scènes en cuisine
Dispute entre deux soeurs sur les conquêtes des luttes des femmes, en présence de leur mère qui a aussi son mot à dire sur la question
🔥 Ajouter aux favorisDispute entre deux soeurs sur les conquêtes des luttes des femmes, en présence de leur mère qui a aussi son mot à dire sur la question
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F2 : Tu ne mets pas un peu trop de sucre, là ?
Mère : Je suis la recette, c’est marqué 200 grammes, il faut bien ça.
F1 à F2 : Qu’est-ce que tu y connais, toi ? de toute façon t’as jamais voulu faire la cuisine.
F2 : Ah non ! les tâches domestiques, quelle horreur ! Pendant que tu as les mains dans la farine, tu laisses les mecs réfléchir à ta place et après on vient t’expliquer doctement qu’il n’y a pas de femme créatrice.
F1 : Et tu crois ça, vraiment ?
Tous les jours on rend justice à telle ou telle femme peintre, comme Frida Kahlo, cette peintre mexicaine à la colonne vertébrale brisée par un accident.
Tu connais sûrement la sculptrice Camille Claudel, en partie grâce au film qui lui a été consacré, et l’incroyable émotion qui se dégage de sa Valse en bronze. Mais est-ce que tu pourrais citer le nom d’une photographe ?
Pour te donner un indice, il y en a une qui immortalise les stars, mais qui a aussi été voir des femmes prisonnières pour les photographier.
F2 : (un temps de réflexion) Bettina Rheims ?
F1 : Oui ! Bien joué !
Il y a même des expos exclusivement réservées aux artistes femmes.
Mère : Oui, mais je ne trouve pas que ce soit une bonne idée de séparer peinture féminine et peinture masculine, ça ne rime à rien, les mouvements artistiques concernent les deux simultanément.
F1, à F2 : Et puis faire la cuisine, c’est loin d’être exclusivement féminin, c’est juste le plaisir de rendre heureux les gens autour de soi, les hommes y réussissent d’ailleurs très bien, regarde tous les chefs étoilés.
F2 : Justement : les hommes font la cuisine uniquement de manière théâtrale, spectaculaire, une fois par mois, pour épater les invités. Mais la tambouille quotidienne, deux fois par jour, qui est-ce qui se la tape ? Leur femme.
Mère : C’était vrai autrefois, mais ça évolue là aussi.
J’ai l’impression que vous ne vous rendez pas compte, quand je dis « vous », c’est votre génération, des progrès considérables du sort des femmes en Occident.
On voit de plus en plus de jeunes pères porter leur rejeton dans un porte-bébé ventral. Autrefois, c’était impensable, ça faisait trop féminin. On leur donne un congé de paternité bien utile pour partager les tâches.
F1, observant les jambes de sa sœur : C’est marrant, tu as drôlement changé de look, ces temps-ci, tu ne t’épiles plus les jambes, c’est ça ?
F2 : Ben non, j’en ai marre des diktats masculins qui nous obligent à soigner notre apparence pour séduire. Tu te rends compte de tout ce que ça nous coûte à nous les femmes, de jouer les poupées ?
Les séances d’épilation chez l’esthéticienne, les heures passées chez le coiffeur, les fringues à la mode, et comme par hasard les modes changent tout le temps, et le prix des cosmétiques et des parfums, sans compter les saloperies cancérigènes qu’ils mettent dedans !
F1 : Tu m’as l’air sacrément remontée, dis donc ! Alors pour faire baisser l’addition, je te signale que tu trouves des épilateurs dans n’importe quelle grande surface, ça t’épargnera l’esthéticienne. Pour les fringues, personne ne nous oblige à suivre la mode, moi je mets ce qui me va et je me fiche pas mal des marques, quant aux cosmétiques, c’est l’emballage qui coûte, alors tu trouves les mêmes produits en discount.
F2 : Non mais tu n’as pas compris, ce n’est pas qu’une question d’argent, j’en ai assez de me conformer à tout ce tralala, pour plaire à des mecs qui pratiquent la culture du viol, qui nous harcèlent dans la rue, qui tuent leur compagne.
F1 : Oh là là, tu nous joues la victime perpétuelle !
Debout nénette, cesse de te complaire dans la fange, pratique les arts martiaux !
Personne ne t’oblige à fréquenter ce genre de types. La plupart des hommes sont parfaitement normaux.
