Création
Dieu (off), Adam - Durée : 4 minutes
L’action se déroule au Jardin d’Éden. Décor de végétation, un pommier en fond de scène, deux rochers au premier plan. Les acteurs sont nus (vêtus de collants couleur chair).
Musique douce (Indication : thème de « Bonne nuit les petits »).
Adam dort, allongé au sol.
DIEU, appelle. ― Adam !... (Adam ne bouge pas. Plus fort.) Adam !
ADAM, remue, s’étire. ― Mmmmmh !...
DIEU ― Adam !
ADAM, s’éveille en sursaut. ― Hein ! Quoi ?
DIEU ― Lève-toi et marche !
ADAM, se lève d’un bond, paniqué. ― Qu’y a-t-il ?
DIEU ― Ah ! Enfin debout ! Tu as vu l’heure qu’il est ?
ADAM, interloqué. ― L’heure ?
DIEU ― Non, je rigole. L’heure n’a pas encore été inventée.
ADAM, cherche du regard l’origine de la voix. ― Qui me parle ?
DIEU ― Moi, Dieu !
ADAM ― Qui ça ?
DIEU ― Je suis Dieu, je suis ton créateur… (Réaction hébétée d’Adam.) Je suis ton Père.
ADAM ― Ah !... Bonjour papa.
DIEU ― Appelle-moi Père, ou Dieu, ou l’Eternel, ou…
ADAM, baille. ― Père, ça ira bien… Où es-tu, Père ? Je ne te vois pas.
DIEU ― Tu ne peux pas me voir. Je suis omniprésent, je suis dans les arbres, dans les pierres, dans les cours d’eau… Je suis en toi, Adam. Je suis en tout.
ADAM, impressionné. ― Eh ben !... Ça fait flipper.
DIEU ― Ça doit te rassurer, au contraire. Je suis là pour t’aimer, pour t’aider, te conseiller, t’encourager… Je suis ton Père et je ne veux que ton bien.
ADAM ― Super !
DIEU ― Bon. Sinon, comment te sens-tu ?
ADAM ― Bien, bien… J’ai un petit creux, là… (Il montre son ventre.)
DIEU ― Tu as faim, c’est bon signe. Tu trouveras à manger dans mon Jardin d’Éden. Tout est comestible, tout est bon, régale-toi.
ADAM ― Ton Jardin d’Éden ? Qu’est-ce que c’est ?
DIEU ― L’endroit où tu te trouves. C’est un coin de Paradis, je l’ai créé pour toi.
ADAM, regarde les rochers qui sont les objets les plus proches de lui. ― Je peux tout manger ?
DIEU ― Tout ce qui est tendre, oui. Évite les cailloux.
ADAM, tapote le rocher. ― Ah, oui, c’est dur !... Ça sert à quoi si ça ne se mange pas ?
DIEU ― Euh !... À faire joli.
ADAM ― C’est de la déco, quoi !
DIEU ― Oui. C’est le Paradis. Le Paradis doit être beau. Tu ne trouves pas ça beau ?
ADAM ― Si, si… Et pour manger, alors ?
DIEU ― Promène-toi, cherche autour de toi. Tu trouveras des fruits, des fleurs, des champignons… Tu trouveras aussi et surtout l’arbre de la vie. Tu peux te nourrir de ses fruits et même en abuser. Ils te donneront la vie éternelle.
ADAM ― Il y a du café ?
DIEU ― Du café ?
ADAM ― Oui, ça m’est venu comme ça, je ne sais pas ce que c’est mais d’un coup j’ai eu une envie de café. J’ai même senti l’odeur. C’est bizarre, non ?
DIEU ― C’est bizarre en effet. Mais si tu cherches, tu trouveras certainement. Je ne peux pas tout faire à ta place. Le Jardin t’appartient. À toi de jouer maintenant.
ADAM ― Jouer ! J’aime ce mot là : jouer.
DIEU ― Alors, tu peux y aller.
ADAM ― Où ça ?
DIEU ― Eh bien, chercher à te nourrir !
