A l’ouverture, Salomé est assise sur le banc et lit une revue. Michel/Michelle
entre.
MICHEL (apercevant Salomé) - Salut Salomé ! Ça fait un bail dis donc !
SALOME (levant le nez de sa lecture, puis froidement) - On se connaît ?
MICHEL - Mais oui ! C’est moi : Michelle !
SALOME - Oui bon d’accord : Michel. Et alors ?
MICHEL - Michelle Poitrineau !
SALOME (sur la défensive) - Désolée, je ne connais pas de Michel Poitrineau !
Maintenant, foutez-moi la paix !
MICHEL - Poitrineau, c’est mon nom de jeune fille !
SALOME (se détournant) - Pfff ! On me l’avait pas encore faite celle-là ! J’en
n’ai rien à secouer de la jeune fille qui sommeille en vous, figurez-vous !
MICHEL - Tu me connais sous le nom de Michelle Goudard en fait !
SALOME (observant l’homme) - Je connais Michelle Goudard, et elle ne vous
ressemble pas du tout. C’est une femme je vous signale ! Et je ne vous autorise
pas à me tutoyer !
MICHEL - Je sais bien que Michelle Goudard est une femme…
SALOME - Bon alors quoi ? Vous venez de sa part ? Ça fait un bail que je n’ai
plus de ses nouvelles. Elle n’a pas donné de signe de vie depuis presque trois
ans !
MICHEL - C’est exact : depuis deux ans et huit mois.
SALOME (surprise) - Vous êtes de sa famille ?
MICHEL - Je suis Michelle Goudard, sauf que j’ai enlevé un « l » et un « e » à
mon prénom.
SALOME - Vous rigolez ?
MICHEL - Non, je suis un homme maintenant.
SALOME - J’avais remarqué que vous étiez un homme, de là à affirmer que
vous êtes mon amie Michelle Goudard, il y a de la marge !
MICHEL - Et pourtant… (Un temps.) C’est une longue histoire…
SALOME (coupant la parole) - Je ne sais pas si j’ai le temps ! C’est ma pause
déjeuner, je vous signale…
MICHEL - Pour faire court, j’ai voulu changer de vie et je me suis dit qu’en
changeant de sexe ce serait encore plus radical.
SALOME - Tu m’étonnes ! Bon, vous n’avez pas trouvé mieux comme plan
drague ? Je reconnais que c’est original, mais c’est pas crédible du tout !
MICHEL (s’asseyant) - Et si je vous dis un truc qu’on est seules à connaître,
vous me croirez ?
SALOME - Je vous préviens tout de suite que je n’ai pas de tâche de naissance !
MICHEL - Non, pas une tâche de naissance mais un grain de beauté mal
placé…
SALOME (outrée) - Je n’ai pas de grain de beauté mal placé !
MICHEL - Vous n’avez plus de grain de beauté mal placé : on vous l’a enlevé.
SALOME (décontenancée et regardant autour d’elle en se tortillant) - Ah ?
Euh… Parlez moins fort, il y a des gens qui nous regardent !
MICHEL - Je me souviens qu’après l’intervention, vous aviez du mal à vous
asseoir…
SALOME (coupant court, embarrassée) - Oui, bon ! (En rogne.) C’est vraiment
pas sympa de la part de Michelle de vous avoir raconté cette histoire ! C’est très
personnel !
MICHEL - Evidemment que c’est personnel, c’est le seul moyen dont je dispose
pour vous prouver que je suis bien votre ancienne meilleure amie. Je peux vous
citer d’autres anecdotes…
SALOME (paniquée) - Oui, mais alors pas tout haut !
MICHEL (collant carrément Salomé) - D’accord ! A l’oreille ! (Il chuchote à
l’oreille de Salomé qui prend des mines de plus en plus effarouchées.)
SALOME (étonnée, choquée, amusée) - Oh ? Oh ! Rrrrrho ! C’est vrai qu’on se
disait tout ! (Un temps.) Admettons que vous soyez Michelle ! (Un temps. Un
brin nostalgique.) C’était une bonne copine Michelle, j’ai du mal à l’imaginer en
homme !
MICHEL - C’est bien naturel, moi même, il m’a fallu un temps d’adaptation. Le
corps d’un homme ne réagit pas comme celui d’une femme : c’est parfois très
troublant.
SALOME (méprisante) - Le fonctionnement masculin est beaucoup plus
sommaire que le fonctionnement féminin ! Au fond, c’est très basique un
homme…
MICHEL - Je suis bien d’accord… Si on se tutoyait comme avant, dis ?
SALOME (mollement) - Pourquoi pas… (Un temps.) Mais dis-moi : qu’est ce
que tu deviens ?
