Les oisillons
Prologue
Jésus : Je suis tout petit. Très rond. Avec un petit bec jaune. Je n’ai pas de plumes d’adulte, juste un petit duvet. Je suis au sommet d’un arbre tellement haut que je n’arrive pas à voir le sol. Mais je suis bien dans ce nid où je suis avec d’autres oisillons, qui me ressemblent sans me ressembler. C’est confortable. Tout-à-coup les oisillons commencent à me piquer. Ils sont nombreux, agressifs, ils me piquent et ils me poussent, ils me poussent tellement que je tombe ! Heureusement d’autres branches sont dessous et je tombe dans un autre nid. D’autres oisillons, qui ne ressemblent pas aux précédents, parce qu’ils ont un très long bec rouge, sont avec moi. Ils ont des yeux bizarres. Ils se disputent avec d’autres qui ont un tout petit bec bleu. Je avance entre eux, mais comme je n’arrive pas à prendre parti, ils se mettent à me piquer, à me pousser, à me piquer, et alors que je suis le plus costaud, c’est encore moi qui tombe. J’arrive dans un troisième nid. Plus bas. Je ne vois toujours pas le sol. J’ai peur. Les oiseaux avec moi ont l’air un peu plus placide, mais ils parlent une langue que je ne comprends pas. J’essaie de faire « piou piou piou piou », mais ils ne me comprennent pas. Ça les agace et ils finissent eux aussi par me piquer. Je tombe, je tombe, je ne vois toujours pas le sol, je tombe je tombe, et il n’y a plus de nid, plus personne.
Dali
Paris, 2020
Amit : Tu étais où ? On est en retard.
Jésus : Oui, pardon, je me suis trompé de métro.
Bureau de l’Aide sociale à l’enfance. Atmosphère fébrile.
Eva Salacrou : Je vais juste vérifier rapidement que les documents sont à jour : les certificats médicaux sont là, le rapport de l’enquête sociale et psychologique...
Amit : Là il y a l’attestation...
Eva Salacrou : Ça va Monsieur je sais faire mon travail. Là j’ai l’agrément à titre individuel que, Monsieur Hofman, vous avez obtenu il y a trois ans. C’est bien ça ?
Amit : Oui c’est ça.
Eva Salacrou : Suite à la dernière réunion du conseil de famille nous avons une proposition à vous faire. Il s’agit de Dali...
Amit : Dali ? C’est un enfant ?
Eva Salacrou : Oui, un enfant pupille de l’État.
Jésus : Quel âge a-t-il ?
Eva Salacrou : Il a 7 ans. Cela correspond à ce que vous avez indiqué dans votre dossier, non ?
Jésus et Amit : Oui oui bien sûr.
Jésus : Et il est d’accord pour avoir deux papas ?
Eva Salacrou : La demande d’adoption a été faite par Monsieur Hofman, je vous le rappelle. Bien sûr, puisque vous vivez en concubinage et que de ce fait, vous serez proche de l’enfant, votre accord pour l’agrément de Monsieur Hofman est nécessaire. Mais l’enfant n’aura officiellement qu’un papa. C’est assez clair ?
Amit : Oui.
Eva Salacrou : Quand Dali avait 5 ans, sa mère est morte sous les coups de son conjoint. Dali a donc été placé et n’a plus eu aucun contact avec le père. Il a un rapport très encourageant. Il a quelques troubles de l’apprentissage mais voit une orthophoniste et fait encore un peu d’énurésie.
Amit : Énurésie ?
Jésus : Pipi au lit, chéri.
Eva Salacrou : Dali est très affectueux. Jusqu’ici il n’a pas montré de signes de violence anormaux à l’égard de lui-même et des autres enfants. Il a une passion pour les oiseaux et malgré sa déficience auditive, il aime beaucoup la musique. Il manifeste parfois des terreurs nocturnes, mais pas de paralysie du sommeil, ce qui est rassurant. Même si Dali a un profil atypique avec donc un peu plus de difficultés à être adopté...
Jésus : Et comme nous aussi on a un profil « atypique », vous avez pensé à nous...
Et s’il refuse votre proposition... ?
Eva Salacrou : Comme vous le savez Mr Barsheshet, il y a très peu d’enfants adoptables. M. Hofman a choisi d’ouvrir sa demande aux enfants pupilles de l’Etat qui peuvent avoir plus de 5 ans. Nous avons retenu votre profil parce qu’il nous semble bien correspondre aux besoins de Dali. Prenez le temps de réfléchir mais ne tardez pas trop.
L’amour
Marrakech, 1890
Éphraïm est couché au sol, dans une étrange posture. Il prie, à sa manière. Arrivée de Efrat.
افرات : افرايم؟ افرايم؟ لاباس؟ مالك؟ افرايم؟
Efrat : Éphraïm ? Il ne bouge pas. Éphraïm ? Ça va ? Il ne bouge pas.
Elle regarde partout autour d’elle, effrayée. C’est pas possible !
Éphraïm !
Éphraïm grogne en faisant l’ours et lui saute dessus. Elle hurle. Elle le frappe.
هادشي مافيه الضحك! هادشي مافيه الضحك!
Ce n’est pas drôle ! Ce n’est pas drôle !
افرايم : راكي حسساسة بزاف!
Éphraïm : Tu es drôlement émotive !
افرات : نسحابك متي!
Efrat : J’ai cru que tu étais mort !
افرايم : نتيا ديما تسحابيني ميت!
Éphraïm : Tu crois toujours que je suis mort !
افرات : هادشي مافيه الضحك!
Efrat : Ce n’est pas drôle !
افرايم : مهم الانسان يعرف يبان ميت فهاد الحياة.
Éphraïm : C’est très important de savoir faire le mort dans la vie.
افرات : وعلاش؟
Efrat : Pourquoi ?
افرايم : باش يقدر يغيب. شويا.
Éphraïm : Ça permet de s’absenter. Un peu.
Elle s’assied près de lui. Ils restent un temps à ne rien dire. Mi-embarrassés mi-heureux d’être silencieux ensemble.
اش كاتشوفي؟
Qu’est-ce que tu regardes ?
افرات : الجلدة ديالك.
Efrat : Ta peau.
افرايم : ازكاي!
Éphraïm : Arrête !
افرات : دير يدك ,هنا.
Efrat : Mets ta main, là.
افرايم : زكاي.
Éphraïm : Arrête.
افرات : بلاتي نشوف. هادشي تيغلاض!
Efrat : Attends. Elle met sa main dans son slip. Oh ! Elle rit. Ça gonfle !
افرايم : لهبيلة الاخرى! كاي ضحكك هادشي؟!
Éphraïm : Idiote ! Tu crois que c’est drôle ?!
افرات : شدّني! شوف شوية! هنايا لا اجي من هنا! بوسني! اح هاكا!
Efrat : Attrape-moi un peu ! Regarde un peu ! Là plutôt là ! Embrasse-moi ! Oui comme ça !
Efrat et Ephraïm se relèvent. On y voit à peine.
Ils se rassoient dans la même position que précédemment et restent silencieux comme si de rien n’était.
افرايم : نقدرو نتزوجو.
Éphraïm grave : On pourrait se marier.
افرات : اماك عمرها مغاديا تقبل.
Efrat sèche : Ta mère ne voudra jamais.
افرايم : افرات, خاصني نهاجر.
Éphraïm : Efrat, j’ai besoin de partir.
افرات : علاش؟
Efrat : Pourquoi ?
افرايم : ماعرفت فين. كاينة شي حاجة تاتعيط علي.
Éphraïm : Je n’en sais rien. Il y a quelque chose qui m’appelle.
افرات :...