Réveillon entre ami(e)s

Note moyenne : 3/5 (1 critique)

Un couple a invité des amis pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, mais le traiteur fait faux bond. Les deux époux demandent aux invités de venir les aider à préparer un menu improvisé. Il s’avère que la nouvelle petite amie du meilleur ami du mari est aussi l’ex maîtresse de ce dernier. Un frère gaffeur, une fille maître-chanteur, un voisin louche vont contribuer à chambouler la routine et les certitudes de tout ce petit monde.

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ACTE I

Scène 1

Noir. Sonnerie du téléphone. On entend une voix provenant du répondeur :

« Bonjour, ici le traiteur “Toudubon”. Vous nous aviez commandé un repas pour 5 personnes pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, ce soir. Malheureusement nous ne pourrons honorer votre commande en raison d’un incendie qui s’est déclaré cette nuit dans nos locaux et qui a tout détruit. Croyez que nous sommes désolés et nous espérons que vous saurez trouver une solution pour votre dîner. Avec nos cordiales salutations, nous vous souhaitons de passer malgré tout une bonne fin d’année. tut tut tut… »

Lumière. Charlotte est face au public, catastrophée.

Charlotte : GUILLAUME ! Au secours! c’est une catastrophe!

Guillaume (arrivant précipitamment par jardin) : Quoi ? Que se passe-t-il ? ça ne va pas ?

Charlotte : Non, ça ne va pas du tout.

Guillaume : Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu as appris une mauvaise nouvelle ?

Charlotte : Oui.

Guillaume (s’effondre sur une chaise) : Il est arrivé quelque chose à ton père ?

Charlotte : Non, c’est pire.

Guillaume : Vas-y, dis-moi.

Charlotte : Le traiteur…

Guillaume : Quoi, le traiteur ?

Charlotte : Il ne peut pas nous livrer.

Guillaume : Pourquoi ?

Charlotte : Sa boutique a brûlé.

Guillaume : Ah oui, c’est embêtant, mais ce n’est quand même pas pire que si quelque chose de grave était arrivé à ton père…

Charlotte : Embêtant ? tu trouves ça “embêtant” ? Mais c’est catastrophique! Comment est-ce qu’on va faire ?

Guillaume : Pas de panique, on va trouver une solution.

Charlotte : Tu en as de bonnes ; je ne vais quand même pas cuisiner moi-même pour “tes” invités.

Guillaume : N’exagère pas, on se connait depuis longtemps avec Michel, je vais pouvoir lui expliquer.

Charlotte : Mais quelle idée tu as eu de vouloir inviter ton copain d’enfance pour le réveillon du nouvel an !

Guillaume : Attends, Michel n’est pas qu’un simple copain d’enfance, c’est surtout mon meilleur ami. À l’école il était meilleur que moi ; je copiais sur lui ; je lui dois une grande partie de ma réussite.

Charlotte : Et tu ne trouves pas ça injuste ?

Guillaume : Quoi ?

Charlotte : Que lui qui était meilleur que toi se retrouve simple employé de mairie alors que toi tu as un poste important dans la société de mon père.

Guillaume : Qu’est-ce que tu veux ? Ce sont les aléas de la vie…

Charlotte : Ils ont bon dos, les aléas... Avoue que sans mon père, tu n’aurais jamais eu une si belle promotion.

Guillaume : Ce n’est pas faux. Mais bon, je l’ai bien fait prospérer, son entreprise ; l’argent que je gagne, je ne l’ai pas volé.

Charlotte : Parce que tu crois que ton copain Michel travaille moins dur que toi ?

Guillaume : Mais enfin, Charlotte, il est fonctionnaire ! fonctionnaire de mairie !

Charlotte : Et alors ? Tu as de ces préjugés de vieux bourgeois!

Guillaume : Je ne suis pas si vieux que ça… même si je suis marié à une jolie jeune femme…

Charlotte : C’est vrai que de ce côté-là, il n’a jamais eu de chance avec les femmes. D’ailleurs je ne m’entendais pas du tout avec sa dernière amie.

Guillaume : Oh, il paraît que sa nouvelle compagne est tout à fait charmante.

Charlotte : Tu la connais ?

Guillaume : Non, je ne l’ai jamais vue.

Charlotte : Tu ne sais même pas comment elle s’appelle ?

Guillaume : Non, il tenait à nous faire la surprise en nous la présentant ce soir. Telle qu’il me l’a décrite, tu vas sûrement beaucoup l’apprécier.

Charlotte : Ce n’est pas une raison pour accepter que son frère à elle se joigne à nous.

Guillaume : Les frères des copines des meilleurs copains, c’est sacré.

Charlotte : Si tu le dis… Bon, eh bien mon cher,  je crois que la meilleure chose à faire, c’est de tout annuler. Appelle Michel pour décommander.

Guillaume : Non, ce serait dommage. Ecoute, j’ai une meilleure idée : je vais lui demander d’apporter de quoi manger, de venir plus tôt, et on ferait la cuisine tous ensemble. Ça nous permettrait de faire connaissance.

Charlotte : Mais je ne veux pas que des inconnus envahissent ma cuisine !

Guillaume : Et tu dis que c’est moi le vieux bourgeois. Pour une fois que j’ai une idée originale et non conformiste…

Charlotte : Bon, d’accord. Dans ce cas je vais faire quelques courses ; pendant ce temps tu appelles Michel et tu lui expliques tout ça. Qu’est ce que je prends ?

Guillaume : Je ne sais pas, moi, des huîtres, du fois gras, du poisson, comme tu voudras.

Charlotte : Hmmm, je vois, tu me laisses me débrouiller toute seule… Bien,  à tout à l’heure.  (Elle met son manteau, prend un cabas et sort.)

Scène 2

Guillaume attend un instant, puis s’empare de son téléphone portable et compose un numéro.

Guillaume : Allo, bonjour ma chérie… Non, elle est sortie… Tu… tu as quelque chose à me dire ?... Non, on ne va pas pouvoir se voir aujourd’hui… Le réveillon à préparer… des invités… Enfin, je t’expliquerai… Tu me manques, tu sais… Tu m’as affolé, la dernière fois, quand tu m’as fait… tu sais quoi… J’ai très envie de recommencer… Oui, non, demain c’est le 1er de l’an, ça ne va pas être possible, mais après demain si tu veux, oui, on se voit chez toi ? Non ? tu préfères aller d’abord prendre un verre ? OK, alors à 11 heures au café de la place… ça marche… à très vite ma Sabine… bisous.

Il raccroche et décroche le téléphone fixe.

Allo, oui, Michel, c’est Guillaume. Oui, ça va, enfin, si on veut… Ecoute, on a un gros problème pour ce soir ; figure toi que la boutique du traiteur a brûlé, du coup il ne peut pas nous livrer… Non, on ne va pas annuler, mais est-ce que ça t’embêterait de venir plus tôt et de nous aider à préparer le dîner ? Non ? Je t’adore. Oui, bien sûr, tu viens avec ta copine… et son frère aussi… Je te laisse les prévenir… dès que possible… apportez ce que vous voulez, on improvisera… oui, non, comme tu dis, c’est pas ce qu’il y a dans l’assiette qui compte le plus… enfin, si, quand même un peu, surtout pour un repas… Bon, OK, à tout de suite.

Il raccroche, Coline entre.

Scène 3

Coline : Salut ’pa, je peux prendre des trucs dans le frigo pour ce soir ?

Guillaume : Pour ce soir ?  Tu ne manges pas avec nous ?

Coline : Tu plaisantes j’espère… J’ai autre chose à faire que manger avec les darons… J’ai une soirée prévue avec mes potes, comme tout le monde ce soir…

Guillaume : Ta mère est au courant ?

Coline : Oui, oui…

Guillaume : Et je peux savoir où va ma fille unique ?

Coline  (cherche dans le frigo) : Pas loin… Mais il n’y a rien dans ce frigo !

Guillaume : Non, le traiteur prévu ce soir a décommandé. Mais dis moi où et avec qui ce soir, et puis tu ne va pas y aller habillée comme ça !

Coline : Écoute, maman est d’accord, elle a mon numéro de portable tout comme toi, c’est le soir du réveillon et j’ai quand même 17 ans !

Guillaume : 17 pas 18 donc j’ai le droit de savoir, et cette tenue est trop…trop…

Coline : Trop explicite, c’est ce que tu veux dire ? Mets toi à la page papa, tout le monde est habillé comme ça aujourd’hui, et puis c’est la fête !!

Guillaume : Je suis sûr qu’il y aura de l’alcool en plus…

Coline : Oh et vous, y ‘aura pas d’alcool peut être ?

Guillaume : Ça suffit ! Je vais voir ça avec ta mère dès qu’elle rentrera, en attendant, veux-tu bien sortir de ma vue et aller dans ta chambre !

Coline : C’est ça, j’ai plus deux ans au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.

Guillaume : Pourtant tu te comportes comme tel..

Scène 4

On sonne à la porte. Guillaume va ouvrir. Coline en profite pour s’échapper. On entend la voix de Gérard.

Gérard : Bonjour, ma soeur m’a dit que je devais me pointer chez vous dès que possible…

Les deux entrent en scène.

Gérard : Paraît qu’y faut vous aider à faire à bouffer.

Guillaume : Ah oui, bonjour monsieur… monsieur ?

Gérard : Mon nom c’est Gérard, vous n’avez qu’à m’appeler Gérard.

Guillaume : Oui, c’est original. Moi c’est Guillaume, très honoré. (ils se serrent la main) Ainsi donc vous êtes le frère de…

Gérard : Oui, elle m’a dit “ils ont une galère avec leur traiteur, il faut les aider à préparer le réveillon, vas-y tout de suite si tu peux”

Guillaume : Vous avez fait vite, dites-moi.

Gérard : Oh, faut dire que j’avais pas grand chose à faire ; d’ailleurs j’ai pas grand chose à faire en général, vu que je suis au chômage.

Guillaume : Mon pauvre ami, ce doit être difficile.

Gérard : Quoi ?

Guillaume : D’être sans emploi.

Gérard : Pourquoi ?

Guillaume : Eh bien être sans arrêt à l’affût d’une opportunité, passer son temps à lire les petites annonces, se sentir inutile, ça doit être une sacrée pression.

Gérard : Non, non, tout va bien.

Guillaume : Ah bon ?

Gérard : Oui, vous savez, je ne cours pas après le boulot, ça me laisse du temps pour militer.

Guillaume : Ah oui, vous faites dans l’associatif ? Social, protection de la nature ?

Gérard : Gilets jaunes !

Guillaume : Ah, il en reste encore ?

Gérard : Plus que ce que vous croyez, et prêts à débusquer les profiteurs, si vous voyez ce que je veux dire.

Guillaume : Non, je ne vois pas du tout, mais bref, votre soeur vous a passé la consigne ? Vous avez apporté quelque chose pour le dîner ?

Gérard : Ah non, moi j’ai rien apporté, j’ai pas les moyens, et puis de toutes façons je sais pas faire à manger.

Guillaume : C’est très agréable de vous avoir comme invité…

Gérard : C’est pas de l’ironie, ça ?

Guillaume : Un petit peu, si… Bon, mais si vous ne savez rien faire, pourquoi être venu si tôt ?

Gérard : Je vous l’ai dit : j’ai le temps, et je suis quelqu’un de coopératif ; on me demande d’aider, j’aide. Si vous avez des tartines à beurrer, je suis votre homme. Et puis surtout, j’ai apporté ma guitare, ça va mettre de l’ambiance, écoutez.

Il joue n’importe quoi très faux.

Guillaume : Ah ben, effectivement, il risque d’y avoir de l’ambiance ! ça fait longtemps que vous en jouez ?

Gérard : J’ai commencé il y a 15 jours.

Guillaume : Ah oui, tant que ça.

Le reste de la conversation se passera sur fond de guitare très fort et très faux.

Guillaume : Et sinon, vous connaissez bien Michel ?

Gérard : Qui ça ?

Guillaume : Michel, le compagnon de votre soeur.

Gérard : Ah! non, pas très bien, ça ne fait pas longtemps qu’ils sont ensemble. Je l’ai vu une ou deux fois. En fait, elle sort d’une liaison avec un homme marié. Enfin, elle sort… en vérité elle n’en est pas encore sortie…

Guillaume : Ah bon ? elle a une liaison avec deux hommes en même temps ?

Gérard : C’est-à-dire qu’elle aimerait bien se débarrasser du premier, mais elle n’a pas encore osé lui dire.

Guillaume : C’est embarrassant, ça, je n’aimerais pas être à sa place.

Gérard : À la place de ma soeur ?

Guillaume : Non, à la place du gars marié, ça doit être très gênant. Et Michel est au courant ?

Gérard : Je ne crois pas, non.

Guillaume :  Dites, vous ne voudriez pas arrêter un instant de jouer de la guitare, ça nous éviterait de gueuler.

