dark

Lors de la campagne des élections législatives françaises de 2024, Jeanne, seize ans, se découvre un destin : elle va sauver la France.

La première version de Dark a été écrite en dix jours, lors la campagne des élections législatives de juillet 2024. Ce monologue pour adolescent⋅e⋅s met en scène la résistance de la jeunesse face au RN dans la France rurale.

VENDREDI 28 JUIN 2024

Bip-bip-bip

JEANNE

Vas-y ta gueule, laisse-moi dormir

Je donne un grand coup de latte à mon réveil Hello Kitty

Hello Kitty putain, y faudra que je le planque le jour où on sera deux dans mon lit

Deux dans mon lit… ça m’excite

Je me touche

Je pense à Vaness, ma meilleure pote

JE SAIS c’est pas bien, mais j’y peux rien : c’est mon énorme crush depuis la primaire avant que je me rende compte qu’elle était 100% hétéro

C’est comme ça, faut que j’accepte, « c’est mort, meuf »

En rentrant au lycée je me suis dis que j’allais pas rester sa « mormeuf » toute ma vie

Maintenant, c’est juste ma meilleure pote, mais je pense encore à elle en me touchant

Pas sûre que ça m’aide à passer à autre chose

En même temps, est-ce que ça se peut vraiment d’être 100% hétéro?

Putain, je me concentre plus du tout sur ce que je fais, là

Allez ciao Vaness, je te remplace par un Timothée Chalamet mélangé à mon cousin Hugo

C’est chelou comme mélange mais ça fait le job

Ça y est je sens que ça monte

Ça monte encore

Encore

Ça y est, ça/

Putain, Kitty qui snooze à ce moment-là

MATIN DE MERDE

J’allume la lumière mais y fait noir dans ma tête

Pff… la vie est badante aujourd’hui

Vivement demain

Je m’habille en piochant dans la pile de fringues au pied de mon lit

Y a rien qui me va, y a tout qui me gave

Je descends dans la cuisine

Ma mère est en mode café-clope sur le bord de la fenêtre

Sur sa gueule y a écrit « me parle pas », sur la mienne « toi non plus », on se comprend

J’avale un bol de Chocapic

Des Chocapic, putain

Y serait temps de grandir

Je me déteste, aujourd’hui tout est nul

Eh merde, je suis déjà à la bourre

Je balance mon bol dans le lave-vaisselle

En partant ma mère me claque une grosse bise

Je me laisse faire mais putain la gênance

Y serait temps de grandir

J’enfourche mon bike

La vie c’est de la merde mais j’essaye de me motiver

Y faut que j’arrive au lycée avec une gueule potable

Je veux bader incognito

Allez, Jeanne, let’s go

Devant le skate-parc du village, ça sent la weed de ouf

Les stoneurs sont déjà en train de téter le cône

Les mecs, je sais même pas si y se souviennent à quoi ça ressemble la vie quand t’es pas fonce-dé

Rond-point de la poste où y a jamais eu de poste

Ou alors j’étais pas née

Mais est-ce que les choses existaient vraiment avant que j’arrive dans le monde?

Je pense que je suis l’élue

J’ai quelque chose à faire mais je sais pas encore c’est quoi

Mon destin m’attend

Quelque part

Oh putain, la meuf, elle se prend pas pour de la merde

J’ai les chevilles presque aussi big que mes cuisses d’acier

365 jours de bike par an, mon gars

L’abribus des pépettes

Les meufs, elles sont maquillées mais laisse tomber, y a au moins trois heures de taf

Eh, comptez pas sur moi pour faire pareil, c’est mort, je préfère dormir

Et sérieux, pourquoi vous prenez le bus, bande de bouffones?

Le lycée est à deux bornes, ça va plus vite en BIKE

En BIKE

J’aime bien dire « BIKE »

Je passe devant la ferme à François

L’odeur du fumier, wesh

La France rurale, wesh

La France qui dit « wesh » sans trop savoir ce que ça veut dire, wesh

Et allez, la départementale qui me gave avec les 38 tonnes qui te collent au cul

Les mecs qui te serrent quand y te doublent

Putain

C’est le moment de ma journée où j’ai pas de principes

J’insulte la mère à tout le monde

Rond-point du Super U, wesh

Big up à ma mère et à ses collègues

Lycée Jean Moulin, dérapage contrôlé

Oh, y a encore du monde devant, je suis même pas à la bourre

Je me colle un air mystérieux sur la gueule pour cacher mon bad

Tout est sous contrôle

ALLEZ, LÀ

Putain d’antivol de merde

Faut que je pense à le graisser

En attendant, j’insulte sa mère

« Tu devrais mettre du dégrippant. »

Oh, un connard qui m’explique la life

Je vais lui mentir pour qu’y me foute la paix

« Non, non, mais j’en ai mis ce matin.

- Ah ouais? On dirait pas. »

J’ai envie de lui envoyer une bonne punchline qui lui fermerait sa gueule pour le restant de ses jours mais j’ai pas d’idée géniale alors je dis rien

C’est comme ça que les autres me voient, en fait

Une grande timide qui sait pas où se foutre

MAIS C’EST NUL, PUTAIN

Je suis beaucoup plus cool dans ma tête que dans la vraie vie

« Moi, c’est Pascal. »

Je lui fais un sourire qui veut dire « dégage » et je retourne à mon antivol

« En vrai, un coup de dégrippant et t’auras plus de problème. »

Pascal a le petit air confiant des mecs qui sont fiers d’avoir des couilles

Pour lui faire fermer sa grande gueule, je force comme une bourrine sur l’antivol

Clac

Verrouillé

DANS TA GUEULE, PASCOUILLE

Allez, ciao

Je m’approche de l’entrée mais c’est le gros bordel

Putain, c’est quoi le bail?

