ACTE I
Le rideau s'ouvre sur une terrasse, à l'arrière d'une jolie maison bourgeoise. Au fond de la scène et à gauche, une grande baie ouvre sur un salon que l'on juge luxueux par les meubles et objets que l'on y aperçoit. A droite se situent les arrières des cuisines d'un restaurant. Sur un côté, un muret délimite la propriété et la rue. Un banc public est posé près du muret, côté rue. Au centre de la scène,il y a un salon de jardin et des fauteuils adéquats. Il est dix heures. Un téléphone sonne à l'intérieur du salon. Angèle, qui nettoie des légumes sur la table, appelle.
ANGELE (avec force) – Madame, madame... le téléphone ! (Personne ne lui répond..) Elle doit être encore en train de changer de toilette ou de se regarder dans sa glace. (Le téléphone sonnant toujours, elle appelle encore plus fort.) Madame... le téléphone ! (Aucune réponse.) Bon, on va utiliser les grands moyens. (Hurlant.) Marguerite... le téléphone !
Marguerite, qui se fait appeler Meggie, (prononcer Méguy) arrive comme une folle par la baie du salon. C'est une femme très autoritaire, très vieille France, habillée très strictement. Elle est coiffée et maquillée avec soin.
MEGGIE (énervée, en colère) – Ne criez pas comme ça, Angèle, je ne suis pas sourde ! Combien de fois devrais-je vous dire de m'appeler Meggie qui est le diminutif moderne de Marguerite et de ne plus m'interpeller par ce prénom grotesque de cette ridicule fleur des champs !
ANGELE (un peu moqueuse) – Je trouve ça poétique, moi, ces petites fleurs qu'on effeuille en se disant des mots doux. (En disant cela, elle arrache une à une les feuilles d'une salade.) Je l'aime... un peu... beaucoup... passionnément... à la folie... (Meggie la regarde froidement, bras croisés.) Bon, on va peut être s'arrêter à... pas du tout alors!
MEGGIE – Pour la survie de ma laitue, j'aimerais bien, oui ! Je pense avoir passé l'âge de ces âneries d'adolescentes, si c'est tout ce que mon prénom vous inspire !
ANGELE (dans un fou rire) – Oh non ! Ca me rappelle aussi la Marguerite de Fernandel dans le film « La vache et le prisonnier » (Réfléchissant.) Quoique sa Marguerite à Fernandel, elle avait une bonne tête elle, avec des cornes que vous n'avez pas encore et de bons gros yeux tous gentils et pas maquillés comme vous. Même qu'à un moment, dans le film, il l'avait perdu sa Marguerite et il était drôlement inquiet le Fernandel. Et vous savez où il l'a retrouvée ? (Meggie bout d'impatience.) Je vous le donne en mille. Dans un champ avec plein d'autres vaches. Et là, le Fernandel il dit en riant :(Elle l'imite avec l'accent.) «Oh, un champ de marguerites ! » (Elle éclate de rire.)
MEGGIE (outrée) – Cela suffit Angèle, n'en rajoutez pas ! (Le téléphone sonne toujours.) Et qu'attendez-vous pour décrocher le téléphone ? Vous n'êtes vraiment pas très futée et je ne comprends pas comment mon beau-père a pu vous supporter si longtemps. Croyez bien que si ça ne tenait qu'à moi...
ANGELE (moqueuse) – Oh je sais tout le bien que madame pense de moi et combien elle me tient en haute estime. (Moqueuse, la main sur le coeur.) J'en suis toute tourneboulée.
MEGGIE (montrant le salon d'où le téléphone sonne) – Angèle, le téléphone !
ANGELE (vexée, bras croisés) – Je rappellerai humblement à madame l'engueulade carabinée qu'elle m'a passée hier parce que j'ai eu le mauvais réflexe de décrocher le combiné avant elle.
MEGGIE (un peu gênée) – C'était une conversation personnelle et...