Gérard : Ah oui, c’est vrai, je ne me rends pas compte, quand je suis parti dans une improvisation…

Guillaume : Donc, si je résume, votre soeur s’est mise en ménage avec mon copain Michel alors qu’elle n’est pas encore sortie d’une liaison avec un homme marié. Dites-donc, votre soeur, c’est une chaude…

Gérard : S’il vous plaît, n’insultez pas ma soeur. C’est une fille bien.

Guillaume : Oui, sûrement, excusez-moi. Elle fait quoi dans la vie ?

Gérard : Elle est prof.

Guillaume : Comme ça, ils sont fonctionnaires tous les deux.

Gérard : Oui, et alors ? Vous avez quelque chose contre les fonctionnaires ?

Guillaume : Ceux qui travaillent, non. Ils sont quand même payés avec l’argent de nos impôts.

Gérard : Vous devez en payer pas mal, vous, des impôts.

Guillaume : Je ne me plains pas.

Gérard : Si, vous vous plaignez de payer trop d’impôts.

Guillaume : Oui, mais je ne me plains pas de ce que je gagne, je vis très bien.

Gérard : Vous faites quoi, au fait ?

Guillaume : Je dirige l’entreprise de mon beau-père, on fabrique des composants électroniques.

Gérard se remet à la guitare.

Gérard : Ah oui, vous faites des trucs pour amplifier les guitares ?

Guillaume : Dans votre cas, je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Scène 5

On entend une porte qui claque et la voix de Charlotte.

Charlotte : C’est moi, j’ai pris ce que j’ai pu, il n’y a plus grand chose dans les rayons. C’est quoi ce bruit ? Tu as mis la machine à laver en marche ?

Gérard s’arrête de jouer.

Charlotte : Ah, c’est fini, ça devait être l’essorage. Elle entre et s’arrête net en voyant Gérard.

Guillaume : Ma chérie, je te présente Gérard, le “beau-frère” de Michel.

Charlotte : Ah, vous êtes déjà là. Enchantée, monsieur.

Gérard : Oh, appelez-moi Gérard (Il veut lui faire la bise, elle hésite mais se laisse faire), vu que c’est mon prénom, Gérard.

Charlotte : Oui, enchantée, Gérard. C’est gentil d’être venu si vite, on est très embêté avec cette histoire de traiteur, j’espère que vous n’êtes pas trop offusqué.

Gérard : Poffusqué, moi ? Jamais!

Charlotte : Parfait. Et qu’est-ce que vous nous avez apporté de bon ?

Guillaume (la prenant à part) : Euh, Charlotte, il faut que je te parle. Il n’a rien amené, il est chômeur, il n’a pas un rond.

Charlotte : Mon Dieu, un pauvre ?

Guillaume : Pire, un gilet jaune.

Charlotte : Comme c’est charmant. (Elle s’approche de Gérard) J’espère que vous allez nous raconter des histoires de ronds-points… Et ne vous inquiétez pas pour le dîner, nous aurons largement de quoi nous sustenter.

Gérard : Sucer quoi ?

Charlotte : … Je veux dire : de quoi manger.

Gérard : Oh, je ne m’inquiétais pas, j’ai l’habitude. Mais vous allez voir, je vais vous mettre de l’ambiance (il gratte sa guitare)

Charlotte (à Guillaume) : Ah, c’était ça le bruit ?

Guillaume : Oui.

Gérard : Vous aimez ?

Charlotte : Disons que c’est un style un peu inhabituel. Peut-être conviendra-t-il davantage à une ambiance de fin de repas, après le dessert.

Gérard : Vous croyez ?

Guillaume : Oh oui, sur ces questions-là elle a un goût très sûr.

Gérard : Bon, ben en attendant, donnez-moi quelque chose à faire. Vous n’avez pas des toasts à beurrer ?

Charlotte : Si justement, pour accompagner les huîtres.

Gérard : Ah bon, il y a des huîtres ?

Charlotte : Oui, c’est un peu classique, je sais, mais nous n’avons plus le temps de faire dans l’originalité. Pourquoi ? Vous n’aimez pas les huîtres ?

Gérard : C’est plutôt elles qui ne m’aiment pas… Je suis allergique… Et puis l’idée d’engloutir d’un coup un animal vivant, ça me fait bizarre.

Charlotte : Évidemment, si vous pensez à ça…

Gérard : Imaginez qu’on fasse pareil avec le poulet… Pire, avec le boeuf… Vous vous voyez, tous autour d’une vache, à piquer votre fourchette dans l’animal pour le bouffer…

Charlotte : Arrêtez, c’est horrible ce que vous dites!

Guillaume : Si vous n’aimez pas les huîtres, n’en dégoûtez pas les autres.

Gérard : OK, excusez-moi, où est le beurre ?

Charlotte : D’après vous ?

Gérard : Je ne sais pas, moi je le mets sur le rebord de la fenêtre… en hiver seulement…

Charlotte : Eh bien, nous, on le met dans le frigo, derrière vous, été comme hiver.

Il s’installe à une table et commence à beurrer des toasts, pendant que Guillaume et Charlotte s’affairent en cuisine.

Scène 6

On sonne à la porte d’entrée.

Charlotte : Ah, ça doit être Michel. Guillaume, tu vas ouvrir ?

Guillaume : J’y vais. Il se dirige vers l’entrée, on entend des voix “Bonjour Guillaume, Bonjour Michel, tu vas bien?...” Ils entrent sur scène, Michel est seul.

Michel : Bonjour Charlotte (ils se font la bise). Bonjour Gérard (ils se serrent la main).

Charlotte : Ta copine n’est pas avec toi ?

Michel : Si, elle s’occupe de garer la voiture. J’ai pris les devants pour monter les victuailles.

Guillaume : Tu lui as indiqué l’étage ?

Michel : Oui, oui.

Guillaume : Je laisse la porte ouverte.

Charlotte : Qu’est-ce que tu nous a apporté de bon ?

Michel : Des huîtres.

Gérard : Oh non!

Michel : Pourquoi ? Y a un problème ?

Guillaume : Non, c’est à cause du poulet, du boeuf, tout ça, enfin on t’expliquera…

Michel : … Et du fromage !

Charlotte : Super (elle sent le paquet). Humm, il est bien fait, dis-moi.

Michel : Rien que du bon : Munster, Camembert, Maroilles.

Charlotte : Je vais le mettre au frigo.

Michel : Ah non, surtout pas, il va perdre tout son arôme.

Charlotte : Ah, c’est vrai, ce serait dommage (elle pose le paquet sur une chaise). Bon, les garçons, j’ai besoin d’un coup de main pour pousser des meubles dans la salle à manger. Michel et Gérard, vous venez m’aider ? Guillaume, tu peux commencer à ouvrir les huîtres en attendant.

Guillaume : OK.

(Charlotte, Michel et Gérard sortent)

Guillaume : Bon, le couteau à huître, il doit être rangé par là. (il se baisse derrière un meuble de façon à ce qu’il ne voit pas qui peut entrer).

Scène 7

Sabine entre sans voir Guillaume.

Sabine : La porte était ouverte, je peux entrer ?... Il y a quelqu’un ?

Guillaume se relève, les deux restent bouche bée en se voyant.

Sabine et Guillaume (ensemble) : Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Guillaume : Mais tu es folle de venir ici ! Ma femme est à côté !

Sabine : Pourquoi ? Je suis invitée ! Et toi, qu’est-ce que tu fais là ?

Guillaume : Mais je suis chez moi !

Sabine : Ah bon ! Mais alors, c’est toi le copain de Michel ?

Guillaume : Et tu es sa nouvelle petite amie ? Merci, ça fait plaisir d’apprendre comme ça que je me suis fait larguer.

Sabine : Je suis désolée, je voulais te l’annoncer tranquillement à notre prochain rendez-vous.

Guillaume : Je comprends maintenant pourquoi tu ne voulais pas qu’on se voit chez toi.

Sabine : Ne m’en veux pas, Guillaume.

Guillaume : Ça va être difficile de ne pas t’en vouloir, et dire qu’on va devoir passer la soirée ensemble.

Sabine : Il va falloir donner le change.

Guillaume : Je préfèrerais te rendre la monnaie de ta pièce, mais c’est trop tard.

Sabine : Écoute, je te propose pour ce soir, de faire semblant, faire comme si on ne se connaissait pas.

Guillaume : Ça va être difficile.

Sabine : … Et on se voit comme prévu après-demain pour discuter de tout ça.

Guillaume : de toutes façons on n’a pas le choix ?

Sabine : Non.

Guillaume :  Bon, je vais essayer.

Sabine : On se fait la bise quand même. (Elle l’embrasse sur la joue, Michel entre à ce moment).

Scène 8

Michel : Ah, je vois que vous avez fait connaissance.

Guillaume (gêné) : Euh, oui…

Sabine : Oui, on ne t’a pas attendu pour faire les présentations.

Guillaume : Non, ça c’est vrai, on ne t’a pas attendu…

Michel : Vous avez bien fait. Ça me fait plaisir que vous vous entendiez bien. Je craignais qu’il y ait des tensions… ça arrive, quand on ne se connaît pas.

Guillaume : Oui, ça arrive.

Sabine : Quand on ne se connaît pas.

Guillaume : Alors que là… C’est comme si on se connaissait déjà…

Sabine : Oui, comme si…

Michel : Vous savez ce que j’aimerais ? C’est que vous fassiez comme si vous vous connaissiez depuis longtemps.

Guillaume : Ah ben non, quand même…

Sabine : C’est un peu gênant.

Michel : Si, si. J’insiste. Guillaume, tu es mon meilleur ami. Il est logique que tu sois aussi le meilleur ami de Sabine.

Guillaume : Euh, je ne sais pas si…

Sabine : Mais oui, Guillaume, Michel a raison. Faisons semblant d’être de très bons amis. Je sens que je sais déjà beaucoup de choses sur toi.

Michel (les enlaçant tous les deux) : Ah, je suis vraiment heureux d’être le lien qui nous réunit tous les trois.

Charlotte entre.

Scène 9

Charlotte : Eh bien, vous avez l’air de bien vous entendre.

Michel : Charlotte, je te présente Sabine.

Charlotte : Enchantée, Sabine.

Sabine : Moi de même, Charlotte (elles se font la bise). Guillaume, ta femme est charmante.

Charlotte : Ah, vous vous tutoyez déjà ?

Sabine et Guillaume (ensemble) : Euh, c’est-à-dire que…

Michel : C’est moi qui ai insisté pour qu’ils soient comme de vieux amis.

Guillaume : Oui, c’est pour faire plaisir à Michel.

Sabine : Oui, c’est ça, on n’a pas voulu contrarier Michel.

Michel : Je suis tellement heureux.

Charlotte : Eh bien, si tout le monde s’aime, on va passer une soirée formidable. En attendant, si on se mettait au boulot ?

Sabine : Mon frère n’est pas encore arrivé ?

Charlotte : Si, mais il a voulu rester un moment au salon pour accorder sa guitare.

Sabine : Ça peut prendre un moment.

Charlotte : J’ai cru comprendre ça, oui.

Guillaume : Ah bon, elle était désaccordée ?

Charlotte : Bon, on se passera de lui pour le moment.

Guillaume : Je vais l’envoyer chercher du vin à la cave.

Charlotte : OK. On a donc des huîtres en entrée et du fromage. J’ai acheté du poisson…

Sabine : Je connais une bonne recette.

Charlotte : Bon, Sabine s’occupe du poisson, Gérard du vin, Guillaume et Michel vont ouvrir les huîtres. Il manque un dessert…(on sonne à la porte) Qui ça peut-il être ?... Je vais voir… (les autres commencent à s’activer. Charlotte revient accompagnée d’un homme). C’est notre voisin du dessus, monsieur Mangin.

Scène 10

Mangin (timidement) : Bonjour.

Guillaume : Bonjour monsieur Mangin, comment allez-vous ?

Mangin : Comme quelqu’un qui s’apprête à passer un réveillon tout seul…

Guillaume : Oh, vous savez, il y a de bons programmes à la télévision le soir de la Saint-Sylvestre…

Michel : Je crois qu’ils passent la revue du Crazy Horse…

Charlotte : Et qu’est-ce qui nous vaut l’honneur de votre visite ?

Mangin : J’ai entendu que vous aviez du monde, alors je me suis dit que je pourrais vous apporter un petit quelque chose, comme ça ça me donnera l’impression de participer un peu à votre fête.

Charlotte : C’est très gentil, monsieur Mangin, mais il ne fallait pas vous déranger…

Mangin  (tendant une bouteille) : Vous boirez cela à ma santé.

Guillaume : Merci, qu’est-ce que c’est ?

Mangin : C’est une eau-de-vie, un cadeau que m’a fait un de mes patients.