ADAM ― Ah, oui !... Mais je suis un peu fatigué, là.
DIEU ― Comment ça, fatigué ! Tu viens tout juste de naître et tu es déjà fatigué ?
ADAM ― J’ai mal dormi… J’ai fait un drôle de rêve.
DIEU ― Un rêve ? À peine venu au monde ? Tu m’étonnes !
ADAM ― Peut-être même un cauchemar.
DIEU ― Le Paradis ne peut pas engendrer de cauchemars. Raconte !
ADAM ― J’étais dans la terre… Non, dans la poussière… Non, j’ÉTAIS la poussière… Je n’étais que poussière, partout. Je n’avais pas de contour, pas d’yeux, pas de bouche… je n’étais rien que poussière. Et pourtant j’avais une conscience. Je percevais une force qui me manipulait, me malaxait, me triturait… Ça a duré longtemps, je ne sais pas combien de temps car je n’ai pas de notion du temps… Et puis, j’ai entendu mon nom. Je ne connaissais pas mon nom, mais j’ai su que c’était mon nom : Adam. (Il crie.) Adam !... Et je me suis réveillé.
DIEU ― Ce n’est pas un rêve, mais la réalité. C’est moi qui t’ai créé ainsi.
ADAM ― Avec de la poussière ?
DIEU ― Appelle ça de la poussière si tu veux, pour simplifier.
ADAM ― J’ai du mal à comprendre.
DIEU ― C’est normal, tu as tout à découvrir.
ADAM ― J’ai du mal à comprendre aussi comment les mots me viennent. Ce mot : poussière… ou encore café, ou cauchemar, ou… fruit, fleur, arbre, terre, caillou, chou, hibou, bijou, toutou, biniou, pilou-pilou, caramel mou…
DIEU ― Arrête !... C’est moi qui l’ai voulu ainsi, ça doit te suffire. Pour l’instant, en tous cas.
ADAM ― Ça vient tout seul. Comment je respire, pourquoi je sens des odeurs (Il renifle ostensiblement.), pourquoi je marche ? (Il fait quelques pas, donne un coup de pied à un rocher.) Aie ! Et pourquoi j’ai mal ?
DIEU ― Tu te poses beaucoup trop de questions pour un nouveau-né.
ADAM ― Excuse-moi, Père.
DIEU ― Ne t’excuse pas. C’est moi qui t’ai créé curieux. Pour l’heure, va donc te dégourdir les jambes, découvrir le Jardin sublime qui t’entoure. Là, tu trouveras des réponses à tes questionnements, et les mots qui s’accordent à toutes ces choses encore inconnues pour toi. (Adam reste immobile.) Va ! C’est un ordre.
ADAM ― Oui, papa. Pardon... Oui, Père. (Il sort, un peu penaud.)
DIEU, soupire. ― Ouf ! Pas facile d’être Père.
NOIR
La découverte
Dieu (off), Adam - Durée : 5 minutes
Adam entre en courant, enthousiaste. Il tient dans sa main une belle grappe de raisin.
ADAM, appelle. ― Père ! Ô mon Père !
DIEU ― Oui, Adam. Je suis là.
ADAM ― Regarde ce que j’ai trouvé. (Il élève la grappe à bout de bras.)
DIEU ― Oui mon enfant, c’est du raisin.
ADAM ― Et c’est bon ! Si tu savais comme c’est bon !
DIEU ― Je le sais, Adam. Je l’ai créé pour toi, ce raisin.
ADAM ― Merci, Père. J’adore ! Et il y en a plein.
DIEU ― Il y a beaucoup d’autres fruits aussi merveilleux.
ADAM ― Ouiii ! J’y retourne. (Il sort en courant.)
DIEU ― Quel enfant ! Quel plaisir de le voir s’extasier à chaque découverte. Je ne regrette pas de l’avoir créé. Un Paradis sans Homme, c’est comme un piano sans pianiste, ou une boule à neige sans personne pour la secouer, ou un vélo sans pédales, ou une valise sans poignée, ou… mais je m’égare…
ADAM, entre en trombe. ― Père ! Père !