Y a un gros tas de gens devant le portail

Ils ont bloqué le lycée

Putain, je trouve ça beau, les gens qu’ont pas peur

Y a un mec tatoué qui gueule dans un mégaphone

Ça grésille de ouf, mais je comprends qu’y parle de la manif de demain

Blablabla, mobilisez-vous, premier tour dimanche, le risque de l’extrême-droite, machin-machin, ok c’est bon j’ai compris

Je regarde ailleurs

Ça m’intéresse pas trop, la politique

Le mec a l’air d’avoir raison mais je vois pas ce qu’on peut faire

En plus y a presque personne qui a le droit de vote au lycée

Et en vrai j’ai pas trop compris à quoi ça servait les législatives

T’façon les flics arrivent et y dégagent tout le monde

C’était court comme révolution

Je cherche Vaness mais je la trouve pas

On me tape sur l’épaule

Putain, le retour de Pascouille

« Hé! Tu m’as pas dit ton nom tout à l’heure. »

En arrière-plan, je vois ses potes qui me regardent avec des sourires de cons

Ça pue

« T’es timide? »

Je suis pas timide connard, je suis la reine de la punchline mais je les garde pour moi

« C’est Jeanne, ton prénom, c’est ça? »

Putain, le mec pose une question mais y sait la réponse, je vais lui faire fermer sa gueule à jamais

« Heu… Ouais, ouais, c’est Jeanne. »

Je répond « Ouais, ouais, c’est Jeanne », putain c’est la punchline de l’année

JE ME DÉTESTE

Y serait temps de m’affirmer

« Je voulais te demander : tu fais quoi demain? »

La même chose qu’aujourd’hui, Pascouille : je te méprise dans ma tête

« On pourrait faire un truc si tu veux.

- Heu, non, désolée, je suis pas intéressée… Voilà, ça, heu… ça m’intéresse pas.

- Ah, ok… »

Oh, quelque chose a l’air de se passer dans le cerveau de Pascouille

Putain je crois qu’y veut me dire un truc

C'est ouf comme les mecs savent pas pécho

« Parce qu’en fait t’es…? »

Vas-y, dis-le

« T’es…? »

C’est ouf comme il a du mal avec le mot « lesbienne »

« T’es lesb/

- Non, j’aime aussi les mecs, mais pas les gros teubés!

- Quoi? »

Putain, JE L’AI DIT

Je suis la reine de la punchline dans la vraie vie

Pascouille en revient pas

Y retourne voir ses potes, la queue entre les jambes

De loin j’entends les mots « féministe », « pute » et « frigide »

Mais j’en ai rien à foutre, je l’ai mis en PLS, je suis la reine de la punchline

Un autre mec me tape sur l’épaule

« Heu, scuse-moi…

- Quoi, toi aussi ça t’intéresse que je sois pas lesbienne à 100%?! »

Je me retourne pour voir c’est qui ce connard…

Et je plonge direct dans ses grands yeux noirs

Luigi

Le mec qui est en arts plastiques avec moi

Il a l’air trop cool mais je lui ai jamais parlé

Putain mais quelle conne

Dernière semaine de cours, y vient me voir et moi je lui fais « ça t’intéresse que je sois pas lesbienne à 100%? »

« Heu, non ça m’intéresse pas, non… »

Oh putain… Ça, ça sonne comme un non qui veut dire oui

ÇA INTÉRESSE LUIGI QUE JE SOIS PAS LESBIENNE À 100%, je sens que je vais bientôt planquer mon réveil Hello Kitty

À mon tour de lui montrer l’amour qui ravage mon cœur

« Ah, heu… Ben ok. »

Je lui réponds « ok. »

Mais elle est où, la reine de la punchline?

Le mec me sort un tract

« Je voulais juste te dire que y a une manif demain.

- Ok, merci c’est… c’est cool. »

J’AI TELLEMENT PAS DE CONVERSATION, C’EST PUTAIN DE MALAISANT

« C’est à 14h devant la gare si ça te dit. »

Je vois Vaness qui arrive

Demain je vais à la fête médiévale avec elle mais faut surtout pas que Luigi apprenne ça, y va pas me trouver cool

« Ok, ben ouais, je vais essayer de venir.

- Trop bien, à demain! »

Vaness me parle mais je l’écoute pas

Les profs me parlent mais je les écoute pas

Dans l’océan de bad de cette journée, je regarde la lumière qui brille au large

Luigi et ses grand yeux noirs

C’est la première fois que ça me fait ça

Est-ce que c’est ça, l’amour? En tout cas, c’est super cool

Je le cherche toute la journée dans le lycée

Pas de Luigi

Oh t’es où, LUIGI?

LUIGI

J’aime bien dire « LUIGI »

Dernière sonnerie, allez, fin de journée

« Ciao Vaness, bonne soirée!

- Ciao! »

Je lui claque une bise et son parfum torride me fait rien du tout

Je crois ça y est, ça m’a pris des années mais j’ai définitivement fait mon deuil

Mon cœur est en Italie, avec LUIGI

Je reste un peu devant le lycée au cas où Luigi soit en train de me chercher désespérément

Bon, ben ça a pas l’air

La vie, c’est tout pourri

Je m’approche de mon bike

Et là, c’est qui qui se pointe?

Luigi

La vie, c’est exquis

Et allez, je fais des putain de rimes, normal je suis la reine de la punchline

Luigi a pas l’air de me chercher désespérément, mais je suis sûre qui fait genre

Moi aussi je fais genre je suis occupée

Je veux...

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