Acte I
Scène 1
Édith, Lucile, Ludovic (voix off)
Le rideau s’ouvre. Édith se trouve sur scène et est en train de donner un coup de balai dans la cuisine en sifflotant. Lucile, elle, arrive sur la petite scène avec un téléphone portable à l’oreille. Bruit de vibreur.
Édith, se dandinant comme si une bête grimpait sous ses vêtements. – Houu… hé hé hé… ça chatouille, c’t’affaire-là ! (Elle sort son téléphone et le regarde longuement avant de décrocher, peu à l’aise avec un smartphone. Elle parle très fort.) Oui, allô ! Édith à l’appareil !
Lucile, surprise, éloignant brusquement le téléphone de son oreille. – Woooh !
Édith, insistant. – Allô ? (Elle se déplace dans la pièce comme si elle cherchait du réseau.) Allô ? Y a quelqu’un au bout du fil ? (Au public.) Ben non, j’suis gourde, y a pu de fil, de nos jours, avec les martephönes ! Allô ?
Lucile. – Oui, bonjour, c’est Mme Lucile Dujoux. C’est moi qui ai effectué une réservation pour ce week-end dans votre gîte.
Édith, parlant toujours aussi fort. – Ah oui ! Ben justement, je suis en train d’mettre un dernier coup de balai avant votre arrivée !
Lucile, grimaçant. – Vous m’entendez bien ? Car j’ai l’impression que vous parlez très fort dans le téléphone… Parce que de mon côté, je vous entends trop… euh… très bien !
Édith, baissant légèrement le volume. – Ah ça ! C’est à cause que j’ai un souci avec mon sonotone. Oui, ça fait ça quand va y avoir de l’orage, j’ai remarqué.
Lucile, s’impatiente et vérifie derrière elle. – Oui, voilà, voilà… (Elle parle doucement pour que son mari n’entende pas.) Je vous téléphonais simplement pour vous rappeler que je ne serai pas présente à la remise des clés.
Édith, à elle-même. – Ah ! ben v’là aut’ chose ! Maintenant j’y entends rien plus ! (Elle se tape sur le sonotone.) Qu’est-ce vous dites ?
Lucile, qui ne veut pas trop hausser le ton. – Je disais que je ne serai pas là à la remise des clés, mes amis arriveront avant mon mari et moi, car je lui organise une surprise…
Édith. – Qu’est-ce vous dites ?
Lucile, vérifiant toujours derrière elle. – J’organise une surprise pour mon mari…
Édith. – Redites !
Lucile, articulant. – J’or-ga-nise une sur-prise à mon ma-ri pour ses quarante ans.
Édith. – Une quoi ?
Lucile, perdant patience, criant. – Une surprise !!!
Ludovic, off. – Tu m’as parlé ?
Lucile. – Moi ? Euh… non, non… ce doit être le… le chien ! (À elle-même.) Merde ! J’suis con, on n’a même pas de chien !
Édith. – Un chien ? Parce que vous emmenez des animaux, aussi ? Parce que moi j’ai une chatte qui est assez craintive, vous voyez…
Lucile. – Non, non, ne vous faites pas de souci pour votre ch… enfin, je veux dire qu’il n’y aura aucun animal… Seulement quatre hommes !
Édith. – Faut dire que ça perd ses poils, aussi, un homme ! (Elle rit.)
Lucile. – Oui, bref, tout ça pour dire que je ne serai pas sur place pour la remise des clés, c’est mes amis qui vont se charger de l’arrivée. Ils sont partis plus tôt afin de préparer la surprise d’anniversaire et ils devraient d’ailleurs arriver d’ici une petite heure à… (Lisant le contrat en même temps.) Saint-Pétrus-la-Motte.
Édith. – Eh ben, j’ai pu qu’à les attendre ici, donc.
Ludovic, off. – J’ai plus de slips propres ! T’en as lavé ?
Lucile. – Oui, dans la corbeille à linge !
Édith, regardant sa corbeille à linge en osier. – Quelle idée ! Et pas sûr que j’y passe dedans, baste !
Lucile. – Dans quoi ?
Ludovic, off. – Quoi, dans quoi ?
Lucile, à Ludo. – Mais non, rien… Sinon dans ton placard.
Édith, regardant le placard. – Ben vous en avez de bonnes, tiens ! J’vais pas rien les attendre dans mon placard !
Lucile. – Mais non ! Je m’adressais à mon mari…
Édith, étonnée. – Et vot’ mari, y vous attend dans son placard ?!