DIEU ― Oui. Ne crie pas, Adam. Je ne suis pas sourd.
ADAM ― Regarde ! (Il présente une banane.) C’est une banane !
DIEU ― Oui. Elle est belle.
ADAM ― Il faut l’éplucher avant de la manger. (Il épluche consciencieusement sa banane.) La peau, c’est pas terrible. C’est mangeable mais c’est pas terrible. (Il mord dans la banane. En mâchant :) La pulpe est délichieuse.
DIEU ― Oui. J’ai dû envelopper les fruits d’une peau afin qu’ils se conservent au mieux, et les plus tendres ont une peau épaisse qu’il faut évidemment ôter avant de consommer.
ADAM, mâchant. ― Ch’avais compris. (Il repart en courant.)
DIEU ― Bien… Où en étais-je ?... Le Paradis… et l’Homme. À quoi bon un Paradis si personne n’en profite ? J’aurais pu y loger les Anges. Mais ils ont déjà le ciel, les nuages, les planètes s’ils le souhaitent… Les Anges ne sont pas curieux. Une harpe, une flûte, une simple guimbarde suffit à leur béatitude. Ils n’auraient pas su quoi faire du Paradis et ils se seraient pris les ailes dans les branches des arbres…
ADAM, entre de nouveau en criant. ― Pèèèère !
DIEU ― Adam ! Je t’ai déjà dit de ne pas hurler.
ADAM, fort. ― Oui, Père ! Regarde ! (Il tient un lapin.)
DIEU ― Qu’est-ce que c’est que ça ?
ADAM ― Un lapin !
DIEU ― Ah, oui, c’est vrai ! J’ai créé tellement de choses et de bêtes, je ne me souviens pas de tout. De plus, je t’autorise à les baptiser du nom qu’il te plaira : lapin, pralin, sanglin, croquedent…
ADAM ― Non, non, lapin c’est bien. (Il entonne la chanson « Un lapin[1] ».) Ce matin, un lapin… Euh ! J’ai pas la suite… Ça se mange, un lapin ?
DIEU ― Adam ! Enfin ! Tu es au Paradis. Il y a tellement d’autres choses à manger, tu ne vas pas tuer un lapin pour le manger !
ADAM ― Tuer ? C’est quoi ?
DIEU ― Lui ôter la vie. On ne tue pas, ici. On est respectueux de la vie.
ADAM ― Ah, bon. Ça sert à quoi, un lapin ?
DIEU ― C’est mignon, un lapin. On le caresse, on le cajole, on joue avec…
ADAM ― Ok ! C’est de la déco.
DIEU ― Si tu veux…
ADAM ― C’est de la déco quil fait des crottes.
DIEU ― Toi aussi tu fais des crottes.
ADAM ― Ah, non !
DIEU ― Ça va venir. Mange encore quelques fruits.
ADAM ― J’ai goûté une crotte du lapin, c’est encore moins bon que la peau de banane.
DIEU, soupire. ― Pfff ! Quand je t’ai dit que tout était bon, c’était une image. Tu ne dois pas manger n’importe quoi. Et l’arbre de la vie ? Tu as trouvé l’arbre de la vie ?
ADAM ― Celui avec de gros fruits rouges, oui ! (Il désigne le pommier en fond de scène.)
DIEU ― Ce sont des pommes.
ADAM, sur l’air de la 5ème symphonie de Beethoven. ― Pom pom pom pom… J’ai une de ces patates quand je mange des pommes !
DIEU ― C’est fait pour… Tu trouveras toutes sortes d’autres fruits, mais aussi des légumes, des racines, des noix, des amandes, du miel… Ne crains pas les abeilles, elles ne piquent pas…
ADAM ― D’accord ! Je repars. (Il sort en courant.)
DIEU ― Il est insatiable. Ça me change des Anges installés pour l’éternité sur leur petit nuage... Et si… s’il jouait d’un instrument lui aussi. Cela calmerait sans doute son hyperactivité… Je vais lui envoyer une flûte. On va bien voir. Hop là !...
