Un monde dingue !

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Bérangère est femme de ménage chez les Darras. Elle a profité de leur absence d’une semaine pour mettre à leur insu une annonce de location de leur superbe demeure proche d’Avignon et ainsi, espère-t-elle, récolter une belle somme d’argent.
Souhaitant assister au festival d’Avignon, c’est une troupe de théâtre amateur d’Arras (tiens tiens…) férue de comédies, qui a répondu à cette annonce. Venu en « éclaireur », le premier de la troupe à se présenter est Patrice, un joyeux drille qui ne peut s’empêcher de faire des jeux de mots, rarement d’une grande finesse.
Malheureusement pour Bérangère, Archibald Darras, dramaturge et metteur en scène professionnel qui ne jure que par les tragédies, fait un retour inattendu, après avoir déposé son épouse Maud à l’aéroport. Il a invité chez lui pour la soirée (au moins…) Bérénice, une jeune et charmante étudiante en théâtre, qui aimerait décrocher un rôle dans une de ses pièces…
Pour pimenter le tout, l’avion de Maud a été annulé et elle débarque chez elle à l’improviste pour y passer la nuit…
Si ce n’était que cela ! Ce serait oublier Tony, le petit ami de Bérénice, une brute épaisse, qui fait lui aussi une apparition… fracassante !
Pour s’en sortir, Bérangère ou Archibald n’ont alors qu’une seule issue : mentir… Oui, mais un mensonge en entraîne fréquemment d’autres, souvent plus énormes que les précédents.
Tous les ingrédients sont en tous les cas réunis pour que les quiproquos se succèdent sans discontinuer !

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Avant l’ouverture de rideau, on pourra passer la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour.

 

 

ACTE 1

 

 

SCENE 1

BERANGERE

 

Bérangère est seule, au milieu de la scène. Elle a son portable à l’oreille.

BERANGERE – Pas de souci je te dis… La maison est complètement vide pour la semaine : aucun danger. Oui oui : je m’étais postée à l’angle de la rue et je me suis assurée qu’ils partaient. (Consultant sa montre.) Ca fait bien deux heures maintenant. Tout est sous contrôle ! Under control !... Et 2 000 euros, ça ne refuse pas, surtout en ce moment. Là, il faut vraiment que je te laisse… J’ai encore une ou deux bricoles à régler avant leur arrivée.

Bérangère gagne la terrasse.

 

 

SCENE 2

ARCHIBALD

 

Bruit de clés. Un homme, très élégamment habillé, entre, une valise à la main. Son portable sonne.

ARCHIBALD (visiblement ravi) – Ah ! C’est vous… Bonjour… Allons : pas de Monsieur Darras entre nous. Archibald suffira, voyons… Vous êtes en route ?... Vers quelle heure pensez-vous arriver ?... Selon le trafic, naturellement… Prenez votre temps… Nous aurons toute la soirée… (Il range son portable.) Voilà une affaire qui s’annonce très bien… Oui : très très bien !

Archibald se frotte les mains, se regarde dans le miroir et grimpe l’escalier.

 

 

SCENE 3

BERANGERE puis PATRICE

 

Retour de Bérangère. Elle arrange les magazines posés sur la table basse.

On frappe à la porte.

BERANGERE (regardant sa montre) – Pile à l’heure !

Bérangère va ouvrir. Un homme en chemisette colorée et bermuda fleuri est sur le pas de la porte. Il a un sac de voyage à la main.

BERANGERE – Bonjour !

Patrice entre. La porte reste entr’ouverte.

PATRICE (exubérant) – Salut la compagnie ! Alors celle-là, c’est ma formule préférée

BERANGERE – Tiens donc

PATRICE – Je la sors dès que je rencontre quelqu’un

BERANGERE – Ah…

PATRICE (rigolant) – Je vous parle de ma formule, hein, pas de méprise !

BERANGERE – Oui oui

PATRICE – Un peu longue mais elle plaît toujours… Là encore, je pense à ma formule

BERANGERE – J’avais compris

PATRICE – Ca c’est bien… Parce que des fois, y’en a qui ne la saisissent pas… (Goguenard.) Toujours ma formule, hein ? Bon… Il faut tout de suite vous dire que je suis dans une troupe de théâtre alors forcément, salut la compagnie, ça s’impose !

BERANGERE – Ravie de l’apprendre

PATRICE – Moi aussi : ravi de la prendre… (Lui serrant la main.) Votre main !... Patrice… Patrice Berger…  (Pouffant.) Patrice, mais pas triste !

BERANGERE – J’en ai l’impression… (Réfléchissant.) Une troupe de théâtre : en voilà une coïncidence

PATRICE – Pourquoi ?

BERANGERE (esquivant) – Oh ! Pour rien, pour rien… Mais c’est amusant…

PATRICE – Ah ça, nous, on fait dans le comique.  « Les tréteaux se couchent tard », c’est le nom de notre troupe

BERANGERE – Vous m’en direz tant

PATRICE – Ca, sans être bûcheron, je peux en débiter ! « Les tréteaux se couchent tard » : bien trouvé, pas vrai ?... Bon, je vous l’avoue : ce n’est pas de moi, mais c’est joliment léché quand même, hein ?... (Il donne un coup de coude à Bérangère.) Tréteaux, rapport au théâtre… (Chantonnant, en essayant d’imiter Charles Aznavour.) Les comédiens ont installé leurs tréteaux, ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots…

BERANGERE (l’interrompant) – Très bien

PATRICE – Le chant ou l’imitation ?

BERANGERE – Je vous laisse juge

PATRICE – On n’est qu’une troupe d’amateurs mais, sans prétention, on se défend pas mal… On a notre public

BERANGERE – Je vous le souhaite

PATRICE – La saison dernière, on a joué « Un pétard dans le placard »

BERANGERE (fausse) – Passionnant

PATRICE – C’était une comédie explosive… (Rigolant.) Rapport au pétard !

BERANGERE – Oui oui

PATRICE – Et l’année d’avant « Mon coiffeur, il me défrise ! »

BERANGERE – Tout un programme

PATRICE – Pour cette pièce, il y avait autant de mise en scène que de mises en pli

BERANGERE – Hum…

PATRICE – Je jouais le coiffeur

BERANGERE – Ah ?

PATRICE (riant) – Un personnage rasoir qui frisait le ridicule

BERANGERE – Un vrai rôle de composition dites donc !

PATRICE – Je vais vous faire une confidence

BERANGERE – Si ça peut vous faire plaisir

PATRICE – Eh bien dans la vie, je ne suis pas coiffeur

BERANGERE – Tiens donc

PATRICE – Non : je suis jardinier municipal

BERANGERE – Si vous le dites

PATRICE – Je suis en charge des espaces verts… Attention ! (Epelant.) V E R S, pas les verres pour boire ! Quoique…

BERANGERE – Je vous crois sur parole

PATRICE – Mais quand je suis sur scène, je ne sais pas ce qui m’arrive… Je suis un autre homme… Je me transcende !

BERANGERE – Ouh là ! Tant que ça !

PATRICE – J’avoue que j’ai une prédilection pour les personnages simplets ou balourds

BERANGERE – C’est étonnant

PATRICE (visiblement ravi) – Transcender et prédilection… J’ai enfin pu les placer, et deux d’un coup !

BERANGERE – Un vrai exploit

PATRICE – Ceci dit, je peux jouer tous les rôles

BERANGERE – Oh ! Sûrement

PATRICE (théâtral à l’excès) – « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »

BERANGERE – Déroutant… J’en connais un qui serait amusé

PATRICE – Qui donc ?

BERANGERE (esquivant) – Personne… Je… Je soliloquais

PATRICE – A vos souhaits ! (Reprenant ses déclamations théâtrales.) Et celle-là : « C’est un pic, un cap, que dis-je, une péninsule ! »

BERANGERE – Stupéfiant

PATRICE (assez fier de lui) – Hein… Et celle-ci…

BERANGERE – Ca ira largement

PATRICE (un brin déçu) – Ah ?

BERANGERE (directe) – Si nous en venions au fait

PATRICE – Les festivités, j’adore, surtout Noël

BERANGERE – Vous êtes seul ?

PATRICE (taquin) – Oh oh ! Ca vous intéresse ?

BERANGERE (un peu confuse) – Ce n’était pas dans ce sens-là que…

PATRICE (allusif) – Dans un sens ou dans l’autre, je suis preneur !... Pour tout vous dire, eh ben non : je suis célibataire… Pour me consoler, je me dis que j’ai épousé la comédie… C’est déjà ça… Et vous, vous avez quelqu’un ?

BERANGERE – Dites donc : je vous en pose des questions ?

PATRICE (naturel) – Bah oui : vous m’avez demandé si j’étais seul

BERANGERE – Pas faux… En ce moment, je suis seule… (Sans conviction.) Mais c’est très provisoire

PATRICE – Il est des provisoires qui durent

BERANGERE (soupirant) – A qui le dites-vous

PATRICE – Bah : à vous… Entre nous, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué mais c’était

justement des occasions

BERANGERE – Dans la vie, c’est important d’être réaliste

PATRICE – Le neuf, même recyclé et avec défauts d’aspect, vous comme moi, faut plus trop qu’on y compte

BERANGERE – Parlez pour vous !

PATRICE – Il faut être réaliste disiez-vous…

BERANGERE – Hum… Bon : vous êtes du Nord, c’est bien ça ?

PATRICE – Dans le mille Emile ! Dans la cible Lucile ! (Chantonnant.) Les gens du Nord…

BERANGERE (le coupant) – Merci. Et vous venez de Lille ?

PATRICE – Oh là non, malheureuse ! (Avec fierté.) Je suis d’Arras, dans le Pas-de-Calais, là où pousseraient les meilleures endives… Plus précisément de Tilloy-lès-Mofflaines

BERANGERE – Ca vous regarde. Mais vous étiez censés être plusieurs ?

PATRICE – Oui, mais je suis venu comme qui dirait en éclaireur, même si je ne suis pas une lumière… J’en ai profité pour rendre visite à une cousine qui habite à une centaine de kilomètres d’ici… Une cousine éloignée

BERANGERE – Forcément, vu la distance avec Arras

PATRICE – Je ne l’avais pas vue depuis des lustres

BERANGERE – Pour un éclaireur, les lustres, c’est normal

PATRICE – Alors vous, vous avez l’esprit d’à-propos ! Et ce n’est pas pour me déplaire !

BERANGERE – Tant mieux

PATRICE – Vous devriez faire du théâtre vous aussi

BERANGERE – J’y songerai… Et les autres arrivent quand ?

PATRICE – Le gros de la troupe sera là demain… Quand je dis le gros de la troupe, attention : je ne pense pas à Jean-Luc et ses cent dix kilos… Lui, il est boucher à Monchy-le-Preux. Le Jean-Luc, c’est un peu notre comique tripier

BERANGERE – C’est cela oui… Et au total, vous serez combien ?

PATRICE – On aurait dû être sept, mais Régis ne pourra finalement pas venir. Régis Dupont, d’Hamblain-les-Prés… C’est à une dizaine de kilomètres

BERANGERE – D’Arras je suppose ?

PATRICE – Oui… Ah, un sacré comique le Régis ! Il n’en manque pas une !

BERANGERE – Vous devez bien vous entendre alors ?

PATRICE – Pour ça oui ! Dommage qu’il s’appelle Dupont et pas Heure… Régis Heure, ce serait bien pour une troupe de théâtre, non ?

BERANGERE – Vous en avez beaucoup comme ça ?

PATRICE – On ne peut pas s’imaginer !

BERANGERE – Donc, vous serez six

PATRICE – Voilà

BERANGERE – La maison est suffisamment grande pour accueillir tout le monde

PATRICE – Ca, c’est pas de la baraque à frites ! C’est bien pour ça qu’on vous a choisie… La maison, pas vous… Quoique… Et aussi parce qu’elle est toute proche d’Avignon… Depuis le temps que notre troupe veut assister au festival… Alors, quand la Martine a vu votre annonce, elle a sauté dessus… La pauvre !

BERANGERE – Martine ?

PATRICE – Non : l’occasion

BERANGERE (réfléchissant) – Martine ? Oui… C’est elle que j’ai eue au téléphone

PATRICE – C’est l’épouse du Jean-Luc et notre metteuse en scène

BERANGERE – Jean-Luc, Régis, Martine… Voilà des prénoms qu’on n’entend plus

PATRICE – Et je n’ai pas cité ni la Germaine ni la Suzanne

BERANGERE – Ce n’était pas la peine

PATRICE – Avec tout ce monde, j’aurais dû me reconvertir dans la vente d’antiquités… Au fait, c’est quoi votre prénom ?

BERANGERE – Bérangère

PATRICE – Ah… C’est… (Cherchant à se rattraper.) Et vous êtes d’Avignon ?

BERANGERE – Non : de Cavaillon

PATRICE (reluquant la poitrine de Bérangère) – Ah ! Cavaillon, le pays des melons !

BERANGERE (le coupant) – Oui oui

PATRICE – Et vous travaillez dans l’immobilier, c’est ça ?

BERANGERE (gênée) – Euh… Si vous voulez

PATRICE – Oh, moi je veux bien… Je ne suis pas contrariant… Et il vaut mieux être dans l’immobilier que dans l’immobilisme, pas vrai ?... Bon : 2 000 euros la semaine, ça fait cher, mais ce doit être le prix en cette saison

BERANGERE – Je confirme. (Bérangère ouvre la baie vitrée qui conduit à la terrasse.) Regardez : la vue sur le vignoble est magnifique… Vous voyez les deux collines ?

PATRICE (toujours les yeux sur la poitrine de Bérangère) – Je… Très bien…

BERANGERE – On aimerait les parcourir, n’est-ce pas ?