Michel : Ah, vous êtes médecin.

Guillaume : En fait, monsieur Mangin est psychanalyste.

Michel : Et vos patients vous offrent de l’eau-de-vie ?

Mangin : Celui-là est un peu spécial, il a failli aller en prison…

Michel : Ah bon ? Pourquoi ? qu’est-ce qu’il a fait ?

Mangin : Il a tué sa femme.

Sabine : Et vous avez sympathisé avec lui ?

Mangin : Oh non, j’ai simplement prouvé qu’il n’avait pas toute sa tête et que l’internement en centre de soins était plus adapté que l’emprisonnement. Alors pour me remercier, il m’a offert plusieurs bouteilles de cet alcool qu’il confectionne lui-même.

Michel : C’est… c’est une bonne attention…

Sabine : Il l’a tuée comment, sa femme ?

Mangin : En l’empoisonnant, il versait tous les jours un peu de mort aux rats dans son thé.

(tout le monde regarde la bouteille avec consternation)

Sabine : C’est horrible, elle a dû souffrir terriblement.

Mangin : Vous savez, certaines femmes font souffrir leur époux sans avoir besoin de l’empoisonner.

Sabine : Merci, dites tout de suite que vous soutenez cet assassin !

Mangin : Non, mais à force de l’analyser, j’ai fini par le comprendre.

Charlotte (coupant court à cette conversation) : Bon, monsieur Mangin, c’est très aimable, mais nous avons un dîner à préparer.

Mangin : Oui, c’est vrai, excusez-moi. (il fait mine de partir, puis revient) Je peux vous aider si vous voulez.

Charlotte : Merci, ça ira, nous sommes déjà trop nombreux dans la cuisine. Guillaume, tu as trouvé les couteaux à huîtres ?

Guillaume : Oui, les voilà.

Mangin (examinant les couteaux) : Oh, mais vous n’irez pas loin avec ça. Je vais aller vous chercher les miens, vous verrez, ils sont très efficaces.

Charlotte (le poussant vers la sortie) : Ne vous donnez pas cette peine.

Mangin : Si, si, j’y tiens. (il sort)

Scène 11

Sabine : Mais il est complètement givré, ce type !

Guillaume : Oh, comme tous les psychanalystes, il est un peu spécial…

Charlotte : C’est vrai que je n’aimerais pas me retrouver seule avec lui dans l’ascenseur.

Sabine : En tout cas, moi je ne touche pas à sa gnôle, avec ce qu’il nous a raconté…

Guillaume : Vous êtes mauvaises langues, je suis sûr qu’il est très bon, ce cordial (il hume le goulot et fait un peu la grimace).

Gérard revient et voit la bouteille, sourit et file derrière l’ilot pour se chercher un verre.

Scène 12

Charlotte : Eh bien l’eau de vie à cette heure là ce n’est pas pour moi (voyant Gérard se servir généreusement), d’autant que cela ne va pas faire avancer notre repas de ce soir

Gérard : Vous avez tort ma p’tite dame, (il goûte la gnôle et fait une grimace puis finalement sourit béatement) elle désinfecte bien et remet les idées en place…

Michel : Hmmm, rien qu’à l’odeur on comprend pourquoi (il goûte et recrache immédiatement dans la plante verte, charlotte ne voit rien, elle s’affaire derrière l’îlot).

Charlotte : Sabine, vous ne voudriez pas venir m’aider à installer la décoration de table pendant que les hommes se répartissent les tâches en cuisine ? (Charlotte voit Gérard qui se ressert un deuxième verre)  D’ailleurs, Guillaume, tu ne devais pas confier à Gérard le choix du vin ? Heu…. C’est vraiment une bonne idée ?

Gérard : Ah oui ! ça c’est une bonne idée, j’ai travaillé une fois dans un resto « chic » pour dépanner ! Bon, je ne suis pas resté longtemps, mais j’ai pu goûter  la qualité des vins de la cave. Le patron a moins apprécié, lui, c’est vrai… Mais du coup je peux vous trouver le bon vin pour ce soir ! Vous avez une cave ?

Guillaume : Oh mais je crois que je vais y aller moi-même, après tout je connais bien ma cave…

Gérard : Mais non, vous inquiétez  pas, et puis je suis là pour aider, non ?

Guillaume : Bien, bien, donc la cave… vous prenez l’ascenseur, niveau moins un, c’est la première porte à gauche. Michel, nous on ouvre les huîtres.

Sabine : Et nous, allons dans le salon, j’ai vu de superbes décos de table dans Marie-Claire, ça donne des idées.

Charlotte : Eh bien je vais vous montrer ce que nous avons. Ça tombe bien, l’année dernière j’ai hérité de ma tante un service de table en argent de toute beauté. Le chemin de table, j’avoue avoir cédé, je l’ai acheté au grand magasin rue Gramuelle…

Sabine (tout en se dirigeant vers le salon) : Il doit être magnifique et certainement très cher…

Charlotte (la suivant et tout bas) : Oui mais vous savez, ce n’est pas grave, quand je vois ce que nous coûte notre fille Coline… et puis mon père paye assez Guillaume pour pouvoir profiter un peu de la vie. (elles sortent)

Scène 13

Gérard : (s’adressant à guillaume) Vous avez de la chance vous, vous avez une belle femme et en plus elle vous trouve un boulot bien payé ! C’est le double effet « kiss cool »

Guillaume : Je vous remercie mais je suis tombé amoureux de ma femme, pas de son argent…

Gérard : Oui peut être. Faut avouer quand même que vous avez eu un sacré flair… moi c’est pas dans les ronds-points qu’on trouve des femmes riches. Plutôt retraitées sans le sou ou femmes seules avec des gamins qui font un mi-temps à Carouf.

Michel : Laisse Guillaume tranquille ! il n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, et il travaille. Guillaume, tu as un récipient pour les coquilles d'huîtres ?

Guillaume : Dans le placard à droite. Gérard, allez donc à la cave choisir un bon vin à défaut de trouver une femme «belle et riche »...

Gérard : Oh là, faut pas le prendre comme ça… moi je suis un pacifiste. Mais vous allez voir, je vais dénicher ce qu’il faut. (il sort)

Scène 14

Michel : Excuse-le, tu sais, c’est un peu la galère pour lui.

Guillaume : Ce n’est pas ce qu’il  a eu l’air de dire lorsque je lui ai parlé de sa situation tout à l’heure : le chômage lui laisse beaucoup de temps libre…

Michel : Disons qu’il s’occupe, mais seul et au chômage il essaie de donner le change quand on parle de sa situation.

Guillaume : Si tu le dis... Je vais te surprendre mais quelque part, je l’envie d’avoir autant de temps libre. Entre le boulot, les femmes, Coline … je n’ai pas une minute à moi...

Michel : Les femmes ?

Guillaume : Oui, heu… Coline et Charlotte quoi…

Michel : Non, tu as bien dis « les femmes, Coline ».

Guillaume : Ah j’ai dis ça moi ?

Michel : Oui tu l’as dit. Je te connais, tu as des soucis ?

Guillaume : Des soucis ? Oui, heu non en fait, c’est réglé.

Michel : Qu’est ce qui est réglé ?

Guillaume : Eh bien, c’est un peu gênant, je ne suis pas fier de moi.

Michel : Hmm, tu vois quelqu’un, n’est ce pas ?

Guillaume : Je voyais quelqu’un. C’est fini, je viens de l’apprendre.

Michel : Je la connais ?

Guillaume : Non, non et puis c’est sans importance.

Michel : Je ne veux pas insister mais je suis ton meilleur ami, je peux comprendre sans juger tu sais.

Guillaume : Oui mais là ce n’est pas vraiment le moment le plus approprié…

Michel : Oui Charlotte est à côté. T’inquiète pas, connaissant Sabine, la déco de la table va durer un moment.

Guillaume (voulant changer de sujet) : À propos de Sabine, et puisque c’est une surprise, je ne sais toujours pas comment tu l’as rencontrée.

Michel : J’étais invité chez un ami, il m’avait invité pour sa crémaillère, Sabine était là, elle connaît sa compagne : elle est restée dans son coin toute la soirée, toute triste… Alors je suis allé la voir, on a discuté sur le balcon une bonne partie de la soirée à se faire des confidences, alcool aidant tu vois…

Guillaume : Oui je vois. Pourquoi était-elle toute triste ?

Michel : Elle sortait avec un salopard, un homme marié, riche, qui se foutait d’elle… aucune intention de quitter sa femme pleine de pognon. Ah ! je l’ai récupérée dans un sale état, mais au final tout ça s’est bien terminé, maintenant que je suis avec elle, je peux te dire que son homme marié, hop ! à dégager !

Guillaume (s’étranglant avec son verre de vin) : Un salopard ? C’est elle qui a dit ça ?

Michel : Ben oui, pourquoi, tu trouves pas ça dégueulasse ? Remarque avec ce que tu viens de m’avouer… Mais même si je ne connais pas ton histoire, je sais que toi tu ne promettrais rien à ta maîtresse. Enfin, tu veux pas quitter Charlotte n’est ce pas ?

Guillaume : Non, non…

Michel : Elle est jolie ?

Guillaume : Qui ?

Michel : Eh bien, ta maîtresse !

Guillaume : Ex maîtresse…. Heu oui bien sûr.

Michel : C’est toi qui a mis un terme à tout ça, c’était trop dur de jouer sur 2 tableaux n’est-ce pas ?

Guillaume : On peut dire ça comme ça.

Scène 15

Gérard revient les bras chargés de bouteilles qu’il pose sur une table.

Guillaume (visiblement content de la diversion) : Ah ça y est ? Vous y avez mis le temps.

Gérard : C’est qu’elle est grande, votre cave ! Et vous en avez, des bouteilles ! En plus, l’entrée de l’immeuble était occupée par un SDF qui s’était réfugié là à cause du froid. La concierge était en train de le chasser quand je suis descendu.

Guillaume : On croit rêver ! On paye un prix fou pour ces appartements de haut standing, et on est squattés par des clodos même pas capables de travailler pour se payer un logement.

Michel : Tu y vas un peu fort, là…

Gérard : C’est vrai, quand même… ça ne vous dérange pas que ces gens meurent de froid ?

Guillaume : Si, d’ailleurs tous les ans je fais un don à l’armée du salut.

Michel : … Déductible des impôts…

Guillaume : Oui, et alors ? La générosité n’empêche pas la bonne gestion. Bon ! (à Gérard ) Vous nous avez choisi quoi comme vin pour le repas ?

Gérard : Oh, vous savez, malgré mon expérience dans ce resto, j’y connais pas grand chose… Au fait, il faut que je vous dise, il m’a fait pitié, le SDF, alors pour la nouvelle année, je lui ai filé une bouteille.

Guillaume : Mouais, OK, mais vous lui avez donné quoi comme vin ?

Gérard : Je sais plus, un nom latin, je crois, Charlus, Marius,…

Guillaume : Petrus ?

Michel : Château Petrus ?

Gérard : Oui, c’est ça, château Petrus !

Guillaume : Quoi ? Vous avez filé mon château Petrus à un clodo ?

Gérard : Ben quoi, c’est du pinard, non ?

Guillaume : Mais vous ne vous rendez pas compte ? J’en avais qu’une bouteille. Un château Pétrus 1982 que je faisais vieillir en attendant une bonne occasion ! à un clodo !

Gérard : Eh bien, le jour de l’an, c’est une occasion, non ?

Guillaume : Mais à un clodo, quand même !

Gérard : Pourquoi ? ça vaut si cher que ça ?

Guillaume : C’est même pas la peine que je vous dise le prix.

Michel (qui pendant ce temps a pianoté sur son téléphone) : on va le savoir tout de suite. Quelle année tu as dit ?

Guillaume : 82.

Michel (tout en pianotant) : 82… ah oui, quand même…

Gérard : Combien ? (Michel lui montre le chiffre affiché sur le téléphone). Ah oui,  quand même… Eh ben il va se régaler, le mec…

Guillaume : Mon château Petrus, qui va finir dans le gosier d’un boit-sans-soif…

Gérard : Oh, mais c’est du racisme antisocial, ça ! vous avez de quoi vous en racheter d’autres, des bouteilles.

Guillaume : Non, un château Petrus 1982, c’est introuvable aujourd’hui.

Gérard : Eh bien, vous savez quoi, on n’a qu’à dire que c’est votre contribution sociale individualisée. C’est vrai, depuis qu’ils ont supprimé l’impôt sur la fortune, vous ne savez plus quoi faire de votre fric. Au moins là, vous avez fait un heureux. Vous avez remplacé l’ISF par le DDP : le Don de Petrus.

Guillaume : Je vais le tuer!

Michel (le retenant) : Du calme, Guillaume. Tu en as d’autres des vins, et je suis sûr que la différence de qualité ne justifie pas la différence de prix.

