières. C'est bien connou...
SALOMÉ, hautaine. – Yé comprends qu'Antonio ait eu envie de s'évader de cette maison pourrie
GENEVIÈVE, jouant le jeu. – Moi, yé lé comprends aussi méssieu Antoine et yé lé pousserai déhors si yé lé pouvais.
SALOMÉ, hautaine. – Pour lé moment, il est dans son boureau ?
GENEVIÈVE. – Si, il est très occoupé mais normalement, ça né devrait pas être long.
SALOMÉ, sûre d'elle. – Ne bouyez pas Dolorès... Yé vais loui faire la sourprise.
GENEVIÈVE. – Yé né soui pas soure que méssieu Antoine apprécie beaucoup votre sourprise...
SALOMÉ, sûre d'elle. – Yé peux lé déranger à n'importe quelle heure du your et le nouit... il est touyours prêt pour sa pétite Salomé.
GENEVIÈVE, faussement ravie. – S'il est touyours prêt, alors allez y, né vous gênez pas. Il va sûrement sauter dé plaisir en vous voyant méssieu Antoine.
Salomé fonce vers la porte du bureau où elle s'engouffre avec manières en laissant la porte ouverte derrière elle.
SALOMÉ, minaudant. – Youyou, mon gros lion, c'est ta pétite gazelle.
GENEVIÈVE, reprenant sa voix normale. – Il a grimpé dans la hiérarchie des félins, le Antoine. Du gentil gros minou, le voilà devenu roi de la savane. (Au public.) Ces gens là sont vraiment félins pour l'autre. (Au public qui ne comprend pas.) Félins pour l'autre.... faits... l'un... pour l'autre... Vous avez compris... Bon cherchez pas, c'est trop subtil pour vous. (A voir selon votre public...) Oh, pétard de bois, qu'est ce que je me marre ! (Elle sort côté appartement en riant et en se frottant les mains.)
Salomé sort en titubant du bureau, apparemment poussée par Françoise Duchemolle.
Françoise DUCHEMOLLE, apparaissant sur le pas de la porte. – Non mais, elle se croit où la gazelle ?
SALOMÉ, sûre d'elle. – Où yé mé crois ? Ma qué yé souis presqué chez moi pouisqué la femme dé Antonio m'a donné son mari cé matin.
ANTOINE, tombant des nues. – C'est quoi c't'embrouille ! De quel droit elle me donne à tout le monde, comme ça ? C'est pas une braderie ici !
Il va essayer d'arbitrer le match entre les deux femmes en allant de l'une à l'autre.
Françoise DUCHEMOLLE, mains sur les hanches, bloquant la porte du bureau. – Sauf que c'est à moi qu'elle a téléphoné ce matin en me demandant de protéger Antoine des petites dépravées de ton espèce.
SALOMÉ, venant se mesurer à Françoise. – Yé aussi réçou oune coup dé téléphone dé sa femme, mé suppliant d'aider Antonio a né pas s'acoquiner avec ouné rélique d'antiquaire.
Françoise DUCHEMOLLE, outrée. – Moi, une relique d'antiquaire ?
SALOMÉ, triomphante. – Ma, c'est madame Belmont qui mé l'a dit et elle semble bien connaître le rayon des antiquités.
Françoise DUCHEMOLLE, menaçante. – Retire ça tout de suite, sale peste, ou alors...
SALOMÉ, provocatrice. – Ou alors quoi ?
Françoise DUCHEMOLLE, de + en + menaçante. – Je ne réponds plus de rien.
ANTOINE, tournant autour d'elles. – Mesdames, mesdames... un peu de tenue que diable !
SALOMÉ, se remontant la poitrine. – Laisse Antonio, c'est oune affaire dé femmes. (Gestes vers Françoise.)Allez approche … si tes rhumatismes té permettent encore dé mettre oune pied l'un dévant l'autre. (Elle rit, moqueuse.)
Françoise DUCHEMOLLE, faisant des mouvements avec sa jambe. – Je vais te le coller quelque part, mon pied rhumatisant, que tu auras de la peine à t'asseoir pendant quelques jours.
SALOMÉ, moqueuse. – A force dé tourner ton génou commé ça, tou vas finir par té dévisser la rotoule, qué vou ton âge, tou auras bien dé la peine à trouver oune pièce dé rechange. (Nouveau rire moqueur.)
