“Branle-bas de combat” Au 6ème étage…

Le syndrome de la page blanche mine Guillaume, écrivain et ancien marin : la barque coule ! Sa concierge amoureuse et son plombier l’aident à éponger ses dettes et soucis, à leur façon… L’amiral à la retraite et le commando féminin qui montent à l’abordage, vont-ils saborder son esquif ou calfater le navire ?… Préparez-vous à écoper… des larmes de rire !…

ACTE 1

Assis à une table, un homme la tête dans les mains, "sèche" visiblement devant une machine à écrire d'un modèle très ancien. Réfléchit-il ?... Dort-il ?... On laisse le spectateur dans le doute quelques instants. On frappe à la porte. Il ne réagit pas. Entre, alors, une femme portant un sac à provisions ou panier...

Camille - Alors, monsieur Guillaume : encore en  "panne sèche" ?... (Elle pose ses achats sur la table après avoir poussé les papiers, au désespoir de l'homme qui essaie de tout remettre en ordre)

Guillaume - Que voulez-vous ma pauvre Camille !... Je n'ai pas d'idée !...

Camille - ...Il faudrait pourtant que vous en trouviez une, parce que les huissiers ne vont pas tarder à revenir !... et vous n'avez plus rien à prendre !

Guillaume - Si, "Albertine"...

Camille - Que voulez-vous qu'ils en fassent : elle est bien trop vieille.

Guillaume - Je m'en contente bien moi !

Camille - Vous, c'est pas pareil : vous vivez avec... Remarquez, tordue et moche comme elle est, je me demande bien ce que vous pouvez encore en faire ?...

Guillaume - On fait ce qu'on peut, avec ce qu'on a...

Camille se penche sur les feuilles vierges... Elle les feuillette.

Camille - Eh bien ! On "peut" peu ! (Guillaume hausse les épaules et disparaît dans sa cuisine pour se servir un verre d'eau..)

Camille - Mais bon sang ! Avec vos capacités, cela devrait couler tout seul !

Guillaume (des coulisses) - ça ne coule plus : c'est bouché !

Camille (qui s'affaire dans la pièce, vidant son panier, sans se préoccuper de ce que fait Guillaume, répond en riant) - Je veux bien vous prêter un goupillon à bouteille, mais ça aura du mal à passer par les oreilles !...

Guillaume revient et l'examine, avec l'air de quelqu'un qui ne comprend pas et qui doute de la santé mentale de son interlocutrice.

Guillaume - Qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'un goupillon ? C'est une ventouse qu'il faut !

Camille (toujours hilare) - Et vous vous la mettrez où ? Tout de même pas où je pense ! Remarquez, cela aurait un avantage : ça ne déboucherait pas que les boyaux de la tête !...

Guillaume (inquiet) - Vous allez bien Camille ?

Camille (qui se retourne enfin) - Ben oui ! Pourquoi ?

Guillaume - Je suis en train de vous parler de problèmes de plomberie, et vous m'entretenez de "boyaux de la tête" !

Camille - Ah ?... c'est l'évier ? (Elle rit.) Regardez : j'ai le produit miracle... (Elle prend un flacon, dans un coin quelconque, et fonce dans la cuisine.)

Guillaume (qui surveille, avec inquiétude, ce qu'elle fait de la porte) - ça ne fera pas trop ?...

Camille (des coulisses) - Mais non !...

On entend un bruit incroyable de cataracte d'eau - type chasse d'eau - un gargouillis énorme...

Camille (qui reparaît) - Eh bien : qu'est-ce que je vous avais dit , hein ?... (Camille est retournée à ses poussières, satisfaite.)

Guillaume - J'en conviens, c'est efficace ! (À lui-même.) Pourvu que les tuyaux tiennent le coup !

Camille - Je vous ai acheté un petit steak, regardez... (On le voit, ou le suppose, énorme.) Vous me le cuirez saignant, hein ? Vous avez besoin de forces...

Guillaume (goguenard) - Si vous aviez ramené la vache entière, j'aurai pu la manger par petits bouts, toute crue ! ça éviterait de la vaisselle ! (Et voyant Camille déballer tout un tas de victuailles.) Je vous avais dit juste une tranche de foie ! Je n'ai pas d'argent pour vous rembourser tout ça, moi !

