Perfusions et belles canines

Genres :
Thèmes : · ·
Distribution :
Durée :

Une famille de vampires, harcelée par les huissiers, doit trouver un
moyen de subsistance afin d’échapper à la vigilance tatillonne de l’Administration. Ils
décident de monter une association afin de subvenir à leurs besoins… Tout don, en
liquide ou en nature, sera accepté !…

À l’ouverture du rideau, un cercueil monté sur des tréteaux au centre de la scène.

Igor von Kostembach le patriarche, que nous appellerons Igor par commodité, dort dans son cercueil. Zabor tourne le dos au public en fond de scène et semble pleurer (il est secoué de spasmes). Une horloge à balancier sonne deux heures.

 

IGOR (hélant, laissant émerger une main de son cercueil) - Holà ! Je suis réveillé ! Aidez-moi à sortir, nom d’une pipe !

 

ZABOR (sursaute puis se retourne un shaker à la main, car il se prépare un cocktail) - Vous pourriez prévenir avant de hurler, j’ai failli renverser mon Bloody-Mary !

 

IGOR (se redressant de façon à être assis) - Crétin ! Évidemment, la prochaine fois, je dirai : attention, je vais parler ! Appelle ton fils, je veux sortir de ma couche !

 

ZABOR - Cette manie aussi de dormir dans votre cercueil !

 

IGOR - Je reste attaché aux traditions ! Je ne me laisse pas aller comme vous tous à dormir dans un lit, tel un simple mortel ! Appelle Sascha et sortez-moi de là !

 

ZABOR - Inutile, le voilà.

 

SASCHA (apparaît, la mèche en bataille, visiblement tout juste réveillé) - C’est quoi ce barouf encore ? Y’a pas moyen de dormir dans cette baraque !

 

ZABOR - Il est deux heures du matin passé, tu ne vas pas dormir toute la nuit non plus ! Si tu ne faisais pas la fête à longueur de journée ! Allez ! Aide-moi à descendre grand père. (Il pose son shaker sur la desserte.) Mais où va-t-il ?

 

SASCHA (sortant et revenant avec un pieu et un maillet) - J’vois pas l’intérêt, il est déjà clamsé.

 

ZABOR - Sascha ! Espèce d’idiot ! Allez ! Aide-moi à sortir grand père de là !

 

SASCHA (se débarrassant du maillet et du pieu) - Je m’disais aussi ! (Hilare.) Tu sais que les humains trouvent que la meilleure façon de mourir, c’est au pieu ?

(Ils déposent le cercueil et son contenu à terre.)

 

ZABOR - Les humains sont des friandises dépourvues de cervelle !

 

IGOR (Sortant de son cercueil et s’étirant) - Ah ! Ça fait du bien de se lever ! Les grasses nuits, ce n’est pas mon truc ! (Regardant autour de lui). Mes dents ? Où sont mes dents ?

 

ZABOR (prenant un verre sur la desserte où trempe un dentier de vampire, il le présente à son père. Dans l’autre main, il a récupéré son shaker) - Voilà père. Mais franchement vous devriez essayer l’intraveineuse, c’est beaucoup moins salissant.

 

IGOR - J’aime les plaisirs simples. Je n’ai pas besoin d’accessoires pour saigner un quidam !

 

DRUSELLA (surgissant l’air anxieux et brandissant une lettre) - Ah ! Zabor, tu es là ? Encore un huissier !

 

ZABOR - Encore ?

 

IGOR (froidement) - On n’a qu’à procéder comme d’habitude.

 

SASCHA - Berk ! J’aime pas les huissiers !

 

ZABOR - C’est vrai, ils ont un goût de rance... (Là-dessus, il boit son Bloody Mary.)

 

DRUSELLA - ...Oui, avec un petit quelque chose d’aigre en fin de bouche.

 

La sonnette retentit avec une sonorité lugubre.

 

IGOR - Tiens ? On sonne… Vous attendez du monde ? Car moi, je n’ai invité personne.

 

DRUSELLA - Non. C’est curieux…

 

ZABOR - Pas moyen d’être tranquille !

 

SASCHA (se dirigeant vers la porte) - Je vais voir. (Il revient en compagnie de l’huissier.) C’est un Maître qui veut prendre des mesures ou chais pas quoi !

 

L’HUISSIER (intervenant sur un ton pète-sec) - Maître Duverney ! (Il tient un document à la main.)

 

IGOR (approchant guilleret) - Tiens, un aristocrate ? Nous voilà enfin en compagnie de qualité !

 

L’HUISSIER - Duverney en un seul mot !

 

IGOR (tournant le dos déçu) - C’était trop laid !... On ne pourrait pas avoir de mauvaises nouvelles pour noircir un peu notre existence ?

 

L’HUISSIER (surpris) - Qu’est-ce qu’il raconte ?

 

DRUSELLA - Eh bien, Monsieur Duverney, que voulez-vous mesurer au juste ?

 

L’HUISSIER (la reprenant) - Maître Duverney !

 

ZABOR (s’adressant à l’huissier de façon hautaine) - Vous êtes bien gentil, mais le maître de céans, c’est moi !

 

L’HUISSIER (surpris et consultant son document) - Ah bon ? Vous n’êtes pas monsieur von Kostembach ?

 

ZABOR (insistant sur le mot « comte ») - Si fait ! Je suis le comte Zabor von Kostembach !

 

L’HUISSIER - Je préfère cela ! Cela m’aurait ennuyé de réveiller des gens en pleine nuit sans raison !

 

IGOR (haussant les épaules avec mépris) - Comme si on dormait en peine nuit !

 

L’HUISSIER - Vous avez dû recevoir ma grosse…

 

DRUSELLA (suspicieuse) - Une grosse ? Quelle grosse ? Zabor, tu reçois des grosses en douce ?