Françoise DUCHEMOLLE, prenant Antoine à témoin. – Antoine, fais la taire !
ANTOINE, sans conviction. – Salomé... s'il te plaît.
SALOMÉ, autoritaire. – Antonio ! Dis lui dé dégager la piste !
ANTOINE, même jeu, sans conviction. – Françoise, s'il te plaît...
Françoise DUCHEMOLLE, outrée. – Je le crois pas ! Il faudrait que je quitte les lieux pour te laisser dans les pattes de cette tourneuse de croupion !
SALOMÉ, avec ironie. – Jalouse ! Tu voudrais bien té lé remuer aussi ton popotin ? Tou n'y arrivéras yamais, tou est trop riyide.
Françoise DUCHEMOLLE, lui collant une gifle. – Et ma main, elle est riyide, elle aussi ?
SALOMÉ, se remontant à nouveau la poitrine. – Tou n'aurais yamais dou mé toucher ! Tou vas lé payer cher.
Elle se jette sur Françoise et la bagarre commence entre les deux femmes. Elle doit être bien réglée: tirage de cheveux, tentatives de gifles, prise à la gorge etc...Cela doit aller asse vite. Antoine, inquiet, va les pousser dans le bureau et maintenir la porte pour ne pas qu'elles ressortent. Arrivée précipitée de Geneviève qui, visiblement une fois encore, devait écouter derrière la porte de l'appartement.
GENEVIÈVE, faussement inquiète. – Que se passe -t-il Antoine , un problème avec des clients ?
ANTOINE, ennuyé. – Un problème de succession... mais tout va bien, je maîtrise la situation.
GENEVIÈVE, faisant semblant de partir. – Tant mieux. N'hésitez pas à m'appeler... si je peux vous être utile...ce sera avec plaisir.
Il entre dans son bureau et on entend des cris et des insultes en voix off. A vous de les créer. Geneviève revient aussitôt en courant et colle son oreille à la porte du bureau. Marjorie arrive des appartements et reste stupéfaite de voir sa mère penchée vers la serrure.
MARJORIE, stupéfaite. – Maman !
GENEVIÈVE, sursautant. – Tu m'as fait peur.
MARJORIE, moralisatrice. – Tu n'as pas honte d'écouter aux portes ?
GENEVIÈVE, allant au devant de sa fille pour l'empêcher d'approcher. – Pas du tout, c'est trop rigolo.
Les cris redoublent dans le bureau.
MARJORIE, montrant le bureau. – On peut savoir ce qu'il se passe là dedans ?
GENEVIÈVE, la repoussant vers la porte. – T'inquiète ma chérie, tes problèmes sont en train de se résoudre tout seuls.
MARJORIE, réticente. – Tout seuls, vraiment ? Et tu peux m'expliquer comment ?
GENEVIÈVE, la repoussant vers la porte. – Retourne dans l'appartement... tu es souffrante … tu as une angine et de la fièvre.
MARJORIE. – Moi j'ai de la fièvre ? J'ai plutôt l'impression que c'est toi qui es souffrante, ma pauvre mère.
GENEVIÈVE, autoritaire. – Ne discute pas et va t'allonger. C'est un ordre !
Marjorie sort en bougonnant et croise Amédée qui la suit des yeux. Il reste là à regarder la porte par laquelle elle est passée.
GENEVIÈVE, tapant dans ses mains. – Hop hop hop ! Elle se réveille la femme de ménage et elle se tient prête à intervenir parce qu'il va y avoir du boulot dans cinq minutes. (Elle rit.)
Cris dans le bureau.
AMÉDÉE, surpris. – C'est quoi ces cris ?
GENEVIÈVE, amusée. – Mes deux jokers qui se disputent la fin de partie. Venez avec moi chercher la trousse à pharmacie et revenez vite ici Vous allez avoir du boulot, ma belle.
Geneviève sort suivie d'Amédée. La porte du bureau s'ouvre et les deux femmes en sortent, visiblement très amochées. Salomé a un œil au beurre noir, Françoise saigne du nez et toutes deux sont ébouriffées et ont des habits abîmés. Antoine les suit aussitôt.