Camille - Est-ce que je vous ai demandé quelque chose ?

Guillaume - Vous n'allez tout de même pas me nourrir jusqu'à la fin de mes jours ?

Camille (à elle-même) - Moi, je ne demande que ça !

Guillaume - Pardon ?

Camille - Rien... Quand votre bouquin sera sorti, vous me rembourserez !

Guillaume (amer) - Vous risquez d'attendre un moment, il n'est pas entamé ! Et puis, ce n'est pas avec ce que me donnera mon éditeur que je pourrai faire fortune !

Camille - J'ai une idée ! Dédicacez-le moi : "À ma chère Camille, mère nourricière..."

Guillaume - Vous, ma "mère" ? Allons donc ; je suis plus vieux que vous !

Camille (à elle-même) - Ouais ! Pour l'état-civil seulement !... Parce que là-haut... (Elle se tape sur le crâne.)

Guillaume - Que dites-vous ?

Camille - ... Que j'ai mal à la tête...

Guillaume - Attendez, je dois avoir des cachets par là... (Il fouille dans un tiroir.)

Camille (attendrie) - Cherchez pas, vous les avez finis avant-hier !

Guillaume - Flûte ! Pour une fois que je pouvais faire quelque chose pour vous !

Camille - Vous embarrassez pas, c'est déjà fini !

Guillaume boude, assis sur son lit, parce qu'il n'a plus de cachets... Le téléphone sonne. Camille, constatant qu'il n'a pas l'intention de répondre, se dirige vers l'appareil en levant les yeux au ciel et en soupirant.

Camille - Allô ?... Non, Monsieur Guillaume Bertaux n'est pas là... Si je suis sa femme de ménage ?... Non, je suis... sa secrétaire particulière... (Guillaume éclate de rire sur son lit.) Je pense qu'il ne tardera pas, il avait rendez-vous avec son éditeur... Ah ?... vous êtes la secrétaire des éditions Van Verbroeck et ce n'est pas prévu pour aujourd'hui ?... Eh bien c'est qu'il en aura contacté un autre, voilà tout !... (Guillaume ne rit plus du tout.) Comment ça, il n'a pas le droit ?... (Guillaume lui faisant signe d'arrêter, elle lui tourne carrément le dos.) Avec ce que vous lui donnez, je ne vois pas pourquoi il n'irait pas voir ailleurs !... Le contrat ?... mais on s'en fout du contrat !... (Guillaume se précipite et arrache le combiné des mains de Camille.)

Guillaume - Oui, je suis là... Merci... Passez-le moi... Bonjour Bernard, je viens d'arriver !... Mais non,  je ne suis pas idiot, tout de même !... (Camille fait : si, si, si, de la tête.) Non, je n'ai pas de secrétaire, c'est... une amie... qui aime bien la plaisanterie... C'est de mauvais goût ?... je suis bien d'accord... Où j'en suis ?... ça avance, ça avance...

Camille (qui marque sa désapprobation, dit au spectateur, ou à elle-même) - ... Oui, c'est ça, ça avance : un pas en avant, trois pas en arrière !

Guillaume - ... Comme tu veux... disons dans... Combien ? Avant huit jours ?... Ah ? Bon... Je vais essayer... Oui, je sais, j'ai plutôt intérêt... C'est ça, à bientôt... (Il raccroche en soupirant.) Et allons-y : moins de huit jours pour finir quelque chose qui n'est même pas commencé !... Je suis dans une mouise, mais une mouise!

Camille - Ce n'est pas en vous lamentant que vous vous en sortirez ! Et puis, vous vous prenez trop la tête !Vous n'êtes jamais satisfait des pages que vous écrivez : cela fait au moins trois fois que je découvre dans votre poubelle, déchirées ou en boule, les dix premières pages de votre roman ! Je n'ai jamais vu la onzième : vous êtes allergique ou quoi ?

Guillaume - C'est ça ; je suis allergique à ma propre bêtise...

Camille - Vous êtes pénible, hein ! Je ne vois vraiment pas ce que vous reprochez à vos écrits ! Vous avez un style particulier, je l'admets, mais c'est ce qui fait votre charme : on ne s'ennuie pas en vous lisant.

