Barotto ou l’éternelle utopie

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Des souverains tyrannisent et maltraitent leur peuple par des moyens informatiques et de communications modernes. La reine spécule sur tout, elle s’en donne à cœur joie. Le roi aime la guerre et le sport. Subordonnés à cette dictature quelques ministres appelés commissaire les aident à gouverner. Dans leur prison, dépéri depuis 15 ans le dissident Barotto qui voulut instaurer une société plus juste.
De sa cellule, grâce à une utilisation intelligente des réseaux sociaux et à l’aide d’informaticiens audacieux et efficaces, il parvint à renverser les souverains et prendre leur place. Il réalise des réformes courageuses et risquées.
L’euphorie passée son ciel s’assombrit, sa santé décline, mais à la rencontre d’une poétesse, sa vision du monde change.
Ce nouveau souffle lui permettra-t-il de relancer sa politique et de réaliser son utopie ?

 

Acte I

 

Le décor est une salle de réception.

Au fond sur le mur, le drapeau du pays surmonté de ses armoiries.

Juste en dessous, sur une estrade, deux trônes monumentaux. Leurs accoudoirs sont ajustables et rétractables latéralement et en hauteur, ils contiennent chacun toute une série de commandes, de boutons et d’écrans tactiles.

De chaque côté des trônes, en plan coupé, deux pupitres avec micro incorporé et écrans, ils sont d’aspect moderne tandis que les trônes semblent d’un autre âge.

Des grands écrans plats sont accrochés en biais sur le mur du fond. À gauche un buffet massif du XIXe siècle. À droite, au fond, une entrée surveillée par un soldat au garde à vous, la tête droite, les yeux fixes. À gauche du drapeau, une fenêtre qui a été bouchée (murée). Au plafond un lustre monumental. Aucune lumière naturelle. 

Lors de l’ouverture des rideaux, le trône de gauche est déjà occupé par le roi qui tapote sur un portable. On dirait qu’il joue. Il est débraillé.

On entend une musique désuète inspirée des levés du roi.

 

Tableau premier.

 

Le script, entre, salue le roi de la tête qui ne lève pas les yeux et se place derrière le pupitre de gauche, y dépose un smartphone, allume les écrans géants sur lesquels apparaissent l’emblème de la nation, la musique s’atténue.

Au silence, la reine entre, souriante. Elle est habillée d’un chemisier et d’un jean qui la boudine un peu, elle est cependant élégante et va s’asseoir sur le trône de droite.

Chacun tapote sur son écran.

 

Le script, annonçant avec intensité : Sa sommité le commissaire à la spiritualité.

Un religieux habillé comme un pope entre, s’installe au pupitre regarde l’écran face à lui et entreprend un chant en une langue incompréhensible, puis se lance dans une prière. Les autres murmurent entre leurs lèvres tout en continuant à tapoter sur leur smartphone.

La musique s’estompe.

Le roi, avec mauvaise humeur, sans quitter des yeux son portable : Avez-vous une requête ou une sollicitation ?

CS, les yeux baissés : J’ai une information de la plus haute importance. J’ai reçu un courrier du père Crilion qui officie dans les communautés de la haute province du Schedall. Là-haut, d’ignobles mécréants colportent des insanités. Ils racontent aux paysans que le ciel est vide, que notre Seigneur bien aimé n’existe pas. Vous vous rendez compte ! Cette doctrine nauséabonde se répand sur les réseaux sociaux comme les éclairs du diable.

Je conçois et admets, qu’on accepte dans notre pays, dans une certaine mesure, d’autres religions, ce sont également des enfants de Dieu. Cependant, je ne peux tolérer ces impies, ces ignobles athées qui entraînent nos braves paysans dans la nuit des Géhennes.

Ils sont peu nombreux, c’est vrai. Mais ils sont organisés, efficaces à exhorter la naïveté du bas peuple, ils rependent des inepties, prêchent la mauvaise parole.

La reine, ironique : OH, je me souviens combien vous furent, en votre temps, organisé et efficace pour prêcher votre parole.

CS : La parole divine, ma fille, c’était la parole divine. (Joignant les mains.) Seigneur Dieu, pardonnez-nous nos offenses …

La reine : Peu importe, bonne ou mauvaise, divine ou pas, c’est la méthode que je n’apprécie pas.

CS : Voyons, c’est vous qui parlez de méthode.

La reine, menaçante : qu’insinues-tu ?

Le roi, levant les deux mains en signe d’apaisement : Taisez-vous, tous les deux, on ne peut pas se concentrer. (S’adressant au commissaire.) Qu’attends-tu de nous ?