PATRICE – Et comment !

BERANGERE – Et dessous, il y a un petit bois touffu qui ne demande qu’à être exploré

PATRICE – Je suis preneur les yeux fermés

BERANGERE – Il faut quand même que je vous dise qu’il y a un petit hic

PATRICE – Avec un vignoble, c’est normal

BERANGERE – Le portable ne passe pas toujours

PATRICE – Ce n’est pas très grave. Comme dirait Régis : c’est comme une femme, on fera sans. Et un bon rosé vaut mieux qu’un mauvais réseau, non ?

BERANGERE – Je vous fais confiance

PATRICE – Il n’y a plus qu’à s’installer

BERANGERE (songeuse) – Oui…

PATRICE – Quelque chose vous tracasse ?

BERANGERE – Non… C’est juste que je me rends compte que j’ai oublié le double des clés

PATRICE – Ca arrive même aux meilleurs… Tenez, moi, il y a un mois…

BERANGERE – Le mieux, c’est que j’aille les chercher… Je n’en ai pas pour longtemps

PATRICE – Votre agence n’est pas loin ?

BERANGERE (ne comprenant pas) – Mon… ?

PATRICE – Votre agence immobilière

BERANGERE (se rattrapant tant bien que mal) – Ah oui ! Je suis bête des fois

PATRICE – Si ce n’est que de temps en temps… Parce que moi…

BERANGERE – En attendant, n’hésitez pas à utiliser le bar : je l’ai réapprovisionné

PATRICE – Excellente idée !

BERANGERE – Et je vous remets les clés dès mon retour

PATRICE (chantonnant) – Voici les clés, ne les perds pas sur le pont des Soupirs ! Ah ah ! On ne sait jamais : ça peut servir…

BERANGERE – Dites : l’opérette, ça ne vous tenterait pas plutôt que le théâtre ?

PATRICE – Pas vraiment… Et un petit apéro, c’est quand même mieux qu’un grand opéra, pas vrai ?

BERANGERE – Alors vous, quand vous êtes lancé

PATRICE – Je sais :  on ne m’arrête plus… Un vrai bolide

BERANGERE – Vous pouvez aussi profiter de la piscine

PATRICE – Avec plaisir ! Et sans tarder ! En général, c’est par la nage indienne que je Comanche… (Insistant lourdement, Bérangère n’ayant visiblement pas compris.) Indienne, Comanche

BERANGERE – D’accord. Et après, vous nagerez Sioux l’eau ?

PATRICE (amusé) – Pas mal du tout votre jeu de mots… (Bas, à lui-même.) Le reste aussi d’ailleurs

BERANGERE – J’y songe : vous n’avez qu’à vous installer dans la chambre d’amis. Elle donne directement sur la terrasse et la piscine. Vous ne le répéterez pas aux autres, mais c’est la plus sympa

PATRICE – Merci du tuyau ! Après tout : premier arrivé, premier servi

BERANGERE – Allez : je file

PATRICE – File indienne alors !

BERANGERE – Hum…

Bérangère sort par la porte de la cuisine.

PATRICE – Vous sortez par-là ?

BERANGERE – Oui : la maison a deux accès… On peut y entrer par l’avant ou par l’arrière

PATRICE – Bah dites-donc, ça promet !

Bérangère quitte les lieux par la porte de la cuisine.

PATRICE (se frottant les mains) – Ca s’annonce bien, ouais, très bien ! Comme dirait Régis, elle a une ligne avec laquelle on aimerait bien pêcher… Bon : je n’ai plus qu’à sauter dans mon maillot de bain et hop ! Dans la piscine ! In the water ! (Il se dirige vers le bar pour se servir un verre.) Mais avant, un petit réconfort… (Au public.) A la vôtre !... Je sais : l’alcool ne mène à rien, mais ça tombe bien : aujourd’hui, je ne vais nulle part !

Patrice gagne la terrasse, son sac de voyage en main.

 

SCENE 4

ARCHIBALD

 

Retour d’Archibald, une chemise cartonnée en main. Il pose sa veste sur le canapé et va se servir un verre. Son portable sonne.

ARCHIBALD – Salut… Non non, tu ne me déranges pas… Ouais : je suis arrivé il n’y a pas longtemps… J’attends une visite sous peu… A toi je peux le dire : c’est une jeune fille qui fait des études de théâtre… A mon avis, elle rêve de décrocher un rôle… Oui, très mignonne évidemment… En tous les cas sur la photo de la lettre qu’elle m’a envoyée… Sinon, tu te doutes que je ne l’aurais pas invitée… Maud ? Non, tu penses bien… Je l’ai posée à l’aéroport en fin d’après-midi... Comme tu dis, ça tombe bien… Calculé ?... Oui, aussi… Le texte du Syndrome de Psyché ? Ca tombe bien, je l’ai avec moi… (Archibald sort des feuilles de sa chemise cartonnée.) Je t’écoute… (Il tourne les feuilles.) Attends… Voilà… Acte 2, scène 3, ligne 17… J’y suis… Tu mettrais valétudinaire à la place de cacochyme ?… Pourquoi pas, mais on n’aurait plus la rime avec abîmes et acronymes… Et l’épiphore ferait défaut, sans parler de la prétérition… La polysyndète de la scène 5 ?... Je t’entends de plus en plus mal… Je te rappelle de mon bureau…

Archibald grimpe l’escalier, la chemise cartonnée dans une main, le verre dans l’autre.

 

 

SCENE 5

PATRICE puis BERENICE

 

Retour de Patrice, en peignoir.  Il se dirige vers le bar.

PATRICE – Ce qui est pratique dans cette baraque, c’est que le bar est bien placé. Vous me direz, de chez moi au bistrot, il y a cinq minutes… Enfin, à l’aller, parce qu’au retour, ça peut me prendre une heure. (Il se sert un nouveau verre.) Je sais : pas plus de deux verres par jour… Heureusement qu’il y a la nuit ! (Au public.) A la vôtre !

BERENICE (glissant la tête entre la porte d’entrée laissée entr’ouverte) – Bonjour

PATRICE (déjà sous le charme) – Bon… Bonjour

BERENICE – Je peux entrer ?

PATRICE – Avec plaisir

Bérénice entre. Elle porte une robe très courte.

BERENICE – Comme la porte était entr’ouverte et que j’ai entendu parler, je me suis permise de…

PATRICE – Et vous avez bien fait ! (La dévisageant.) Ah ouais : rudement bien fait !

BERENICE – Je suis Bérénice

PATRICE – Béré… Ravi… Bérénice… C’est charmant… Ah oui, charmant tout plein !

BERENICE – Je sais : ça fait un peu long

PATRICE – Contrairement à votre robe

BERENICE (tournant sur elle-même) – Elle ne vous plaît pas ?

PATRICE (comme envoûté) – Ah bah si… Elle est courte, mais ça en dit long

BERENICE – Bérénice, c’est parce que mes parents adoraient Jean Racine

PATRICE – Moi aussi j’adore quand j’enracine, surtout au printemps

BERENICE – Ils avaient hésité avec Esther

PATRICE (rigolant) – Esther de bois alors !

BERENICE (désarçonnée) – Hum…

PATRICE – Avec moi, comme dirait Régis, on se fend la gueule à coup de hache

BERENICE – Oui… Otez-moi d’un doute

PATRICE – Je veux bien vous ôter tout ce que vous portez… (Se reprenant.) Tout ce que vous voulez

BERENICE – Voilà… Vous… Vous êtes bien Monsieur d’Arras ?

PATRICE – Ah ça, le Monsieur d’Arras, c’est bien moi, je vous le confirme

BERENICE – L’homme de théâtre ?

PATRICE – Oui, aussi, enfin, en toute modestie

BERENICE (soulagée) – Tant mieux ! A un moment, en entendant vos réparties, je me suis interrogée

PATRICE – Ah ? Réparties, mais heureusement pas repartie ! Ce serait dommage

BERENICE – Me voilà donc rassurée… Remarquez, je ne vois pas sinon ce que vous feriez en peignoir ici

PATRICE (naïvement) – Bah… J’attendais de me baigner

BERENICE (avec effusion) – Si vous saviez combien je suis contente de vous rencontrer !

PATRICE – Ah bon ?

BERENICE – C’est une véritable aubaine !

PATRICE – Tant mieux mais…

BERENICE – Une vraie opportunité !

PATRICE – Faut peut-être pas exagérer

BERENICE – J’en connais qui vont être jalouses

PATRICE – Qui ça ?

BERENICE – Toutes les copines de la fac… En arts du spectacle option théâtre, c’est un peu normal, non ?

PATRICE (décontenancé) – Ah ?... Euh… Certainement

BERENICE – Vous me croirez si vous voulez, mais ce sont des études passionnantes

PATRICE – Je… Sûrement

BERENICE – Et c’est pour moi une réelle source de plaisir

PATRICE – Oh là !

BERENICE – Je dirais même de jouissance

PATRICE – Bah dites-donc !

BERENICE – C’est un vrai bonheur que de revisiter tous les vieux classiques

PATRICE – C’est mieux que de recycler des vieux plastiques

BERENICE – Euh oui… En ce moment, on planche sur La Bruyère

PATRICE – La bruyère, c’est très tendance cette saison

BERENICE – Ah ?... Et vous, sans indiscrétion, quel est votre auteur préféré ?

PATRICE – Une bonne hauteur sous plafond

BERENICE – Sans rire, votre pièce favorite ?

PATRICE – La cave

BERENICE – Alors vous !...  Moi, c’est Corneille… J’adore tous les vers du Cid

PATRICE – Ah ça, un bon verre de cidre ! Ca ne se refuse pas !

BERENICE (sur sa lancée) – Mais j’aime bien aussi le théâtre moderne, avec toutes ses innovations dramaturgiques

PATRICE – Ah ?

BERENICE – Ce qui me fascine, c’est le changement de place pour le lecteur-spectateur

PATRICE – Ca, la place du spectateur, c’est important… Des fois, il y en a qui réservent un mois à l’avance pour être devant

BERENICE – Nos professeurs insistent sur la mise en scène

PATRICE – La Martine ne vous dirait pas le contraire

BERENICE – Ah ! Lamartine !... Paradoxalement, j’ai appris que la mise en scène pouvait être moins en prise avec le texte

PATRICE – Cer… Certainement

BERENICE – En inventant des genres inclassables, naturellement

PATRICE – Oui, naturellement

BERENICE – Et que pensez-vous des « écritures de plateau », qui envisagent la naissance du spectacle directement depuis le travail des répétitions, en oubliant les anciennes hiérarchies et en sollicitant encore davantage les comédiens ?

PATRICE – Oh là, n’en jetez plus !

BERENICE – Aujourd’hui, c’est un peu vous que je sollicite… Alors, aussitôt que j’ai appris que vous étiez ici, j’ai sauté sur l’occasion

PATRICE – Cette fois-ci, je veux bien être l’occasion

BERENICE – Je… J’avoue que j’ai quand même du mal à vous suivre

PATRICE – C’est dommage : je me dirigeais vers la piscine

BERENICE – Vous avez une piscine ?

PATRICE – Bah oui… Et pas petite ! Vous voulez en profiter ?

BERENICE – Je… Pourquoi pas ? Il fait si chaud !

PATRICE – Ah bah oui : pour être chaud, c’est chaud !

BERENICE – Si vous en êtes d’accord, nous pourrions continuer à échanger sur la scénographie

PATRICE – Sur la… Avec joie

BERENICE – Et aborder l’univers des coulisses

PATRICE – Ah ! Les culs lisses… (Se reprenant.) Les coulisses…

BERENICE – Il y a tant de sujets sur lesquels on pourra s’étendre

PATRICE – Moi, ce sera sur un bon transat ! Mais vous n’avez peut-être pas de maillot de bain ?

BERENICE – Bah…

PATRICE – Entre nous, ce ne serait pas grave

BERENICE – Mais si ! J’y pense d’un coup ! J’ai un bikini dans mon combi

PATRICE (qu’on sent déçu) – Ah ?

BERENICE – On vient de me l’offrir

PATRICE – Le combi ?

BERENICE – Non : le maillot. Il est tout riquiqui mais je trouve qu’il me va pas mal… Vous me donnerez votre avis ?

PATRICE – Ah ? Sur ça, je veux bien

BERENICE – Je suis garée un peu loin mais je serai assez vite de retour

PATRICE – J’espère !

Bérénice quitte les lieux.

PATRICE – Ouh là là ! Qu’est-ce qui m’arrive ? Et pourquoi Bérangère lui a-t-elle dit tout ça sur moi ? Ah ! Bérénice ! Sur le fond, je n’ai pas tout compris à ce qu’elle me racontait, mais pour les formes ! Ouille ouille ouille ! Bérénice ! En combo, en combi ou sans combi ! (Chantonnant.) Un tout petit petit biquini… Qu’elle mettait pour la première fois !

Patrice gagne la terrasse.

 

 

SCENE 6

BERANGERE, ARCHIBALD

 

Retour de Bérangère, un trousseau de clés à la main.

BERANGERE (appelant) – Ouh ouh ! Je suis là !

ARCHIBALD (descendant l’escalier) – Moi aussi

BERANGERE (éberluée) – Ah bah ça ! Mo… Monsieur Darras !

ARCHIBALD (théâtral) – Ecce homo… Surprise ?

BERANGERE – C’est que…

ARCHIBALD – Je vous comprends

BERANGERE (tragédienne) – Vous êtes bien le seul dans ce bas monde

ARCHIBALD – C’est vrai que je vous avais dit que je serai absent pour la semaine

BERANGERE – Effectivement

ARCHIBALD – Mais j’ai eu disons… un contretemps… Vous savez ce que c’est

BERANGERE (naïvement) – Oui : quelque chose de fâcheux et qui n’est pas prévu

ARCHIBALD – Comme mon arrivée

BERANGERE – C’est ça

ARCHIBALD – Mais il m’a semblé que vous cherchiez quelqu’un ?