Guillaume (se calmant) : Tu n’y connais rien… Bref, et pour nous, vous avez ramené quoi ?

Gérard : Je sais pas (regardant l’étiquette) : du Corbières !

Michel (riant) : Du Corbières, et pourquoi pas du Minervois ?

Gérard : Pourquoi, c’est pas bon ?

Michel : Disons que ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur…

Guillaume : Oh, non, tu n’y connais vraiment rien, il y a de très bons Corbières aujourd’hui.

Michel : Oui, si tu le dis… Mais quand je pense que le clodo en bas va se taper un château Petrus 82 alors que nous on va boire du Corbières, il y a quand même de quoi se marrer.

Scène 16

On frappe à la porte

Guillaume : Allons donc, le psy qui revient, il ne manquait plus que ça.

Gérard : (lorgnant sur la gnôle restée sur l’îlot) Il est plutôt sympa votre voisin, au moins il est généreux lui…

Le psy rentre, armé de couteaux à huitres.

Mangin : Voilà, j’espère que je ne vous ai pas trop fait attendre, je ne savais plus où ces couteaux se trouvaient. On ne mange pas des huîtres tous les jours.

Gérard : Ah bon, dans votre milieu on ne peut pas se le permettre ?

Michel : Ça suffit Gérard, ne nous fait pas regretter ton invitation…

Scène 17

Charlotte, suivie de Sabine, rentre dans la cuisine.

Charlotte (faussement enjouée) : Monsieur Mangin, déjà de retour ?

Mangin : Oui, regardez ce que je vous ai amené ! Là, vous pouvez agir sans risque ! (il mime l’ouverture d’une huître et manque de peu Guillaume qui se trouve à côté)

Charlotte : Oh mon dieu, faites attention tout de même…

Michel (il arrache précipitamment les couteaux des mains de Mangin) : Je me dévoue, je commence (il se met derrière l’îlot et commence à ouvrir les huîtres).

Sabine : Fais attention mon amour.

Charlotte : Ah que c’est beau un amour naissant…

Guillaume (qui regarde sabine de travers) : Oui bon ben, finalement je vais prendre un verre de votre eau de vie mon cher Mangin.

Sabine : Oui ça te donnera du courage pour aider Michel…

Guillaume boit, grimace et recrache la gnole dans la plante verte sans que personne ne le remarque.

Charlotte (toujours sur son idée d’un nouvel amour) : Tu te souviens Guillaume, quand on s’est rencontrés, tu ne me laissais jamais rien faire de peur que je me fasse mal. Nous avons passé quelques années merveilleuses !

Guillaume : Pourquoi, ça n’est plus le cas ?

Charlotte : Si bien sûr, mais c’est différent… les années, Coline, tout ça… Vous avez des enfants Sabine ?

Sabine : Eh bien non, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion… ni la personne pour un engagement durable.

Charlotte : C’est dommage, les enfants c’est important, mais maintenant que vous avez Michel…

Guillaume : Laisse donc Sabine et Michel avec ça…

Sabine : Non elle a raison, Michel veut des enfants et moi aussi… Pour une fois que j’ai un homme bien dans ma vie.

Guillaume : Merci !

Charlotte : Merci ?

Guillaume : Oui ! heu merci monsieur Mangin d’être venu nous apporter ces couteaux, c’est très gentil de votre part. (Il le prend par les épaules et le dirige vers la sortie.)

Gérard : Attendez, Machin boira bien un verre de son eau de vie avec nous ou… du Corbières ?

Mangin : Avec plaisir, mais moi c’est Mangin, pas Machin… j’en ai entendu parler de ce Corbières…il paraît qu’il n’a rien à envier aux vins bordelais, enfin… c’est ce que me raconte mon caviste, vous savez rue Gramuelle.

Sabine : Décidément c’est la rue commerçante de tout le quartier !

Charlotte : Quelque peu massacrée par les gilets jaunes…

Gérard : Quelque chose contre les gilets jaunes ? Nous vous savez on est calme, c’est les autres qui ont foutu le bordel !

Charlotte : Pas de soucis Gérard, on a tout retrouvé comme avant !

Gérard : Oui comme la misère, on l’a retrouvée aussi !

Mangin (voulant changer de conversation) : Sabine, si vous le souhaitez je peux vous donner des conseils pour élever votre future progéniture…

Gérard : Ah ! Ah !… et pas de conseil pour les concevoir ?

Guillaume : Ça tout le monde sait faire….

Sabine : Plus ou moins bien…

Guillaume ouvre la bouteille de Corbières d’un geste enragé.

Guillaume : Bon, monsieur Mangin, je vous en prie, goûtez à cet EXCELLENT Corbières. Finalement, c’est comme les enfants, ce qui compte c’est la garde autant que la confection qui fait la qualité…

Mangin : Avec plaisir !

On entend un hurlement derrière l’îlot

Sabine : Oh Michel ! tu t’es fait mal ?

Michel : Aïe ! je me suis coupé la main avec ces couteaux de merde !

Mangin : Je vous en prie, ce ne sont pas des couteaux de m… comme vous dites, ils viennent de mes arrières-grands-parents, nous les léguons à nos enfants de génération en génération et personne ne s’est jamais fait mal…

Charlotte : Mais vous n’avez pas d’enfants vous ?

Mangin : Ah non, ils reviendront à mes neveux.

Guillaume : Et vous voulez donner des conseils pour élever les enfants ?

Mangin : Heu, je suis psychanalyste tout de même…

Sabine : Mais on s’en fout, Michel est en train de se vider de son sang ! Il faut appeler les secours !

Mangin : Laissez, je vais regarder… (Mangin regarde la plaie et sourit) Rien de grave, une petite  inattention et une petite plaie. On va arranger ça, j’ai de quoi vous soigner à la maison.

Sabine : Quand même il y a beaucoup de sang… On devrait appeler les pompiers…

Mangin : Pas de panique, je vous dis que ce n’est rien. Michel, bougez votre main pour voir…

Michel : Aïe, non je ne peux pas…

Mangin : Ne soyez pas apeuré, c’est normal, un peu de sang et on croit que c’est fini !

Michel : Non mais c’est qu’ils sont sacrément affutés ces couteaux !

Mangin : Oui de très bonne qualité, je vous l’avais dit. Allez venez je vais vous réparer ça.

Gérard : Il est de bon conseil notre psy de quartier. (Il prend la bouteille de gnôle et en verse sur la main de Michel qui crie une nouvelle fois).

Charlotte (voulant en finir avant que Gérard ne prenne d’autres initiatives) : Allez-y les hommes, Sabine et moi on finit. Si ça ne va pas on appellera les secours.

Guillaume : Au point où nous en sommes… On vous suit, Machin.

Les 3 garçons sortent, Guillaume soutenant Michel.

Scène 18

Charlotte : Ne vous inquiétez pas pour Michel, je suis sûre que ce n’est rien.

Sabine : Tout de même, j’espère que votre voisin sait ce qu’il fait.

Charlotte (sur le ton de la confidence) : Il est charmant votre Michel, il n’a pas eu trop de chance avec les femmes jusqu’à présent. Son ex compagne était un peu… comment dire… hystérique. Avec vous on le sent épanoui. Remarquez, c’est toujours la lune de miel au début. Après… ça se complique.

Sabine (tout en s’affairant en cuisine) : Vous êtes avec Guillaume depuis longtemps n’est-ce pas ? Pourtant vous formez un couple soudé…

Charlotte : Comme tout le monde, on a des hauts et des bas mais nous avons déjà affronté beaucoup de choses ensemble et je pense que cela a soudé notre couple. Ceci dit on n’est jamais à l’abri de rien. Ecoutez ça, j’ai une amie qui vient de divorcer après 30 ans de mariage apparemment paisible ; elle est tombée sur un message du portable de son mari, sans avoir voulu fouiller, bien sûr, un message de sa maîtresse…

Sabine : Vous savez c’est assez courant.

Charlotte : Oui, sauf que dans son cas, monsieur avait une double vie depuis de nombreuses années ! Moi je ne sais pas comment ils font, ne jamais se tromper de prénom, de numéro de téléphone, mentir tout le temps. Ah, Guillaume serait bien incapable de jouer comme ça un rôle sans jamais se tromper.

Sabine : Si vous le dites.

Charlotte : Je le connais bien, il ne pourrait pas tenir bien longtemps. Et puis il a trop de choses à perdre …

Sabine : Vous voulez dire son emploi ou sa famille ?

Charlotte : Hmmm, les deux.

Sabine (amère) : Je pense que vous avez raison, il ne vous quittera jamais. Mais les hommes sont les hommes, quelquefois il y a un « petit » dérapage, sans jamais avoir l’intention de quitter son confortable foyer. J’espère bien pouvoir en construire un enfin, moi, de foyer.

Charlotte : Vous n’avez pas trouvé le bon jusqu’à présent ?

Sabine : Non, que des hommes beaux sans cervelle, ou moches avec un petit pois là-haut (montrant sa tête), des collectionneurs de filles, des imbéciles, des hommes mariés qui ne prendraient pas le risque d’envisager seulement de rester avec moi…

Charlotte : Ah voilà, encore un homme marié ! Notez que je ne vous en veux pas, du moment qu’il ne s’agit pas du mien !

Sabine : Si vous le dites…

Le téléphone de Charlotte sonne.

Charlotte : Coline ? Tu n’es pas à la maison ? Si…  oui… non, hors de question ! Tu es trop jeune pour rentrer si tard et je ne sais même pas avec qui tu seras. Ton père c’est pareil, pas la peine de le déranger pour ça. Mais tu pourrais quand même venir dire bonjour, non ? Me téléphoner de ta chambre !…  Oui tout le monde est là, enfin presque, je t’expliquerai… tu as encore ces machins vissés aux oreilles ?… (A Sabine) Cela devient impossible à l’adolescence. Qu’est-ce que vous disiez ?

Sabine : Rien, rien….

Charlotte : Ah oui, on parlait d’hommes mariés

Sabine : En fait je n’en n’ai rencontré qu’un. Mais ça me suffit..

Charlotte : Ça ne finit généralement pas bien pour l’une ou pour l’autre. Apparemment c’est pour vous que la lune de miel a tourné court. Madame a su le fin mot de l’histoire ?

Sabine : Non, non.

Charlotte : Eh bien moi je ne me serais pas gênée !

Sabine : C’est une idée…

Scène 19

Les 3 hommes reviennent, Michel se plaint.

Charlotte : Mon pauvre Michel, tu as l’air bien mal en point, tu veux aller te reposer un instant ?

Michel : Oui, merci Charlotte, tu es bien aimable.

Charlotte (faisant un clin d’oeil complice à Sabine) : Ces hommes, ce sont de grands sensibles. (À Michel ) Viens Michel, tu vas t’allonger un instant sur le canapé du salon.

Gérard : Bonne idée, et je vais te jouer un air de guitare pour te détendre.

Sabine : Ça, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

Guillaume : Mais si, Sabine, laisse les aller tous les trois au salon.

Sabine : OK, d’accord, repose toi bien Michel, et toi, Gérard, joue lui quelque chose de doux.

Gérard : Tu peux compter sur moi.

ils sortent tous les trois, laissant Sabine et Guillaume en tête à tête.

Scène 20

Guillaume : Alors ?

Sabine : Alors quoi ?

Guillaume : Tu n’as rien à me dire ? Une explication ? des excuses ?

Sabine : Écoute, Guillaume, je crains que ce ne soit pas le moment, ils vont revenir… c’est à la fois simple et compliqué. Je suis attachée à toi, mais nous deux ça ne peut pas durer. Tu n’as pas l’intention de quitter ta femme, non ?

Guillaume  : Non.

Sabine : C’est bien ce que je dis, notre liaison n’a pas d’avenir. Moi j’ai besoin de quelqu’un avec qui je puisse vivre, pouvoir compter sur lui à tous les instants de ma vie, et il se trouve que Michel est prêt à me proposer cela.

Guillaume : il t’a demandée en mariage ?

Sabine : Mais on s’en fout du mariage. L’important c’est d’aimer, d’être aimé, et de construire un couple solide.

Guillaume : Si c’est ça que tu veux… tu as sans doute raison, Michel est un type bien, je vous souhaite beaucoup de bonheur.

Sabine : Merci mon Guillaume ; ne t’inquiète pas, je le rendrai heureux ton copain.

Guillaume : Un dernier baiser ?

Sabine (elle hésite, puis ) : Un tout dernier alors…

Ils s’embrassent et c’est là que Coline arrive.

Scène 21

Coline : Papa ? avec ma prof ?...

Guillaume : Coline ! attends, ce n’est pas ce que tu crois !

Coline : Je crois ce que je vois, et ce que je vois est très clair.

Sabine  : Coline, je ne savais pas que tu étais la fille de Guillaume…

Coline : Ah, vous, ne la ramenez pas, hein, déjà que vous me refilez des sales notes ! Je vais tout dire à maman !