ANGELE (faussement étonnée) – Ah ! Il y a une sonnerie spéciale quand c'est personnel et que les fournisseurs appellent pour réclamer leurs factures impayées ? Je ne savais pas moi ! (Le téléphone sonne toujours, elle tend l'oreille et imite la sonnerie du téléphone.) Ca sonne tout pareil qu'hier. Moi, si j'étais madame, je me méfierais, je suis sûre que c'est encore le même gars qui revient à la charge.
MEGGIE (se contenant avec peine, tendant le bras) – Dehors Angèle !
ANGELE (étonnée, regardant autour d'elle) – Ben j'y suis déjà ! Qu'est ce que je fais après ?
MEGGIE (se reprenant et montrant les cuisines ) - Dedans Angèle! Ce n'est pas le travail qui manque, il suffit de regarder ! (En aparté.) Quelle crétine !
ANGELE (s'apprêtant à partir, en aparté) – Quelle conasse !
MEGGIE (qui a entendu) – Pardon ?
ANGELE (se rattrapant) – Quelle feignasse ! J'avance à rien aujourd'hui...
MEGGIE – Je ne vous le fais pas dire ! Et s' il n'y avait qu'aujourd'hui...
ANGELE (sortant, en aparté) – A force de vouloir péter plus haut que son cul, elle va se choper une hernie discale !
Meggie va enfin décrocher le téléphone sans fil et revient sur la terrasse.
MEGGIE (craintivement) – Allo, Meggie Renard.(Reconnaissant la voix., soulagée) Betttttty, quelle surprise ! Ah si je m'attendais... Je suis contente que ce soit toi, dis donc ! Pourquoi ? Eh bien, tu sais, il y a tellement de gens qui nous appellent pour des enquêtes ou des sondages... Et puis, il faut être partout dans un restaurant de notre renommée et on ne peut plus compter sur le petit personnel. Mais ça va bien, nous sommes contents. Marie-Sophie ? Elle vient d'avoir vingt ans et commence à s'éveiller à l'amour. (En confidence.) Nous voudrions, Hubert et moi, lui faire connaître Louis-Etienne, le fils du notaire. Un très beau parti... Elle fait des études d'architecte... aux Beaux Arts. EIle a un brillant avenir devant elle. Studieuse, intelligente, sobre, c'est une fille saine. En toute modestie, tu me connais, c'est un peu moi à son âge... Comment va Hubert ? Ca va... ça va bien... (Pleine d'assurance.) C'est un sacré cordon bleu qui règne en maître absolu sur ses fourneaux d'où il nous mitonne des plats d'une originalité... tu ne peux pas imaginer.
A ce moment précis, Hubert, vêtu de sa tenue et de sa toque de cuisinier, sort affolé des cuisines, une casserole à la main. Georges le suit comme son ombre.
HUBERT (affolé) – Oh putain ! Je viens encore de rater mon beurre blanc ! (Il lui met la casserole sous le nez d'où il fait couler un liquide tout grumeleux avec sa spatule.)
MEGGIE (toujours au téléphone, lui faisant signe de se taire) – C'est Hubert qui vient me montrer une nouvelle recette. (Faussement étonnée.) Ah non non non, pas au beurre blanc. Tu as mal entendu (Articulant lentement.). C'est une terrine de lièvre au vin blanc ! (Maniérée.) Original, non ? (Regardant les grumeaux dans la casserole.) Encore quelques petits réglages dans le dosage des ingrédients et voilà une nouvelle recette sur la prochaine carte. (Hubert hoche la tête de dépit et lui fait signe d'abréger la conversation.) Je vais te laisser, Hubert insiste pour que je goûte sa terrine au vin blanc. (Abrégeant la conversation.) Je suis très contente d'avoir eu de tes nouvelles, tu passes nous voir quand tu veux. Allez pas de chichis entre nous ma Betty, hein, on reste simple. Allez bisous bisous !
Elle raccroche, soupire et regarde écoeurée la casserole d'où Hubert, avec sa spatule n'arrête pas de faire couler bêtement une sorte de magma grumeleux.