BERANGERE (gênée) – Non non… Je… Je voulais m’assurer qu’il n’y avait personne

ARCHIBALD – Et vous-même qu’est-ce que…

BERANGERE – Qu’est-ce que je fais ici ?... Forcément, vous vous le demandez ?

ARCHIBALD – Oui

BERANGERE – C’est tout simple quand on y pense… (A elle-même.) Il suffit de trouver…  Eh bien, comme je ne faisais rien chez moi, je me suis dit qu’il valait mieux que je fasse des choses chez les autres

ARCHIBALD (taquin) – Des choses ? Bah dites donc…

BERANGERE – Oui… Un peu de travail… Comme la maison était censée être vide, je dis bien censée, c’était l’occasion rêvée d’être tranquille pour faire du ménage à fond

ARCHIBALD – Alors vous, toujours à fond dans le ménage !

BERANGERE – Voilà

ARCHIBALD – Voilà voilà

BERANGERE – Dites : vous êtes revenu pour la semaine ?

ARCHIBALD – Non : juste ce soir. Je repars demain matin

BERANGERE – Tant mieux !... (Se reprenant.) Enfin tant mieux pour vous

ARCHIBALD – Bérangère… Je… Je vais vous faire une confidence

BERANGERE (bas, à elle-même) – C’est contagieux en ce moment

ARCHIBALD – J’attends une visite

BERANGERE – Ah ?

ARHIBALD – Oui… Une jeune femme

BERANGERE – Ah ah…

ARCHIBALD – Bérénice

BERANGERE – Oh !

ARCHIBALD – C’est une étudiante en théâtre

BERANGERE – Oh oh !

AECHIBALD – Elle a insisté pour me rencontrer

BERANGERE – Vous en avez de la chance

ARCHIBALD (assez peu convaincant) – Mais vraiment insisté

BERANGERE – Moi, même en insistant lourdement auprès des mecs, j’ai du mal à avoir un rencard

ARCHIBALD – Je pense qu’elle escompte décrocher un rôle dans une de mes prochaines mises en scène

BERANGERE – Et vous en avez un pour elle ?

ARCHIBALD – Possible…

BERANGERE (fine mouche) – Peut-être pas celui auquel elle pense

ARCHIBALD – On ne peut rien vous cacher

BERANGERE – Difficilement

ARCHIBALD – Evidemment, ma femme n’est pas au courant

BERANGERE – Evidemment

ARCHIBALD – Je ne voudrais pas qu’elle s’imagine…

BERANGERE – Ca : elle déborde d’imagination

ARCHIBALD – Aussi…

BERANGERE (embrayant) – Aussi, je n’ai rien vu ni entendu

ARCHIBALD – Voilà… Surtout que vous ne devriez pas être là

BERANGERE (du tac au tac) – Vous non plus

ARCHIBALD – Je saurai être reconnaissant

BERANGERE – A propos : mon augmentation…

ARCHIBALD – J’y songerai

BERANGERE – Et moi je penserai à vous y faire songer

ARCHIBALD – Si elle arrive, je vous laisse l’introduire

BERANGERE – Alors vous, toujours le mot qu’il faut

ARCHIBALD – Avec beaucoup de doigté, cela va sans dire

Archibald grimpe l’escalier.

 

 

SCENE 7

BERANGERE, PATRICE

 

BERANGERE – Oh là là ! Il ne manquait plus que ça ! Comment je vais m’en sortir avec l’autre dans mes pattes… (Retour de Patrice, en maillot de bain.) Tiens : quand on parle du loup

PATRICE – Il montre sa queue… Je rigole : on sait se tenir !

BERANGERE – Encore heureux

PATRICE – Qu’est-ce qu’elle est bonne !

BERANGERE – Quoi donc ?

PATRICE – Bah… L’eau de la piscine… Je nage dans le bonheur !

BERANGERE – Et moi je me noie dans les ennuis

PATRICE – Dites : c’est gentil d’avoir parlé de moi

BERANGERE (qui n’y comprend rien) – De…

PATRICE – Oui : à Bérénice

BERANGERE – A…

PATRICE – Je vous en remercie

BERANGERE – Mais…

PATRICE – C’était flatteur, mais vous vous êtes quand même avancée à mon sujet

BERANGERE (songeuse) – Et maintenant, c’est moi qui ne peux plus reculer

ARCHIBALD (off) – Bérangère ?

BERANGERE (paniquant) – Oh là là !

PATRICE – Je crois qu’on vous appelle ?

BERANGERE – J’en ai peur

PATRICE – Qui est-ce ?

BERANGERE – Je n’ai pas le temps de vous expliquer… Ecoutez : il y a un tout petit imprévu vraiment minime et…

PATRICE – Comme au théâtre quoi

BERANGERE – Sauf que nous ne sommes pas sur les planches

PATRICE – Pas si sûr, pas si sûr…

ARCHIBALD (off) – Bérangère !

Bérangère ouvre la porte du débarras.

BERANGERE – Vite : dans le débarras !

PATRICE – Oh là ! Ca devient hot votre truc !

BERANGERE – S’il vous plaît !

PATRICE – Bon : c’est bien parce que c’est vous et que ça m’amuse… Mais j’aimerais comprendre…

BERANGERE – Plus tard !

Bérangère a juste eu le temps de fermer la porte du débarras, dans lequel elle a poussé Patrice.

 

SCENE 8

BERANGERE, ARCHIBALD

 

Retour d’Archibald.

ARCHIBALD – Vous ne m’avez pas entendu ?

BERANGERE – Si, bien entendu, mais…

ARCHIBALD – J’ai omis de vous dire : j’ai commandé des plats au restaurant japonais et on va venir les livrer

BERANGERE – Je vous aurais bien dit pas de sushis mais là, ce serait malvenu

On frappe à la porte.

ARCHIBALD – C’est sûrement elle

BERANGERE – Si vous le dites

ARCHIBALD – Vous pourriez nous laisser ?

BERANGERE (un œil en direction du débarras) – C’est que…

ARCHIBALD (prenant sa veste laissée sur le canapé) – Puisque vous êtes là, vous pourriez repasser ma veste ?

BERANGERE – Je n’aime pas trop m’occuper des affaires des autres

ARCHIBALD – C’est nouveau

BERANGERE – Ah ?

ARCHIBALD (donnant sa veste à Bérangère) – Regardez : elle est toute froissée

BERANGERE (examinant la veste) – Oh ! Pas tant que ça

ARCHIBALD – Moi je trouve… En plus, un bouton se fait la malle

BERANGERE (bas, à elle-même) – Si ça pouvait arriver à d’autres…

On frappe à nouveau avec insistance.

BERANGERE – J’ai compris. Et c’est pour tout de suite je suppose ?

ARCHIBALD – Oui

BERANGERE – Passez-là moi : je vais la repasser fissa ! Ca ne fera pas un pli

ARCHIBALD – Merci. Vous êtes adorable

BERANGERE – Je sais : je suis trop bonne… Ou la bonne de trop, au choix

Bérangère gagne la cuisine.

Archibald se regarde dans la glace.

 

 

SCENE 9

ARCHIBALD, MAUD

 

Archibald va ouvrir la porte (qui restera une nouvelle fois entr’ouverte). Une femme en tenue plutôt stricte entre. Elle a des valises en main.

MAUD (qu’on sent énervée) – Ce n’est pas trop tôt !

ARCHIBALD (éberlué) – Ah bah ça ! Maud !

MAUD – Oui… Bien malgré moi !

ARCHIBALD – Qu’est-ce qui s’est passé ?

MAUD – Figure-toi que l’avion a été annulé à la dernière minute, sans qu’on ait d’ailleurs des explications précises, tu penses bien

ARCHIBALD – C’est une catastrophe !

MAUD – N’exagère pas ! Un autre vol est prévu demain matin

ARCHIBALD – Ah ? Seulement demain…

MAUD – C’est déjà ça… Tu me vas me dire que j’aurais pu dormir dans un hôtel à côté de l’aéroport

ARCHIBALD – Oui : tu aurais pu… C’était une excellente idée

MAUD – Sauf qu’ils étaient complets… Alors finalement j’ai pris un taxi pour passer la nuit ici

ARCHIBALD – Tu aurais dû me prévenir

MAUD – Pour quoi faire ?

ARCHIBALD – Bah, ça m’aurait permis de… d’aller te chercher

MAUD – Tu étais en route pour Genève

ARCHIBALD – Ah oui : c’est vrai…

MAUD – Le souci, c’est qu’arrivée ici, je n’ai pas pu remettre la main sur mes clés

ARCHIBALD – Elles sont sûrement au fond d’une de tes valises

MAUD – Sans doute… Alors j’ai frappé à la porte, machinalement… Quand j’y pense, ce n’est pas très malin puisque la maison aurait dû être vide

ARCHIBALD – Finalement, tu as bien fait

MAUD – Oui, puisque tu es là

ARCHIBALD – Comme tu vois

Maud range sa veste dans le dressing.

MAUD – Je suppose que toi aussi tu as de bonnes raisons d’être ici

ARCHIBALD – Oh ! Si tu savais !

MAUD – Je ne demande qu’à

ARCHIBALD – Ah ?... Eh bien figure-toi qu’à peine t’avais-je déposée à l’aéroport que je me suis aperçu que j’avais oublié un script à la maison… Oui… celui de La supplique d’Hector… C’est bête, non ?

MAUD – C’est fâcheux

ARCHIBALD – Ca, je l’ai déjà entendu

MAUD – Finalement, mon horoscope avait raison

ARCHIBALD – A quel propos ?

MAUD – Attends… (Maud prend un magazine sur la table basse et le parcourt.) Voilà… Sagittaire. La journée sera sombre pour vous et votre entourage

ARCHIBALD – C’est éloquent

MAUD (poursuivant sa lecture) – Armez-vous de patience et le ciel s’éclaircira de lui-même

ARCHIBALD – On croirait un bulletin météo

MAUD – Il ne me reste plus qu’une chose à faire

ARCHIBALD (un peu inquiet) – Quoi donc ?

MAUD – Prendre une douche : ça me calmera… On pourra reparler de tout ça après

ARCHIBALD – Aucun souci

MAUD – Sauf si tu comptes repartir de suite

ARCHIBALD – Non : comme toi, je vais passer la nuit ici et repartir demain

MAUD – Bon. J’y pense : tu pourrais commander des repas ?

ARCHIBALD – Euh… Oui… Tu as une préférence ?

MAUD – J’ai une envie de japonais

ARCHIBALD – Alors c’est fait… (Se rattrapant.) Enfin, c’est comme si c’était fait

MAUD – Parfait. Tu peux monter mes bagages ?

ARCHIBALD – C’est dans le domaine du possible

Maud grimpe l’escalier.

Archibald prend son portable et compose discrètement un numéro.

ARCHIBALD (bas) – Et elle ne répond pas !... Oh là là ! Là, ça s’annonce moins bien… Ouais : nettement moins bien !

Archibald prend les valises et grimpe l’escalier.

 

 

 

 

SCENE 10

BERENGERE, PATRICE

 

Retour sans bruit de Bérangère. Après avoir constaté qu’il n’y avait personne dans la pièce, elle va ouvrir le débarras.

BERANGERE – Ouf ! Vous êtes toujours là !

PATRICE – Pas bougé !

BERANGERE – Comme un bon toutou

PATRICE – Oui. La différence, c’est que quand le chien est content, lui, il remue la…

BERANGERE (le coupant) – Oui oui… Je suis encore navrée de vous avoir poussé là-dedans

PATRICE – De rien ! Parfois, c’est bien de rester dans l’ombre

BERANGERE – Comme au théâtre

PATRICE – Et pour vous comme pour moi, on peut dire que c’était un bon débarras, non ?

BERANGERE – Heureuse que vous le preniez avec le sourire

PATRICE – Je reconnais que cette situation cocasse m’amuse beaucoup

BERANGERE – Moi pas tellement

PATRICE – Tout ça me rappelle une des pièces qu’on a montées il y a quelques années

BERANGERE – Les pièces montées, j’adore !

PATRICE – Alors celle-là, faut que je la note ! (Après un temps.) Un monde dingue ! C’est ça : c’est le titre de la comédie… Je ne sais plus trop de qui… Vincent Durand ou Dupuis… Eh ben figurez-vous que je suis resté dans un placard pendant presque un acte

BERANGERE – Comprenez-moi : j’étais au pied du mur

PATRICE – Comme moi dans ce réduit… Dites : pour plus tard, vous n’auriez pas une cachette plus grande à me proposer ?

On entend des pas dans l’escalier.

BERANGERE – Si : le dressing… et tout de suite !

Bérangère pousse Patrice dans le dressing.

 

 

SCENE 11

BERANGERE, ARCHIBALD

 

Retour d’Archibald.

ARCHIBALD – Ah ! Bérangère

BERANGERE – Toujours là

ARCHIBALD – Vous avez eu le temps de faire ma veste ?

BERANGERE – Oui

ARCHIBALD – Bérangère, je ne voudrais pas abuser de vous

BERANGERE – Oh ! Ca ne risque pas

ARCHIBALD – Vous pourriez nettoyer la chambre verte ?

BERANGERE – Vous comptez l’utiliser ?

ARCHIBALD – Dites-donc ! Ca vous regarde ?

BERANGERE – Oui, si je la nettoie… Mais ce ne sera pas la peine : elle est impeccable

ARCHIBALD – Ah… Et la bibliothèque ?

BERANGERE – Pareil… et même mieux !

ARCHIBALD – En revanche, j’en connais une qui aurait besoin d’un bon dépoussiérage

BERANGERE – Vous pensez à moi ?