Lucile. – Laissez tomber ! Mon groupe d’amis devrait arriver d’ici moins d’une heure, et je vais vous donner le numéro de téléphone de l’une d’entre eux, Carole…
Édith. – Oh ! ben j’ai une p’tite nièce qui s’appelle Carole !
Lucile, qui désespère. – À la bonne heure ! C’est elle qui gère un peu toute la partie organisation. Le plus simple, c’est que je vous envoie son numéro de téléphone directement par message, comme ça, s’il y a quoi que ce soit, vous pourrez l’appeler.
Édith. – Ah ! ben oui, y a qu’à faire comme ça ! En plus, je sais bien y faire les testos.
Lucile. – Très bien, alors je vous dis à plus tard.
Édith, de nouveau fort. – À pu tard !
Lucile raccroche et sort.
Scène 2
Édith, Hubert
Hubert entre tandis qu’Édith est en train de raccrocher en ayant l’écran bien face à elle.
Hubert. – Et allez ! Encore le nez sur ton machin, là !
Édith, fort. – Déjà c’est pas un machin, c’est martephöne !
Hubert. – Qu’est-ce que t’as à brailler comme ça ? J’suis pas sourd !
Édith, réglant son appareil auditif. – C’est mon appareil qui déconne, ça le fait souvent quand il va y avoir de l’orage…
Hubert. – Il est comme toi : il déraille !
Édith. – Ah ! là, ça a l’air d’aller mieux ! Et pis, au fait, pour ta gouverne, j’étais au téléphone avec la dame qui nous a loué le gîte ce week-end.
Hubert. – Ah oui ! C’est ben une lubie, ça aussi ! Qu’est-ce t’avais besoin d’aller louer la maison de la mémé et de faire venir des étrangers ici ?
Édith. – Et que qu’tu voulais en faire de c’te baraque ? Des confitures ? Tu devrais plutôt me remercier : grâce à moi, la maison ne reste pas fermée, ça l’aère, et pis ça va nous rapporter des sous !
Hubert, bougonnant. – Des sous, pff… Et pis d’abord, elle ne reste pas fermée, j’te f’rai dire !
Édith. – Ah ! parce que quatre bonshommes qui boivent des canons attablés toute une journée dans une cuisine, t’appelles ça faire vivre une maison, toi ? (Hubert hausse les épaules.) D’ailleurs, heureusement que j’ai aéré toute la semaine, ça commençait à sentir le renard ici…
Hubert. – Eh ben, moi, p’t’être que je bois quelques p’tits canons avec les copains, mais toi, tu crois que c’est mieux toujours le nez sur ton machin, là ? (Il va pour se servir un verre de vin.)
Édith. – Ah non ! Tu vas pas me salir des verres avant l’arrivée des locataires !
Hubert, regarde un instant le verre puis boit directement au goulot. – Ça te va comme ça ?
Édith. – Tsss… N’empêche qu’il faudra bien t’y habituer, parce qu’avec toute la publicité que j’y fais sur l’Internet, eh ben ça va pas arrêter d’être loué, ici… (Comptant sur ses doigts.) Face-book, Nappe-chatte, Amstram-gram, TokTok…
Hubert, dans son dos. – C’est ben toi qui es franc toc-toc. (Il fait le geste.)
Édith. – Moi, j’vis avec mon temps.
Hubert. – Qu’est-ce qu’Yves Montant vient faire là-dedans ?!
Édith, lève les yeux au ciel. – J’veux t’dire que je suis dans l’vent, moi, monsieur, j’suis sur les réseaux sociaux !
Hubert. – Eh ben, moi, j’ai jamais aimé le social ! (Et il reboit à la bouteille.)
Édith. – Et maintenant que le gîte est sur Airbnb… (Prononcé maladroitement « ar-bi-ande-bi ».) ça va défiler ici !
Hubert. – Qu’est-ce tu baragouines ?
Édith. – Airbnb… (Prononcé « air-bi-ande-bi ».) ça veut dire Air bed and breakfast. (Très mal prononcé aussi : « ar beud ande breäque-fatse ».) C’est de l’anglais !
Hubert. – Parce que tu parles English… (Prononcé « an ».) toi, maintenant ? V’là aut’ chose !
Édith. – Parfaitement !
Hubert, bas. – Vaut mieux entendre ça qu’d’être sourd !
Édith, grattant son sonotone. – Qu’est-ce que tu baragouines ?