Guillaume : Non, Coline, attends, je vais t’expliquer…

Coline : 100 euros, ou je dis tout.

Guillaume : Mais ça ne va pas, non ?

Coline : 100 euros… et une bonne note au prochain contrôle !

Sabine : Du chantage à présent, c’est pas possible !

Coline (en sortant) : Je vais tout dire, je vais tout dire.

Guillaume (la poursuivant) / Coline, ma chérie, tu ne peux pas faire ça !

Scène 22

Gérard (entrant) : Qu’est-ce qui se passe ici ?

Coline : Qui c’est celui-là ?

Guillaume : Un de nos invités, (montrant sa fille avec désespoir) Gérard, heu… ma fille.

Gérard : Enchanté mademoiselle, moi je suis le frère de Sabine.

Coline : Eh bien je vais vous en apprendre une belle, Gérard, mon père sort avec votre soeur ! (elle sort)

Scène 23

Gérard : C’est pas vrai ! C’est pas possible ? (il s’assoit sur la première chaise venue sur laquelle est posé le sac de fromages, pendant que Charlotte et Michel reviennent)

Charlotte (entrant à son tour) : Voilà, Michel a l’air d’aller mieux… Mais, Gérard, qu’est-ce que vous faites assis sur le fromage ?

Gérard : Et merde !... c’est pas le moment, après ce que je viens d’apprendre…

Charlotte : Quoi, qu’avez-vous appris ?

Gérard (embarrassé, regardant Guillaume) : Je sais pas si je peux vous le dire…

Guillaume : Oui, euh, non, Gérard, vous ne pouvez pas le dire...

Charlotte : Ah bon, pourquoi ?

Sabine : Ça gâcherait l’ambiance…

Charlotte : Je ne comprends rien.

Sabine : Oh, c’est simple, il a appris que… que…

Guillaume : Que sa femme le trompait !

Gérard : Quoi ?

Charlotte : Je croyais qu’il était célibataire.

Guillaume : Ah oui, c’est vrai, mais non… c’est-à-dire, sa femme, pas tout à fait sa femme, c’est plutôt une copine, et encore, une copine… ils se connaissaient à peine…

Sabine : Pour ainsi dire pas du tout, ils s’étaient vus qu’une seule fois…

Charlotte : Vous êtes en train de me dire que Gérard s’est assis sur le fromage parce qu’une fille qu’il connaissait à peine a eu une aventure avec un autre homme ?

Sabine et Guillaume (ensemble) : Oui, voilà, c’est ça !

Charlotte : C’est n’importe quoi cette histoire.

Guillaume : Oui, enfin en attendant, le fromage est fichu et vous avez vu l’état de votre pantalon Gérard, vous ne pouvez pas rester comme ça.

Charlotte : C’est vrai. Guillaume, va lui prêter quelque chose pour se changer.

Guillaume : D’accord. Gérard, venez avec moi je vais vous conduire dans notre chambre. (ils sortent tous les deux).

Scène 24

Sabine (essayant de rattraper le coup) : Je suis désolée du comportement de mon frère, mais il est très sensible malgré son air « revêche »…

Charlotte : Ne vous inquiétez pas, je ne lui en tiens pas rigueur. Cependant ce ne doit pas être facile tous les jours avec lui, n’est ce pas ?

Sabine : Oh, toutes les familles ont des problèmes, et puis mon frère a beaucoup de qualités aussi.

Charlotte : Ah oui, si vous me permettez, pas celui d’être un grand musicien !

Sabine : Je suis d’accord, mais ne lui dites pas…

Sonnerie du téléphone, Charlotte répond.

Charlotte : Allo ? Oui, papa…  Tu es en avance pour me souhaiter la bonne année !... Quoi ? L’année ne sera pas bonne du tout ? Pourquoi, que se passe-t-il ?…. Comment ça les marchés s’effondrent ? La Chine ? Mais que va devenir l’entreprise ? Mon Dieu, c’est dramatique. Prévenir Guillaume ? oui, ……oui, mais je vais attendre un peu. Demain ? D’accord, à demain. (elle raccroche)

Sabine : Ça ne me regarde peut-être pas, mais on dirait que les nouvelles ne sont pas bonnes.

Charlotte : Non, je viens d’apprendre que l’entreprise de mon père, dont Guillaume est le directeur, a de graves ennuis financiers à cause de spéculateurs chinois. Il va falloir certainement licencier et peut-être même fermer l’usine. Je dois en informer mon époux, mais je ne sais pas trop comment lui dire.

Sabine : Je vois… Malheureusement je ne puis vous être d’aucune utilité. Il vaut mieux que je vous laisse en tête à tête.

Charlotte : Oui, merci Sabine. (Sabine sort)

Scène 25

Guillaume : Voilà, j’ai laissé Gérard se débrouiller devant notre garde-robe. (voyant la mine déconfite de Charlotte)  Qu’y a-t-il ? Tu en fais une tête !

Charlotte : Il y a de quoi. Je viens d’apprendre quelque chose de grave.

Guillaume : Euh… ça a à voir avec moi ?

Charlotte : Oui, malheureusement.

Guillaume : Je vois, avant de m’en dire plus, réponds-moi : tu en as parlé avec Sabine ?

Charlotte : Oui, elle sort d’ici à l’instant, mais...

Guillaume : Tu l’as appris comment ?

Charlotte : Par mon père.

Guillaume : Ton père ? Mais comment il le sait ?

Charlotte : Il a des amis bien placés au ministère.

Guillaume : Quoi, mais qu’est-ce que le ministère a à voir avec ça ? C’est surtout mon problème, non ?

Charlotte : Ça concerne quand même l’ensemble de notre famille.

Guillaume : N’exagérons pas, j’espérais que ça reste entre toi et moi. Je ne vois pas pourquoi ton père s’en est mêlé.

Charlotte : Tu ne vas quand même pas reprocher à mon père de veiller à nos intérêts !

Guillaume : Mais, écoute, c’est une vieille histoire à présent, tout ça est derrière nous.

Charlotte : Mais au contraire, ça ne fait que commencer !

Guillaume : Quoi ? Quoi ? Mais de quoi tu parles ?

Charlotte : De l’usine, pardi ! Pourquoi ? Tu parlais de quoi, toi ?

Guillaume : Moi ? moi ? Mais de rien ! Enfin si, bien sûr, de l’usine, bien entendu. Ça marche du tonnerre, hein ?

Charlotte : Mais non, justement, c’est de ça dont je voulais te parler.

Scène 26

Sabine entre accompagnée de Michel.

Sabine : Michel va mieux, on peut entrer ? on ne vous dérange pas ?

Charlotte : Non, venez. Nous en reparlerons demain, Guillaume.

Gérard entre affublé d’une robe appartenant à Charlotte.

Gérard : Voilà, ça y est,  je me suis changé…

Charlotte : Mais, Gérard, que faites-vous avec ma robe ?

Gérard : Ben, c’est-à-dire que… les pantalons de Guillaume étaient trop grands pour moi, alors comme je ne voulais pas avoir l’air ridicule, j’ai ouvert votre armoire et j’ai trouvé ça.

Guillaume  : Ah ça, vous avez raison, c’est nettement moins ridicule !

Michel : Ah! ah! Il est trop ce mec !

Charlotte  : Et vous comptez rester comme ça toute la soirée ?

Gérard : Faute de mieux… ça gêne quelqu’un ?

Michel : Moi je trouve que ça lui va plutôt bien.

Charlotte : Bon, ben il n’y a plus qu’à mettre ce fromage à la poubelle.

Gérard : Non, attendez, j’ai une meilleure idée, je vais l’apporter au SDF en bas, je lui dirai que c’est un reste de tartiflette. (Il sort avec le sac de fromage écrasé).

Guillaume : Fromage écrasé et Château Petrus, super menu de réveillon pour un clodo.

Michel : Oui, mais en attendant, entre les huîtres qu’on n’arrive pas à ouvrir et le fromage qui a fini sous les fesses de Gérard, on n’a toujours rien à manger pour ce soir.

Charlotte : Tu as raison, Michel, venez tous avec moi, on va faire le point au salon.

Fin 1er acte

ACTE II

Scène 1

Mangin (off) : Y’a quelqu’un ? (il entre). Personne ? Je venais prendre des nouvelles de Michel… (il attend un peu, regarde autour de lui, aperçoit les huÎtres). Bon ben, je vais leur avancer un peu le travail (il commence à ouvrir les huitres en chantonnant « J’habite seul avec maman », de Charles Aznavour).

Gérard (entrant) : Il est vachement content le mec en bas… Ah, salut Machin. Ils sont plus là les autres ?

Mangin (éberlué par la tenue de Gérard) : Non, je voulais prendre des nouvelles de Michel… ils doivent être à côté… mais… mais…

Gérard : Quoi, mémé ?

Mangin : Votre tenue, là ?

Gérard : Quoi, ma tenue ? Ah, vous voulez parler de la robe ! elle n’est pas à moi, c’est une robe de Charlotte.

Mangin : Charlotte vous laisse porter ses robes ?

Gérard : Oh, elle n’a pas vraiment eu le choix… non, mais c’est à cause du fromage…

Mangin : Quel fromage ?

Gérard : Je me suis assis dessus, quand j’ai appris que ma soeur sortait avec Guillaume. Je peux vous le dire à vous, vu que vous êtes psy, vous êtes pour ainsi dire tenu par le secret professionnel.

Mangin : Oui, mais nous ne sommes pas en consultation.

Gérard : Ah ça, non! J’aurais pas les moyens. Parce que vous êtes pas donnés, vous autres, vous les faites raquer, vos clients.

Mangin : Je préfère parler de “patients”, si ça ne vous dérange pas, et puis le paiement est indispensable dans la relation que nous entretenons avec eux : il contribue à la motivation et à l’assiduité et facilite ainsi la voie de la guérison.

Gérard : Si vous le dites… moi personnellement je suis plus facilement motivé quand c’est gratuit.

Mangin : Ceci dit, pour vous, je peux faire une exception.

Gérard : Pourquoi ?

Mangin : Eh bien, si vous avez besoin de vous confier, je peux être un excellent interlocuteur.

Gérard : Oh, mais j’ai rien à confier à personne, je vais très bien dans ma tête !

Mangin : Laissez-vous aller, je sais très bien ce que c’est que d’aimer s’habiller en femme.

Gérard : Ah mais non, c’est pas…

Mangin (l’interrompant) : Tut tut. Tout petit déjà, vous ne quittiez pas les jupons de votre mère, vous mettiez ses chaussures en cachette, et puis un jour vous avez franchi le pas : vous avez mis ses habits, vous vous êtes maquillé, vous vous êtes regardé dans un miroir et vous vous êtes trouvée belle.

Gérard :  Belle ? moi !  mais non !

Mangin : Et aujourd’hui vous avez osé vous montrer en public, pour que tout le monde puisse vous admirer telle que vous êtes réellement.

Gérard : Mais non, c’est à cause du fromage !

Mangin : Et justement, la réaction que vous avez eue en apprenant la liaison entre votre soeur et Guillaume prouve que vous êtes secrètement amoureux de Guillaume et que vous concevez une certaine jalousie envers votre soeur, d’où le rôle du fromage.

Gérard : Quoi ?

Mangin : Oui, le fromage, c’est du lait ; le lait sort du pis, et le pis c’est la mamelle (il met une main sur le sein de Gérard).

Gérard : Eh, mais ça va pas non ?

Mangin : Ah, Gérard, comme je vous envie. Vous savez, moi aussi j’ai ce genre de pulsions, mais je n’oserai jamais m’exhiber comme vous le faites, le regard des autres me fait peur. Gérard, Gérard, laissez-moi vous embrasser !

Gérard : Mais arrêtez, Machin, j’ai pas du tout envie de vous embrasser, foutez moi la paix ! et puis barrez-vous, les autres arrivent… (en effet les autres entrent, alors que Mangin est sur le pas de la porte)

Mangin (à Gérard) : À plus tard, ma belle. (il sort, Gérard s’empare de la bouteille de gnôle et boit au goulot).

Scène 2

Tout le monde entre les uns derrière les autres.

Charlotte : Que se passe-t-il ?

Gérard : Rien, c’est Machin, il voulait me… enfin il voulait nous … nous donner un coup de main !

Charlotte : Ah! et vous l’avez éconduit ? Vous avez bien fait.

Gérard : Oui, on peut dire ça comme ça, je l’ai éconduit.

Guillaume : C’est qu’il commence à devenir envahissant.

Gérard : Vous n’imaginez pas à quel point.

Coline entre.

Scène 3

Coline : Ah, vous êtes tous là, ça tombe bien, j’ai quelque chose à vous dire.