ARCHIBALD – Non

BERANGERE (soupirant) – Evidemment : on ne pense jamais à moi

ARCHIBALD – La cave : elle mériterait qu’on s’occupe d’elle

BERANGERE (allusive) – Elle n’est pas la seule

ARCHIBALD – Alors qu’est-ce que vous attendez ?

BERANGERE – C’est que…

ARCHIBALD (ferme, mais sans plus) – Allez : du balai !

BERANGERE – Pour une femme de ménage, c’est le comble

ARCHIBALD (rectifiant) – Non : la cave !

Bérangère va à la cave.

ARCHIBALD – Bon : m’en voilà débarrassé ! Autant l’éloigner : avec elle, on n’est jamais à l’abri d’une parole malencontreuse, et j’ai assez affaire avec Maud

MAUD (off) – Archibald !

ARCHIBALD – Qu’est-ce que je disais ? Et c’est parti ! (Au public.) Mais vous, vous restez !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE 2

 

SCENE 1

BERENICE puis ARCHIBALD

 

Retour de Bérénice par la porte d’entrée, laissée entr’ouverte.

BERENICE – Décidément, c’est bizarre : la porte reste toujours entr’ouverte dans cette maison

Bérénice enlève sa robe qu’elle pose sur le canapé ; elle porte un bikini bleu.

BERENICE – C’est quand même bien un combi pour se changer. (A un homme du public.) Navrée pour vous monsieur… Et désolée, mais vous pourrez revenir aux autres représentations, ce sera pareil. On est au théâtre, pas au cabaret ! (Appelant.) Monsieur Darras ? Vous êtes là ?

Archibald descend l’escalier.

ARCHIBALD (assez bas) – Bonjour

BERENICE (surprise) – Bon… Bonjour

ARCHIBALD (ravi) – Je parie que vous êtes Bérénice

BERENICE – Je… Oui… Et vous ?...

ARCHIBALD (avec évidence) – Bah :  Archibald Darras

BERENICE (stupéfaite) – Ah bah ça !

ARCHIBALD – Cela a l’air de vous étonner ?

BERENICE – Plutôt

ARCHIBALD – Qu’est-ce que vous voulez dire ?

BERENICE (le dévisageant) – On change avec les années mais là, c’est en accéléré !

ARCHIBALD – Vous pourriez vous expliquer ?

BERENICE – Vous dites que vous êtes Monsieur Darras ?

ARCHIBALD – Oui… Mais avec vous, je vous le répète, ce sera Archibald et même Archi

BERENICE – L’auteur du traité sur la comédie burlesque au Haut Moyen Age ?

ARCHIBALD – Dans l’Europe méditerranéenne, oui

BERENICE – Le metteur en scène de La métamorphose de Britannicus ?

ARCHIBALD – Aussi… Et de La conspiration de Sophocle

BERENICE – Bah alors qui était l’autre ?

ARCHIBALD – L’autre ?

BERENICE – L’homme qui m’a ouvert la porte il y a une vingtaine de minutes

ARCHIBALD (interloqué) – Hein ? Quel homme ?

BERENICE – Celui qui s’est visiblement fait passer pour vous

ARCHIBALD – Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?

BERENICE – La pure vérité

ARCHIBALD – Je ne vois absolument pas de qui vous parlez

BERENICE – Un gars plutôt lourd, et je pèse mes mots

ARCHIBALD – Comment avez-vous pu me confondre avec un tel individu ?

BERENICE – Bah en fait, si j’ai lu la plupart de vos ouvrages sur le théâtre, j’avoue que jusqu’à cette heure, je ne savais pas à quoi vous ressembliez

ARCHIBALD – Alors que moi, j’avais votre photo. (La dévisageant.) Elle vous correspond en tous points, ce qui me réjouit

BERENICE – Elle est assez récente

ARCHIBALD – Et cet autre, il ressemblait à quoi, lui ?

BERENICE – Oh ! A rien

ARCHIBALD – C’est peu de choses… Et vous avez discuté ensemble ?

BERENICE – Oui

ARCHIBALD – Et alors ?

BERENICE – C’est vrai qu’il tenait des propos assez étranges, mais il a quand même cité Lamartine alors…

ARCHIBALD (inquiet) – Ouh là là ! Je n’aime pas ça

BERENICE – Moi, c’est un de mes auteurs préférés

ARCHIBALD – Mais pas ça du tout !... Je me demande vraiment qui est ce personnage et ce qu’il voulait

BERENICE – Me faire profiter de la piscine

ARCHIBALD – Hein ?

BERENICE – Ce qui explique ma tenue

ARCHIBALD – Alors ça, en revanche, j’aime bien

BERENICE – Tout ça est quand même étrange, vous ne trouvez pas ?

ARCHIBALD – Inquiétant surtout ! (Réfléchissant.) A moins que… Oui : il y a une clinique d’aliénés tout près d’ici

BERENICE – Vous pensez qu’un d’eux se serait échappé ?

ARCHIBALD – Qui sait ?

BERENICE – Et qu’il se serait introduit dans votre maison ?

ARCHIBALD – C’est une possibilité

BERENICE – En tous les cas, elle est magnifique

ARCHIBALD (les yeux fixés sur Bérénice) – Ah ça… Quoi donc ?

BERENICE – Votre maison

ARCHIBALD – Ah ?... J’en conviens. A l’origine, figurez-vous que c’est un corps de femme (Se reprenant.) De ferme

BERENICE – Un corps qui a beaucoup de charme

ARCHIBALD (dévisageant Bérénice de la tête aux pieds) – Pour ça oui !

BERENICE – Il y a de beaux volumes bien mis en valeur

ARCHIBALD – Effectivement

BERENICE – J’adore les formes cintrées

ARCHIBALD – Et moi donc !

BERENICE – Elles embrassent bien le paysage

ARCHIBALD (bas, à lui-même) – Ca, je suis sûr qu’elle embrasse bien !

MAUD (off) – Archibald ? Tu peux venir ?

ARCHIBALD – Tout… tout de suite ?

MAUD (off, avec fermeté) – Oui, tout de suite !

ARCHIBALD – Là, il vaut mieux que j’y aille

BERENICE – Ah bon ?

ARCHIBALD – Je n’ai hélas pas le choix

BERENICE – J’en ai vaguement l’impression

On entend des pas dans l’escalier.

ARCHIBALD – Oh là là ! Vite : entrez là !

BERENICE (protestant, mais sans plus) – Mais…

Archibald pousse Bérénice dans le dressing, juste avant que n’apparaisse Maud dans l’escalier. En toute hâte, il cache la robe sous un coussin de canapé.

MAUD (agacée) – Mais qu’est-ce que tu fais ?

ARCHIBALD – Mon possible pour m’en sortir

MAUD – J’ai besoin de ton aide

ARCHIBALD – Ah ?

MAUD – Oui : je n’arrive pas à ouvrir une de mes valises

ARCHIBALD – Je… Je vais m’en occuper

MAUD – Immédiatement alors : dedans, j’ai mes médicaments pour la tension et sûrement aussi mes clés

Maud se dirige vers le bar.

ARCHIBALD (se dirigeant vers l’escalier) – Tu ne montes pas ?

MAUD – Dans deux minutes : le temps de me servir un verre. La valise est sur le lit

Archibald a grimpé l’escalier. Maud va au bar, se sert un verre, s’assoit sur le canapé et finit par découvrir la robe de Bérénice.

MAUD – Tiens donc !... De mieux en mieux !... Je me demande si… (Se relevant.) J’en connais un qui va devoir s’expliquer et fissa… (Réfléchissant.) Et puis non… Mieux vaut jouer au plus fin et attendre… (Sentencieuse.) Armez-vous de patience et le ciel s’éclaircira de lui-même… En attendant de trouver la femme, elle, elle n’est pas près de trouver sa robe !

Maud cache la robe sous le canapé et grimpe à son tour l’escalier.

 

 

SCENE 2

BERENICE, PATRICE

 

Patrice sort la tête du dressing.

PATRICE – Ca va : on peut sortir

BERENICE – Vous êtes sûr ?

PATRICE – Oui : la voie est libre

BERENICE – Tant mieux !

Patrice et Bérénice sortent du dressing.

BERENICE – A deux, on commençait à étouffer là-dedans

PATRICE (rigolant) – Moi, ça ne me déplaisait pas

BERENICE – Heureusement qu’on était en maillot de bain

PATRICE (les yeux sur Bérénice) – Ah ça oui ! Surtout vous !

BERENICE – En plus, je n’aime pas être dans le noir

PATRICE – Dommage que je n’avais pas ma baladeuse sous la main

BERENICE (allusive) – En revanche, pour la main baladeuse…

PATRICE – Ah ? Je n’ai rien senti

BERENICE (directe) – Moi si ! Bon : assez joué la comédie

PATRICE – Ce n’est pas ce que nous disent les spectateurs… (Au public.) N’est-ce pas ?

BERENICE – Vous êtes qui au juste ?

PATRICE – Bah je vous l’ai dit

BERENICE – Vous n’êtes pas Archibald Darras, n’est-ce pas ?

PATRICE – De la ville d’Arras, c’est sûr… Mais pas Archibald… Moi, c’est Patrice… Patrice Berger… Patrice, mais pas triste !... Alors celle-là, je l’ai déjà sortie… Ma blagounette !

BERENICE – Hein ?

PATRICE – Oh là là ! Je sens la confusion

BERENICE (reniflant) – Et surtout la transpiration

PATRICE – Ah ? (Rigolant.) C’est vrai qu’avec moi, il vaut mieux être sur les échelles que sous les aisselles

BERENICE – Vous vous êtes moqué de moi ?

PATRICE – Je vous assure que non

BERENICE (agacée) – C’est ça !

PATRICE – Il y a dû y avoir méprise je vous dis

BERENICE – Vraiment ?

PATRICE – Oui

BERENICE – Vous pourriez m’expliquer plus clairement ?

PATRICE – C’est jouable mais en attendant, je vais me rafraîchir ; qu’est-ce que vous en pensez ?

BERENICE – Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

PATRICE – Je ne sais pas mais moi, le plus grand bain… (Rectifiant.) Le plus grand bien

On entend des voix et des pas dans l’escalier.

BERENICE (paniquant) – Ecoutez : je crois qu’on vient !

PATRICE – Je confirme

BERENICE – Pas de temps à perdre : vous là et moi ici !

PATRICE (déçu) – Ah….

Prestement, Bérénice se glisse dans le débarras et Patrice dans le dressing.

 

 

SCENE 3

ARCHIBALD, MAUD

 

Archibald et Maud descendent l’escalier. Maud est en peignoir.

MAUD – Finalement, je vais faire des traversées

ARCHIBALD – Très bonne idée… Ca permettra de t’éloigner

MAUD – Qu’est-ce que tu dis ?

ARCHIBALD – Que ça éloignera tous tes soucis

MAUD – A voir

ARCHIBALD – Après la piscine, tu devrais aller t’allonger un long moment

MAUD – Tu as raison

ARCHIBALD – Parfait ! Ca me laissera le temps

MAUD – Le temps de quoi faire ?

ARCHIBALD – De… de mettre en ordre mes affaires… Il faut que je me débarrasse de certaines légèrement encombrantes

MAUD – Avant, je vais récupérer mon portable… Il doit être dans ma veste

ARCHIBALD – Très bien

MAUD – Et ma veste doit être dans le dressing

ARCHIBALD – Très bien. (Réalisant.) Ah mais non ! Ce n’est pas possible !

MAUD – Si si ! Je suis quasiment certaine que je l’ai mise là en arrivant

ARCHIBALD – Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

MAUD – Bah oui : un dressing, c’est fait pour ça, non ?

ARCHIBALD (paniqué) – Oh là là !

 

 

SCENE 4

Les mêmes, PATRICE

 

Maud ouvre la porte du dressing.

MAUD – Monsieur

PATRICE – Madame

ARCHIBALD (soulagé, à lui-même) – C’est vrai que les gens changent vite d’apparence dans cette maison

MAUD (à Patrice) – Vous pourriez sortir ?

PATRICE – Bien sûr

MAUD – Ca me permettrait de prendre ma veste

PATRICE – C’est tout naturel

MAUD – Merci

PATRICE – De rien

Patrice sort du dressing.

MAUD – Ce serait trop vous demander de nous dire qui vous êtes ?

ARCHIBALD (en écho) – Oui : ce serait trop vous demander de nous dire qui vous êtes ?

PATRICE (bêtement) – Qui vous êtes. Voilà : je l’ai dit

MAUD (sèche) – Très drôle !

ARCHIBALD (toujours en écho) – Oui : follement drôle

PATRICE – Content que ça vous ait plu… Ce n’est pas toujours que ça marche

MAUD – Alors ?

ARCHIBALD – Alors ?

 

 

SCENE 5

Les mêmes, BERANGERE

 

Retour de Bérangère.

BERANGERE – Patrice !

PATRICE – C’est ça

MAUD (surprise) – Bérangère ! Qu’est-ce que vous faites là ?

BERANGERE – J’essaie de m’en sortir

MAUD (allusive) – Vous aussi ! Décidément…

ARCHIBALD – J’ai complètement omis de t’en parler mais Bérangère a profité de notre absence pour venir faire un peu de ménage… (A Bérangère.) C’est bien cela ?

BERANGERE – Exactement

MAUD – Sauf qu’on est là

BERANGERE – Voilà… (A Maud.) Et vous-même ?

ARCHIBALD – A cause d’un avion annulé, ma femme est revenue passer la nuit ici et elle redécolle demain matin

MAUD – Oui oui, merci. (Désignant Patrice.) Et vous connaissez cet individu ?

