LE KOJIKI Demande à ceux qui dorment

Le texte est une adaptation libre et inspirée du récit fondateur de la religion Shintô, pour raconter l’éveil de la conscience face au mystère de la vie et du monde. Il est l’équivalent de la Bible ou du Mahabarata indien et met en scène le dieu Izanagi et la déesse Izanagi, le couple ayant donné naissance au monde.

Rencontre entre l’enfance et les divinités première du Japon, c’est une épopée qui, en prenant pour point de départ des questions que nous nous sommes tous posées, trace un chemin initiatique où adultes, enfants célèbrent ensemble l’énigme d’être au monde.

Une nuit, un enfant, dont la mère est absente, est visité par deux questions : « Comment tout a commencé ? » et « Pourquoi je suis moi-même ? ». Convaincu qu’il ne dormira plus s’il ne trouve les réponses, l’enfant va voir son père qui lui propose de remplacer son sommeil par une histoire ancienne narrant l’origine du monde : Le Kojiki…

Liste des personnages (6)

Un enfantIndifferent • Enfant/Age indifferent
Le pèreHomme • Age indifferent
La mère.Femme • Age indifferent
Izanagi divinité masculineHomme • Age indifferent
Izanami divinité féminineFemme • Age indifferent
differentes divinités japonaises :Ame no Minaka Nushi. L’enfant-feu. Le kami des larmes. Le kami du rocher. Différents kamis.Indifferent • Age indifferent

 

  1. Ce qui est arrivé dans le noir.

L’enfant.

(La lumière s’éteint.)

L’enfant : Comment tout a commencé?

Pourquoi tu es toi-même?

(Un temps.)

Comment tout a commencé?

Pourquoi tu es toi-même?

Dans le noir les autres enfants dorment mais moi je ne dors pas.

Je ne dormirai plus jamais. En un instant c’est arrivé.

La voix me l’a dit et je sais maintenant que c’est vrai.

C’est le soir et mon père est venu m’embrasser. Un baiser sur le front et un pour chaque joue. Il a éteint la lumière et le noir dans ma chambre, je l’appelle le noir des trois baisers. D'habitude ma mère elle vient aussi mais là elle est partie et je sais pas très bien quand elle va revenir.

Dans le noir des trois baisers, j’écoute les bruits dans le salon mais ce soir il n’y en a pas, alors je décide de battre mon record des yeux ouverts dans la nuit.

Mais à ce moment-là, le noir des trois baisers il s’est transformé. C’est devenu comme... le noir du fond de l’océan. Et au fond de l’océan, tout au fond, j’ai entendu une voix:

«Comment tout a commencé?

Pourquoi tu es toi-même?»

La voix est juste à côté de moi dans mon lit. Elle me parle doucement. Elle n’a pas l’air méchante. Je ne savais pas à ce moment-là qu'elle allait me voler mon sommeil. Je lui dis: d'où tu viens? Tu es fatiguée? Tu as faim? Mais elle répète ses questions, comme si elle ne m’entendait pas:

«Comment tout a commencé?

Pourquoi tu es toi-même?»

Je suis dans mon lit les yeux ouverts au fond de l’océan. Je réfléchis aux questions mais je ne trouve pas de réponse. Je ne sais pas. Je demanderai à mon père si tu veux demain.

«Comment tout a commencé?

Pourquoi tu es toi-même?»

La voix répétait sans arrêt les questions alors moi j’ai essayé de parler d’autre chose, de chanter, de raconter des blagues, j’ai même fait semblant de ne pas l’entendre mais ça n’a rien changé. Je me suis bouché les oreilles et puis j'en ai eu assez. Dis, à quoi ça sert de répéter des questions si on a pas les réponses?

Je ne les connais pas les réponses, je ne te les donnerai pas et puis je vais appeler mon père si tu n’arrêtes pas.

Là elle n’a plus rien dit. J’ai cru que c’était fini mais c’était toujours le noir du fond de l’océan dans ma chambre. Alors la voix elle est revenue encore plus près et elle a murmuré: "Alors tu ne dormiras plus. Tant que tu ne connaîtras pas les réponses, tes yeux resteront ouverts pour toujours."

Je ferme les yeux, mais c'est comme une mer où il n'y a plus d'eau.

Je suis devenu comme la mer où il n'y a plus d'eau.

Je n'ai plus une goutte de sommeil.