Hubert, se lève et se dirige vers la porte. – Allez, oui, j’en ai assez entendu, je m’en vais… (Soudain, Édith se met à se dandiner et rigoler comme si on la chatouillait. Bruit de vibreur. Il la dévisage.) Qu’est-ce que t’as ? T’as les vers ?
Édith, sortant son téléphone. – C’est mon martephöne, il est en mode vibromasseur ! (Elle le retire de sa poche.) C’est la locataire qui m’envoie un testo.
Hubert. – J’m’en vais, tu m’ennuies avec toutes tes sottises ! J’m’en vais voir la Marg’rite, elle est plus intéressante que toi. (Il commence à ouvrir la porte puis s’arrête.)
Édith. – C’est ça, retourne voir ta vache ! J’vais t’dire : ta bête à cornes, elle est p’t’être plus docile que moi, à la différence qu’elle, elle ne te lave pas tes culottes et tes chaussettes sales !
Hubert. – C’est bien vrai que vous êtes différentes, toutes les deux, même si au fond t’es ben une vraie peau de vache ! (Il sort.)
Édith, hausse les épaules et lève les yeux au ciel. – Moi j’vais enregistrer le numéro de la Carole au cas z’où. (La manœuvre va lui prendre un certain temps. Elle tire la langue en même temps qu’elle tape sur le téléphone et parle à haute voix.) Contacts… Ajouter… Nouveau contact…
Hubert, à travers l’encadrement de la fenêtre. – Et au fait…
Édith, sursautant et laissant échapper son téléphone. – Woouuu !
Hubert. – J’ai dû couper l’eau de la maison, ce matin. Je viendrai la remettre avant que tes zigotos n’arrivent. (Il part.)
Édith. – Ah ! ben j’te le conseille vivement, oui !
Hubert, revient dans l’encadrement de la fenêtre. – Et aussi…
Édith, même jeu. – Tu veux me faire calancher ou quoi ?
Hubert. – J’ai appelé le vétérinaire pour l’abcès de la Marg’rite. Il n’est pas là mais il m’a dit qu’il enverrait une remplaçante. Si elle vient ici, tu me l’envoies ! (Et il part… pour de bon !)
Édith. – J’peux pas, j’ai pas de timbre ! (Elle recommence sa manœuvre puis se retourne de temps à autre pour voir si Hubert ne revient pas.) Alors… Contacts… Ajouter… Nouveau contact… Carole… Voilà, c’est fait ! Maintenant, j’vais aller leur préparer le cadeau de bienvenue. (Elle sort avec sa corbeille de linge.)
Scène 3
Lucile, Edwige, Carole (voix off), Ludovic
Lucile arrive sur le devant de la petite scène et passe un coup de téléphone en regardant derrière elle comme pour s’assurer que son mari ne la voie pas.
Lucile, au téléphone. – Allô, Edwige ?
Edwige apparaît alors de derrière le rideau à l’opposé de la petite scène où se trouve Lucile. Elle a le téléphone à l’oreille et tient une cigarette dans l’autre main.
Edwige, se faisant passer pour un répondeur. – « Edwige est momentanément indisponible, car elle s’apprête à commettre un homicide. »
Lucile, moqueuse. – Ah ! c’est bon signe si tu veux tuer tout le monde ! C’est que tu es dans ton état normal !
Edwige. – Rigole pas. J’te jure, j’ai envie d’en finir. J’hésite encore entre la corde et le cyanure…
Lucile. – N’exagère pas ! Ce n’est pas la fin du monde, non plus, ce que je t’ai demandé.
Edwige. – Non, c’est vrai : c’est pire ! Quelle idée tu as eue de me coller dans la bagnole avec Carole, la maniaque de l’organisation ? Elle regarde sa montre toutes les cinq minutes pour vérifier qu’on soit dans le bon timing ! Même les pauses pipi sont chronométrées ! Elle a même fait un tableau Excel pour l’organisation du week-end… Un tableau Excel, Lucile !!! Elle me fait flipper…
Lucile. – Oui, en même temps, c’est pas nouveau…
Edwige. – Oui, mais ça s’intensifie avec l’âge ! Et Jean-Phi, son abruti de mari, s’est mis en mode Wikipédia : il commente toutes les régions par où on passe, les monuments qui ont été bâtis, l’origine du nom des villes, les personnages illustres, bla-bla-bla…
Lucile. – Il faut que je me prépare à endurer ça tout le week-end, alors…
Edwige, sarcastique. – On n’est jamais prêt face à ça, Lucile, jamais ! Et pour finir, mon D’Jé qui se fait harceler de coups de téléphone par sa meuf. Elle l’appelle toutes les cinq minutes ! « Et vous en êtes où ? Et tu fais quoi ? Bisous, mamour, je t’aime fort, bisous bisous partout… » J’te jure, je vais craquer.