BERANGERE – Oui…. C’est… C’est Patrice

MAUD – On a compris

BERANGERE – Patrice est un… un ami d’enfance

ARCHIBALD (ironique) – Ca ne doit pas dater d’hier

MAUD (sèche) – On se passera de tes remarques

BERANGERE – Il est de passage dans la région… (A Patrice.) C’est bien ça ?

PATRICE – Oui. Je viens du Nord

BERANGERE – De tire-toi et laisse ma peine

PATRICE (rectifiant) – Tilloy-lès-Mofflaines

BERANGERE – Celui-là, je n’arrive jamais à le prononcer

MAUD – Et qu’est-ce qu’il fait dans la maison ?

ARCHIBALD – Oui : qu’est-ce qu’il fait dans la maison ?

MAUD – Arrête de répéter tout ce que je dis !

PATRICE – C’est vrai qu’à force, c’est agaçant

ARCHIBALD – Alors vous…

BERANGERE – Patrice m’a accompagnée… Je voulais la lui montrer

PATRICE – La baraque, pas…

BERANGERE (le coupant) – Oui oui… Il… Il est architecte, c’est pour ça… Une demeure comme la vôtre, ça vaut le détour

MAUD – Vous êtes archi ?

PATRICE – Déjà, archi content d’être ici

BERANGERE – Patrice ne peut s’empêcher de plaisanter

MAUD – Comme c’est intéressant ! Figurez-vous que je suis passionnée par l’histoire de l’art

PATRICE – Moi, j’ai un pote, Jean-Luc, le lard, ça le connaît… (A Bérangère.) On en a parlé : il est boucher à Monchy-le-Preux

BERANGERE – Oui oui

MAUD – L’architecture m’intéresse au plus haut point

PATRICE – Ah ?

MAUD – Et je suis férue de décoration d’intérieur

ARCHIBALD – C’est une fan de design

PATRICE – Tout ça d’un coup : bah dites-donc !

MAUD – Ne dit-on pas que l’aménagement d’une maison est le reflet de l’âme de ceux qui l’habite ?

PATRICE – Euh… Si : sûrement

MAUD – Pour notre intérieur, mon mari est moi n’avons hélas pas la même approche conceptualiste

PATRICE – C’est dommage

MAUD – Pour ma part, je suis une fervente adepte de l’esthétique réduite à la plus pure essence

PATRICE – Faut faire gaffe : l’essence, elle n’est pas toujours pure

MAUD – Alors que lui plaiderait pour un décor teinté qui jouerait sur les contrastes

PATRICE – Ca c’est bien dit

MAUD – A titre anecdotique, figurez-vous que nous avons notamment un dilemme sur les fenêtres

PATRICE – La fenêtre, c’est la porte ouverte aux débats

MAUD – La fenêtre serlienne, il n’y a rien de mieux, pas vrai ?

PATRICE – Je…

ARCHIBALD – Pour ma part, je parlerais plutôt de fenêtre palladienne, mais la nuance est infime, n’est-ce pas ?

PATRICE – Vous savez, moi, l’une ou l’autre…

MAUD – D’accord, mais vous, quel serait votre tendance ?

PATRICE – Bah… En fait, c’est plutôt l’aspect extérieur qui compte… Dans une baraque comme chez une femme d’ailleurs

MAUD – Ah ?... Enfin, tout ça ne nous dit pas ce que vous faites en maillot de bain

PATRICE – Je…

BERANGERE – C’est ma faute. Je lui avais dit qu’il y avait une piscine et il faisait tellement chaud qu’il a piqué une tête

PATRICE – Je l’ai piquée mais je la rendrai : promis !

BERANGERE – Je sais : je n’aurais sans doute pas dû lui dire oui

ARCHIBALD – C’est ce qu’on dit une fois qu’on est mariés

BERANGERE – Garde tes réflexions pour d’autres. (A Patrice.) Mais qu’est-ce que vous faisiez dans le dressing ?

ARCHIBALD – C’est étonnant en effet… Tu vois : je n’ai pas dit pareil

BERANGERE – Bah oui : qu’est-ce que tu faisais dans le dressing ?

ARCHIBALD – Là, c’est de la répétition

PATRICE – Je… Je suspectais la présence de termites

MAUD – De termites ?

PATRICE – Ce sont des insectes

ARCHIBALD (sarcastique) – Merci de la précision

MAUD – Des termites ! De mieux en mieux

PATRICE – C’est le genre typique de demeures qu’elles adorent, avec toutes ces boiseries

BERANGERE – Je confirme. Chez vous, je ne peux pas dire qu’on n’en a rien à cirer

PATRICE – Et on ne le sait hélas que rarement, mais c’est souvent dans les dressings que les termites se cachent

MAUD – Vous ne vous foutez pas de nous par hasard ?

ARCHIBALD – Maud ! Voyons… Et vous en avez trouvées ?

MAUD – Les parasites, ce n’est pas ce qui manque

PATRICE – C’est que… J’ai été interrompu par votre arrivée

MAUD – C’est bête

PATRICE – Bébête je dirais, rapport aux…

MAUD (se contrôlant) – Maud, reste calme ! Zen !

ARCHIBALD – Je te le répète : tu devrais aller t’allonger

PATRICE – Moi, c’est ce que je fais quand au boulot j’ai mal au ciboulot

MAUD – Je vais surtout me prendre un gros cachet

ARCHIBALD – Le rêve de tout comédien !

MAUD – N’en rajoute pas tu veux ! Mais à mon retour, j’espère que vous aurez des explications plus convaincantes à me fournir parce que sinon…

ARCHIBALD – Tu peux compter sur nous

BERANGERE – Oui oui

Maud grimpe l’escalier.

PATRICE (à Archibald) – Si j’ai tout compris, c’était votre dame

ARCHIBALD – Hélas !

PATRICE – Vous exagérez : elle n’est pas si moche que ça… Elle a même du charme

ARCHIBALD – Hum…

PATRICE – En tous les cas, elle n’avait pas l’air contente

BERANGERE – C’est assez fréquent

ARCHIBALD (mollement) – Dites donc !

BERANGERE – En tous les cas, elle nous a rhabillés pour l’hiver

PATRICE – A ce propos, vous permettez que j’aille passer un peignoir ?

ARCHIBALD – Ce serait préférable.

Patrice gagne la terrasse.

Archibald va rejeter un œil dans le dressing.

ARCHIBALD – Où est-elle passée ?

BERANGERE – Qui donc ?

ARCHIBALD – Bérénice

BERANGERE – Parce qu’elle est arrivée ?

ARCHIBALD – Oui… Juste après mon épouse. Je n’ai pas eu d’autre choix que de la cacher dans le dressing

BERANGERE – Votre épouse ?

ARCHIBALD – Bérénice

BERANGERE – Cacher les gens dans le dressing, c’est d’un classique !

ARCHIBALD – Mais elle n’y est plus

BERANGERE – Cherchez la femme !

Archibald regarde sous le coussin du canapé.

ARCHIBALD – Sa robe n’est plus là non plus… La robe de Bérénice, au cas où vous ayez encore du mal à suivre

BERANGERE – Ca va : je m’accroche

ARCHIBALD – C’est fou : tout disparaît dans cette maison

BERANGERE (soufflant) – Sauf la poussière

ARCHIBALD – J’y suis !

BERANGERE – L’important, c’est d’y rester !

ARCHIBALD – Oui : Bérénice a compris ce qui se passait

BERANGERE – Elle a de la chance, parce que moi, des fois…

ARCHIBALD (sur sa lancée) – Et elle a préféré partir

BERANGERE – Si vous le dites

ARCHIBALD – Elle a été fine mouche

BERANGERE – Après les termites

ARCHIBALD – Oui : c’est sûrement ça ! Elle n’a pas voulu me mettre dans l’embarras

BERANGERE (bas, à elle-même) – Alors que moi, je l’ai mis dans le débarras

ARCHIBALD – Finalement, tout s’arrange

BERANGERE – Ca dépend pour qui…

ARCHIBALD (taquin) – Entre nous, Patrice, ce n’est pas votre ami d’enfance, n’est-ce pas ?

BERANGERE – Bah…

ARCHIBALD – Allez : faut pas me la faire à moi

BERANGERE (décontenancée) – Vous… Vous avez deviné ?

ARCHIBALD – Evidemment. Petite cachotière !

BERANGERE – Je…

ARCHIBALD – Vous avez voulu profiter de la maison ?

BERANGERE – Je l’avoue

ARCHIBALD – Pour un petit séjour en amoureux, c’est ça ?

BERANGERE – Ah ?... (Avec soulagement, réalisant enfin.) Oui, voilà…Enfin…

ARCHIBALD – Je peux vous comprendre, mais vous pouviez trouver nettement mieux

BERANGERE – C’est pourtant une superbe bâtisse

ARCHIBALD – Je vous parlais de Patrice

Retour de Patrice, en peignoir.

PATRICE – On parle encore de moi je parie

ARCHIBALD – Et moi je parie que c’est vous qui vous êtes fait passer pour moi auprès de Bérénice

PATRICE (avec emphase) – Ah ! Bérénice !

ARCHIBALD – Je suis dans le vrai ?

PATRICE – En partie…

ARCHIBALD – Mais qu’est-ce qui vous a pris ?

PATRICE – En fait, tout est parti d’un imbroglio… J’aime bien ce mot, je ne sais pas pourquoi

ARCHIBALD – Vous pourriez m’en dire davantage ?

PATRICE – Bah vous êtes Darras et moi aussi

ARCHIBALD – Plaît-il ?

PATRICE – Plaît-il ! Cette expression, c’était la favorite de mon grand-père

ARCHIBALD (s’impatientant) – Alors ?

PATRICE – Bah, je suis d’Arras… Arras, dans le Pas-de-Calais

ARCHIBALD – Merci : je connais ma géographie

BERENICE – Moi, j’ai jamais été forte en capitales

PATRICE – Finalement, c’est un peu comme si vous vous appeliez Damien et que j’étais d’Amiens… D’Amiens, en Picardie

ARCHIBALD – Inutile dans rajouter : j’ai compris

BERENICE – Moi pas tout

ARCHIBALD – Permettez-moi néanmoins d’avoir quelques doutes

PATRICE – Oh ! Mais je vous le permets

MAUD (off) – Archibald !

BERANGERE – Vous avez entendu ?

ARCHIBALD – Une nouvelle fois, le devoir m’appelle

PATRICE – Votre femme aussi

ARCHIBALD – Je pense que nous aurons l’occasion de creuser tout ça

BERANGERE – S’il le faut

ARCHIBALD – En attendant, je vous laisse entre tourtereaux

Archibald grimpe l’escalier.

PATRICE – Moi, j’ai plutôt l’impression que là, je suis le pigeon

BERANGERE – Je suis vraiment désolée de vous avoir mêlé à tout ça

PATRICE – Je suis un peu ramier, alors ça me change

BERANGERE – Franchement, merci d’avoir abondé dans mon sens

PATRICE – C’est ce qu’on doit appeler la réponse du Berger à la Bérangère

BERANGERE – Vous auriez pu me mettre la tête sous l’eau

PATRICE – Je n’allais pas vous enfoncer… Mais j’aimerais y voir plus clair…

BERANGERE (un sourire aux lèvres) – C’est amusant : enfoncer, clair

PATRICE – Pour une fois, je n’ai pas fait exprès

BERANGERE – Ah ?

PATRICE – Il me semble que j’aurais droit à un minimum d’explications, non ?

BERANGERE – Oui

PATRICE – C’était qui ?

BERANGERE – Vous ne vous en doutez pas ?

PATRICE – Laissez-moi réfléchir une minute

BERANGERE – Si ça vous suffit

PATRICE – Quand on se creuse trop la cervelle, on risque d’avoir des trous de mémoire

BERANGERE – C’est joli

PATRICE – Faut pas croire, mais ça cogite vite là-dedans !

BERANGERE – Les apparences sont parfois trompeuses

PATRICE (allusif) – Vous êtes bien placée pour en parler

BERANGERE – Pas faux

PATRICE – Je vous avoue qu’il y en a beaucoup qui ont cherché à me faire passer pour un imbécile, eh ben croyez-moi, ils n’ont pas cherché longtemps

BERANGERE – Je ne sais pas comment on doit le prendre…

PATRICE – Ce sont les propriétaires des lieux, c’est ça ?

BERANGERE – Oui

PATRICE – Gagné !

BERANGERE – Ils devaient être absents toute la semaine

PATRICE – Perdu !

BERANGERE – Ouais : fichu !

PATRICE – Et je suppose que vous avez profité de leur absence pour louer leur maison ?

BERANGERE – On ne peut rien vous cacher

PATRICE – A part dans le débarras

BERANGERE – Là aussi, je n’avais pas le choix

PATRICE – Les mises au placard, c’est rarement voulu. Je subodore que vous n’êtes pas agent immobilier ? (A lui-même.) Subodore, encore un de placé !

BERANGERE – Non. (Après un temps.) Je… Je suis la majordome

PATRICE – En plus simple ?

BERANGERE – Bah… la femme de ménage

PATRICE – Ca me parle mieux

BERANGERE – C’est un peu pareil mais sûrement moins bien payé

PATRICE – Vous aviez la maison à disposition, enfin en théorie, et il ne vous restait donc qu’à trouver des locataires pour la semaine

BERANGERE – Oui. C’est là que j’ai passé une petite annonce

PATRICE – Manque de chance : les proprios ont débarqué

BERANGERE – Si encore ils ne vous avaient pas croisé

PATRICE – Ca va être encore de ma faute !

BERANGERE – Excusez-moi. Quand j’y pense, j’aurais dû écouter les mises en garde de ma sœur… Dire que je l’ai eue au téléphone juste avant votre arrivée

PATRICE – Et pourquoi m’avoir fait passer pour votre ami d’enfance ?