Je suis comme un désert sous le soleil.

Alors, le noir d'océan redevient le noir de ma chambre.

La voix a disparu et je ne dormirai plus.

Je suis réveillé. Peut-être que je suis réveillé pour toujours.

«Comment tout a commencé?

Pourquoi je suis moi-même?»

Je suis un enfant. J'ai un papa. Une maman.

J'ai deux questions. Aucune réponse.

Je vais à l'école. J'ai des joies et des peines. Je suis là, je suis bien réveillé et cette nuit, sans que j’ai rien fait, je suis devenu le seul être vivant sur cette terre qui ne dormira plus.

  1. Avant le ventre des mères.

Le père, l’enfant.

Le père : Il est tard. Tu devrais dormir.

L’enfant : Il y a des questions qui sont venues dans mon lit.

Et elles ont pris ma place.

Le père : Tu ne veux pas retourner te coucher?

Peut-être qu'elles s’en iront.

L’enfant : Non, elles ne s’en iront pas.

Le père : Pourquoi?

L’enfant : Elles ont volé mon sommeil.

Le père : Vraiment?

L’enfant : Oui. Je ne peux plus dormir.

(Un temps.)

Papa, je ne sais pas quoi faire.

Le père : Viens t’asseoir à côté de moi.

Elles disent quoi tes questions?

(L’enfant dit les questions à l'oreille du père.)

D’accord. Je vois.

Elles sont grandes tes questions.

Je comprends que tu ne dormes pas.

(Un temps.)

L’enfant : Et puis il y a aussi maman qui me manque.

Et le noir dans la chambre qui est tellement grand.

Le père : À ton âge, on n’a plus peur du noir.

L’enfant : J'ai pas dit que j’avais peur du noir.

Je ne le comprends pas. C’est pas pareil.

Le père : Oui, tu as raison.

L’enfant : Papa?

Le père : Oui?

L’enfant : Est-ce que tu connais les réponses à mes questions?

Le père : Non. Je ne crois pas.

L’enfant : Non?

Le père : C'est tes questions. C'est toi qu'elles sont venues voir.

Alors laisse les marcher à tes côtés. Et peut-être qu'avec du temps, elles t’emmèneront vers tes réponses. Tes réponses à toi.

Moi j’ai les miennes, mais elles ne marchent qu'avec moi.

Et puis ce sont des réponses d’adulte; sur toi, ça ferait comme un vêtement trop grand, ça ne marcherait pas.

L’enfant : Quand même, j'aimerais bien que tu me donnes un peu de tes réponses.

Le père : D’accord. Écoute, ce qui est important, ce n’est pas de dormir ou pas.

Ce qui est important, c'est ce qu'on fait avec ses questions.

Beaucoup de gens ne prennent pas le temps d’écouter vraiment ce que les questions ont à leur dire. Ça leur fait peur. Alors ils font semblant de savoir.

Mais à l’intérieur, les questions elles sont toujours là, elles attendent.

Et comme personne ne s'occupe d'elles, elles fanent lentement.

Et ça fait des gens tous pourris à l’intérieur.

Les questions c'est comme des fleurs. C'est ce que je me dis.

Il faut prendre soin d'elles, les laisser grandir, leur donner de l'eau, jusqu’à ce qu'elles fleurissent.

(Un temps.)

L’enfant : Papa, comment on va faire?

Le père : On n’a qu’à faire comme s’il ne s’était rien passé.

Tu vas dans ton lit et je te raconte une histoire, comme tous les soirs.

On fait comme d’habitude.

L’enfant : J'avais peur que tu ne me racontes plus d’histoires.

Parce que je ne peux plus dormir.

(Le père prend l’enfant dans ses bras.)

Le père : Allez, va dans ta chambre.

Il faut que l’histoire se raconte là où tes questions sont apparues.

Comme ça je la raconterai aussi pour elles.

L’enfant : Bon d'accord, j’y vais.

(L'enfant retourne dans sa chambre.)

Ça y est.

Le père : Je commence.

L’enfant : Attends.

Tu n’allumes pas la lumière?

Le père : Non.

L’histoire commence dans le noir.

Dans le noir de tes questions.

C’est une très vieille histoire.

Je l’ai lue il y a longtemps.

Je vais essayer de m’en souvenir.

Et ce dont je ne me souviens pas, je l’inventerai. D’accord?