ANTOINE, en colère. – Ah bravo ! Vous avez vu dans quel état vous vous êtes mises ?
SALOMÉ, bras tendu. – C'est elle qui a commencé.
Françoise DUCHEMOLLE, même jeu. – C'est toi, vipère, qui m'a insultée en premier.
SALOMÉ, se touchant le visage avec précaution. – Yé né pourrai yamais travailler au cabaret avec oune visage dans cet état...
Françoise DUCHEMOLLE, moqueuse. – Pas grave, les clients viennent plus pour voir ton cul que ta tête (Ou tes fesses, ou tes miches.)
SALOMÉ, du tac au tac. – C'est pas avec la finesse dé ton cul à toi qu'on férait le plein au cabaret tous les soirs.
ANTOINE, les calmant. – Chacune de vous deux a ses propres atouts pour séduire.
SALOMÉ, du tac au tac. – C'est tout cé qué tou trouves à dire commé connéries. Ma yé des atouts... elle, elle est d'oune insignifiance ridicoule.
Françoise DUCHEMOLLE, agressive. – Continue comme ça et je vais te coller une symétrie dans les deux yeux que tu auras bien de la peine à retrouver ta barre dans ton cabaret à fesses.
SALOMÉ, réagissant. – Antonio, il faut mé soigner mon œil, rapidamenté !
ANTOINE, un peu dépassé. – Oui oui... j'y vais...
Françoise DUCHEMOLLE, même jeu. – Et mon nez, tu comptes le laisser saigner longtemps ?
ANTOINE, idem. – Oui oui... j'y vais...
La porte de l'appartement s'ouvre et Amédée/ Valérie entre, trousse de secours à la main, imitant un bruit d'ambulance.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Tututut... tututut... tututut...
Il les fait asseoir et commence à les soigner. Il faut aller assez vite : une mèche de coton dans la narine saignante et une compresse avec un adhésif en croix sur l'oeil au beurre noir. Elles vont se plaindre pendant leurs répliques qui accompagnent les soins.
SALOMÉ, surprise de voir Amédée/ Valérie. – Qui c'est celle là ?
ANTOINE. – Valérie, la nouvelle femme de ménage.
SALOMÉ, en pleine confusion. – Elle va remplacer Dolorès ?
ANTOINE. – Quelle Dolorès ?
SALOMÉ, en pleine confusion. – La bonne portougaige qui m'a réçoue tout à l'heure... très yentille.
ANTOINE, surpris. – On n'a pas de bonne portugaise à la maison...
SALOMÉ, insistant. – Si, Dolorès qui n'a pas l'air dé beaucoup aimé ta belle mère.
ANTOINE, inquiet. – Tu pourrais me la décrire cette Dolorès ?
SALOMÉ, en riant. – Ma qué, tou né connais pas ton personnel ? (Elle va décrire l'actrice qui joue Geneviève.) Oune pétite femme brune, boulotte, avec les lounettes, bien habillée pour oune employée dé maison mais terriblément vieille pour ouné femme dé trente six ans.
Françoise DUCHEMOLLE, éclatant de rire. – Je le crois pas ! T'as pris la mère Lussac pour la bonne à tout faire. Oh la cruche ! C'est sûr que tu fonctionnes plus vite du bas que du haut, toi !
SALOMÉ, perdue. – Porqué elle parlait portugaise ?
Françoise DUCHEMOLLE, moqueuse. – Porqué, porqué... réfléchis banane !
SALOMÉ, perdue. – Yé crois qué yé viens dé faire ouné grosse boulette.
ANTOINE, inquiet. – Et tu lui as raconté quoi, à ma belle mère ?
SALOMÉ, timidement. – Qué tou né pouvais pas la sentir...
ANTOINE, applaudissant. – Bravo Salomé, tu as fait du beau travail !
Françoise DUCHEMOLLE, enfonçant le clou. – Je t'avais prévenu, Antoine, que son Q.I s'arrêtait à l'élastique de son string. Vire moi ça tout de suite avant qu'elle ne t'attire de gros ennuis.
SALOMÉ, se ressaisissant. – Si tou crois qué yé vais té laisser la place... Il té loge déya gratouitément dans un yoli stoudio de l'avenoue...
ANTOINE, se défendant. – Le studio que je te prête n'est pas mal non plus.
