Acte 1
Scène 1, côté cour, chez Josiane
Jardin : noir | Cour : un canapé trois places, deux fauteuils, une table basse |
Josiane, Marie Pierre Saint Lambert, Philippe de Mareuil,
Le canapé est occupé par Josiane ; Marie-Pierre et Philippe sont sur les fauteuils.
Josiane
Bon, les enfants, j’ai un truc à vous dire : je vais vendre l’appartement.
Philippe Marie Pierre (ensemble)
Hein !
Quoi ?
Josiane
Bah, oui ! je m’y ennuie et puis c’est trop grand pour moi seule.
Philippe
Mais mère, nous venons vous voir !
Josiane
Ouais… C’était quand la dernière fois ? Ah oui, Noël…
Philippe
Vous êtes injuste !
Josiane
C’est vrai, il y a aussi la fête des Mères et mon anniversaire… Un peu convenu, non ?
Un temps
Bon, bref : j’ai décidé de changer de vie.
Marie-Pierre
Presque joyeuse
Vous allez vous installer sur la Côte d’Azur ?
Josiane
Pas une mauvaise idée. Et puis là, je vous verrai au moins trois semaines par an ! Eh bien non, je reste à Paris, j’aime trop cette ville.
Marie-Pierre
Surprise
Vous comptez acheter quelque chose dans un autre quartier ?
Josiane
Non.
Philippe
Inquiet
Mais, alors, où comptez-vous vivre ?
Josiane
Justement, laissez-moi le temps de vous expliquer mes intentions.
Philippe
Vous auriez pu nous en parler avant, quand même !
Marie-Pierre
Oui, cet appartement n’est pas qu’à vous. Ne fait-il pas partie de l’héritage de père ?
Josiane
Merci de montrer tant de délicatesse et une si vive approbation. Quoi qu’il en soit, je ne vous demande pas votre avis, je vous informe… Et, question héritage, que je sache, vous avez déjà palpé pas mal de blé, non ?
Philippe
Donc ?
Josiane
Rassurez-vous mon fils, même si nous vous avons largement aidé à payer votre appart, je ne compte pas m’installer chez vous.
S’adressant à Marie-Pierre
Ni chez vous… ma chérie.
Marie-Pierre
Mais alors ?
Josiane
Pas de panique ! Je vais me trouver un chouette endroit, genre pension de famille de luxe.
Marie-Pierre
Mais cela coûte…
Josiane
La peau des fesses ! Oui, je sais. Mais comme j’ai vendu l’appart en viager, je vais avoir une belle rente… Alors !
Philippe
Outré
Quoi ! Vous avez vendu en… viager ?
Josiane
Fallait pas ?
Marie-Pierre
Et au comptant, combien avez-vous perçu ?
Josiane
Une somme rondelette… qui ne vous regarde pas ! Et même suffisamment rondelette pour vous donner 100 000 euros… et c’est nets d’impôts !
Marie-Pierre
100 000 euros… chacun ?
Josiane
Bah oui ! Ça met du baume au cœur, hein ?
Philippe
Mère ! On ne vous demandait rien…
Josiane
Ah ? Ce n’est pas ce que j’ai cru comprendre dans l’une de vos allusions à Noël !
Marie-Pierre
Eh bien, pour une surprise, c’est une surprise. Nous ne nous attendions pas à cela…
Josiane
Comprenez-moi, pour une fois. Faire les courses, me préparer à manger, m’occuper de ma maison, etc., ras le bol. Et puis, même si mes examens sont bons, vous savez bien que je suis en sursis. Que se passerait-il si je devais être réopérée ? Pire : recommencer une chimio ? Si tant est que j’en aie la force, d’ailleurs. Être dans une institution, avec des infirmières et tout le tintouin, ça me rassure.
Philippe
Mais, avec tout l’argent que vous a laissé père, vous étiez vraiment obligé de vendre l’appartement ?
Josiane
Oui. Sauf à choisir un EHPAD classique, comme celui où votre père s’est débarrassé de sa mère ! Moi, j’ai besoin de luxe… Que voulez-vous ? Je m’y suis habitué.
Philippe
Bien, c’est votre décision, votre choix. Je… nous la respectons.
Josiane
Ironiquement
Nous sommes donc… d’accord ?
Marie-Pierre
Et savez-vous où aller ?
Josiane
Presque. J’ai vu une publicité pour un concept d’appartement partagé à Levallois. Je vais aller voir, et puis de toute façon, j’ai trois mois pour trouver.
Elle ouvre une boîte devant elle en sort deux enveloppes qu’elle tend à Philippe et Marie-Pierre
Voilà vos sous. Là, maintenant, merci de me laisser seule, je suis fatiguée. Ah ! Une dernière chose, vous trouverez, avec vos chèques, la liste de tout ce dont je vais devoir me séparer. Arrangez-vous entre vous pour vous les répartir et ce que vous ne voudrez pas, je les filerai à un brocanteur.
Elle se lève et ironiquement
Merci d’être venus… mes petits choux.
Scène 2, côté jardin, dans la rue
Jardin : éclairé ; ils sont debout | Cour : noir |
Philippe de Mareuil, Marie-Pierre Saint Lambert,
Philippe
Eh bien, je ne sais pas ce que tu en penses, mais là, la vieille salope m’a scotchée…
Marie-Pierre
Philippe !