L’enfant : Oui. Alors elle se passe où ton histoire?

Le père : Nulle part. Ou plutôt, là où commence mon histoire, il n’y a pas de différence entre nulle part et quelque part.

L’enfant : Ah bon?

Le père : Oui. Il faut remonter très en arrière pour trouver le commencement de cette histoire. Avant même le commencement du monde.

Quand mon histoire commence, le monde n'est pas né. Pas encore.

L’enfant : C'est comment le monde qui n'est pas né?

Le père : Eh bien, il faut imaginer un endroit sans nom, sans limites. C’est très calme.

Aujourd’hui, hier et demain, ça n’existe pas. Il n’y a pas de jour ou de nuit, pas de télé, pas de parcs ni de devoirs. La pluie le soleil la neige les étoiles les planètes les brins d'herbe et l’univers attendent le moment de leur naissance, mais là ils ne sont pas encore nés.

En fait on connaît tous cet endroit. Mais on l’a oublié.

Cet endroit, c'est celui où on était avant de naître.

L’enfant : Tu veux dire qu'on est dans le ventre d'une maman?

Le père : Non. On est avant le ventre.

L’enfant : Wouah!

Le père : Oui, peut-être qu’avant d’être dans le ventre d’une mère, on était quelque part, entre quelque part et nulle part, là où sont tous les enfants qui attendent leur naissance. Eh bien le monde, il en était là, et l’univers aussi.

Mais dans cet avant immense, dans ce grand rien, dans ce grand nulle part, aussi fou que cela paraisse, quelqu’un chantait.

  1. Le royaume des questions.

L’enfant, Ame no Minaka Nushi.

L’enfant : Papa? C'est toi qui chantes?

Il y a quelqu’un qui chante.

C’est toi?

Bonjour?

Pourquoi vous ne dites rien? C'est vous qui chantiez tout à l'heure?

Vous pouvez continuer!

Est-ce que je peux m’asseoir à côté de vous?

Ame no Minaka Nushi : Qu'est-ce que tu as dans tes mains?

L’enfant : Ben, rien.

Ame no Minaka Nushi : Alors, jette ce rien par terre.

L’enfant : Mes mains sont vides, je ne peux rien jeter.

Ame no Minaka Nushi : Alors emporte-le avec toi.

L’enfant : Vous êtes bizarre.

Ame no Minaka Nushi : BI-ZAR-RE!

(Un temps.)

...tu poses trop de questions!

L’enfant : Je n’ai rien dit!

Ame no Minaka Nushi : Dans ta tête, il y a trop de questions.

L’enfant : Je fais pas exprès. J’ai envie de savoir.

Où on est. Qui vous êtes. Comment vous vous appelez.

Ça vous arrive jamais à vous d'avoir des questions dans votre tête?

Ame no Minaka Nushi : Non.

L’enfant : Alors, vous connaissez les réponses!

Ame no Minaka Nushi : Non.

L’enfant : Vous êtes vraiment bizarre.

Ame no Minaka Nushi : BI-ZAR-RE!

(L’enfant reste silencieux. Un temps)

L’enfant : Est-ce que vous...

Ame no Minaka Nushi : (Fait un bruit de pet.)

L’enfant : Hein?

Ame no Minaka Nushi : (Même bruit.)

C’est le bruit que font tes questions.

Elles t’empêchent de voir.

L’enfant : De voir quoi?

Ame no Minaka Nushi : La méduse!

L’enfant : Je ne vois pas de méduse.

Ame no Minaka Nushi : Parce que tu ne sais pas regarder.

L’enfant : Vous pouvez m'apprendre?

Ame no Minaka Nushi : Rien à apprendre.

Enlève d'abord les questions de ta tête.

(Un temps.)

L’enfant : Bon d'accord. Plus de questions.

Je vais faire comme vous avez dit.

(L’enfant regarde autour de lui.)

Je vois rien.

C'est nul votre truc.

Je m’ennuie.

Ame no Minaka Nushi : C'est bien.

L’enfant : C'est nul, oui.

Ame no Minaka Nushi : Tête pleine tête vide efface tout.

Regarde avec tes yeux tous nus.

L’enfant : D’accord. Je regarde avec mes yeux tout nus.

(Un temps.)

Dites, c’est pas facile à faire les yeux tout nus.

Vraiment, c’est pas facile.

(Un...

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