HUBERT (tout penaud) – C'est raté !
GEORGES (mouchardant, comme un gamin) – Il l'a raté, je l'ai vu faire.
MEGGIE (regardant l'intérieur de la casserole, avec une grimace de dégoût) – C'était vraiment un beurre blanc à l'origine ?
HUBERT (honteux) – Oui...
GEORGES (en rajoutant une louche) – Oui oui oui ! (Regardant dans la casserole.) Mais maintenant, on dirait de la purée mousseline.
MEGGIE (se dominant, sans s'occuper de Georges) – Attends, tu es en train de me dire, Hubert, que tu viens de rater un beurre blanc ?
HUBERT (encore plus honteux) – Oui... Et c'est le troisième depuis ce matin...
GEORGES (montrant trois doigts, bien haut) – Le troisième !
MEGGIE (explosant) – Le troisième ! Mais enfin Hubert, ce n'est pas possible ! Ce n'est quand même pas compliqué à faire !
GEORGES (avec évidence) – J'y disais que c'était pas compliqué.
HUBERT (vexé, tendant la casserole à Meggie, sans s'occuper de Georges) – Si c'est pas compliqué, vas-y, ne te gênes pas, prends le manche !
MEGGIE (dégoûtée) – C'est toi le grand chef Hubert, moi je ne suis responsable que de l'accueil et de la comptabilité. (Risquant prudemment.) Tu ne te serais pas trompé dans la recette quelque fois ?
HUBERT (très fort) – Non je ne me suis pas trompé dans la recette ! (S'énervant.) J'ai suivi scrupuleusement le mode opératoire en touillant régulièrement. (Reprenant un peu de magma avec sa spatule, en pleurnichant.) Et voilà le résultat...
GEORGES (secouant la tête) – Ah, c'est sûr que c'est pas bien beau.
MEGGIE (catégorique) – Alors c'est ton touillage qui a manqué de régularité voilà tout !
HUBERT (s'énervant de nouveau) – Marguerite, je te dis que j'ai fait tout comme il faut ! Alors fous-moi la paix avec ton touillage s'il te plaît !
MEGGIE (se rebiffant) – Hubert, je comprends que tu sois irrité, mais je t'interdis de m'appeler Marguerite devant tout le monde, tu entends ?
GEORGES – Vous vous appelez Marguerite ? (Il lui tend la main.) Bonjour Marguerite. Avez-vous retrouvé l'étoile que j'ai perdue ?
HUBERT – D'abord, ce n'est pas devant tout le monde parce que nous sommes seuls.
MEGGIE – Et ton père là ? Rassure-moi, il est vivant le père Renard, ou il est empaillé ?
HUBERT – Ah, c'est malin. Tu sais bien qu'il n'a plus toute sa tête. Enfin, que tu le veuilles ou non, Marguerite... c'est quand même ton vrai prénom.
MEGGIE (autoritaire) – Tu dois m'appeler Meggie, c'était convenu entre nous. C'est plus... plus... comment dire...
HUBERT – Plus snob !
GEORGES (insistant) – Bonjour Marguerite. Faudrait me chercher mon étoile que j'ai...
MEGGIE (coupant Georges et reprenant Hubert)– Plus moderne ! Si tu savais ce que mon vrai prénom évoque à ton imbécile d'Angèle ! Je peux t'assurer que sa culture cinématographique ne vole pas très haut. En l'occurrence, elle est au ras des pâquerettes ! (Elle réalise son lapsus.)
HUBERT – Au ras des pâquerettes, pour une Marguerite, je trouve ça plutôt marrant.
GEORGES (coquin) – Quand j'étais jeune, j'effeuillais des marguerites avec des filles. (Il mime.) Je t'aime... un peu... beaucoup...
MEGGIE (l'interrompant net) – Ah non, ça suffit, deux fois en un quart d'heure, je sature, ça frise l'overdose ! (Vexée, à Hubert qui sourit.) – Eh bien vas-y, rigole, donne-lui raison à ta bonniche.