Mère : Oui, Emma, c’est toujours grave de généraliser ; les hommes ne sont pas tous des violeurs. Le mouvement #metoo a permis de mettre au jour beaucoup de non-dits, mais l’excès qui consiste à accuser un homme avant même que la justice décide de son cas, cela a ruiné la vie de plus d’un, et parfois de gens innocents. La présomption d’innocence doit s’appliquer, et pour tout le monde.
F1 : Oui, on appelle ça le « tribunal médiatique », une expression choquante je trouve, parce que les médias, en orientant l’opinion, prétendent juger à la place de la justice, seul tribunal légitime.
C’est ainsi que tel cinéaste, tel musicien, tel écrivain, vont être boycottés, déclarés indésirables lors d’un festival où ils avaient pourtant été invités.
F2 : Mais si une plainte a été déposée contre eux, c’est normal qu’ils soient exclus, non ?
Mère : Non, justement, parce qu’une plainte, en plus vingt ou trente ans après, ce n’est pas la même chose qu’une condamnation.
Quand j’étais jeune, oui, j’ai été jeune les filles, je me souviens que des amies rêvaient de se lancer dans le cinéma, et on plaisantait en disant que dans ce milieu du show-biz il faut coucher pour y arriver. On en riait, et en même temps on connaissait le risque. Après, il y a eu des mères qui poussaient leur fille quand même. Elles ont peut-être une part de responsabilité dans l’emprise qu’elles ont permis à un homme d’exercer sur leur fille mineure, non ?
Vous savez, moi aussi je suis féministe, même si je me méfie des excès. Ma génération a vu une énorme évolution dans les droits et les libertés des femmes. La contraception, que tout le monde considère comme un acquis ancien, je l’ai vue arriver, et ça avait encore un goût de scandale. Pas facile pour une jeune fille à l’époque d’entendre le pharmacien dire tout haut pour que tous les clients l’entendent « vous voulez la pilule, mademoiselle ? ».
Simone Veil, avec sa loi autorisant l’IVG a mis fin aux avortements clandestins où de pauvres femmes mouraient en s’étant fait charcuter à coup d’aiguilles à tricoter.
Pouvoir décider soi-même si on veut enfanter et quand, c’est une liberté inestimable que la majorité des femmes n’ont pas sur la planète, il arrive même qu’un dictateur les oblige à faire des enfants pour perpétuer ses guerres.
F2 : C’est vrai tout ça, mais je trouve qu’il y a encore beaucoup à faire. Tu as entendu parler de l’écriture inclusive ?
Mère : Oui, ça fait polémique d’ailleurs !
F1 : Mais qu’est-ce qu’on en a à faire ? Pendant qu’on décortique la langue française, les femmes iraniennes se font tuer pour une mèche de cheveux qui dépasse de leur voile, des fois que les hommes, incapables de contrôler leur libido, leur sautent dessus, et les Afghanes n’ont aucun droit élémentaire, ni sortir de la maison, ni étudier, ni même parler entre elles.
C’est pour elles qu’il faudrait se mobiliser, ça c’est une vraie bataille !
F2 : Eh bien si, ça compte, la langue, figure-toi !
L’idée, c’est que les femmes sont sous-représentées dans le langage et que la règle du « masculin qui l’emporte » entretient le patriarcat.
F1 : Ouais, mais j’ai lu une phrase complètement grotesque : « les garçons et les filles de cette classe sont mignonnes ».
Ridicule. C’est remplacer une domination par une autre, ça n’a pas de sens.
OK pour dire « les droits humains » au lieu des droits de l’Homme, d’autant qu’il y a beaucoup de pays où la moitié de l’humanité est carrément invisibilisée, mais ce genre de phrase avec l’accord inversé, c’est n’importe quoi.
F2 : Quand même, « écriture inclusive », ça dit bien ce que ça veut dire : on n’exclut personne.
F1 : ça te va bien de dire cela toi qui diabolises les hommes et qui donnes dans la misandrie.
F2 : La quoi ?
F1 : La misandrie, l’inverse de la misogynie, la haine des hommes. Remplacer une haine par une autre !
Cela ne nous mènera à rien, sinon à rendre les méchants encore plus méchants, dans un effet de meute.
Tu en penses quoi, toi, Maman, de l’écriture inclusive ?
Mère : J’ai surtout vu des mots où les deux genres sont accolés, avec un point ou un tiret entre les deux, du style « rédacteur.rice » ou « sportif.ive.s ». Franchement, je trouve que ça complique inutilement et que c’est quasiment illisible.