SALOMÉ, surenchérissant. – Lé sien a oune balcon exposé en plein soud...
Françoise DUCHEMOLLE, même jeu. – Il t'a offert de superbes boucles d'oreille en or.
SALOMÉ, idem. – Et toi une bague avec un diamant...
ANTOINE, gêné. – Vous n'êtes pas obligées de faire l'étalage des cadeaux que je vous offre...
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Laissez les dire, monsieur Belmont, ça fait parfois du bien de crever l'abcès.
ANTOINE, regard vers l'appartement. – Heureusement que ma femme n'entend pas ça.
AMÉDÉE/VALÉRIE. – Elle pourrait croire que vous magouillez à mort pour entretenir vos amies...
ANTOINE, vaniteux, se livrant. – Magouiller, magouiller... c'est un bien grand mot... Disons que dans notre métier, il y a toujours des arrangements, des petites combines pour arrondir les fins de mois.
On sonne à la porte. Personne ne bouge et tous se regardent.
ANTOINE. – Eh bien Valérie, allez ouvrir.
Elle s'apprête à y aller mais Marjorie arrive en trombe de l'appartement, suivie de sa mère. Elle s'arrête deux secondes dans la pièce.
MARJORIE, arrêtant Amédée. – J'y vais Valérie. Continuez de soigner le cheptel de mon mari.
SALOMÉ, regard vers Geneviève. – La portougaise...
GENEVIÈVE, moqueuse. – On né peut pas dire qué tou soit très fouté, toi !
Marjorie va ouvrir.
MARJORIE, voix off. – Père Martineau ! Qu'est ce que vous faîtes là ? Déjà sorti de l'hôpital ?
Père MARTINEAU, voix off. – Quel hôpital ? Je me porte comme un charme, j'ai pas un poil de jeu. Je viens pour tailler la haie, comme prévu...
MARJORIE, voix off. – D'accord... Passez par le jardin, je vous rejoins dans un moment.
Elle revient et, lentement, elle regarde tout le monde puis s'avance vers sa mère qui se tient près d'Amédée, lequel s'est mis un peu en retrait.
MARJORIE, très sérieuse. – Maman... c'était le père Martineau...
GENEVIEVE, très sérieuse. – Ah dis donc, déjà sur pieds... Les hôpitaux ne gardent pas les opérés longtemps maintenant... économies, économies...
MARJORIE, très sérieuse. – Maman... fais moi l'économie de tes mensonges s'il te plaît ! Quelle est cette Valérie que tu as introduite, à mon insu, dans la maison ? Une nouvelle maîtresse d'Antoine ? (Têtes des autres femmes.)
Amédée se lève et enlève lentement sa perruque. Stupéfaction générale, sauf Geneviève. Marjorie accuse le coup encore plus que les autres mais se ressaisit très rapidement.
TOUS, ensemble. – Qui êtes vous ?
AMÉDÉE, se présentant. – Amédée Bouard. Missionné par la fédération nationale des agents immobiliers pour enquêter sur monsieur Belmont, suite à de nombreuses plaintes déposées et restées sans suite... Apparemment, mesdames, vous étiez au courant des activités de monsieur Belmont ?
Françoise DUCHEMOLLE, affolée. – Eh oh, attendez. J'étais sa maîtresse d'accord, mais je n'étais pas au courant de ses magouilles. C'est lui qui a insisté pour me loger gratuitement dans un studio de l'agence.
SALOMÉ, idem. – Moi aussi. Il mé disait touyours que personne n'y verrait rien.
AMÉDÉE, les affolant volontairement. – Aux yeux de la loi, le fait d'avoir accepté vous rend complices toutes les deux.
SALOMÉ, sauvant sa peau. – Yamais dé la vie. Qu'il sé débrouille avec la yustice, yé né lé connais plou.
Françoise DUCHEMOLLE, même jeu. – Moi aussi. Je n'ai pas envie de plonger pour ce tocard.
AMÉDÉE. – Dans ce cas, j'aurais juste besoin de vos témoignages et vous ne serez pas inquiétées.
ANTOINE, essayant de s'en sortir. – Eh bien partez ! Bon débarras. Les rats quittent le navire. Vous m'avez coûté assez cher. Je vais me reconstruire honnêtement avec ma femme.