Guillaume (paniqué) : Ah, Coline, ma chérie, je te cherchais justement ; j’ai réfléchi, pour ta soirée de réveillon, il faut que tu apportes quelque chose de bon, voilà 100 euros.

Charlotte : Mais, Guillaume, on avait dit qu’il fallait qu’elle s’assume toute seule, nous étions d’accord pour ne rien lui donner.

Guillaume : Oui, mais bon, c’est la fin de l’année, elle a droit à un petit supplément… et puis elle a eu de bons résultats ce trimestre au lycée, n’est-ce pas, Sabine ?

Sabine : Oui, Coline, je ne voulais pas te le dire avant la rentrée, mais ton dernier devoir est parfait, tu as une des meilleures notes.

Charlotte : Ça m’étonne, ça. Bon, je vois que mon avis ne compte pas… Qu’est-ce que tu voulais nous annoncer de si important ?

Coline (regardant son père et Sabine) : Eh bien, j’ai appris que…

Guillaume (l’interrompant) : Tiens, voilà encore 100 euros, tout est plus cher en fin d’année.

Sabine : Et elle a eu la meilleure moyenne !

Coline : Bon, ben j’y vais.

Michel : Mais tu n’avais pas quelque chose à nous dire ?

Coline : Si… Je vous souhaite de passer un bon réveillon ! (elle sort en exhibant ses deux billets).

Scène 4

Michel : Pour un bon réveillon, il faudrait étoffer notre menu maintenant, non ?

Charlotte (visage fermé) : Oui, comme nous avons dit tout à l’heure… heu… Michel, Sabine, voudriez vous aller acheter un dessert à ma place, le primeur qui est juste en bas est très bien  (Michel et Sabine acquiescent d’un mouvement de tête). Gérard, il vous est impossible de sortir dans cette tenue…

Gérard : Oui surtout si je rencontre machin dans l’ascenseur !

Charlotte : Pourriez vous choisir dans le bar du salon quelques alcools, des cacahuètes, ce que vous voulez pour l’apéro ? Et installer tout cela sur la table basse du salon ?

Gérard (très respectueux, tirant sa révérence) : Oui, madame. (il sort)

Guillaume : (prenant Charlotte à part) : Ce n’est pas forcément la meilleure idée de l’année vu ce qu’il a fait avec mon château Petrus !!

Charlotte : Peut être, mais j’ai besoin de te parler et ensuite je pense avoir besoin d’un petit remontant.

Guillaume : Ah bon ?

Sabine (ayant un geste d’affection) : Michel, c’est bon tu es prêt ?

Michel : Mais oui mon amour (il l’embrasse, Guillaume détourne la tête)

Michel et Sabine sortent bras dessus bras dessous.

Scène 5

Guillaume (dans sa barbe) : Elle se fiche de moi…

Charlotte : Qu’est-ce que tu dis ?

Guillaume : Heu… Je dis elle saura mieux que moi.

Charlotte : Quoi ?

Guillaume : Quoi  « quoi » ?

Charlotte : Elle saura mieux que toi quoi ?

Guillaume : Ah,… elle saura mieux que moi choisir le dessert... et sûrement mieux que Michel aussi…

Charlotte : Bien, assieds toi s’il te plait.

Guillaume : Que se passe-t-il ?

Charlotte : Non, non, que se passe t-il entre toi et Coline ? Depuis quand tu décides seul de lui donner ce qu’elle demande, surtout après en avoir bien discuté avant.

Guillaume : Mais tu as entendu Sabine, elle a fait un super devoir et en plus c’est quand même le réveillon.

Charlotte : Ce n’est pas dans tes habitudes, et puis je sens que tu me caches quelque chose.

Guillaume : Enfin voyons, que vas-tu t’imaginer ? Je suis peut être un peu énervé par les événements de la journée.

Charlotte : Si tu étais énervé, tu aurais été tout autrement avec Coline. Et puis ce n’est pas le moment mais … Que sais tu sur l’usine ?

Guillaume (a côté de la plaque) : L’usine ?

Charlotte : Tu vois tu as déjà oublié.

Guillaume : L’usine, l’usine, c’est le 31 décembre, non de non, je ne pense pas à l’usine !!

Charlotte : Alors quelle est cette vieille histoire ??

Gérard passe ta tête à travers la porte 

Gérard : Dites, il n’y a plus trop de cacahuètes… On pourrait appeler Michel et lui demander d’en prendre tant qu’ils font les courses ??

Guillaume (fuyant) : Gérard, je suis sûr qu’il y en a quelque part, même des noix de cajou, je viens chercher avec vous.

Charlotte : Hmmm, je vois…

Scène 6

Charlotte, seule sur scène cherche quelque chose puis trouve l’imperméable de son mari et fouille dans les poches.

Entre alors Sabine au moment où Charlotte allume le portable de Guillaume.

Sabine : Charlotte excusez moi mais… (Charlotte envoie valser le téléphone portable, changement de ton de Sabine) Michel a oublié son portefeuille… Que faites vous Charlotte, ça ne va pas ?

Charlotte (embrouillée) : Ah oui, heu, c’est à cause du téléphone ? Oui je me disais que j’en avais assez de ces téléphones, ils envahissent notre vie vous savez, plus d’intimité, on est constamment dérangé… S’il faut, on peut nous espionner avec ces « merveilles » de technologie...

Sabine : Non vous croyez ? Cela sert quelquefois à espionner ses proches ça oui… (Elle regarde Charlotte bizarrement et ne dit rien)… C’est ce que vous étiez en train de faire n’est ce pas ?

Charlotte (pas très convaincante) : Mais non…

Sabine (soucieuse elle-même) : Il y a un souci ?

Charlotte : Je ne sais pas… Je ne comprends pas l’attitude de Guillaume.

Sabine : Quelle attitude ?

Charlotte : Il ne se comporte pas comme d’habitude. Regardez avec Coline, il n’est pas un père permissif et il sait qu’elle a besoin qu’on la rappelle à l’ordre, 200 euros donnés gratuitement ça ne lui ressemble pas… même si son dernier devoir était excellent, n’est ce pas ?

Sabine : Euh oui, oui, excellent. Je suis sûre que tout va bien, on est tous un peu sur les nerfs avec cette histoire de repas.

Charlotte : C’est drôle, c’est exactement ce qu’il m’a répondu…

Sabine : Ah oui ? Et bien vous voyez, vous n’avez pas à vous en faire !

Charlotte : Oui peut être. Vous qui avez eu une histoire avec un homme marié, vous pourriez m’aiguiller ?

Sabine : Sur quoi ?

Charlotte : Il me cache quelque chose, je le sens, alors j’imagine…

Sabine : Vous devriez ne pas trop  imaginer, vous allez vous rendre malheureuse pour rien.

Charlotte : Mais comment le savez vous ?

Sabine : Heu, disons que c’est peut être un petit souci de travail ou autre chose, pas forcément une tromperie

Charlotte : Peut-être, peut-être pas… Le mieux serait d’en avoir le cœur net en consultant ses appels et ses messages (elle se dirige vers le portable).

Sabine : Non, non, ne faites pas ça !!

Charlotte : Mais pourquoi ????

Sabine : Je suis persuadée qu’il n’y a rien à trouver, Guillaume vous aime, cela se voit. Vous allez vous sentir coupable en fouillant dans ses affaires. (On entend justement le bip de réception d’un sms).

Charlotte (ouvre le portable) : C’est Michel, il se demande ce que vous faites, il attend en bas… Il a aussi envoyé une photo, voyons…. Ah il s’agit du SDF, installé dans le hall avec le fromage et le vin. Il a l’air de nous saluer. Eh bien au moins il passe une bonne journée…

Sabine : (empoignant le téléphone) : je vais la montrer à Gérard !

Charlotte : Mais….

Charlotte seule sur scène s’en va vers l’îlot et se sert un verre de gnole, goûte, fait la grimace puis hausse les épaules et boit son verre d’une traite. Entre Sabine.

Sabine : Voilà, ça a bien fait rire Gérard, moins Guillaume c’est vrai…

Charlotte : Et le portable ?

Sabine : Rendu à Guillaume. Charlotte, c’est veille de fête, ne vous laissez pas envahir par des idées sombres ! Allez, je vais rejoindre Michel.

 Elle sort.

Scène 7

Charlotte se ressert et boit cul sec. Entre Gérard.

Gérard : Charlotte ? Je vois que vous avez commencé l’apéro sans nous !Vous me servez un petit verre en attendant que votre mari trouve ces foutues noix de cajou.

Charlotte : Si vous voulez.

Gérard : Je me trompe ou vous avez l’air un peu déprimée ? Vous en faites pas, ça va être du tonnerre ce repas ! Sans compter la bonne action avec notre ami SDF.

Charlotte : C’est surtout à vous qu’on la doit…

Gérard : Mais vous ne vous sentez pas mieux, donner sans recevoir vous savez c’est gratifiant.

Charlotte : Si vous le dites.

Gérard : Tenez moi par exemple je n’ai pas un rond… Mais je serais ravi de vous donner quelque chose.

Charlotte : Comme quoi par exemple ?

Gérard (se lève) : Mon corps, par exemple !

Charlotte : Pardon ?

Gérard : Eh bien oui, je m’occuperai bien de vous, je vous masserai les pieds, ferai couler votre bain, et puis après vous pourriez faire ce que vous voulez de moi !

Charlotte : Vous êtes bien gentil mais je ne suis pas intéressée.

Gérard : C’est bien dommage, je suis en forme en ce moment…

Charlotte : Je suis mariée au cas où vous ne l’auriez pas remarqué.

Gérard : Oui enfin ça …

Charlotte : Oui ?

Gérard : Ça empêche pas…

Charlotte : Eh bien si, quand même !

Gérard : Y’en a qui se gênent pas, vous savez.

Charlotte : Eh bien non ! Je ne sais pas… Vous pouvez peut être m’en dire plus ?

Gérard : Je disais ça comme ça, les couples adultères c’est monnaie courante.

Charlotte (après son 3ème verre) : Pas chez moi !

Gérard : Ho là, vous énervez pas, moi je veux juste rendre service …

Charlotte : Service ?

Entre Guillaume avec un sachet de noix de cajou.

Scène 8

Guillaume : Voilà, je les ai enfin trouvées !

Charlotte : Sers donc Gérard pour accompagner la gnôle.

Guillaume : Eh bien ma chérie, je vois que tu apprécies aussi la bouteille de Mangin.

Charlotte : Hmmm, un peu fort, je vais dans le salon me reposer un peu, je crois que j’ai la tête qui tourne…

Elle sort.

Gérard : Sacrée bonne femme que vous avez là. (Ironique) il faudrait pas la laisser filer…

Guillaume : Que voulez vous dire ?

Gérard : Moi ? rien…

Guillaume : Au lieu de dire des âneries, aidez moi un peu à préparer ce repas, au moins sortir la vaisselle pour ce soir.

Scène 9

Entrent Sabine et Michel toujours bras dessus bras dessous.

Sabine : Voilà le dessert, une omelette norvégienne, ça ira ?

Guillaume : Parfait, mets là au frigo.

Michel : Ben dites, tous les deux vous avez bien descendu la gnôle du voisin ! Un peu fort non ?

Guillaume : Je n’y suis pour rien, c’est Charlotte.

Sabine : Charlotte ? Ou est-elle ?

Guillaume : Au salon. Elle se repose un peu mais l’heure avance et il va falloir préparer si on veut manger ce soir... Sabine, accompagne moi avec la vaisselle, Michel peux tu aider Gérard pour le poisson ?

Michel : Pas de problème.

 Guillaume et Sabine sortent

Scène 10

Michel : Gérard, ça ne t’embête pas de finir d’ouvrir les huîtres ? (montrant sa main) Moi j’ai déjà donné.

Gérard : Ah non, j’ai horreur des huîtres, et puis apparemment c’est une activité dangereuse.

Michel : Qui va le faire sinon ? Allez, une bonne action…

Gérard (passant derrière l'îlot) : Ok, mais je ne promets rien… Je vais mettre des gants (il se baisse pour chercher dans les placards et, se relevant) Merde, j’ai coincé ma robe dans ce foutu tiroir.

Michel : Ne tire pas, malheureux, elle risque de se déchirer. Imagine la tête de Charlotte si tu lui abîmes sa robe.

Gérard : Non, je préfère pas imaginer, mais placé comme ça je vois rien, tu ne veux pas m’aider ?

Michel : Oui, attends (il se glisse derrière Gérard au moment où Mangin entre dans la pièce, les deux ne le voient pas tout de suite) Par derrière ça va aller mieux, ne bouge pas, je vais passer mes mains autour de ta taille… Non, je n’y arrive pas… Attends, je vais voir de plus près… (il se baisse)

Gérard : Oui, tu y es presque, ça vient.

Scène 11

Mangin : Eh bien, je vous y prends tous les deux.

