Imper et passe

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Josépha, sexagénaire alerte et peu dépensière attend la visite d’un contrôleur des impôts, ce qui ne l’effraie pas outre mesure ! En revanche, elle est davantage préoccupée par son neveu, Philippe, qu’elle souhaiterait voir fiancé à Anne-Sophie, une jeune fille de bonne famille très BCBG. Seulement, Philippe n’a nulle intention de se fiancer… Mais, il a trop besoin de sa tante… ou plutôt de son argent pour rembourser une dette de jeu à un certain Monsieur Jack… Ce dernier, bien décidé à récupérer son « fric », va se présenter chez Josépha… le même jour que l’inspecteur du fisc !

 

 

Au lever de rideau, on découvre une femme d'une quarantaine d'années. Elle porte une tenue de bonne (ensemble noir, tablier blanc.) Elle arpente la pièce de long en large, un plumeau dans une main, un livre grand ouvert dans l'autre.

 

 

ACTE I

 

SCÈNE 1

GISELE : (parcourant le livre en prenant une voix grave d'homme et en empruntant des gestes de tragédien pour illustrer sa déclamation :)

“Et que, par ma main propre, un juste sacrifice

De mon coupable chef venge mon artifice

Avançons donc, allons sur cet aimable corps

Eprouver, s'il se peut, à la fois mille morts

D'où vient qu'au premier pas je tremble, je chancelle ?

Mon pied qui me dédit contre moi se rebelle,

Quel murmure confus ! Et qu'entends-je hurler ?”

JOSEPHA : (dont on entend, comme un écho, la voix forte à travers la porte qui conduit à la buanderie) Gisèle, où êtes-vous passée ?

GISELE : (continuant ses tirades comme si de rien n'était et prenant cette fois une voix de femme éplorée :)

“Qu'Eraste abandonnant ses premières brisées

Il faut vous préparer à des consentements

(Reprenant sa voix grave d'homme du début.)

Ta longueur m'y prépare avec bien des tourments

Dépêche, tes discours font mourir Hippolite

Mais qu'attends-tu donc encore ? Qu'il ressuscite ?

L'insupportable femme, enfin diras-tu rien ?”

(La porte de la buanderie s'ouvre alors ; entre une femme d'environ soixante ans, sobrement vêtue. Tout dans ses gestes et son allure traduit une vitalité certaine.)

JOSEPHA : (en entrant) Gisèle, je vous trouve enfin !

GISELE : (repliant son livre et soupirant) Maudit sort, tu brises là le talent des tragédiens ! (Comptant sur ses doigts en détachant les syllabes.) Mau-dit sort, tu bri-ses là le ta-lent des tra-gé-diens. Quinze pieds ! Zut alors ! Je suis refaite de trois pour l'alexandrin !

JOSEPHA : Ah, Gisèle, vous êtes là.

GISELE : (hochant lourdement la tête) Oui, Madame, là et lasse, hélas !

JOSEPHA : (qui n'a visiblement pas entendu) Que dites-vous donc ?

GISELE : Eh bien, Madame, je suis é-rein-tée !

JOSEPHA : (faussement compatissante) Ah ?

GISELE : Vous savez, je n'ai plus le même coup qu'il y a vingt ans...

JOSEPHA : (un peu surprise) Le même... coup ?

GISELE : Oui, le même coup de balai, (Montrant son plumeau.) ou de plumeau (Prenant un ton résigné.) J'ai vieilli...

JOSEPHA : Et moi, que devrais-je dire ?... Que devrais-je dire ? Je vous le demande !

GISELE : (avec naturel) La même chose, la même chose... (Soupirant) Non, Madame, il n'est plus de mon âge d'épousseter et de curer.

JOSEPHA : (la prenant au mot) A propos de ça...

GISELE : De quoi donc, Madame ?

JOSEPHA : Du curé... (Avec entrain.) Oui, bon, c'est vrai, je vous l'accorde bien volontiers, la transition était facile.

GISELE : (consultant sa montre et avec un ton complice) Vue l'heure matinale, elle est fort acceptable... Si si !

JOSEPHA : Vous êtes trop bonne...

GISELE : (amusée) Je sais, je sais.

JOSEPHA : (apercevant sur la table basse un paquet emballé dans du papier journal et ficelé) Vous avez donc pensé à notre petite... affaire ?

GISELE : Le colis est prêt.

JOSEPHA : Le gros paquet, là ?

GISELE : Oui, et croyez-moi, cela n'a pas été une mince affaire ! J'ai dû me mettre en quatre pour le plier en huit et ne pas le froisser. (Après un temps.) N'aurait-il tout de même pas mieux valu attendre qu'il soit repassé avant de l'envoyer ?

JOSEPHA : (fronçant les sourcils et prenant un ton inquiet) Parce qu'il n'est pas repassé ?

GISELE : A ma connaissance, non, Madame.

JOSEPHA : (inquisitrice) Comment cela, à votre connaissance ?

GISELE : (digne) Madame, je n'ai peut-être plus le coup de balai ou de plumeau, mais pour ce qui est du coup d'œil... Si le père Bugnon était repassé, je l'aurais tout de même vu !