MARJORIE, lui coupant la parole. - Maman, veux tu préparer une valise, la plus grande que tu trouveras ?
ANTOINE, en pleine confusion. – Marjorie, tu ne vas pas me quitter... regarde tout s'arrange... elles s'en vont...
MARJORIE, doucement. - Mais Antoine, moi je reste...c'est toi qui pars !
GENEVIEVE, s'en allant à la hâte. – Oh pétard de bois, ça va chauffer !
MARJORIE, tendant la main vers lui. - Ah... Antoine...
ANTOINE, plein d'espoir, voulant prendre la main de sa femme. - Marjorie, je savais que tu ne m'abandonnerais pas.
MARJORIE, toujours bras tendu. - Les clés, Antoine...
ANTOINE, étonné, la main toujours tendue. - Les clés, quelles clés ?
MARJORIE - Celles de la voiture de l'agence !
ANTOINE, pitoyable, lui rendant les clés. - Mais je vais où, moi, maintenant ?
MARJORIE – Tu prends ta vieille voiture et tu vas où tu veux... à l'hôtel... ou chez ces dames qui vont, elles aussi nous rendre les clés de leurs appartements dès leur déménagement terminé.
Françoise DUCHEMOLLE - SALOMÉ, chacune leur réplique, mais très vite. – Nous vous rendrons les clé dès demain.... Mais hors de question d'héberger ce tocard !
Elles sortent sans demander leur reste. Retour de Geneviève avec une énorme valise.
GENEVIÈVE, montrant la valise. – Elle était déjà prête depuis ce matin. Je vous ai mis deux costumes, quatre chemises, trois pulls, votre pyjama, une demie douzaine de paires de chaussettes, autant de slips et votre nécessaire de toilette ! Ca devrait suffire pour un redémarrage dans la vie...
Geneviève lui colle la valise sur les bras et il reste là, tout penaud, bras tendus avec la valise dessus.
ANTOINE, hargneux, à Amédée. - Vous êtes content... briseur de ménage !
AMÉDÉE, calmement. – A votre place, j'adopterais un profil bas.
ANTOINE, même jeu. - Vous avez séduit ma femme pour vous introduire dans mon nid, tel un coucou, pour me virer et piquer ma place.
AMÉDÉE, calmement. – Je m'expliquerai avec votre femme en temps utile mais pour le moment, parlons un peu de vous, monsieur Belmont.
ANTOINE, plaidant coupable. - Je reconnais que ma passion des femmes m'a poussé à quelques extrémités...
GENEVIÈVE, le coupant. – Au point de leur fournir gracieusement un appartement à chacune. Plus de deux ans que nous ne percevions pas les loyers correspondants à ces logements, que bien évidemment, vous avez « oublié » de mettre en vente... (A sa fille.) Tu comprends, maintenant, le problème dans notre comptabilité ?
MARJORIE – Pauvre minable !
AMÉDÉE, calmement. – Partie émergée de l'iceberg révélée par ces deux charmantes dames qui viennent de nous quitter. La partie cachée est autrement moins éthique et plus glauque.
ANTOINE, rapidement. - Ne l'écoute pas Marjorie, il ne sait pas quoi inventer pour me discréditer à tes yeux.
MARJORIE – Allez y monsieur Bouard, qu'on en finisse.
AMÉDÉE, calmement. – Votre mari est un agent immobilier véreux qui triche sur la superficie des pièces des maisons qu'il achète...
ANTOINE, rapidement. - Tous les agents immobiliers font ça.
AMÉDÉE, même jeu. – Non monsieur, ils ne font pas tous ça. Quand vous achetez un bien, les pièces sont étrangement plus petites que lorsque vous le revendez...
ANTOINE, cherchant des excuses. - Une erreur d'appréciation sans doute...
AMÉDÉE. – Qui se reproduit à chacune de vos ventes... Et que dire de monsieur Cloporte ?
GENEVIÈVE - MARJORIE, étonnées. – Qui c'est celui là ?
AMÉDÉE. – Son diagnostiqueur de charpentes qui, bizarrement, découvre des parasites à chacune de ses visites dans les combles des maisons qu'il visite...
ANTOINE, cherchant des excuses. - Ce n'est quand même pas de ma faute si notre région est infestée de bestioles en tous genres.