F1 : Le pire, c’est les pronoms inventés de toutes pièces : iel, elleux et cetera. Le plus moche, c’est celleux alors que c’est tellement plus joli de dire celles et ceux avec une belle liaison : celles et ceux.
F2 : Ben MERCI, ma mère et ma sœur se liguent contre moi, sympa !
Mère : Mais non, ne le prends pas contre toi, Emma, nous donnons chacune notre avis, c’est tout.
F2 : C’est juste une évolution de la langue, rien de plus.
F1 : Alors là, non ! Une évolution, ça se fait lentement, avec le temps. Il s’agit plutôt d’un coup de force, surtout quand c’est la grammaire qui est en cause.
Mère : Il me semble que se focaliser sur la langue, c’est esquiver les vrais problèmes, ceux qui ne sont pas résolus, tels que les écarts de salaires qui subsistent entre homme et femme pour un même travail, et les féminicides qui pourraient être évités s’il y avait une meilleure écoute des femmes vivant avec un conjoint violent. La plupart des femmes assassinées étaient allées signaler le danger à la police mais n’avaient pas été prises au sérieux.
F1 : Le mot « féminicide » est récent, tout le monde le connaît et cela prouve qu’un mot forgé par les femmes pour désigner le meurtre spécifique d’une femme est entré dans le langage commun, preuve d’un certain pouvoir que les femmes possèdent maintenant.
Ensuite, on voit des femmes dans quasiment tous les métiers qui ont dû débloquer leurs verrous.
Mère : Et le mieux, mais vous ne le percevez pas sans doute parce que l’évolution s’est faite sur des décennies, c’est que le cinéma rend compte de ce changement.
F2 : Oui, dans les films, avant, c’était « sois belle et tais-toi », que des rôles de potiches, de femmes entretenues, d’épouses candides d’affreux mafieux, de victimes larmoyantes, pas grand-chose qui donne envie de s’identifier, sauf la beauté physique.
Mère : Exactement !
F2 : Maintenant, on a de vraies héroïnes : des espionnes, des profileuses, des boxeuses, des résistantes, des cheffes de gangs, des cheffes d’Etat …
Mère : Bon, c’est pas tout ça, il faut s’y remettre, on prend du retard, le dîner n’avance pas.
F2 : Ciao, ça m’intéresse pas !
Elle sort en claquant la porte
Tableau 2
La mère et F1 se remettent à cuisiner ensemble tout en bavardant
Mère : Elle est vraiment énervée, hein ?
F1 : Oui, elle est dans sa bulle avec ces réseaux dits SOCIAUX qui lui serinent les mêmes âneries à longueur de temps, ces crétin.ine.s d’INFLUENCEUR-EUSES, tu parles d’un mot …
Mère : Qu’est-ce que tu dis ?
F1 : Ben oui, c’est contagieux, voilà que je m’y mets aussi.
« Influenceur », tu parles, comme si c’était un métier ! Des tiroirs-caisses, oui, qui dictent à des neus-neus ce qu’ils doivent penser, et puis quoi encore ?
Une pause où on les voit étaler de la pâte, enfourner une volaille …
F1 : C’est marrant les noms de métiers, il y en a beaucoup qui ont disparu, dans l’artisanat surtout, des métiers exercés seulement par les femmes et inversement, vu qu’elles ont accès à des métiers autrefois réservés aux hommes, on est bien obligé de trouver des noms nouveaux.
Allez, je te dis le nom au masculin, et toi, tu devines le nom féminin, ok ?
Mère : OK
F1 : Huissier !
Mère : Huissière ?
F1 : Eh oui, ça existe aussi.
Metteur en scène !
Mère : Metteuse en scène ? Pourtant on dit professeure, proviseure, pas très logique cette affaire
F1 : Je sais, on a aussi gardé « entraîneuse » comme féminin d’entraîneur sportif alors que le mot désigne aussi un métier pas très flatteur.
Haut-fonctionnaire ?
Mère : Haute-fonctionnaire ?
F1 : Oui, on dirait qu’elle est juchée sur des talons de dix centimètres, ça fait drôle.
Pompier ?
Mère : Pompière ? Non, ça ne doit pas être ça.
F1 : Si, figure-toi, c’est le mot recommandé.
Vigneron ?
Mère : Vigneronne !
F1 : Ouais, facile.
Artisan ?
Mère : Artisane ? ça existe ce mot ?