BERANGERE – Ca m’est venu comme ça

PATRICE – L’inspiration

BERANGERE – J’ai été acculée

PATRICE – Pas par moi

BERANGERE – Ce n’était sans doute pas une bonne idée

PATRICE – Non, mais c’était une idée de la bonne. Et pourquoi ne pas leur avoir dit que j’étais votre petit ami ?

BERANGERE – Fallait être réaliste

PATRICE – Sympa

BERANGERE – Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire

PATRICE (théâtral) – Oh ! Je suis rodé… Erodé et rodé… Ceci dit, ami d’enfance, copain, mari, amant, je vous le répète : je peux jouer tous les rôles !

BERANGERE – Un parfait couteau suisse

PATRICE – Avec moi, y’a pas de lézard : j’suis un vrai caméléon ! Fleuriste, fromager, plombier, fermier…

BERANGERE – Et maintenant architecte

PATRICE – Belle promotion, non ?

BERANGERE – Même si vous en archi, ça peut surprendre

PATRICE – Archi ?

BERANGERE – C’est le diminutif d’architecte

PATRICE – Ah oui ! Comme j’ai déjà été coiffeur, les diminutifs, ça devrait me connaître

BERANGERE – J’admets volontiers que mon plan est un peu tiré par les cheveux

PATRICE (rigolant) – Chauve qui peut !

BERANGERE – Mais je reconnais que vous vous êtes bien défendu

PATRICE – C’est bien que le talent soit reconnu à sa juste valeur ! Et l’histoire des termites ! Pas mal, hein ? Ca fourmille là-dedans ! Bon : je n’ai pas trop de mérite… J’ai repris l’idée dans « Y’a un pétard dans le placard ! » Comme dirait Régis : tous les coups sont termites !

BERANGERE – Je me demande quand même s’ils ont tout gobé

PATRICE – Je n’ai pas l’impression d’avoir surjoué

BERANGERE – J’ai des doutes malgré tout

PATRICE – Je pense avoir été convaincant

BERANGERE – C’est la patronne la plus sceptique

PATRICE – Maud si j’ai bien entendu

BERANGERE – Oui

PATRICE – J’aime bien. C’est original

BERANGERE – C’est à son image…  Attention : Maud sans e : elle y tient

PATRICE – Sans e, pas d’omelette… Et une grosse omelette vaut mieux qu’une petite femmelette

BERANGERE – Alors vous !... Oh ! Dans le fond, elle n’est pas désagréable

PATRICE – Faut juste creuser longtemps

BERANGERE – Son mari est plus cool

PATRICE – C’est elle qui dirige dans le couple, non ?

BERANGERE – Il y a du vrai. Ceci étant, heureusement qu’elle est là parce que sans elle, pas de carrière pour lui

PATRICE – Il est dans les travaux publics ?

BERANGERE – Non pourquoi ?

PATRICE – Rapport à la carrière

BERANGERE – Faut vraiment s’accrocher avec vous !

PATRICE – C’est vrai que ça vole dans tous les sens, pas très haut je l’admets volontiers

BERANGERE – Il est auteur et metteur en scène pour la télévision et le théâtre

PATRICE – Alors on a un point commun

BERANGERE – Ce doit être le seul

PATRICE – Je comprends mieux maintenant pourquoi, quand on s’est rencontrés, vous avez parlé de coïncidence

BERANGERE – Même si, à mon avis, vous n’êtes pas sur les mêmes registres. Entre nous, ce que fait Monsieur Darras, ce n’est pas ma tasse de thé… Trop prise de tête pour moi toutes ces tragédies !

PATRICE – Ouais : Monsieur Darras… Tout ça explique la confusion de Bérénice…

BERANGERE – La confusion de Bérénice… Ca, ça ressemble à un titre de pièce de Monsieur Darras… Mais, comme lui, j’aimerais en savoir plus…

PATRICE – Laissez : ce serait trop compliqué à vous expliquer

BERANGERE – On cause là, mais ça ne solutionne pas tout de s’épancher

PATRICE – Surtout que si on s’épanche trop, gare à la chute finale. (Chantonnant.) C’est la chute finale

BERANGERE – Et maintenant, qu’est-ce que vous allez faire ?

PATRICE (chantonnant à nouveau) – Et maintenant, que vais-je faire ? Bah… J’aurais bien aimé plonger dans la piscine

BERANGERE – Vous allez leur dire la vérité ?

PATRICE – Je le devrais, non ?

BERANGERE – Vous pourriez

PATRICE – Rassurez-vous : je ne suis pas plus chanteur que maître-chanteur

BERANGERE – Alors on peut peut-être s’arranger ?

PATRICE – Ca ne me dérangerait pas

BERANGERE – Vous m’aviez bien dit que le reste de votre troupe n’arrivait que demain ?

PATRICE – Oui : en début d’après-midi

BERANGERE – Parfait

PATRICE – Parfait, c’est vous qui le dites… Pour rigoler, j’aurais autant aimé qu’on soit là tous en même temps

BERANGERE – Pas moi… Avec vous, c’est déjà suffisamment compliqué

PATRICE – Un gars compliqué, c’est mieux qu’une fille facile, non ?

BERANGERE – Demain matin, les Darras quittent les lieux et tout bien réfléchi, il n’y a que cette nuit qui coince

PATRICE – C’est déjà beaucoup

BERANGERE – Vous seriez prêt à dormir à l’hôtel ?

PATRICE – Bah…

BERANGERE – Oui, pour une nuit… Moyennant une bonne ristourne… 200 euros : ça vous irait ?

PATRICE – L’argent ne m’intéresse pas… Mais ok pour 400 euros

BERANGERE – Coupons la poire en deux

PATRICE – Surtout quand c’est une bonne poire

BERANGERE – D’accord pour 300

PATRICE – C’est bien parce que c’est vous… Et ça vous laisse encore une belle somme, non ?

BERANGERE – Le prix du danger… Ouais, 300 euros, ça devrait largement vous permettre de trouver un hôtel pour la nuit

PATRICE – Mais permettez-moi de vous dire que tout cela n’est pas joli joli

BERANGERE – Je sais, je sais

PATRICE – Bon : si j’ai bien compris, il ne me reste qu’à faire mes valises

BERANGERE – Merci… Vous me tirez une épine du pied

PATRICE – Régis vous dirait que c’est mieux que de tirer une… Non, là, je ne vais pas le dire

BERANGERE – Merci encore pour tout et surtout de m’avoir couvert

PATRICE (chantonnant) – Mais avant de partir, il faudra bien te couvrir

Patrice gagne la terrasse et Bérangère grimpe l’escalier.

Bérénice quitte sa cachette et cherche sa robe… en vain. Des pas dans l’escalier lui font se cacher dans la pièce la plus proche : le dressing.

Retour de Maud.

 

SCENE 6

MAUD, BERENICE

 

MAUD – On ne m’enlèvera pas l’idée que cette histoire d’ami d’enfance est plus que louche… On me cache quelque chose…  (Au public.) Je suis sûre que vous savez quoi… Oh ! Mais je finirai bien par l’apprendre… C’est comme pour la robe… Le ciel s’éclaircira de lui-même… En attendant, avec tout ça, je n’ai même pas récupéré mon portable… (Maud ouvre le dressing). Oups pardon !

BERENICE (nature) – Hello !

MAUD – Mademoiselle

BERENICE – Je… Je peux sortir ?

MAUD – Certainement

Bérénice sort du dressing.

BERENICE – Merci beaucoup

MAUD – De rien. Décidément, les dressings sont des endroits courus en ce moment

BERENICE – Quand on n’y est pas tous en même temps, ça peut passer

MAUD – Sans indiscrétion, vous pourriez juste me dire ce que vous faites dedans ?

BERENICE – J’attendais qu’on m’ouvre pour sortir

MAUD – Ca se tient… Je pourrais vous poser une autre petite question ?

BERENICE – Si elle est petite, je n’y vois pas de gros inconvénient

MAUD – Voilà : je pourrais savoir qui vous êtes ?

BERENICE – Bien sûr. Je suis…

 

 

SCENE 7

Les mêmes, ARCHIBALD

 

Archibald descend l’escalier.

ARCHIBALD – Bérénice !

BERENICE – C’est ça

ARCHIBALD – Vous êtes là !

BERENICE – Oui

ARCHIBALD – Et vous avez fait connaissance avec ma femme : c’est bien

BERENICE – Avec votre… Oui

MAUD – Vous vous connaissez ?

ARCHIBALD – Je… Si peu

BERENICE – Oh ! Très vaguement

ARCHIBALD – On s’est à peine croisés

BERENICE – Pas eu le temps d’aller plus loin

ARCHIBALD (bas, à lui-même) – Dommage d’ailleurs… Ah ! Bérénice ! Enfin ! On vous retrouve ! J’en connais un qui va être content !

BERENICE – Qui ça ?

ARCHIBALD – Patrice, voyons !... Patrice !

MAUD – Patrice ?

ARCHIBALD – Bah oui : Patrice ! L’ami d’enfance de Bérangère

MAUD – Je l’avais complètement oublié celui-là

ARCHIBALD – Maud, tu me déçois : un type aussi formidable

MAUD – N’exagérons rien !

ARCHIBALD (à Bérénice) – Figurez-vous qu’il vous avait perdue de vue

BERENICE – Ah ?...

ARCHIBALD – Forcément, si vous étiez dans le dressing ! Tout de même : y’a pas idée !

MAUD – Oui : qu’est-ce que vous faisiez vous aussi dans le dressing ?

BERENICE – L’idée de départ ne vient pas de moi mais de…

ARCHIBALD (la coupant) – Oui : de lui, je sais

BERENICE – On m’a dit de…

ARCHIBALD – De vérifier s’il y a des termites, c’est ça ?

BERENICE – Je… Oui

MAUD – C’est une manie !

ARCHIBALD – Au théâtre, c’est ce qu’on appelle le comique de répétition

MAUD – Pas toujours très drôle

ARCHIBALD – Moi, j’aime bien

BERENICE – On ne l’a pas encore étudié

MAUD – Et vous seriez qui par rapport à… Patrice ?

ARCHIBALD – C’est évident

MAUD – Pas pour tout le monde

ARCHIBALD – C’est sa petite amie : ça saute aux yeux !

MAUD – Alors il faudra que j’aille chez l’ophtalmo

ARCHIBALD – Regarde : ils sont tous les deux en maillot de bains !

MAUD – Et alors ?

ARCHIBALD – C’est un signe !

BERENICE – Un signe de beau temps

MAUD – D’après mon mari, vous seriez donc la compagne de…

BERENICE – De Patrick, oui

MAUD – Je croyais qu’il s’appelait Patrice

ARCHIBALD – On a dû mal comprendre

MAUD (ironique) – Oui, sûrement

ARCHIBALD – Des fois, on croit entendre des choses

MAUD – Toi, ce sera l’orl qu’il faudra consulter

ARCHIBALD – Entre Patrice et Patrick, il n’y a qu’un k

MAUD – Un cas plus qu’étrange

ARCHIBALD – Tu te rappelles de Marc Moulin ?

MAUD – Un imbécile pareil, j’en ai rarement rencontré… Quoique je me rends compte qu’il y a de la concurrence

ARCHIBALD – Eh bien tout le monde l’appelait Marcel… Lui, il s’en moquait : après tout, ça donnait une bonne image de Marc

MAUD – Je ne vois pas le rapport

ARCHIBALD – Finalement, moi non plus… C’était pour dire de…

MAUD (regardant Bérénice) – Laissez-moi vous regarder

ARCHIBALD – Oui : laissez-nous vous regarder

MAUD – Non, franchement, désolée de vous le dire, mais vous n’allez pas ensemble

ARCHIBALD – Ah ? Ce n’est quand même pas l’écart d’âge qui te choque… Regarde : nous…

MAUD – Hum… Vous êtes très mignonne

ARCHIBALD – Je confirme

BERENICE – Merci

MAUD – Alors que lui…

 

SCENE 7

Les mêmes, PATRICE

 

Retour de Patrice, son sac de voyage à la main.

PATRICE – On parle encore de moi ?

MAUD – Patrick ! Vous tombez bien !

PATRICE (rectifiant) – Non : moi, c’est Patrice

MAUD (à Archibald) – Tu vois !

PATRICE – Je ne vous en veux pas : c’est ressemblant

MAUD – Patrice ou Patrick, vous allez pouvoir éclairer notre lanterne

PATRICE – Pas de souci : j’ai toujours la flamme ! La flemme aussi, assez souvent

ARCHIBALD – Figurez-vous que mon épouse trouvait que vous ne formiez pas un couple assorti avec Bérénice

PATRICE – Je… Avec…

MAUD – Vous vous connaissez depuis longtemps ?

BERENICE – Oh là !

PATRICE – Pareil

ARCHIBALD – Vous avez à coup sûr beaucoup de points communs

PATRICE – Oh là oui !

BERENICE – Des tas !

PATRICE – Faut juste qu’on retrouve lesquels

ARCHIBALD – A commencer, je suppose, par l’amour des belles lettres

PATRICE – Voilà ! Pourtant, je ne suis pas facteur, hein ?

BERENICE – Avec un penchant pour Lamartine

PATRICE – Ah ! La Martine, je ne pensais plus à elle !

BERENICE – C’est un vrai boute-en-train

ARCHIBALD – Un roi de la rigolade !

PATRICE – Ca, j’ai un côté prince sans rire !

ARCHIBALD (à Bérénice) – C’est ce qui a dû vous faire craquer, je parie ?