AMÉDÉE. – Bestioles que votre complice, car c'est bien de complicité dont il s'agit, que votre complice détruit par simple pulvérisation d'eau courante colorée.
MARJORIE – Antoine, dis quelque chose...
ANTOINE. - Je ne suis pas responsable des agissements de ce monsieur, ce n'est pas mon problème.
AMÉDÉE. – Mais ça va le devenir car ce diagnostiqueur a dénoncé vos combines à mes collègues et vous a désigné comme étant l'instigateur de cette magouille.
ANTOINE, commençant à perdre pied. - Il ment pour sauver sa peau.
MARJORIE, dégoûtée. - Tu me fais honte Antoine Belmont !
AMÉDÉE, enfonçant le clou. – Mais le plus abject, c'est quand vous vous profitez de la détresse de gens touchés par un deuil.
GENEVIÈVE, effondrée. – Ma pauvre Marjorie, nous allons boire la coupe jusqu'à la lie.
MARJORIE, dégoûtée. - Dîtes moi que ce n'est pas vrai !
AMÉDÉE, calmement sans animosité. – Hélas si. Toujours le premier sur la piste, tel un charognard, harcelant jusqu'à l'usure des héritiers souvent désorientés...
MARJORIE, dégoûtée. - Tu es un monstre odieux !
AMÉDÉE, même jeu. – Allant jusqu'à écraser des boules puantes dans ces maisons pour faire croire à des problèmes d'égout afin d'en minorer le prix d'achat pour insalubrité.
ANTOINE, s'enfonçant. - C'est faux ! C'est de la pure calomnie pour me détruire.
AMÉDÉE, même jeu. – Vous voulez connaître les noms de gens spoliés par vos agissements et qui ont fait remonter leurs plaines jusqu'à la fédération ? Car bien entendu ces maisons, achetées à bas prix, étaient revendues au prix fort sans aucune remise en conformité de votre part. Et pour cause.
GENEVIÈVE, effondrée. – Et moi qui vous faisais entière confiance...
AMÉDÉE, pour clore les accusations. – Vous en avez assez monsieur Belmont ou je continue ?
ANTOINE, pitoyable, allant vers sa femme. - J'ai fait tout ça pour toi, Marjorie... pour que tu sois riche et à l'abri du besoin.
MARJORIE, durement. - Riche et cocue, joli programme. (Tendant le bras vers la sortie.) Hors de ma vue, immonde personnage !
ANTOINE, pitoyable, allant vers sa belle mère. - Et pour vous aussi, mamy... pour que votre agence soit la meilleure de la région...
GENEVIÈVE, même jeu que Marjorie. – Hors de ma vue, voleur, escroc, spoliateur !
ANTOINE, pitoyable, allant vers Amédée. - Amédée, s'il vous plaît... Vous voyez bien que je ne suis pas un mauvais homme... J'ai même failli tomber amoureux de vous...
AMÉDÉE. – Gardez vos pouvoirs de séduction pour vous défendre devant la fédération, vous en aurez besoin.
ANTOINE, de plus en plus minable. - J'ai pas droit à un joker ?
GENEVIÈVE - MARJORIE, bras tendus. – Dehors !
Il sort, tout penaud, sa valise sur les bras. Un petit temps...
MARJORIE, à Amédée. - Et vous, allez vous changer, vous êtes ridicule en femme.
AMÉDÉE, remettant sa perruque. – Je crains, hélas, de devoir repartir dans cette tenue.
MARJORIE, amèrement.- Quand je pense que me suis livrée à vous en toute confiance alors que me mentiez effrontément... Vous avez du bien vous amuser.... Vous êtes aussi détestable que mon mari.
AMÉDÉE. – Je ne vous ai menti que sur un point, Marjorie. Je ne suis pas représentant dans la chaussure mais chargé de mission auprès de la fédération des agents immobiliers. Le seul moyen de confondre votre mari était de m'introduire dans son nid.
MARJORIE, amèrement.- C'est ce qu'on appelle le coup du coucou, je présume ?
AMÉDÉE. – Ce que je ne savais pas, c'est que j'allais tomber follement amoureux de vous.
MARJORIE, sèchement.- Cela suffit maintenant, je vous prierai de bien vouloir partir.