JOSEPHA : (entre soulagement et amusement) Parce que vous parliez du père Bugnon ?

GISELE : Vous me pardonnerez, mais je ne vois pas de qui d'autre...

JOSEPHA : (haussant les épaules) Bah, en disant qu'il n'était pas repassé, j'ai cru qu'il s'agissait de l'imper !

GISELE : De... l'imper ?

JOSEPHA : (avec évidence) Oui, de l'imper du père !

GISELE : Ouh la la ! C'est que je m'y perds dans vos affaires !

JOSEPHA : Tout cela ne serait pas arrivé s'il n'avait pas comme qui dirait perdu les siennes.

GISELE : Vous parlez du père, cette fois-ci ?

JOSEPHA : Oui, du père et de son imper... Quel étourdi !

GISELE : (croyant qu'elle est visée) Madame, tout le monde peut se tromper !

JOSEPHA : Gisèle, l'étourdi, ce n'est pas vous, mais le père !... Ah ! Ces hommes d'église ont décidément la tête dans les nuages... (Après un temps.) Mais je me demande au fond s'il n'en a pas rien à cirer, de son imper !

GISELE : Qu'entendez-vous par-là ?

JOSEPHA : (sans ambages) Qu'il aurait fait exprès de l'oublier ici !

GISELE : Vous n'êtes pas sérieuse !

JOSEPHA : Oh que si !

GISELE : Mais pourquoi donc aurait-il fait ça ?

JOSEPHA : (même jeu) Parce qu'il s'est ainsi créé un prétexte.

GISELE : Un prétexte ?

JOSEPHA : (même jeu) Oui, un prétexte pour repasser (se reprenant aussitôt pour éviter une nouvelle ambiguïté des mots) enfin pour revenir me rendre visite.

GISELE : (qui joue les prudes) Oh, Madame !

JOSEPHA : Allons, Gisèle, pas de vilaines pensées !... Quand je dis revenir me voir, c'est une façon de parler... (Se regardant dans le miroir et se passant une main dans les cheveux.) Même s'il est vrai que je pourrais encore plaire... (Après un temps.) A qui me direz-vous ?

GISELE : (avec malice) Je ne dis rien.

JOSEPHA : (comme répondant à elle-même) Oui, à qui, c'est une autre histoire... Mais pour revenir au père Bugnon, c'est après mon argent qu'il en a !

GISELE : (jouant une fois de plus les prudes) Madame !

JOSEPHA : Si si ! Oh, pour la bonne cause, c'est entendu ! Je ne les ai même que trop entendus, lui et sa cloche !

GISELE : Sa cloche !?

JOSEPHA : Oui, vous savez, la fameuse bonne grosse cloche de notre village ?

GISELE : Vous voulez sans doute parler de Madame Lafonte ?

JOSEPHA : Mais non, Gisèle, pas celle-là ! (Lentement) La cloche du clocher de l'église de notre village !

GISELE : (qui vient de comprendre) Ah !

JOSEPHA : Oui ! Eh bien, figurez-vous qu'elle est fêlée !

GISELE : (bas) S'il n'y avait qu'elle !

JOSEPHA : (tendant l'oreille) Que dites-vous ?

GISELE : Oh, rien, je raisonnais tous bas.

JOSEPHA : (la prenant au mot) La cloche, elle, risque de ne plus résonner tout haut si elle n'est pas réparée, et ce au plus tôt... Le père Bugnon n'a cessé de le répéter avec une insistance plus qu'appuyée ; j'en ai encore les oreilles qui bourdonnent !

GISELE : (faussement naïve) S'il a tant insisté, c'est qu'il doit avoir une raison ?

JOSEPHA : Hélas oui ! D'après lui, entretenir une cloche coûte cher, bien plus cher qu'entretenir une danseuse !

GISELE : Monsieur le curé aurait dit cela ?

JOSEPHA : Oui... Enfin non, pas tout à fait sous cette forme... Mais bon, il n'est pas besoin d'être cardinal pour comprendre que les caisses de la paroisse sont quasiment vides et que le père Bugnon sollicite fortement l'aide financière de ces ouailles, et la mienne au premier chef !

GISELE : (avec une fausse légèreté) Il en a d'autant besoin qu'il n'y a pas que la cloche qui lui cause des tracas... Si j'ai bien compris moi aussi, les murs intérieurs de l'église seraient défraîchis et mériteraient d'être retapés.

JOSEPHA : Oui, c'est juste : il est grand temps pour eux de subir comme qui dirait un... lifting !

GISELE : (bas) Ils ne sont pas les seuls !

JOSEPHA : (qui n'a visiblement pas entendu) Plaît-il ?

GISELE : (avec insouciance) Rien, rien.

JOSEPHA : Mais dites-donc, comment êtes-vous au courant de tout cela ?

GISELE : (sans de démonter) Comment ?... Disons que j'ai surpris votre conversation d'hier après-midi avec le père Bugnon.

JOSEPHA : (l'index pointé en avant et comme pour gronder un enfant) Gisèle, ce n'est pas bien de votre part !