BERENICE – Euh… oui

PATRICE – Entre autres

ARCHIBALD – Femme qui rit est à moitié dans le lit

MAUD – Les maximes ne disent pas toujours la vérité

PATRICE – Parfaitement ! Le seul que je connaisse, il ne raconte que des salades… Faut dire qu’il est maraîcher

MAUD – Mais j’y pense…

ARCHIBALD – C’est bien ça de penser

PATRICE – Moi, ça m’arrive de temps en temps

MAUD – Oui : je vous vois là, avec votre sac, mais où avez-vous prévu de dormir ?

PATRICE – Bah… Aux dernières nouvelles, dans un hôtel

MAUD – Vous avez réservé je suppose ?

PATRICE – Non… Pourquoi ?

MAUD – Parce qu’avec le festival d’Avignon, vous ne trouverez rien

PATRICE – Même avec 300 euros ?

MAUD – Depuis des mois, tout est complet à 50 kilomètres à la ronde

ARCHIBALD – Bérangère pourrait vous héberger ?

MAUD – Dans son T1 ? Tu n’y penses pas ?

ARCHIBALD – Bah si…

MAUD – Hors de question ! Il n’y a qu’une solution : vous allez passer la nuit ici

PATRICE – Comme ce qui était prévu… (Se reprenant.) Enfin, je veux dire si vous n’avez rien d’autre de prévu

BERENICE – C’est que…

ARCHIBALD – Peut-être que…

MAUD (péremptoire) – Rien du tout !

PATRICE – Si vous insistez

BERENICE – Mais vraiment beaucoup…

MAUD – Ce ne sont pas les chambres qui manquent

PATRICE – C’est ce que m’a dit Bérangère

MAUD – La chambre d’amis près de la piscine sera parfaite

PATRICE – Elle l’est… (Se reprenant.) Enfin, j’imagine

BERENICE – Vous y tenez vraiment ?

MAUD – Oui ! Et n’allez pas me dire que vous n’avez pas de pyjama

PATRICE – Moi, j’en ai un

BERENICE – Je dors nue

PATRICE – Oh là là !

MAUD – Mon mari va vous montrer la chambre

ARCHIBALD – Euh… Oui… Avec plaisir

MAUD – Et vous dînez avec nous, naturellement

PATRICE – Je… Si vous le souhaitez… Et si Béré est d’accord

BERENICE – Si Patounet l’est

MAUD (fausse) – Béré ! Patounet ! Comme c’est mignon !

ARCHIBALD – N’est-ce pas ?

MAUD – Permettez-moi d’aller passer une tenue plus décente

PATRICE – Faites comme chez vous !

Maud grimpe l’escalier.

ARCHIBALD – Alors là, c’est une catastrophe !

PATRICE – C’est sûr que ça se complique…

BERENICE – Un vrai vaudeville !

ARCHIBALD – Sauf que là, je n’ai pas écrit le script

PATRICE – Moi, le scénario me va

ARCHIBALD – Pas besoin de dessin pour comprendre la situation

PATRICE – Ah les deux seins ! (Se reprenant.) Euh… Les dessins

ARCHIBALD – Vous avez capté ?

PATRICE – Ca, c’est que nous dit Régis quand on est ballonné : vous avez capté

ARCHIBALD – Commentaire parfaitement inutile

BERENICE – Et déplacé

PATRICE – Ce qui compte, c’est de sortir de ce mauvais pet… (Se reprenant.) Euh… mauvais pas

BERENICE – C’est une fixation !

ARCHIBALD – Je me demande quand même si mon épouse n’a pas de sérieux doutes

PATRICE – Ah ? Une fois de plus, je l’ai finement joué

ARCHIBALD (à Patrice) – Dans mon malheur, j’ai finalement eu de la chance que vous soyez là

PATRICE – Comme on dit : quand on a le cul bordé de nouilles, on retombe toujours sur ses pâtes

BERENICE – Vous en avez encore beaucoup comme ça ?

PATRICE – C’est à la demande

ARCHIBALD – En tous les cas, j’ai beaucoup apprécié que vous rentriez tous les deux dans mon jeu

PATRICE – Il fallait bien vous sauver la fesse… (Se reprenant.) Euh : la face… Mais qu’est-ce qui m’arrive moi ?

BERENICE – Moi, ça m’a paru normal

PATRICE – La solidarité des gens du théâtre

ARCHIBALD – Alors vous ne direz rien à ma femme ?

PATRICE – Je ne sais pas si la farine va parler, mais le sucre vanillé… Sucre vanillé !

ARCHIBALD – Oui oui : très bien

BERENICE – Je tiendrai ma langue

PATRICE (bas, à lui-même) – Dommage !

ARCHIBALD – Si je m’en sors, je saurai vous remercier en temps utile… Un rôle dans une de mes prochaines mises en scène, ça vous dirait ?

BERENICE (ravie) – Ce serait inespéré !

PATRICE – Pour moi, ça va être compliqué : je ne suis pas d’ici et surtout je ne peux pas laisser tomber ma croupe ! (Se reprenant.) Euh… ma troupe ! Ca me reprend !

ARCHIBALD – Bon. Je pense que chacun sait ce qu’il a à faire

PATRICE (à Bérénice) – Si j’ai bien compris, on va être ensemble jusqu’à demain

BERENICE – Eh oh doucement !

PATRICE – Moi, ça me va ! Mais je vous préviens d’avance : je ronfle comme un sonneur ! Pas vous j’espère ?

BERENICE (vexée) – Vous m’avez bien regardée ?

ARCHIBALD – Il ne fait que ça !... Bon : la chambre d’amis est par là

PATRICE – Je connais le chemin

BERENICE – Je passe la première

PATRICE – C’est mieux que de passer la marche arrière ! Ah ! Je sens qu’on va bien s’entendre !

Ils gagnent la terrasse.

 

 

SCENE 9

MAUD

 

Retour de Maud, en robe de soirée.

MAUD – Bérénice en couple avec cet énergumène ! Mon œil ! Ils se foutent tous vraiment de moi ! Mais patience… Quelle bonne idée j’ai eue de leur dire de rester… Comme ça, on aura toute la soirée pour que les masques tombent… Et croyez-moi : ils vont tomber ! Et je sens qu’on va follement s’amuser ! (Au public.) Vous aussi j’espère !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ACTE 3

 

SCENE 1

BERANGERE, MAUD

 

On retrouve Maud, assise sur le canapé.

Retour de Bérangère.

MAUD – Ah, Bérangère !

BERANGERE – Oui : c’est bien moi

MAUD (allusive) – Pour vous, au moins, pas de doute

BERANGERE – Comment ça ?

MAUD – Rien. Je soliloquais

BERANGERE – Moi tout pareil tout à l’heure

MAUD – Puisque vous êtes là, autant profiter de vous

BERANGERE (soufflant) – En général, ce n’est pas ce que me disent les hommes…

MAUD – Vous pourriez dresser la table pour quatre personnes ?

BERANGERE – Ca peut se faire. (Après un temps.) Pour quatre vous dites ?

MAUD – Oui : nous avons invité Patrice à dîner

BERANGERE – Ah ?

MAUD – Il s’appelle bien ainsi ?

BERANGERE – Oui mais…

MAUD – Cette invitation a l’air de vous étonner

BERANGERE – Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais prévu

MAUD – Il apportera du sel à la conversation

BERANGERE – D’habitude, le sel, c’est pour la conservation

MAUD – C’est un homme détonnant

BERANGERE – Pardonnez-moi l’expression, mais je dirais plutôt déconnant

MAUD – Il dynamisera le dîner

BERANGERE – De là à le dynamiter

MAUD (fausse au possible) – Il a tellement d’esprit

BERANGERE – Je retiendrais plus le spiritueux que le spirituel

MAUD – C’est dingue : on croirait l’entendre

BERANGERE (réfléchissant) – Vous m’avez bien dit quatre ?

MAUD – Oui

BERANGERE – C’est gentil de m’inviter mais…

MAUD – Oh ! Je n’avais pas pensé à vous

SOLANGE (soupirant) – Comme tout le monde

MAUD – Mais à Bérénice

BERANGERE – Ah ?

MAUD – Ne forment-ils pas un beau couple ?

BERANGERE (visiblement pas sur la même longueur d’onde) – Parce que vous savez pour Bérénice et…

MAUD – C’est mon mari qui me l’a dit

BERANGERE – Votre ?... Ah bah dans ce cas-là… Et ça ne vous a pas choquée de l’apprendre ?

MAUD – Il faut être tolérant, n’est-ce pas ?

BERANGERE – Sans doute mais…

MAUD – Dans la vie, on finit par tout accepter

BERANGERE – C’est vous qui voyez

MAUD – Et entre nous, je m’en moque

BERANGERE – Personnellement, je suis pour la paix des ménages, alors…

MAUD – Et aussi pour faire le ménage en paix, non ?

BERANGERE – Il y a du vrai

MAUD – Voilà maintenant que l’humour de Patrice déteint sur moi… Où va-t-on ?

BERANGERE – Vous, je ne sais pas mais moi, en cuisine. Je vais préparer la table : ça me changera les idées

Bérangère gagne la cuisine.

 

SCENE 2

MAUD, TONY

 

On frappe à la porte. Maud va jeter un œil à travers le judas.

MAUD – Qu’est-ce que c’est encore que ce machin ? Décidément, pour une maison supposée vide, c’est le trop-plein !

Maud ouvre la porte. Un homme d’une petite trentaine entre. Il porte un blouson de cuir ; il tient dans une main des sacs de courses et dans l’autre un casque de scooter.

TONY – M’dame

MAUD – Monsieur

TONY – J’suis bien chez (Lisant péniblement un petit mot.) Ar… Archibald Darras ?

MAUD – Oui, lui-même

TONY – C’est vous ?

MAUD (un brin caustique) – Non, navrée : je suis son épouse

TONY – Ah ?... Désolé, mais c’est la première fois que je vois un prénom pareil

MAUD – C’est rare, je le reconnais

TONY – Archibald !... Ouais : c’est très spécial

MAUD – C’est d’origine teutonne

TONY – Késaco ?

MAUD – Germanique, si vous préférez

TONY – Oh ! Sûrement !

MAUD – Allemande, quoi

TONY – Ah ? Ya voll…

MAUD – Et vous, vous êtes ?

TONY – Le livreur de repas

MAUD – Ah oui ! Naturlich

TONY – Et ce gros paquet est pour vous

MAUD (un sourire aux lèvres) – Oh oh !

TONY (montrant les sacs qu’il tient en main) – Je vous parle des sacs

MAUD – Oui, bien sûr… (Lui désignant la table basse.) Vous n’avez qu’à tout poser là

TONY – Entre nous, avec cette chaleur, j’aimerais bien pouvoir me poser moi aussi

MAUD – Comme dirait Patrice : la pause s’impose

TONY – Un ami à vous ?

MAUD – Pas vraiment non… Tant mieux d’ailleurs… (Se rapprochant du bar.) Vous voulez un rafraîchissement ?

TONY – Je ne dis pas non

MAUD – Un jus de tomate ?

TONY – Très bien

MAUD – Epicé ?

TONY – J’irai après… Si je peux utiliser vos toilettes

MAUD – Hum… (Lui tendant un verre.) Vous avez trouvé facilement ?

TONY – Ouais… Mais vous êtes très excentrés

MAUD – Et excentriques… (A elle-même.) Sors de ce corps, Patrice !

TONY – Je reconnais que mon gps m’a aidé

MAUD – Dans votre métier, je suppose qu'il faut quand même un bon sens de l’orientation

TONY (fanfaron) – Le mien est excellent : je ne suis pas une gonzesse !

MAUD – Charmant

TONY – Et j’ai aussi un bon sens de l’observation

MAUD – Ah ?

TONY – La preuve : vous avez remarqué qu’il vous manquait une boucle d’oreille ?

MAUD (réalisant) – Vous avez raison

TONY – Toujours, sauf quand j’ai tort

MAUD – J’ai dû la faire tomber quelque part

Maud cherche sa boucle d’oreille au sol.

TONY – Je vais vous aider ; à deux, c’est toujours mieux, non ?

MAUD – C’est ce qu’on dit. En tous les cas, c’est gentil

Tony s’est mis lui aussi à quatre pattes et il finit par trouver la boucle d’oreille, à côté du canapé.

TONY (à quatre pattes, présentant la boucle d’oreille à Maud) – Je suppose que c’est elle ?

MAUD (prenant la boucle d’oreille) – Oui. Merci pour votre coup de main

TONY (donnant un coup de poing sur le canapé) – D’habitude, avec moi, c’est plutôt le coup de poing

Tony a également trouvé la robe de Bérénice. Il la montre à Maud.

TONY – C’est aussi à vous ?

MAUD – Ma foi non

TONY – Ouais : ça ne vous irait pas du tout

MAUD – Effectivement. Un peu courte jeune homme… La robe, naturellement

TONY – C’est marrant ça

MAUD – Merci

TONY – Je ne parlais pas de vous mais de la robe

MAUD – Sympa… Mais c’est vrai qu’une robe comme ça, ce n’est pas évident à porter

TONY – Ouais, comme le prénom de votre mari

MAUD – Il ne s’en est jamais plaint

TONY (regardant attentivement la robe) – Je crois savoir à qui elle est

MAUD – Vous m’intéressez

TONY – Eh oh ! Doucement ! Vous n’êtes pas du tout mon genre

MAUD – Je vous rassure : vous non plus

TONY (sentant la robe) – Ouais : je suis quasiment sûr que c’est ma robe

MAUD – Tiens donc ! Désolée pour vous, mais elle ne va pas mieux à vous qu’à moi

TONY – Eh oh ! J’suis pas une gonzesse

MAUD – Vous me l’avez déjà dit

TONY – Quand je dis ma robe, c’est sa robe

MAUD – Vous faites dans le possessif dites donc

TONY – Ouais, j’suis possessif, et alors ?

MAUD – Ne vous fâchez pas !