F1 : Eh oui. On finit par s’habituer aux mots nouveaux.
Saucier ?
Mère : Saucière ? Mais c’est aussi un objet !
F1 : Oui, mais c’est pareil pour « chauffeuse », « agrafeuse », et au masculin aussi ils y ont droit, pense à « avocat », « tailleur », « cadre », « pilote ».
Steward ?
Mère : Y a pas ! C’est de l’anglais. Hôtesse ?
F1 : OUI !
Rugbyman ?
Mère : C’est pareil, on ne dit pas rugbywoman quand même ?
F1 : Joueuse de rugby
Trésorier-payeur ?
Mère : Facile ! Trésorière-payeuse !
F1 : Reporteur ?
Mère : Je n’sais pas.
F1 : On est censé dire reportrice.
Heureusement, quand le mot heurte un peu, faute d’habitude, on peut utiliser un nom épicène, comme journaliste.
Tu sais, tout à l’heure je n’ai pas voulu mettre de l’huile sur le feu avec Emma, mais un des derniers sujets ce sont les cours de récréation. Les féministes dénoncent le fait que les garçons s’approprient tout l’espace pour jouer au foot pendant que les filles soit les regardent soit jouent dans les coins.
Mère : C’est bien observé, en tout cas.
F1 : Oui, c’est vrai, mais pour que les filles osent occuper davantage la cour, encore faudrait-il que les équipes de foot féminines soient mieux reconnues, mieux payées surtout, et que par conséquent les filles soient vues par les garçons comme des partenaires capables. Et puis faut-il d’ailleurs qu’elles les imitent forcément ? Serait-ce un progrès ? De toute façon, ça mettra du temps, comme chaque fois qu’il faut faire changer les mentalités.
Il y a un autre sujet un peu chaud que je n’ai pas abordé avec Emma tout à l’heure, c’est l’intersectionnalité.
Mère : J’ai entendu ce mot déjà, cela signifie que l’on est à l’intersection de plusieurs discriminations, un truc de ce genre ?
F1 : Oui, et en soi, c’est intéressant, ça permet de comprendre que l’expérience d’une femme noire qui gagne une misère est évidemment différente de celle d’une bourgeoise blanche.
Mais d’une part cette notion t’assigne à une identité qui t’emprisonne come une fatalité, sans tenir compte de ta volonté propre de t’élever au-dessus de ta condition, au passage, c’est typique du racisme de renvoyer ainsi les gens à une identité, d’autre part, certains en tirent des conclusions ahurissantes.
Mère : Ah oui, lesquelles ?
F1 : Eh bien ceci : Si tu te fais tabasser par un homme autre qu’un « mâle blanc » comme ils disent, c’est moins grave parce que ton agresseur, le pauvre, est lui-même l’objet de discriminations en tant que non-blanc.
A la limite, ta situation de femme battue ne sera envisagée qu’après la sienne, c’est lui que l’on doit plaindre en premier, un peu comme les liquidations judiciaires où toi, pauvre créancier, tu passes en dernier, une fois que la banque aura repris ses billes et qu’il ne reste rien pour te rembourser.
Deux poids, deux mesures en somme !
Tableau 3
F2 fait irruption
Toujours pas prêt ? Les hommes vont être furieux !
La Mère et F1 interloquées se regardent
Mère : Et alors, ils attendront, non ?
F1 à F2 : Tu te mets du côté du patriarcat oppressif maintenant ?
La victime défend son bourreau ? Elle lui trouve des circonstances atténuantes, elle se range dans son camp ?
F2 : Non, on a faim, c’est tout.
F1 : Ha ha vous avez faim, ma chère sœur !
Mais c’est que pour manger il va d’abord falloir en passer par un duel verbal, mais oui, espèce de
Désosseuse, équarisseuse, orpailleuse !
F2 se prenant au jeu : Enfileuse, reboiseuse, phosphateuse !
F1 : Glacière, jardinière, tôlière !
F2 : Plombière, papetière, palefrenière !
F1 : Portière, perruquière, verrière !
Mère : Mon dieu, mes filles sont dingues !
F2 : Cafetière !
F1 : Embouteilleuse !
F2 : Régisseuse !
F1 : Matelote, camelote !
F2 : Cheminote, traminote !
F1 : Eviscératrice !
F2 : Médiatrice !
Une pause
F1 : Disc-jockey !
F2 sentant le piège : DISC- AMAZONE !!!
Elles s’embrassent, réconciliées
Mère : A table !
Rideau