(Michel se relève et avec Gérard regarde Mangin sans comprendre)

Mangin : Vous avez bien caché votre jeu jusque là. Gérard, je comprends mieux pourquoi vous refusiez mes avances, je ne savais pas que vous aviez une liaison avec Michel.

Michel : Quoi ?

Mangin : Et vous, Michel, votre relation avec Sabine n’est qu’une façade, c’est ça ?

Michel : Mais qu’est-ce qu’il raconte ?

Mangin : Et la rupture entre Sabine et Guillaume, c’était pour donner le change, en réalité ils sont toujours ensemble.

Michel : Quelle rupture ? Quoi ensemble ? Il est fou ce type !

Mangin : J’ai tout compris. Ah, vous êtes une belle bande de détraqués. Et votre soi-disant dîner, ce soir, c’est une partouze ?

Michel : C’est vous qui êtes complètement détraqué, espèce de crétin (il se rue sur lui),

Gérard : Putain, Machin, vous nous faites chier ! (il se précipite sur Mangin, la robe se déchire, veut lui donner un coup mais frappe Michel qui crie de douleur, les trois s’empoignent, finissent au sol en bagarre générale).

Scène 12

Charlotte (entrant, suivie de Guillaume) : Mais qu’est-ce qui se passe ici ?

Mangin (se relevant) : Ah, la voilà, la tenancière! Il s’en passe de drôles de choses dans votre lupanar !

Charlotte : Dites donc, vous, qu’est-ce qui vous prend ? Et puis d’abord vous n’avez rien à faire chez moi, reprenez votre tord-boyaux et rentrez chez vous !

Mangin : Pourtant vu votre haleine, vous avez l’air de l’apprécier, mon “tord-boyaux”.

Guillaume : Eh, oh, ça ne va pas d’insulter ma femme ? Puisqu’on vous dit de rentrer chez vous !

Mangin : Oh, vous, le coureur, ne la ramenez pas, hein!

Guillaume se précipite et le pousse vers la sortie, suivi des 3 autres.

Scène 13

Sabine revient dans la pièce, étonnée du vacarme. Michel revient à son tour.

Michel : Je peux te parler un instant ?

Charlotte et Guillaume reviennent aussi.

Charlotte  : Je peux te parler un instant ?

Sabine et Guillaume (ensemble) : Oui, de quoi veux-tu me parler ?

Le dialogue suivant est dit en même temps par les deux couples. La mise en scène et/ou le jeu de lumière doit faire comprendre qu’ils ont la même conversation.

Charlotte/Michel : Dis-moi la vérité.

Sabine/Guillaume : Au sujet de quoi ?

Charlotte/Michel : Je ne supporterai pas que tu me mentes.

Sabine/Guillaume : Pourquoi est-ce que je te mentirais ?

Charlotte/Michel : Je préfère une vérité  effroyable à un mensonge insupportable.

Sabine/Guillaume : Tu m’inquiètes.

Charlotte/Michel : Voilà : est-ce que tu vois quelqu’un d’autre ?

Sabine/Guillaume : Comment ça, est-ce je vois quelqu’un ?

Charlotte/Michel : En clair, as-tu une liaison avec une autre personne que moi ?

Sabine/Guillaume : Tu veux dire, en ce moment ?

Charlotte/Michel : En ce moment, actuellement, oui.

Sabine/Guillaume : Actuellement, non.

Charlotte/Michel : Tu le jures ?

Sabine/Guillaume : Je le jure. Mais qu’est-ce qui te fait croire ça ?

Charlotte/Michel : L’attitude de Coline, les propos de Mangin…

Sabine/Guillaume : Mais Mangin, c’est un malade mental !

Charlotte/Michel : Il avait pourtant l’air de savoir de quoi il parlait.

Sabine/Guillaume : Non, il était perturbé par je ne sais quoi avec Gérard.

Gérard : Vous parlez de moi ?

Tous : Non, occupez-vous de vos oignons.

Gérard : Ah oui, des oignons, c’est pas bête, avec le poisson.

Charlotte/Michel : Bon, mais avant ?

Sabine/Guillaume : Avant quoi ?

Charlotte/Michel : Tu as dit “actuellement” d’une façon bizarre.

Sabine/Guillaume : Moi j’ai dit bizarre, euh… j’ai dit actuellement bizarrement ?

Charlotte/Michel : Oui.

Sabine/Guillaume (hésitant) : … Bon, puisque j’ai promis de ne pas te mentir, eh bien, oui, j’ai eu une petite aventure, mais c’est fini.

Charlotte/Michel : C’est donc vrai… et c’était avec qui ?

Sabine/Guillaume : Écoute, tu te fais du mal, arrêtons là cette conversation et préparons le dîner, tous ensemble, comme on l’avait prévu.

Charlotte/Michel : Tu crois que ça va être facile pour moi, maintenant.

Sabine/Guillaume : Mais puisque je te dis que c’est fini.

On entend une voix venant du bas de l’immeuble : “Bande d’enfoirés, vous organisez des parties carrées et vous ne voulez même pas m’inviter !”

Gérard (qui s’est précipité à la fenêtre) : Oh, c’est Machin, il a l’air complètement bourré… ça alors, il est avec le clodo du rez-de-chaussée… Ils ont fini la bouteille de château Pétrus ensemble… (on entend des sirènes de police) Les voisins ont dû appeler la police, v’là les keufs qui rappliquent.

Sabine : Viens, Michel, on va essayer de le calmer, on ne peut pas le laisser comme ça.

Charlotte : Il n’a que ce qu’il mérite !

Guillaume : Oui, il a ce qu’il mérite.

Charlotte : Oh, toi, ne te réjouis pas, je n’ai pas dit mon dernier mot.

Sabine et Michel sortent.

Scène 14

Guillaume (envoyant des signes à Charlotte en direction de Gérard) : Ma chérie, peut-être peut-on parler plus tranquillement dans la chambre…

Gérard (qui a entendu) : Vous gênez pas pour moi surtout, vous avez raison d’en profiter Guillaume, avec une femme pareille.

Guillaume : Oh vous, occupez vous des huîtres et fermez-la !

Charlotte (à Guillaume) : Ça suffit, tu n’as pas à lui parler de cette façon, il n’y est pour rien non ? Toi en revanche… (S’adressant à Gérard) vous voulez un petit coup de main ?

Gérard : C’est pas de refus ma p’tite Charlotte, à deux c’est toujours plus sympathique.

Charlotte (se place derrière l’îlot et fait quelques petits pas de danse tout en parlant et prenant les ustensiles) : Voilà, voilà, je savais bien que j’avais deux couteaux, hmmm, un torchon, un saladier et l’affaire est jouée. (Elle regarde Gérard et ses mains ouvrant les huîtres avec intérêt). Mais dites voir, vous vous en sortez très bien Gérard, je ne savais pas que vous étiez si doué…

Gérard : Ah bah c’est comme la guitare, voyez je suis un autodidacte moi. Et je sais faire plein de choses de mes mains (regard libidineux).

Charlotte (regard malicieux, grand sourire) : Mais je n’en doute pas...

Gérard (étonné) : Ah oui ? Si vous voulez, je peux vous parler de mes nombreuses qualités manuelles...

Guillaume : Non mais ça va pas ! Vous allez pas draguer ma femme chez moi et devant moi en plus !

Charlotte (tout sourire) : Tu devrais changer de ton, Guillaume, tu n’es plus en mesure de donner ton opinion maintenant.

Guillaume : Mais enfin Charlotte, réveille toi, c’est Gérard ! Je comprends que tu m’en veuilles, mais on peut discuter calmement de tout ça sans que tu te sentes obligée de te venger, et surtout pas avec ce, ce…

Gérard : Ce quoi ?

Charlotte : Oui ce quoi ?

Guillaume : ce…Cet hurluberlu !

Gérard : Ah, Ah ! Et bien c’est la première fois qu’on me traite d’u... d’u quoi déjà ?

Charlotte (à Gérard) : Laissez tomber, moi je vous trouve très… très sympathique, le cœur sur la main, c’est important ces valeurs pour une femme et… (Cherchant des compliments à faire sur son physique, le regarde de la tête en bas) bien musclé et…Oh  mais ma robe est déchirée !!

Gérard : Un souci de tiroir, je suis désolé, Michel a essayé de sauver la situation mais…

Guillaume : C’est sûr que vous respirez l’habileté, que ce soit de vos mains ou d’autre chose!

Gérard : Peut être mais au moins moi je suis fidèle !

Charlotte : C’est une très bonne qualité ça Gérard (s’approche de lui, lui passe la main dans les cheveux).

Gérard : Oh vous savez ce qui me fait du bien…

Charlotte : Eh moi, vous savez ce qui me ferait du bien ? (elle chuchote à son oreille et Gérard sourit de plus en plus)

Guillaume : Charlotte, arrête ça tout de suite ! pense…eh bien pense à Coline.

Charlotte (s’adressant à Gérard) : Et vous croyez qu’il y a pensé à Coline ? Tut tut mais pas du tout… (à Guillaume) c’est sa prof, tu te rends compte si elle l’apprend ????

Gérard : Et c’est ma sœur, mais Charlotte, vous savez, Coline…

Guillaume : Stop ! Maintenant tout le monde se calme et Gérard, laissez nous s’il vous plait, il faut que nous réglions ça entre couple d’adultes raisonnables.

Gérard : Mais vous savez, si vous ne lui dites pas c’est Coline qui le fera…

Charlotte (à Guillaume) : Quoi ? Que devrais-je savoir en plus d’avoir été trompée ??

Guillaume : Non mais ça ne sert à rien…

Charlotte : Gérard, dites moi tout de suite ce que Coline sait et va me dire de toute façon.

Guillaume : Gérard, fermez là, c’est à moi de le dire.

Gérard : Ah ben voilà, voyez, enfin on prend ses responsabilités…

Guillaume (s’approche dangereusement de Gérard) : Vous, je vais vous tuer !

Charlotte (se place entre les deux) : Ça suffit !

Gérard : On vous écoute, on est tout ouïe.

Guillaume (prend Charlotte par le bras, l’entraîne vers un coin de la scène)  : Voilà, ce n’est pas facile à dire mais… ma maîtresse… c’était Sabine.

Charlotte : Sabine ? La Sabine qui est ici, chez nous ? Que tu as invitée pour notre réveillon ? Mais comment as-tu pu me faire ça ?

Guillaume : Elle ne le savait pas… Je ne savais pas que Michel sortait justement avec elle… je l’ai découvert aujourd’hui, comme tout le monde.

Charlotte : Coline, comment…

Gérard : Elle l’a appris en surprenant une conversation entre eux deux.

Guillaume : Mais taisez vous, ça ne vous concerne pas !!

Charlotte : Hmmm, ça c’est toi qui le dis. Mon Gérard, je vous propose une nouvelle tenue, vous ne pouvez pas rester comme ça, nous verrons ensuite comment régler ça entre adultes, comme dit mon cher mari… (Elle prend Gérard par le bras et l’entraîne vers le salon).

Guillaume  (les poursuivant) : Mais enfin, Charlotte, sois raisonnable...

 (Charlotte fait passer Gérard puis claque la porte devant le nez de Guillaume)

 

 Scène 15

Michel (qui vient de remonter) : Ah, Guillaume, c’est bien que tu sois seul, je voudrais te parler.

Guillaume  : Ça ne peut pas attendre, Michel ?

Michel : Non, Guillaume, je veux en avoir le coeur net.

Guillaume : De quoi s’agit-il ?

Michel : Tout à l’heure, tu m’as dit que tu avais une liaison extra-conjugale…

Guillaume : J’ai eu une liaison, je t’ai dit que c’était terminé.

Michel : On est des vieux copains, alors réponds moi franchement : cette liaison, c’était Sabine ?

Guillaume (silence)

Michel : Ne m’oblige pas à me répéter. Cette liaison, c’était Sabine ?

Guillaume : Oui, c’est elle qui te l’a dit ?

Michel : À demi-mots.

Guillaume : Mais je te jure que c’est fini entre nous.

Michel : Et Charlotte est au courant ?

Guillaume : Elle a fini par comprendre, elle aussi. Je ne sais pas comment j’ai pu faire ça, j’aime Charlotte. Et la voilà qui veut se venger avec ce Gérard. Quelle honte !

Michel : Tu sais, les femmes ne réagissent pas comme nous… Je suis sûr que c’est du bluff.

Guillaume : Pour elle, oui, mais pas pour Gérard !

Michel : Et puis… tu l’auras bien mérité.

Guillaume : Je ne peux pas dire le contraire…

Michel : Mais quand même, ça me fait drôle.

Guillaume : Quoi ?

Michel : De savoir que tu étais avec Sabine avant moi. Ça me rappelle notre enfance, tu étais toujours devant moi dans les classements scolaires.