CS, mal à l’aise : Je vous demande d’envoyer votre armée, afin de remettre ces brebis égarées sur le chemin de Dieu et d’éliminer la racaille. (Il s’énerve.) De pendre cette vermine.  (Il postillonne.) De les accrocher à des potences. (Il devient rouge.) de les jeter dans l’eau bouillante jusqu’à l’arrivée du diable….

Le roi, l’interrompant : Tu nous demandes d’entreprendre une croisade, une de plus. C’est NON !

La reine, ayant repris subitement son calme : Si je peux me permettre, j’ai quelque chose à vous proposer. Primo, pendez cet évêque ou ce curé qui me semble incapable, remplacez-le par un homme à poigne, un serviteur fidèle de notre cause et de notre seigneur. Maintenant, écoute plutôt : Je vais promulguer, je veux dire, nous allons promulguer une loi. (Elle se lève et marche de long en large. S’adresse au script.) Ecris script ! (Le script, qui ne cesse d’écrire sur le clavier, hoche la tête. La reine réfléchit les yeux au plafond l’index sur les lèvres.) Afin d’empêcher la propagation d’idées nauséabondes, souillant les religions…

CS : Les religions ? Notre religion !

La reine : Si vous voulez. Les religions. (Elle réfléchit.) Et afin d’endiguer la montée croissante de l’athéisme, moi, reine d’Amésie et chef du gouvernement, je déclare qu’il est interdit à toute personne de se moquer, de ridiculiser, de diffamer, de blasphémer les religions.

CS : Les religions ? Notre religion !

La reine, irritée : oui, si vous voulez. (Elle réfléchit.) De plus, seront punis gravement toutes les personnes qui propageront des idées athéistes, et qui s’adonneront à l’endoctrinement païen. (Elle regarde le roi.) C’est bien ça, non ?

Le roi, le visage concentré sur le smartphone : C’est une excellente idée ma chère, bien vu, bien pensé.

La reine, elle lui sourit sensuellement et s’adresse au commissaire sur un ton sec : Cela vous convient ?

CS : Oui mais. (Il hésite à parler.) Vous aurez quand même besoin de l’armée pour faire respecter votre loi.

La reine : Pas du tout. Nous allons utiliser le repérage sur internet et encourager la dénonciation, la diffamation. Voyez-vous ce que je veux dire ?

CS : Oui, oui. (Il hésite plusieurs secondes.) Vous allez remplir les prisons, alors ?

La reine, avec une ardeur étrange : Pas du tout. Ils seront utilisés comme esclaves de 6 mois à 5 ans selon la gravité de leur faute. On a besoin d’esclaves pour construire nos infrastructures. Comment croyez-vous que les Egyptiens ont bâti les pyramides, Hein ? certainement pas avec des ecclésiastiques (Elle s’arrête brusquement de parler, puis reprend sur un ton beaucoup plus agressif.) De toute façon cela ne vous regarde pas, vous sortez de votre domaine de compétence. Contentez-vous de me dire que vous êtes content de ma loi.

CS, timidement : Oui, très content. Je vous remercie.

La reine, triomphante : alors, vous pouvez disposer.

Le Commissaire à la spiritualité glisse sa tablette sous sa robe, la reine lance un regard moqueur sur son habit d’ecclésiastique et du doigt donne la parole au script.

Le script, ne cessant de pianoter sur le clavier incorporé dans le pupitre : Sa Sommité le commissaire aux places boursières.

 

Les mêmes plus CPB, moins CS

 

Pendant que le religieux sort à petits pas, entre un jeune homme élégant, habillé d’un costume cravate, habit contrastant avec le religieux et les souverains.

Le script, ne cessant de pianoter sur le clavier incorporé dans le pupitre, annonce : Le commissaire aux places boursières.

La reine, ne laissant pas le jeune homme s’installer derrière le pupitre : Qu’avons-nous à l’ordre du jour, cher ami ?

CPB, regardant doucement et principalement la reine, mais jetant de temps à autre des regards brefs sur le roi : Le budget vous sera présenté la semaine prochaine, mais je peux, dès aujourd’hui vous en exposer ses orientations, si vous le souhaitez.

La reine : Oui, faites, faites.  Mais soyez bref, ne nous assommez pas avec vos chiffres.

CPB, dresse la poitrine et prend son souffle : Comme vous me l’avez demandé, je me suis efforcé de poursuivre la politique de réduction de la dépense publique, estimée cette année à 38 % du PIB contre 41 % l’année dernière. L’objectif de ce budget est de répondre à une double urgence : économique et économique.