GISELE : Que voulez-vous ? Si vos oreilles bourdonnent, les miennes ont tendance à se balader, alors...

JOSEPHA : Oui, bon, en tous cas, je ne comprends pas pourquoi le père est venu frapper à ma porte ; diantre ! Il y a certainement dans la paroisse des gens plus fortunées que moi !

GISELE : Ah oui ?... Je serais curieuse de savoir lesquelles...

JOSEPHA : (gênée) Bah euh... des gens... dont la liste serait trop longue à énumérer...

GISELE : (faussement désintéressée) Ah ?

JOSEPHA : (cherchant une nouvelle fois à se justifier) Des gens dont je tairai le nom par décence...

GISELE : (même jeu) Ah ?

JOSEPHA : (esquivant) Et puis vous êtes trop curieuse... Et puis j'ai de lourdes charges vous savez...

GISELE : (une pointe de doute dans la voix) Ah ?

JOSEPHA : Oui, vous ne pouvez pas vous imaginer !

GISELE : Non.

JOSEPHA : Tenez : vous, par exemple, vous ne savez pas ce que vous me coûtez !

GISELE : (du tac au tac) Oh que si !… A propos, ce serait peut-être le moment choisi pour parler d'augmentation ?

JOSEPHA : (faisant mine de ne pas avoir saisi) De... ?

GISELE : De rattrapage de salaire, pour être plus proche de la réalité...

JOSEPHA : (même jeu) Comment cela ?

GISELE : (le livre sous le bras et tout en passant le plumeau sur les quelques meubles) Sauf à ce que mes émoluments soient liés à l'indice trimestriel du coût de la construction qui, je vous l'accorde, est au plus bas, ou à ce qu'ils ne soient, comme les loyers, c'est-à-dire révisables tous les trois ans, je suis au regret de vous apprendre qu'en la matière, c'est le calme plat, mais alors ce qu'il y a de plus plat !

JOSEPHA : (jouant la surprise) Ah ? Vous m'étonnez ?... J'aurais pourtant cru... Ce doit être ma mémoire des chiffres qui me joue des tours... A mon âge, vous comprenez... Mais je prends bonne note de vos... suggestions.

GISELE : Espérons que votre mémoire se rappelle à votre bon souvenir !

JOSEPHA : Euh, oui, espérons-le !... (Changeant le cours de la conversation.) En attendant, il vaut mieux renvoyer sur-le-champ au père son imper, avant qu'il ne revienne à la charge, ce diable d'homme... Il a beau être bien gentil et tout, c'est une vraie jarretière, cet apôtre-là : quand il vous a pris la jambe, il la tient et ne la lâche plus !

GISELE : (qui continue à épousseter distraitement) C'est comme si c'était fait, Madame. (Après un temps.) Au fait, voulez-vous que j'expédie le colis en express ?

JOSEPHA : Faites comme bon vous semble.

GISELE : Vraiment ?

JOSEPHA : Oui... Est-ce important ?

GISELE : Le prix peut l'être...

JOSEPHA : (brusquement intéressé) Ah ?... Combien ?

GISELE : Plus de cinquante francs, d'après le calendrier des PTT et le pèse-personne...

JOSEPHA : Tant que cela ?... Tout bien réfléchi, envoyez-le en colis normal... (Pour se justifier.) Oh, pas pour une question de prix, cela va de soi... Mais la météo annonce une nette amélioration pour les jours à venir ; le père Bugnon n'aura donc nul besoin de son imper, qui risque même de l'encombrer inutilement... Et vue sa distraction, il est encore capable de l'égarer !

GISELE : Bien... Mais vous ne croyez pas qu'il serait alors souhaitable de lui téléphoner ?

JOSEPHA : Lui téléphoner ? Pour quoi faire ?

GISELE : Pour l'informer qu'il a oublié son imper et surtout lui dire que celui-ci est en bonne voie d'acheminement.

JOSEPHA : Croyez-vous ?... Comme je vous l'ai dit, il l'a sans doute laissé ici en toute connaissance de cause... Mais vous avez raison... (Réfléchissant) Le problème, c'est qu'il n'y a pas le téléphone à la cure... (Réfléchissant de nouveau.) Non, finalement, plutôt que de le lui envoyer, le mieux est encore que vous déposiez demain discrètement le colis dans sa boîte aux lettres, quand vous irez faire les courses au Casino.

GISELE : Un petit mot d'accompagnement serait alors le bienvenu.

JOSEPHA : Oui, vous avez une nouvelle fois raison... (Lui donnant du papier à lettres et un stylo qu'elle a pris dans le tiroir du secrétaire.) Tenez, voici de quoi écrire ; je vais vous dicter.

GISELE : (qui a pris une attitude de sténodactylo) Je prends bonne note.

JOSEPHA : Bien... Comme souvent, le plus dur, c'est de commencer... Alors voyons... (Après un temps.) Monsieur l'Abbé. (Dictant lentement, en détachant les syllabes.) Monsieur l'Abbé...

GISELE : (répétant et notant) Monsieur l'Abbé... (S'interrompant soudain.)...

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