MICHEL - Je suis passé Directeur des ressources humaines et je gagne
cinquante pour cent de plus que les nanas qui ont un poste équivalent dans
l’entreprise. Rien que pour ça, ça valait le coup de changer de sexe !
SALOME - C’est fou ! (Un temps.) C’est aussi un petit peu écoeurant !
MICHEL - Je te l’accorde… Et toi ? Que deviens-tu ?
SALOME - Bof ! Toujours à l’accueil au centre social…
MICHEL - …Et côté coeur ?
SALOME - Bof aussi ! Trois ans de jachères si tu veux savoir.
MICHEL - J’ai autre chose à te dire…
SALOME (détendue) - Vas-y, je t’écoute.
MICHEL - J’étais au courant pour toi et Fabien.
SALOME (sur la défensive) - Fabien ? pourquoi tu me parles de Fabien ?
MICHEL - Je sais que vous avez couché ensemble. (Dénégation de la tête de
Salomé.) Si ! Tu sais, il me trompait depuis pas mal de temps et pas qu’avec toi…
On a divorcé… Cela faisait partie des choses qu’il fallait que je change dans ma vie
de toute façon.
SALOME (bêtement) - C’est sûr, je vois mal Fabien vivre avec un homme…
MICHEL - J’ai été très malheureuse à l’époque…
SALOME (voulant passer à autre chose) - C’est du passé… Moi, j’avais oublié,
c’est dire !
MICHEL - J’ai beaucoup pleuré. J’étais affreusement jalouse !
SALOME - Bon écoute : si c’est pour me faire une scène que tu es revenue,
franchement t’aurais pu t’abstenir ! Moi je considère qu’après trois ans, il y a
prescription !
MICHEL - Rassure-toi : je t’ai pardonnée… Et puis Fabien, fidèle à ses habitudes,
t’a laissée pour aller draguer d’autres femmes…
SALOME - Tu parles d’une habitude !
MICHEL - L’habitude est la seule fidélité dont il soit capable. Toujours est-il que
de toutes ses infidélités, c’est celle qu’il a commise avec toi qui m’a le plus
blessée !
SALOME - Tu sais, ça n’a pas été facile pour moi non plus ! Je culpabilisais
beaucoup… être obligée de te mentir… et puis de faire ça à l’hôtel à trente bornes d’ici !
C’était pas simple !
MICHEL - Moi, c’était plus facile : je chialais à la maison et j’avais moins de route
à faire !
SALOME, balayant le reproche sous jacent - Oui, bon ! De toute façon, Fabien à
part son côté lapin, il n’y a pas grand chose à regretter !
MICHEL - Je ne regrette pas Fabien ni sa libido déchaînée !
SALOME (suivant le fil de sa pensée) - Le lapin au début, c’est amusant, mais au
bout d’un moment, cela devient répétitif !
MICHEL - Ce qui m’a rendue malheureuse, c’est de t’imaginer dans ses bras, sous
le feu de ses caresses et de ses baisers ! Ce que j’ai pu être jalouse !
SALOME - T’es plus avec Fabien et tu es devenue un homme, je ne vois pas
pourquoi tu remues le passé !
MICHEL - Parce que c’est à cause de toi que j’ai voulu changer de vie.
SALOME - Tout est toujours de ma faute ! En attendant c’est grâce à moi que tu
gagnes plus que tes collègues !
MICHEL - Tu comprends mal… Je suis très heureux d’être un homme à présent et
de tous les changements survenus dans ma vie ! J’aurais dû dire : j’ai voulu changer
de vie pour toi et non à cause de toi.
SALOME - C’est bien gentil, mais je ne vois pas ce que ça m’apporte !
MICHEL (dans un souffle) - Faut que tu saches que je t’aime et que je t’ai toujours
aimé. (Il s’agenouille aux pieds de Salomé.) Veux-tu m’épouser ?
SALOME - Holà ! Heureusement que je suis assise parce que je ne m’attendais pas
à ça ! (Un temps.) Excuse-moi, mais je ne me vois pas épouser ma meilleure
copine, même si c’est devenu un homme !
Surgit Fabienne.
FABIENNE - Je savais bien que je vous retrouverais !
MICHEL - Merde ! Voilà mon ex !
FABIENNE - Je ne vais pas te lâcher comme ça Michel !
SALOME - C’est quoi encore cette embrouille ?
MICHEL - C’est Fabienne… mon mari.
FABIENNE (agressive) - Ouais, je suis Fabien et tu es gentille Salomé, tu touches
pas à mon mec !
SALOME (se levant et partant) - Holà ! C’est trop compliqué pour moi ! Je plains
vos enfants !
MICHEL - Ils ne sont pas à plaindre… Eux aussi on les a transformés. (Il siffle en
direction des coulisses.) Médor ! Laïka ! Ici ! Aux pieds !

FIN


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