 

ZABOR - Mais non, voyons ! Je ne sais pas ce qu’il entend par là !

 

SASCHA (s’adressant à l’huissier) - Si vous voulez parler de votre femme, elle a dû s’égarer car on ne l’a pas vue !

 

L’HUISSIER - Ma femme ? Qu’est-ce qu’elle vient faire dans cette histoire ?

 

SASCHA - On ne sait pas ! C’est vous qui nous avez parlé d’une grosse : on en a déduit que c’était peut-être votre femme…

 

L’HUISSIER - Ma femme n’est pas grosse !

 

DRUSELLA - Ce n’est pas ce que vous disiez tout à l’heure !

 

L’HUISSIER - Je n’ai jamais dit que ma femme était grosse ! De toute façon à l’heure qu’il est, elle doit dormir, ma femme.

 

SASCHA (s’esclaffant) - Elle en écrase !

 

DRUSELLA (choquée) - Votre épouse dort encore à cette heure-ci ? C’est indécent ! À défaut d’être insomniaque !

 

L’HUISSIER - Pas du tout ! Ma femme a un excellent sommeil !

 

ZABOR - Bon, écoutez : vous êtes bien gentil, vous commencez à nous ennuyer avec votre femme !

 

L’HUISSIER - Je ne suis pas venu vous parler de ma femme !

 

DRUSELLA - Vous n’arrêtez pas depuis que vous êtes entré !

 

IGOR - C’est vrai : vous faites une véritable fixation sur votre femme ! On s’en contrefout de votre femme figurez-vous ! Si encore il s’agissait d’une marquise !

 

L’HUISSIER - Bon, écoutez : ne cherchez pas à noyer le poisson ! J’en ai vu d’autres !

 

SASCHA - D’autres quoi ?

 

L’HUISSIER - D’autres gens comme vous !

 

DRUSELLA (intriguée) - Qu’entendez-vous par là ?

 

L’HUISSIER - Des gens criblés de dettes et qu’il faut que je saigne.

 

SASCHA (intéressé) - Ah ? Parce que vous en êtes ?

 

L’HUISSIER (avec un mouvement de recul) - Comment cela : « j’en suis » ?

 

SASCHA - Ben, un vampire, tiens ! Pas de la jaquette !

 

L’HUISSIER - On me traite souvent de vampire, en effet, mais cela me laisse froid !

 

Tous éclatent de rire sauf l’huissier qui est très surpris.

 

ZABOR - Nous aussi, nous sommes froids ! HA ! HA ! HA !

 

IGOR (s’approchant à nouveau de l’huissier avec sympathie) - Ah ! Cela faisait une éternité que nous avions rencontré l’un des nôtres ! Que ne le disiez-vous plus tôt ? Alors ? D’où venez-vous, dites-moi ? (Tapant amicalement l’épaule de l’huissier, puis avec un mouvement de surprise.) Mais ? Il est tout chaud !

 

L’HUISSIER (décontenancé) - Comment cela ? (se méprenant, en se touchant le front avec inquiétude.) Vous croyez que j’ai de la fièvre ?

 

SASCHA (s’approchant à son tour de façon équivoque) - Mais oui ! C’est vrai ça qu’il est chaud !

 

DRUSELLA (se rapprochant à son tour de façon voluptueuse) - Hmmmm ! Mais alors ? S’il est chaud (elle chuinte le « chaud ») c’est donc un homme !

 

ZABOR - Ah ? Mais cela change tout !

 

L’HUISSIER (repoussant les vampires pour avoir de l’air, agacé) - Evidemment que je suis un homme ! Et je ne vois pas ce que ça change ! Je ne suis pas un rendez-vous galant, je serais plutôt un rendez-vous d’affaires, voyez-vous ?

 

IGOR (d’un air gourmand, en regardant l’huissier) - Je ne sais pas de qui ça vient, mais c’est une bonne idée la livraison de nourriture à domicile !

 

L’HUISSIER (outré) - Je ne suis pas livreur ! Je suis ici pour une saisie ! (Il arpente la pièce et commence un inventaire.) Voyons… Voici un buffet Louis XV de belle facture… (Les autres le suivent avec concupiscence.) Ce fauteuil baroque ne manque pas d’intérêt non plus…

 

DRUSELLA (attirant l’huissier en coulisses) - Venez dans le vestibule, il y une console en bois dorée qui vous intéressera sûrement !... (Les autres vampires restés en scène manifestent silencieusement leur dépit.)

 

L’HUISSIER (en off) - Très jolie console du dix-huitième !... D’époque ! (Un temps.) Aïe !

 

DRUSELLA (revenant, suivie de l’huissier qui se tient le cou. A son mari) - Roboratif, mais insipide !

 

L’HUISSIER - Dites donc, il y a des araignées drôlement virulentes chez vous !

 

ZABOR (attirant l’huissier vers l’autre côté des coulisses) - Allons donc ! Vous vous serez griffé ! Venez par ici : un petit Rembrandt assombrit affreusement un coin de notre chambre…

 

L’HUISSIER (sortant, enthousiaste) - Un Rembrandt ? Diable !

 

ZABOR (en off) - Diable oui !

 

L’HUISSIER (enthousiaste en off) - Merveilleuse eau forte ! Une variante des « Trois chaumières » que je ne soupçonnais pas ! (Un temps.) Aïe ! Décidément ! Sales bêtes !

 

ZABOR (revenant, suivi de l’huissier dont le col est encore plus ouvert et qui se tient toujours le cou, mais à l’opposé. Zabor range sa seringue dans sa poche) - Tu as raison Drusella : franchement...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Connectez vous pour lire la fin de ce texte gratuitement.



Retour en haut
Retour haut de page