Philippe
Quoi ? Ça te choque que je l’appelle la vielle salope ? C’est bien ce qu’elle est, non ? Tu n’es pas d’accord ?
Marie-Pierre
Un peu, si. Mais père n’a pas toujours été facile avec elle et son geste est généreux. Ça va être utile avec les études des grands.
Philippe
En viager, tu te rends compte ? Elle fait une connerie. Son appartement aurait valu bien plus cher à sa mort… L’acheteur va se faire des couilles en or.
Marie-Pierre
Mais… elle est en rémission, non ?
Philippe
Ouais, pour l’instant. Mais c’est jamais définitif avant une dizaine d’années ces affaires-là, et son opération remonte à moins de trois ans.
Marie-Pierre
Bah… Ça a l’air d’aller.
Philippe
N’empêche… Elle aurait pu attendre encore un peu, être sûre d’être guérie.
Marie-Pierre
Tu n’es pas déjà en train de l’enterrer, là ? C’est notre mère, bien qu’elle n’ait pas été toujours très tendre.
Philippe
C’est le moins que l’on puisse dire. Remarque, père était pire qu’elle. Ah, la teigne ! Ce que l’on a été élevé à la dure ! Obligé de les vouvoyer, les punitions qui tombaient drues et il avait la main leste…
Marie-Pierre
Ne te plains pas ! Il a été indulgent avec toi ; moi jusqu’à mes 18 ans, je n’avais même pas le droit d’aller en boum !
Philippe
Sauf si c’était pour aller dans un rallye et draguer un beau parti, si possible noble et friqué.
Marie-Pierre
C’est toujours mieux que de baiser la bonne et de l’épouser parce qu’elle était enceinte.
Philippe
Je ne te permets pas. Et Catherine n’était pas la bonne, mais une jeune fille au pair parfaitement éduquée et distinguée.
Marie-Pierre
Ouais… Et c’était un joli brin de fille, avec un charme tout italien et des attraits… très visibles.
Elle mime une poitrine arrogante
Même père y était sensible !
Philippe
Qu’est-ce que tu insinues ?
Marie-Pierre
Rien. De toute façon, mère le surveillait de près
Philippe
Brisons là, Marie-Pierre. La conversation prend un tour qui ne me convient pas. Regardons plutôt la liste, cela va nous rabibocher ! Moi, en tout cas, je veux le bureau de père.
Marie-Pierre
Et de quel droit ?
Philippe
Outré
Parce que ! Il a appartenu à grand-père, puis à père… Normal qu’il me revienne !
Marie-Pierre
Alors moi, je veux le tableau de la chambre.
Philippe
Évidemment, à lui tout seul, il vaut une petite fortune.
Marie-Pierre
Agressive
Et ?
Philippe
Cela devient insupportable, on va finir par… se taper dessus. J’ai une suggestion à te faire : tirons au sort, chacun à notre tour.
Marie-Pierre
Et qu’est-ce qui garantit que ce sera équitable ? Hein !
Philippe
Je… J’ai une idée : fixons la valeur de chaque objet et arrangeons-nous pour que chacun reçoive à peu près la même chose.
Marie-Pierre
Explique !
Philippe
Imagine que je tire le bureau et qu’il soit estimé à 1 000 euros, et bien tu piocheras jusqu’au moment où ce que tu auras tirés arrive à une somme équivalente.
Marie-Pierre
Pas bête. Ça paraît juste. Ce qui n’empêchera pas de faire des échanges à la fin, s’il y a un truc auquel l’un de nous deux tient plus particulièrement.
Philippe
Ça marche.
Marie-Pierre
Cool ! On va fêter ça au bistro ?
Philippe
J’hésite…
Marie-Pierre
Tu hésites ?
Philippe
Oui, je ne sais pas quoi prendre… du champagne ou un digestif bien amer, genre Fernet Branca !
Scène 3, côté cour, chez Gérard
Jardin : noir | Cour : éclairé ; un canapé trois places, une table basse et deux fauteuils |
Arthur et Gérard Bronstein, Christian off
Gérard lit un livre, assis sur le canapé. Le téléphone sonne.
Gérard
Allô !
Christian
Coucou !
Gérard
Ah Christian ! Ça me fait plaisir de t’entendre.
Christian
Moi aussi, espèce de vieil ornithorynque solitaire ! Qu’est-ce que tu fais ce soir ?
Gérard
Ben, je ne sais pas… rien.
Christian
Parfait ! Je t’attends pour une partie de tarot, il y aura Stéphanie et Jacques.
Gérard
Pas trop envie.
Christian
Mais remue-toi, bon sang !
Gérard
Il soupire
Écoute, j’ai pas encore encaissé le départ de Béa.
Christian
J’ai déjà commandé des pizzas…
Gérard
Faut pas perdre, alors. Mais c’est bien pour te faire plaisir.
Christian
Allez, viens, ça va te changer les idées ! À part ça, comment vas-tu ? Et comment va ton fils ?
Gérard
Oh, mon fils… Je ne l’ai pratiquement pas vu depuis...