HUBERT (élevant le ton) – Angèle n'est pas ma bonniche ! C'est elle qui nous a élevés, mon frère et moi, quand papa s'est retrouvé seul. C'est presque ma mère...
MEGGIE (ironique) – L'heure tourne et les premiers clients vont arriver. Tu as prévu leur servir quoi avec le sandre ? Une vinaigrette au citron ? Du Ketchup ou de la moutarde Amora ?
GEORGES (espiègle) – Maille ! (Ils le regardent, étonnés.)
MEGGIE et HUBERT (étonnés) – Maille ?
GEORGES (espiègle) – Oui, il n'y a que Maille qui m'aille !
HUBERT (désolé, s'apprêtant à partir) – Bon, j'y retourne.
MEGGIE – Pour le rater une quatrième fois ? Mais laisse-donc Jacques s'en occuper seul ? Ce n'est pas le travail d'un grand chef que de touiller les sauces que diable !
HUBERT (se mettant en colère) – Mais bien sûr que ce n'est pas mon travail, il y a quinze ans que je n'en ai pas fait de beurre blanc ! Alors comment veux-tu que je retrouve le coup de patte en cinq minutes, hein ?
GEORGES – Du foot ! Faut faire du foot mon gars pour avoir un bon coup de patte. T'as qu'à voir Zidane tiens ! En voilà un qui sait servir sur un plateau...
MEGGIE (à Hubert qui s'énerve) – Je t'en prie Hubert, reste calme. (Montrant les cuisines) Ce grand fainéant de Jacques ne peut pas le terminer ce satané beurre blanc ?
HUBERT – Eh bien non, ce grand fainéant de Jacques ne peut pas le terminer ce beurre blanc ! Et tu sais pourquoi ?
MEGGIE (un peu gênée) – Euh... non...
GEORGES (interrogatif,la regardant) – Vous ne savez pas ?
HUBERT – Tout simplement parce qu'il ne l'a jamais commencé ! Et sais-tu pourquoi il ne l'a jamais commencé mon beurre blanc, ce grand fainéant de Jacques ?
MEGGIE (même jeu) – Euh... non
GEORGES (joueur) – Vous donnez votre langue au chat alors ?
MEGGIE (voulant détendre l'atmosphère) – Il est parti pêcher le sandre en attendant !
HUBERT (irrité) – Oh que c'est drôle ! Marguerite, arrête de faire de l'esprit, s'il te plaît, ça ne te va pas du tout.
MEGGIE (voulant rectifier) – Meggie... appelle-moi Meggie...
GEORGES (essayant de comprendre) – Ah ben, votre prénom, c'est pas Marguerite alors ?
HUBERT (enfonçant le clou) – Marguerite ! Je t'appellerai Marguerite quand je voudrai... où je voudrai... et quand ça me fera plaisir !
GEORGES (content) – Ah ben si, c'est Marguerite ! Je ne comprenais plus rien moi.
MEGGIE (Se calmant.) - Bon alors Jacques, s'il n'est pas à la pêche, qu'est ce qu'il fait en ce moment ? Il est à la messe ? Il prie ?
GEORGES – Il prie pour lui tiens... le pauvre pêcheur !
HUBERT (à la limite de la colère) – A l'heure qu'il est, mon premier cuisinier est chez lui, en pleine déprime. Et tout cela parce que depuis trois semaines, (Il insiste fortement.) madame Marguerite ne lui lâche pas les baskets et ne cesse de l'agonir de reproches incessants.
MEGGIE (surprise) – Comment tu sais ça toi ?
GEORGES (levant les bras d'étonnement) – Je ne sais pas comment, mais en tout cas il le sait !
HUBERT (l'accusant de la main) – Alors c'est donc vrai, tu avoues ! (Il tourne, énervé, avec sa casserole à la main) Mais tu ne peux pas foutre la...