Guillaume - Vous avez dans votre bibliothèque certains de mes romans ? Lesquels ?

Camille - Aucun !

Guillaume - Mais alors ?...

Camille - ... Je vous rappelle que c'est moi qui vide vos corbeilles ; avant d'en jeter le contenu, je le lis... (Guillaume lève les bras au ciel, d'un air découragé... Camille poursuit.) Tiens, la deuxième série que vous avez virée du "Chapeau de Marguerite" ... Vous voyez ce dont je veux parler ?

Guillaume - Non, je ne vois pas, car quand je jette, c'est que c'est nul.

Camille - Mais si, quand la petite, revenant de l'école, tombe par hasard sur le cadavre d'une vieille femme...

Guillaume - ... Et qu'elle met le chapeau de la vieille sur sa tête ?... Oui, je me rappelle. Mais c'était idiot ! Une gamine de cet âge aurait hurlé et se serait sauvée !

Camille - Tout dépend de l'état d'esprit de la petite ! Si elle est ravagée du ciboulot, tout est possible...

Guillaume - "Ravagée du ciboulot" ? (Il regarde Camille, qui continue de s'affairer dans la pièce et qui sort, côté cuisine. Il poursuit.) Oui, oui, oui. Dans sa tête, la réalité n'a pas cours... Pour elle, la vieille femme dort... se repose... (Il se précipite vers sa machine à écrire et tape frénétiquement.)

Camille revient doucement, un torchon et une assiette à la main. Elle regarde amoureusement Guillaume travailler quelques secondes, puis ayant ramené ce qu'elle tenait à la cuisine, elle attrape son sac, son vêtement, et s'apprête à sortir par la porte principale discrètement. La main sur la poignée, elle envoie un baiser du bout des doigts à Guillaume, qui ne s'aperçoit pas qu'elle sort, et tire la porte derrière elle.
Le téléphone sonne... Guillaume met un certain temps à réaliser et en ronchonnant, appelle Camille qu'il croit encore dans la cuisine.

Guillaume - Camille ! Vous voulez bien répondre ?... (Puis se ravisant très vite, à lui-même) Oh là, là, non ; vu comment elle répond au téléphone, il vaut mieux que ce soit moi, on ne sait jamais ! (À haute voix.) Ne vous dérangez pas, j'y vais !... (Il attrape le combiné au vol, en faisant à moitié voler l'appareil téléphonique.) Allô ?... Oui, c'est moi... c'est de la part ?... Maryse ?... quelle Maryse ?... Comment ça : "... la Chouchoubinette à son Guitou..." ?... Vous devez vous tromper de numéro madame... Non, je ne vous reconnais pas, non !... Si je me rappelle quand j'avais "le ziguoinguoin au garde-à-vous" ?... eh bien... (Il a un éclair d'illumination dans le regard.) Oh ! C'est pas vrai ?... (À lui-même, cachant le combiné.) La fille de l'Amiral !... (À son interlocutrice.) Mais bien sûr que je me souviens. Si j’avais pu prévoir !Quelle surprise !... Mais vous êtes à Paris ?... Ah ? Bon... Venir me voir ?... Mais bien sûr, voyons. Tout de suite ?...
Ah ?... Vous êtes dans le café d'en face ?... (Constatant le désordre qui subsiste, même après le passage de Camille.) Vous ne voulez pas que je vous rejoigne, plutôt ?... Non ?... Au sixième étage, porte face... Bon, à tout de suite ! C'est ça !... (Il raccroche.) Nom d'une crevette congelée !... Camille ?... (Il essaie de ramasser tout ce qu'il peut. Il met, en tas, dans la penderie, les vêtements qui traînent, déploie le paravent devant son lit. Tout en continuant d'appeler.) Camille ! Mais qu'est-ce que vous foutez ? (Il va constater, de visu, que sa gardienne n'est plus dans la cuisine et revient en ronchonnant de mauvaise foi.) Jamais là quand on a besoin d'elle ! (Et en riant au souvenir de certains bons moment.) Avec une nana comme la Maryse, pas de problème :...

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