Lucile. – Allez, tu tiens le bon bout, et puis ce n’est que trois heures de route…
Edwige. – Que trois heures ? C’est une blague ?! Trois heures, c’est interminable quand tu fais semblant de dormir pour ne pas participer à la conversation ! Enfin, quand je dis conversation… Un monologue historique, plus une énième relecture des notes de l’organisation du week-end, plus des dialogues incessants au téléphone !
Lucile. – Du calme, Edwige ! Je te rappelle que ce sont nos amis… et depuis le lycée, en plus ! (Edwige lève les yeux au ciel.) Mais promis, pour le retour, tu monteras dans la voiture avec nous.
Edwige. – J’espère au moins que le gîte que tu nous as dégoté sera top, pour oublier le reste…
Lucile. – Top, c’est peut-être pas le mot… (Cherchant comment minimiser l’annonce.) Rustique serait le terme le plus adéquat !
Edwige. – C’est bizarre comme ça sonne faux dans ta bouche…
Lucile. – Oui, eh bien, je m’y suis prise un peu tard dans les réservations, du coup il ne restait plus que ce gîte de dispo durant ce week-end-là, à moins de trois heures de route et dans le budget.
Edwige. – Ça promet !
Lucile. – Et au fait, vous êtes où ?
Edwige. – D’Jé devait changer le bébé, du coup on a dû faire une pause sur une aire d’autoroute.
Lucile, surprise. – Le bébé ?! Mais je croyais que Charlotte n’accouchait que dans deux mois !
Edwige. – Oui, oui, c’est ça, mais Charlotte a eu la bonne idée d’acheter un faux bébé à Jérôme pour qu’il s’entraîne avant l’arrivée du vrai bébé…
Lucile. – Mais non, tu déconnes ?!
Edwige, blasée. – Est-ce que tu penses sincèrement que là, tout de suite, j’ai envie de rire ? C’est comme une poupée sauf qu’il pleure quand il a faim, quand il a un pseudo-rot de coincé, quand il a fait pipi ou popo… Bref, un cauchemar ! On est quatre dans une voiture trois portes avec un siège auto pour bébé à l’arrière, entre D’Jé et moi. J’en peux plus, je vais craquer !
Lucile. – C’est vrai que vu sous cet angle…
Edwige. – Du coup, on a dû faire une pause pour que D’Jé change la couche, Carole est en surtension parce que ce n’était pas prévu à son planning, et moi j’en profite pour faire une pause clope avant que mes nerfs ne lâchent.
Lucile. – Quoi ? T’as rattaqué de fumer ?
Edwige. – La faute à qui ? C’est toi qui m’as embarquée dans ce traquenard. (Imitant Lucile.) « Allez, viens, ce sera super, ce week-end entre potes du lycée, on va s’amuser et puis on va faire les quarante ans surprise de Ludo, tu ne peux pas manquer ça, s’te plaît, s’te plaît, s’te plaît ! »
Lucile. – Et je maintiens qu’on va passer un super week-end. Tu verras, il sera mé-mo-rable ! J’espère juste que je ne ferai pas de boulette et que je ne gâcherai pas la surprise de Ludo, moi qui mens si mal…
Edwige. – Ah ! ça, je te le confirme ! Quand tu essaies de mentir, on dirait qu’il y a des panneaux qui clignotent au-dessus de ta tête avec inscrit : « Je mens ! Je mens ! »
Lucile. – Oui, eh bien, je ne considère pas ça non plus comme un défaut.
Edwige. – Mais comme un bon handicap, quand même !
Lucile. – Pas faux. N’empêche, quand je repense à cette histoire de bébé, heureusement que vous n’étiez pas cinq dans la voiture, sinon dans le coffre, le baby !
Edwige. – Surtout pas, malheureuse ! Le bébé est relié à une appli ; Charlotte peut suivre en temps et en heure tous les faits et gestes du bébé. C’est un peu pour ça qu’elle appelle D’Jé tout le temps.
Lucile. – Ah ouais ! D’accord ! Super angoissant, le truc… Ça ne lui réussit vraiment pas, à Charlotte, la grossesse !
Edwige. – C’est clair ! Heureusement qu’elle est alitée et qu’elle n’a pas pu venir ! Mais, tout à l’heure, tu as...