Guillaume : Il y a une chose que je ne t’ai jamais avouée… En vérité c’était toi le meilleur… Je copiais sur toi, j’étais juste plus malin…

Michel (avec empathie) : Tu es surtout un sacré connard ! (ils tombent dans les bras l’un de l’autre).

Scène 16

Sabine (qui vient de remonter) : ça va les amoureux ?

Michel : Ah, Sabine, je sais tout, Guillaume m’a tout avoué.

Sabine : Tu sais tout sur… ?

Michel : Eh bien, sur toi, sur lui, sur vous, quoi.

Sabine : Il t’a dit aussi que c’était fini entre nous ?

Michel : Oui, oui, et bizarrement je ne vous en veux pas, je ne suis pas jaloux, à partir du moment où vous étiez déjà séparés quand on s’est rencontrés, il n’y a rien d’anormal. Je suis sûr que quand je t’ai vue la première fois, tu venais à peine de te remettre de votre rupture.

Sabine  : Oui, c’est exactement ça !

Guillaume (voulant couper court) : Au fait, Sabine, que s’est-il passé en bas ?

Sabine : Oh là, en bas, figurez vous que monsieur Machin, enfin je veux dire Mangin, s’est mis à picoler du gros rouge avec le SDF qui squatte ton immeuble. Il ne doit pas avoir l’habitude de boire, parce qu’il s’est mis à dire n’importe quoi, comme quoi Gérard est un travesti, qu’ici c’est une maison close, qu’il s’y passe des choses pas avouables, etcétéra. La police est arrivée, les a embarqués tous les deux. Ils vont probablement passer la nuit du nouvel an au poste.

Guillaume : Ça leur fera les pieds, comme ça ils ne nous embêteront plus.

Michel : Tu n’es pas très charitable, Guillaume.

Sabine : Et Charlotte, et mon frère ? Ils sont passés où ?

Michel : Charlotte a appris elle aussi votre liaison à tous les deux, alors pour se venger, elle s’est mis en tête de flirter avec Gérard. Ils sont dans la chambre.

Sabine : Quoi ? la femme de Guillaume avec mon frère ? Ah non ! Je ne suis pas d’accord!

Guillaume : Qu’est-ce que tu veux faire ?

Sabine : Tu vas voir ! Je vais vous les ramener, ça va faire ni une ni deux.

Guillaume : Non, attends, Sabine, c’est mon problème, non ?

Michel : Laisse la faire, c’est pour ton bien. (Sabine sort)

Guillaume : Mais c’est pas vrai, dis-moi que je rêve !

Michel : Eh non, mon vieux, c’est bien la réalité. C’est toi-même qui t’es fourré dans ce pétrin.

Guillaume : Comment je vais pouvoir continuer à vivre normalement avec Charlotte après ça ?

Michel : Ah, ça, c’est votre histoire à tous les deux.

On entend des éclats de voix derrière la porte du salon

Scène 17

Sabine : Non mais ça va pas tous les deux ?

Gérard : Ben quoi, on faisait rien de mal.

Charlotte : on commençait à peine à s’amuser.

Ils entrent, Sabine la première, suivie de Gérard en peignoir puis Charlotte.

Sabine : Mais vous vous comportez vraiment comme des gamins ! Vous allez me faire le plaisir d’arrêter vos bêtises ! On est là pour passer une bonne soirée ensemble, pas pour se faire des crasses.

Guillaume : Pour la bonne soirée, c’est un peu compromis.

Charlotte : Dis donc, toi, qui c’est qui a commencé ?

Sabine : Silence ! On a dit qu’on préparait un dîner, on va le préparer, ce dîner. Gérard, tu as commencé avec les huîtres, tu finis de les ouvrir. Guillaume, tu épluches des oignons pour la sauce, moi je nettoie le poisson. Charlotte, vous me préparez un fond de sauce avec du beurre et du vin blanc. Michel, comme on n’a plus de fromage, regarde ce que tu peux faire avec des laitages.

Guillaume : J’ai l’impression d’être à l’école et de me faire engueuler par ma prof…

Michel : Moi j’ai été sage, hein Sabine ?

Sabine : Oui, mon chéri, tu es le plus gentil.

Charlotte : N’importe quoi…

Sabine : Et je ne veux plus entendre personne !

Guillaume : J’ai vraiment l’impression d’être à l’école.

Sabine : Qu’est-ce que j’ai dit ?

Guillaume fait un geste signifiant OK. Tout le monde se met au travail en silence et en faisant la tête. Les différents ustensiles vont faire du bruit qui, peu à peu, va se transformer en un rythme très musical. On voit Gérard qui, de temps en temps, goûte une huître. Ça peut durer…

Guillaume : Finalement, c’est sympa ce silence.

Charlotte : Toi, on ne t’a pas sonné.

Guillaume : Et toi, t’as pas intérêt à la ramener.

Sabine : Oh, eh, vous allez pas recommencer, taisez-vous !

Charlotte : Oh, vous, l’allumeuse de quinquagénaire, mettez la en sourdine.

Sabine : De quoi elle me traite, la bourgeoise ?

Charlotte : Ça se prétend prof, ça donne des leçons, et c’est même pas capable de se trouver un homme, un vrai.

Michel : De qui elle parle, là ?

Guillaume : Ne te mêle pas de ça, Michel.

Michel : Je me mêle de ce que je veux. Toi, retiens ta femme ou je fais un malheur.

Charlotte : Sa femme, sa femme, plus pour longtemps. Ça m’étonne pas qu’elle s’y connaisse en poisson, la morue !

Sabine : Non, mais elle me cherche, elle va me trouver (elle empoigne un poisson par la queue et le jette à la figure de Charlotte)

Charlotte : Aïe! (elle se rue sur Sabine, les deux hommes tentent de les séparer, bagarre à l’aide d’ustensiles de cuisine et d’aliments, on peut voir valser des légumes)

Gérard (pousse un grand cri et se couche par terre en hurlant de douleur) : Ahhh !Scène 18

Sabine (se précipitant) : Mon Dieu, Gérard !

Charlotte : Qu’est-ce qui se passe encore ?

Sabine : Je sais ce que c’est, c’est son allergie.

Michel : Je l’ai vu manger des huîtres.

Guillaume : Je croyais qu’il n’aimait pas ça.

Sabine : Michel, appelle les secours !

Michel (sortant son portable) : Je fais le 17 ?

Guillaume : Non, le 17 c’est police secours, fais le 18 plutôt.

Charlotte : Mais non, le 18 c’est les pompiers. Il y a pas le feu...

Sabine : Oh, oh, vous allez pas vous engueuler pour ça aussi ! Il faut appeler le 15.

Michel : OK. (il s’éloigne dans le vestibule)

Le téléphone de Sabine sonne.

Sabine : Charlotte, vous voulez bien surveiller Gérard pendant que je réponds ? (Charlotte dit oui de la tête et Guillaume se rapproche d’elle, les deux sont accroupis près de Gérard). Oui… oui... d’accord… (elle raccroche).

Michel : C’est bon, les secours arrivent.

Sabine : Et moi, c’était la police, ils veulent que je vienne témoigner au sujet du scandale de Mangin.

Michel : Bon, ben, les copains, je crois que notre dîner est compromis. Il vaut mieux qu’on y aille, on va transporter Gérard en bas en attendant l’ambulance.

Guillaume : Oui, je crois que c’est préférable. Tant pis pour le réveillon.

Charlotte : De toutes façons, toute la bouffe est foutue.

Michel et Sabine relèvent Gérard, aidés par Guillaume et se dirigent vers la sortie. Gérard dit un mot à l’oreille de Sabine.

Sabine : Il veut sa guitare.

Guillaume (allant chercher la guitare) : Faites la examiner elle aussi, elle n’a pas l’air très en forme.

Au moment de sortir, Sabine se retourne.

Sabine : Bonne année quand même.

Charlotte et Guillaume : Oui, c’est ça, bonne année.

Scène 19

On entend la porte claquer, Guillaume et Charlotte se regardent un instant, puis font le tour de la pièce des yeux : les légumes, les couverts, le poisson étalé par terre dans la cuisine.

Guillaume : Je suis….vraiment désolé pour…pour tout ça.

Charlotte ne répond pas, comme sidérée, puis semble se remettre et va chercher un sac poubelle derrière l’îlot.

Guillaume : Attends, je vais t’aider.

Charlotte lui jette le sac à la figure. Guillaume épaules rentrées comme un malheureux commence à remplir le sac. Charlotte se dirige vers le salon, puis se ravise et écoute dans l’ombre. Guillaume prend une orange dans la main et se met à lui parler, dos à Charlotte (lumière tamisée)

Guillaume (à l’orange) : Mon amour, je n’ai jamais voulu te faire de mal. Je ne veux pas me donner d’excuse mais entre le travail, le stress, Coline qui est dans un âge difficile, je… je voulais un peu… je ne sais pas… de changement peut être. Je n’ai jamais voulu te quitter, Sabine l’a bien compris…c’était stupide, je n’ai aucune excuse. Je n’arrive même pas à revenir dessus tellement je ne comprends pas, tellement je me hais pour ça ! Tu es la seule au monde qui compte pour moi, personne d’autre n’a d’importance à mes yeux. Je ne sais pas quelle sera ta décision et je suis pétrifié de peur. Je ne peux envisager ma vie sans toi. J’ai déconné, vraiment déconné mais je n’ai jamais eu de sentiments pour quelqu’un d’autre. Jamais. Je pense à toi, à nous, à tous ces souvenirs qui faisaient de nous les plus heureux du monde. Je t’en conjure, ne laissons pas une bêtise pareille gâcher notre amour. Laisse-moi te prouver qu’il est plus fort que tout, que tu pourras retrouver la confiance sans faille que tu m’accordais. Dis-toi que si l’on passe cette épreuve, rien ne pourra jamais nous détruire ! N’oublie pas que je t’aime et t’aimerai quoi qu’il arrive.

Charlotte s’avance, s’empare d’une banane et de deux abricots.

Charlotte (s’adressant aux fruits) : Je ne suis pas sûre de pouvoir pardonner, cela va prendre du temps, mais je te promets d’essayer. Nous avons une belle famille, je serais très malheureuse de perdre cela…

Guillaume : Je te jure, ça n’arrivera plus ! Je ne veux plus jamais ressentir cette angoisse de te perdre !

Guillaume et Charlotte s’enlacent .

NOIR

Scène 20

Lumière. On trouve Charlotte et Guillaume autour de la petite table de la cuisine avec un petit pot de foie gras et une miche de pain. Ils se regardent comme s’ils venaient de tomber amoureux.

Guillaume : Finalement on est bien mieux tous les deux !

Charlotte : Hmmm… Gérard aurait pu rester, lui (Guillaume fronce les sourcils). Mais non, je plaisante, franchement, on aurait fait un couple très mal assorti …

Guillaume : Tu n’as quand même pas…

Charlotte : (Grand sourire) Qui sait ?…

Entre Coline, qui s’arrête en voyant le désastre dans la cuisine.

Coline : Mais qu’est-ce qui s’est passé ici ? Vous étiez tous bourrés et vous avez jeté le repas du réveillon par terre ou quoi ?

Charlotte : Heu…ce serait trop long à expliquer.

Guillaume : Une petite dispute, rien de grave…

Charlotte : Oui rien de grave, tout est arrangé.

Coline : Mais ou sont passés les autres ?

Guillaume : Gérard a une allergie aux huîtres, cet idiot en a mangé quand même.

Charlotte : Et dans la panique, tout le repas est tombé par terre… ils sont partis aux urgences.

Coline : Ah oui ? Ça n’a rien à voir avec une certaine histoire, papa, par hasard ?

Guillaume : Un peu peut être.

Charlotte : Je suis au courant.

Coline : Tu es au courant et vous mangez tranquillement du foie gras ?

Charlotte : Eh bien oui, j’apprends le pardon figure toi. D’ailleurs, à ce propos, j’ai sûrement d’autres raisons de pardonner non ?

Coline : Comment ça ?

Charlotte : Il me semble que tu as profité de la situation pour récupérer 200 euros non ?

Coline : Eh bien, oui mais…les voilà (elle tend les deux billets à son père). Je préfère bien plus vous voir heureux ensemble !

Guillaume : Tu veux un peu de notre repas du réveillon ?

Coline (elle s’installe entre eux deux) : Juste un petit peu, il est à peine 7 heures, après je file à mon réveillon… et vous savez, pour être tout à fait honnête, eh bien, je suis nulle en anglais, ma note au dernier devoir le sera certainement…

Guillaume et Charlotte : Ça, on s’en doutait !

Le téléphone sonne, personne ne répond. On entend la voix sur le répondeur.

 “ Traiteur Toudubon ; finalement j’ai trouvé une solution avec un ami restaurateur, je peux venir vous livrer dans une demi-heure ”.

Noir.                                                                                                                                                                                            


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