GENEVIÈVE, intervenant. – Arrête tes caprices et laisse le s'expliquer.
AMÉDÉE. – Pour le reste, je suis vraiment célibataire et j'habite bien ce merveilleux petit village des Vosges où je rêvais de vous emmener toutes les deux...
GENEVIÈVE. – Et vous êtes vraiment poète ?
AMÉDÉE, déclamant. – Laissez le soin au temps d'effacer votre peine
Et ne me voyez pas comme un affreux coucou,
J'espère que vous serez, un jour prochain, sereine
Au point d'à mon égard, atténuer le courroux.
Et avant de partir, dans vos beaux yeux vairons
Voir briller l'étincelle d'un peu de compassion.
Tout en la regardant, il se dirige vers la sortie.
AMÉDÉE. – Au revoir Marjorie...
MARJORIE, sans le regarder.- Adieu monsieur...
AMÉDÉE. – Alors... adieu madame...
MARJORIE, elle se retourne et le regarde, changeant de ton.- Au revoir Amédée...
Il sort à reculons sans la quitter des yeux. Elle le regarde partir tandis que le rideau se ferme sur une musique tendre, adéquate à la situation.
Vous pouvez arrêter la pièce sur ces dernières répliques ou utiliser l'épilogue suivant si vous le souhaitez.
EPILOGUE
Quelques mois plus tard...
Même scène qu'en début de pièce. Marjorie Belmont est dans son salon. Elle arrange quelques fleurs dans un vase. Sa mère arrive, en toute hâte, sortant de son appartement
GENEVIÈVE, toute radieuse. – Marjorie, ça y est, l'agence est vendue !
MARJORIE – Déjà !
GENEVIÈVE, toute radieuse. – Comme je te dis. L'agence Rudet s'est jetée dessus comme des rapaces, trop contente d'éliminer un concurrent.
MARJORIE. – Cela ne te fait pas trop de peine d'abandonner aussi rapidement tout ce pan de ta vie ?
GENEVIÈVE, pragmatique. – J'avais déjà failli tout bazarder quand ton père nous a lâchées il y a vingt ans (A voir...) Les pages de nos deux histoires viennent de se tourner, ma chérie.
MARJORIE. – Je vais reprendre mon ancien métier d'infirmière.
GENEVIÈVE, toute contente. – Avant, ça ne te plairait pas de faire le tour du monde avec moi ?
MARJORIE. – On pourrait peut être se contenter d'un seul pays, non ?
Toutes les répliques suivantes doivent être données assez rapidement, spontanément, sans temps de réflexion. Presque du tac au tac.
GENEVIÈVE. – D'accord. Que penses -tu des Etats unis ?
MARJORIE. – Trop agité..
GENEVIÈVE. – Le Tibet ?
MARJORIE. – Trop cool...
GENEVIÈVE. – La Norvège ?
MARJORIE. – Trop froid...
GENEVIÈVE. – Le Vietnam ?
MARJORIE. – Trop chaud...
GENEVIÈVE. – Le Pérou ? C'est bien ça le Pérou.
MARJORIE. – Trop haut...
GENEVIÈVE. – La Hollande alors ?
MARJORIE. – Trop bas...
GENEVIÈVE. – L'Irlande ? C'est joli, l'Irlande, c'est vert.
MARJORIE. – Trop humide...
GENEVIÈVE. – Le Maghreb ?
MARJORIE. – Trop sec...
GENEVIÈVE. – Tu deviens bien compliquée brusquement.
MARJORIE. – Pourquoi ne resterions nous pas en France. Il y a tant de belles régions qu'on ne connaît pas.
GENEVIÈVE. – Et tu penses à quoi par exemple ? Le Lubéron ? Les gorges du Tarn ? La baie de Somme ?
MARJORIE. – Les Vosges me plairaient bien?
GENEVIÈVE. – Gérardmer... la route des vins... C'est super !
MARJORIE. – Pourquoi pas ce merveilleux petit village où vit un drôle de poète ?
GENEVIÈVE. – Et si, à notre tour, nous allions jouer les coucous en nous installant dans son nid ?
MARJORIE. – Prépare les valises, maman...
ENSEMBLE, ensemble parfait, bras tendu vers l'horizon. – Et en route pour... Chausson les Ribouis !!!!!
FIN et RIDEAU