ADAM, revient aussitôt, toujours courant. ― Pèèèère !
DIEU, lassé. ― Ne crie pas, s’il te plait.
ADAM ― J’ai trouvé ça. (Il tient une flûte.) En fait, je ne l’ai pas trouvée, je l’ai reçue sur la tête.
DIEU ― C’est moi qui te l’ai envoyée. Tu aimes la musique ?
ADAM ― Je ne sais pas.
DIEU ― Cet instrument est une flûte. Pose tes lèvres sur l’embouchure. (Adam s’exécute.) De l’autre côté. (Adam tourne la flûte.) Voilà ! Tu souffles dedans pendant que tes doigts ouvrent et bouchent les trous qui se trouvent dessus.
Adam joue. Il sort de l’instrument une cacophonie épouvantable. Pourtant, il a l’air d’apprécier. Il danse même en jouant. Un moment, puis :
DIEU ― Ça va ! Ça va ! Ça suffit !
ADAM, s’arrête. ― C’est chouette, hein ?
DIEU ― On va dire ça, oui. Pour un début, c’est pas mal.
ADAM ― Je vais apprendre.
DIEU ― Bonne idée. Mais pas maintenant…
ADAM ― J’aurais préféré une guitare.
DIEU ― Une guitare ?
ADAM ― Oui, tu sais cet instrument avec un manche et des cordes. Tu pourrais m’envoyer ça ?... S’il te plait, Père.
DIEU ― Euh !... Oui… J’ai une idée. On va jouer. Je vais cacher une guitare dans le Jardin et tu vas la chercher. D’accord ?
ADAM ― Ouiii ! Super !
DIEU ― Ça y est, c’est fait.
ADAM ― Quoi ?
DIEU ― J’ai caché la guitare. Tu peux aller la chercher.
ADAM ― Déjà ! C’est rapide. Merci, Père. (Il sort en courant, revient aussitôt.) Père !
DIEU ― Quoi encore ?
ADAM ― Je pourrais avoir un ballon, aussi ?
DIEU ― Un ballon ?
ADAM ― Oui. Tu sais, une boule de caoutchouc pour jouer avec les pieds…
DIEU ― Ok ! Ok ! Voilà un ballon. (Un ballon rebondit sur la scène.) Amuse-toi.
ADAM, attrape le ballon. ― Merci, Père. Je cours chercher la guitare. (Il sort en courant.)
DIEU ― Ouf ! Un peu de calme... Ce n’était pas une bonne idée, la flûte. J’espère qu’il sera plus doué avec une guitare… Sinon, je lui enverrai l’Ange Gabriel comme professeur, il se débrouille très bien dans les missions délicates… Pour l’instant, avant qu’il la trouve, je suis tranquille… (Il soupire.) Ah ! Ce n’est pas facile facile d’être Père !
NOIR
L’ennui
Dieu (off), Adam - Durée : 5 minutes
Adam tourne en rond. Il arpente mollement la scène en traînant les pieds, fait des haltes momentanées, considère le public d’un air las, pousse de la pointe du pied le ballon posé sur le sol, puis reprend sa marche incertaine. Il sort parfois de scène pour revenir un instant plus tard en affichant toujours une lassitude extrême.
DIEU ― Adam ! Cesse de t’agiter, tu me donnes le tournis.
Adam s’immobilise, puis va s’asseoir sur un rocher dans la position du Penseur de Rodin.
DIEU ― Que se passe-t-il, mon enfant ?
ADAM ― Je m’emmerde, Père !
DIEU, outré. ― Oh ! Adam !
ADAM ― Pardon, je voulais dire : je m’ennuie… Je m’ennuie ferme, quoi !
DIEU ― Je ne comprends pas. Tu n’as parcouru qu’une partie infime du Jardin d’Eden. Il te reste tant de choses à découvrir.
ADAM, morose. ― D’autres arbres, d’autres fruits, d’autres fleurs, d’autres cours d’eau, d’autres animaux…
DIEU ― Tous différents. Il y a une variété infinie d’espèces animales et végétales …
ADAM ― Tous différents, mais...