La norme de dépenses pilotables estimée serait de 82 milliards, soit une augmentation de 0,7 % par rapport à la loi de finances initiale et 0,065 % par rapport à la prévision d’exécution, tenant compte des économies qui seront réalisées en gestion et présentées dans le cadre du projet de loi de finances rectificatives. Celles-ci contribueront au financement d’une partie des mesures d’urgence économiques et économiques. (Il marque un temps d’arrêt pour souffler.)

Par contre, les recettes ne suffiront pas à faire glisser la charge de la dette sous les 0,5 %. Nous devrons faire des économies, je peux les réaliser au département des interventions sociales et dans une moindre mesure sur les dépenses du personnel.

La reine : synthétisez mon ami, synthétisez. Je voudrais vous parler de mon rêve.

Le roi lève les yeux et se replonge aussitôt sur son écran.

CBS : Afin de remplir nos caisses, je vais majorer…

La reine : … Nous savons cela, tu augmentes discrètement l’impôt indirect et baisses le direct ostentatoirement. J’aime cette belle mélodie.

CPB, souriant : Voilà, c’est exactement cela, aussi si vous le permettez…

La reine, ne cachant pas son empressement : Je ne vous permets pas, laissez-moi vous conter mon rêve.

CPB : Oui, madame.

La reine : Voilà, j’étais dans mon lit hier soir, j’écoutais une douce musique. (S’adresse au script.) Vous ne notez pas ce que je vais dire.

Le script : Mais madame, vous avez voulu que toute parole émise dans cette pièce soit enregistrée, je ne peux rien y faire, c’est automatique. Il faudrait modifier le logiciel et ça, ça prendrait du temps.

La reine: Soit. J’étais dans mon lit, j’écoutais une douce musique et buvais un verre de champagne lorsque je me suis endormie. (Le roi lève les sourcils.)

Je me suis retrouvée comme trader dans votre société, cher ami c’était rigolo, vous me donniez des conseils. J’ai rêvé que je réalisai un coup magistral sur l’action Derba, une société que vous connaissez bien, n’est-ce pas ?

CPB : Oui, j’y ai fait mes débuts comme actuaire. Ils m’ont viré parce qu’ils trouvaient mes tableaux de survie volontairement sous-évalués. Quelle bêtise. Voyez-vous ce que c’est la science actuarielle ?

La reine : Pas trop.

CPB : C’est la science qui consiste à remplacer toute une vie par sa valeur en argent, en monnaie sonnante et trébuchante.

La reine : Je décèle dans ta voix une certaine amertume, je me trompe ?  Au poste que tu occupes, il est souhaitable de se débarrasser de tout état d’âme.

CPB : Oui. Bien sûr, ne vous inquiétez pas.

La reine : Bien. J’ai donc rêvé que je réalisais sur l’action Derba un bénéfice de 9.000.000 $. Je vous explique comment j’y suis arrivée ?

CPB, tendu : Oui.

La reine : Pour faire baisser l’action de derba j’en ai vendu 500000, pas les miennes bien sûr, je ne suis pas idiote. Celles du sieur Vanderlacht. Un des actionnaires principaux. Que vous connaissez, je crois ?

CPB : Oui, c’est un homme d’affaires stupide et corrompu. D’une société américaine pour laquelle je travaillais. Il m’avait pris en grief pour des raisons de détournement de fonds, il a fait courir la rumeur sur les réseaux sociaux que je le harcelais sexuellement, vous imaginez, moi homosexuel ?

La reine, avec un sourire qui est plutôt une grimace : Non, je ne vous imagine pas vraiment homo. Mais revenons à mon rêve. L’action donc, est brusquement passée de 124 $ à 106 $ puis je les ai rachetés. Vanderlacht n’a rien vu, n’a rien su et moi j’ai empoché 9.000.0000 $ sans rien débourser.

CPB, flatteur : C’est un très beau rêve, madame, je vous félicite. L'entreprise va se retrouver en difficulté financière, devra mettre des gens au chômage et peut-être déposer le bilan.

Le roi lève les yeux vers le commissaire et se replonge aussitôt sur son écran.

La reine, tout sourire : Attendez, j’en ai fait un autre, il va vous plaire.

CPB, feint l’étonnement : Ah ? je vous écoute.

La reine : J’ai privatisé la société nationale de chemin de fer. J’ai acheté 1.000.000 actions à 7 $ lors de son entrée en bourse. Trois heures après, l’action se situait 12,5 $. J’ai tout vendu.

CPB : mais madame, celui-là vous ne l’avez pas rêvé, vous l’avez fait.

La reine, jouant l’idiote : Ah bon ? Pourquoi dites-vous ça ?

CPB : Je l’ai vu là. (Il pointe sa tablette.) Je l’ai vu ce matin.

Le roi lève les yeux en direction de la reine et du...

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