TONY – Avec les dames, rarement

MAUD – C’est heureux

TONY – Quand je dis ma robe, c’est sa robe, enfin celle que je lui ai achetée

MAUD – Vu le peu de tissu, vous n’avez pas dû trop dépenser

TONY – Détrompez-vous : c’est de la marque… Elle m’a coûté un bras

MAUD – Si ça lui fait de belles jambes

TONY – Ah ça ! Les jambes de Bérénice, c’est quelque chose… Un mètre des pieds au…

MAUD (le coupant) – Oui oui… (Réalisant.) Bérénice vous dites ?

TONY – Ouais, Bérénice… Je suis son mec

MAUD – Tiens donc !

TONY – Mais qu’est-ce que sa robe fait là ?

MAUD – C’est vrai qu’elle serait mieux dans le dressing… Très demandé en ce moment

TONY – Je voulais dire dans cette baraque

MAUD – Je rigolais

TONY – Moi pas

MAUD – J’en ai l’impression

TONY – Elle devait passer la soirée chez sa mère

MAUD – Ce n’est pas moi

TONY – Non : elle fait beaucoup plus jeune

MAUD – C’est agréable

TONY – Alors : qu’est-ce qu’elle fabrique ici ?

MAUD – J’ai ma petite idée

TONY – C’est quoi ?

MAUD – Il y a un homme là-dessous

Tony regarde sous le canapé.

TONY – Je ne vois pas personne

MAUD – Je voulais dire dans la vie de Bérénice

TONY – Non ?

MAUD (à elle-même) – Si ce n’est qu’un seul…

TONY – Son nom !

MAUD – Je n’en ai pas la certitude absolue

TONY – Son blase !

MAUD – Au risque de me tromper, il s’appellerait Patrice

TONY – Patrice ?... C’est pas ce prénom que vous avez déjà cité ?

MAUD – Oui

TONY (réfléchissant) – Patrice… Non : connais pas

MAUD – Oh ! Vous n’avez rien perdu

TONY (réaliste) – Si : ma copine… Et c’est qui ce type ?

MAUD – Il est soi-disant archi

TONY – Archi ?

MAUD – Architecte… Enfin, c’est ce qu’on m’a raconté, mais j’y crois très moyen

TONY – Architecte : c’est le bon plan

MAUD – Ca en jette sans doute plus que livreur

TONY – Là, c’est le livreur qui s’est fait jeter

MAUD – Je le crains. Et qu’est-ce que vous allez faire ?

TONY – Mieux garer mon scooter

MAUD – Ah ?

TONY – Manquerait plus que je me prenne une prune ! Ce serait la cerise !

MAUD – D’accord, mais après ?

TONY – Revenir au plus vite ici et régler mes comptes !

MAUD – Ca promet !

TONY – Croyez-moi : avec Tony, il va y avoir du sport !

Tony quitte précipitamment la pièce.

MAUD (se frottant les mains) – Finalement, je ne vais pas devoir attendre trop longtemps… Fini la mascarade !

 

 

 

 

 

SCENE 3

MAUD, BERANGERE, PATRICE, ARCHIBALD

 

Retour de Bérangère et Patrice, main dans la main ; Archibald les suit.

MAUD (mielleuse) – Alors : la chambre vous plaît ?

BERENICE – Parfait

MAUD – Un vrai nid d’amour, n’est-ce pas ?

PATRICE (rigolant) – C’est ce qu’on appelle être dans de beaux draps. (A Archibald.) Ce n’est pas vous qui direz le contraire, n’est-ce pas ?

MAUD – Pourquoi ?

ARCHIBALD (faux) – Bah oui : pourquoi ?

PATRICE – Pour rien… Bon : on n’a pas encore eu le temps d’essayer le lit

MAUD – Vous aurez toute la nuit pour

BERENICE – Hum…

MAUD – Certains invités nous ont dit qu’il grinçait un peu

PATRICE – Tout dépend de ce qu’on y fait, hein pupuce ?

ARCHIBALD (cherchant à changer de conversation) – Nous… Nous passerons bientôt à table

PATRICE – En attendant, moi, j’irai bien me baigner. (A Bérénice.) Tu viens ?

BERENICE – J’accours Pat

Patrice et Bérénice gagnent la terrasse.

MAUD – Comme c’est chou !

PATRICE – Pâte à choux alors !

MAUD – Patapouf oui !

PATRICE – Aussi

MAUD – Finalement, ils forment un joli couple

ARCHIBALD – Il semblerait

MAUD – Il ne faut jamais se fier aux apparences, n’est-ce pas ?

ARCHIBALD – J’allais te le dire

MAUD – Et tu n’as rien d’autre à me révéler par hasard ?

ARCHIBALD (fuyant) – Je… Non

HELOISE – Vraiment ?

ARCHIBALD – Je ne vois pas…

MAUD – Bon… En attendant, je vais voir si tout est prêt en cuisine

Maud prend les sacs de courses et gagne la cuisine.

 

 

SCENE 4

ARCHIBALD, TONY

 

Retour fracassant de Tony.

ARCHIBALD – Dites donc : vous pourriez frapper !

TONY – Ca va venir ! Ca va venir !

ARCHIBALD – Et d’abord : qui êtes-vous ?

TONY – Tony, ça ne te dit rien ?

ARCHIBALD – Ma foi non… Vous êtes là pour…

TONY – Je suis le livreur de repas

ARCHIBALD – Ah, d’accord

TONY – Et toi, tu ne serais pas archi par hasard ?

ARCHIBALD – Oui

TONY – Parfait ! C’est donc bien toi

ARCHIBALD – De prime abord, ce tutoiement a de quoi interloquer. Nous nous connaitrions donc ?

TONY – Par intermédiaire, ouais, par intermédiaire

ARCHIBALD – Diantre !

TONY – Eh oh ! Stop avec ces mots à la mords-moi-le-nœud !

ARCHIBALD – Pardon si mon verbiage vous paraît abscons sinon abstrus, mais je ne comprends pas un traître mot de vos philippiques

TONY – T’inquiète : ça va s’éclaircir

ARCHIBALD – Je le souhaite ardemment

TONY – Bérénice : ça ne te dit rien peut-être ?

ARCHIBALD – Vous parlez de l’œuvre de Racine ?

TONY – C’est ça ! Arrête ta comédie

ARCHIBALD – Tragédie plutôt… Très belle pièce au demeurant… Vous ne trouvez pas ?

TONY (balayant du regard la pièce) – Ouais, je reconnais que la décoration est sympa, mais ce n’est pas le sujet

ARCHIBALD – Avec Racine, ce serait plutôt l’art du verbe… Mais je m’enfonce là dans une rhétorique qui, sans m’avancer, vous est étrangère

TONY – Ouais, là, tu t’enfonces grave

ARCHIBALD – Et je n’y vois goutte

TONY – Hein ?

ARCHIBALD – Je n’y vous guère si vous préférez

TONY – La guerre, tu vas l’avoir !

ARCHIBALD – Pour y voir plus clair, disons que je suis dans le brouillard… Tiens c’est amusant : cela ressemble fort à un oxymore

TONY – Garcimore ou pas, y’a autre chose qui va te faire moins poiler

ARCHIBALD – Ah ?

TONY – Bérénice est ici, pas vrai ?

ARCHIBALD – Je…

TONY – Je le sais : pas la peine de me mentir… (Montrant la robe, qu’il avait mise dans une de ses poches.) Parce que ça, c’est sa robe

ARCHIBALD – Je ne vais pas vous contredire

TONY – Manquerait plus que ça !

ARCHIBALD – Et vous êtes qui par rapport à elle ?

TONY – Devine

ARCHIBALD – J’aurais bien dit son costumier mais cela m’étonnerait fort

TONY – Et ça dure depuis combien de temps votre manège ?

ARCHIBALD – Doucement : je vous arrête tout de suite

TONY – T’es flic ?

ARCHIBALD – Aux dernières nouvelles non, mais je tiens tout de suite à vous préciser qu’il ne s’est rien passé entre nous

TONY – A d’autres !

ARCHIBALD – Avec d’autres, je n’en sais rien

TONY – N’aggrave pas ton cas !

ARCHIBALD – Bérénice est venue ici pour une audition

TONY – T’es audioprothésiste peut-être ?

ARCHIBALD – Pour un casting si vous préférez

TONY – Mais bien sûr !

ARCHIBALD – C’est la vérité

TONY – Un casting chez toi ?

ARCHIBALD – On n’allait pas le faire chez vous

TONY – Très drôle ! Et évidemment, elle n’avait pas besoin de sa robe ?

ARCHIBALD – Vous savez : aujourd’hui, le théâtre est très dépouillé… Le jeu d’acteurs avant tout !

TONY – Et c’est donc pour ça qu’elle se promène à poils ?

ARCHIBALD – Mais n’te promène pas toute nue ! Vous connaissez ? C’est le titre d’une pièce de Feydeau… Pas mon style, mais il en faut pour tous

TONY – T’inquiète : avec moi, il y en aura pour tous !

ARCHIBALD – Comme on dit, des goûts et des couleurs

TONY – Avec bibi, ce sera des coups et des douleurs

ARCHIBALD – Je me permets d’ajouter qu’elle avait un maillot de bain

TONY – Bleu ?

ARCHIBALD – Oui. Ravissant au demeurant

TONY – Normal : c’est moi qui le lui ai offert

ARCHIBALD – C’est généreux de votre part

TONY – Et trop con !

ARCHIBALD – Là, vous vous connaissez mieux que personne

TONY – Franchement : me faire ça à moi !

ARCHIBALD – Je vous le répète : il n’y a rien eu entre Bérénice et moi

TONY – Mon œil !

ARCHIBALD – Pas eu le temps

TONY – C’est ça !

ARCHIBALD – Je vous assure

TONY – Pas la peine : comme toi, j’suis pas flic, mais j’ai une bonne police

ARCHIBALD – Je peux tout vous expliquer si vous m’en laissez le loisir

TONY – La ferme !

ARCHIBALD (sentencieux) – Quand vous êtes enclume, prenez patience ; quand vous êtes marteau, frappez droit et bien

TONY – Et en plus tu me traites de marteau !

ARCHIBALD – Permettez-moi de vous dire que votre courroux ferait de vous un excellent Curiace

TONY – Ca pour être coriace, je le suis !

ARCHIBALD – Et je dirais peu circonspect mais j’ai peur que ce terme vous soit lui aussi étranger

TONY – Dis tout de suite que je suis un imbécile !

ARCHIBALD – Tout de suite, ce serait m’avancer… Quoique…

TONY – Et moi, tu vas voir ce que je vais t’avancer !

Tony empoigne Archibald par le col.

ARCHIBALD – Sachez qu’il ne sert à rien de recourir à la violence

TONY – J’ai un principe : je cogne et on cause après

ARCHIBALD – L’inverse m’agréerait mieux

TONY – Je vais t’agréer autre chose

ARCHIBALD – N’agissez pas sur un coup de tête !

TONY – Le coup de tête, le voilà !

Tony assène un coup de tête à Archibald, qui s’effondre, face contre terre.

TONY – Et maintenant, y’ a plus qu’à trouver Bérénice ! Et sans sa robe, elle n’est pas près de sortir ! J’vais tout retourner dans cette baraque !

Tony cache la robe sous un coussin du canapé, au même endroit où l’avait dissimulée Archibald.

 

 

 

 

SCENE 5

BERANGERE, BERENICE

 

Bérangère, qui a assisté à la fin de la scène en passant la tête en travers de la porte de la cave, entre sans bruit, une bouteille de vin rouge dans chaque main. Elle assomme Tony avec l’une (qui se brise) et pose l’autre sur la table basse. Tony s’écroule derrière le canapé.

BERANGERE – Voilà une bonne chose de faite ! Je n’allais quand même pas laisser cet orang-outang tout déverser dans la maison ! Qui est-ce qui range après ? Non mais ! (Regardant le reste de la bouteille qu’elle tient en main.) Si ce n’est pas malheureux ! Une bonne bouteille !

Bérénice entre à son tour. Elle découvre Archibald, au sol.

BERENICE – Qu’est-ce qui s’est passé ?

BERANGERE – Bah…

BERENICE – C’est une attaque ?

BERANGERE – On peut dire ça

BERENICE – Laissez : je m’occupe de lui

BERANGERE – Je ne sais pas si c’est une bonne idée

BERENICE – J’ai mon brevet de secourisme… Avec moi, il sera dans de bonnes mains

BERANGERE – Vaudrait peut-être mieux qu’il soit dans les mains de la bonne

Bérénice retourne Archibald.

BERENICE – Mais pourquoi il a le visage en sang ?

BERANGERE – Demandez à l’autre

BERENICE – L’autre ?

BERANGERE (indiquant la direction de Tony, que Bérénice n’avait pas encore découvert) – L’énergumène, là

BERENICE (découvrant Tony) – Oh là là !

BERANGERE – Ca c’est un cri du cœur !

BERENICE – C’est une horreur

BERANGERE – Il a certes un visage patibulaire mais quand même…

BERENICE – Finalement, je préfère vous le laisser

BERANGERE – Lequel ?

BERENICE – Archibald… et lui-aussi

BERANGERE – Faudrait savoir

BERENICE – Souvent femme varie…

BERANGERE (désignant Tony) – Dites : vous connaissez cet olibrius ?

BERENICE – Je…

BERANGERE – Après tout, ça vous regarde

BERENICE – Vous voulez la vérité ?

BERANGERE – Je suis preneuse

BERENICE – Voilà : c’est mon copain… Enfin, c’était

BERANGERE – Comment ça ?

BERENICE – Je ne le lui avais pas encore dit, mais j’allais le quitter… Il n’en valait plus la peine

BERANGERE – Il a sûrement des qualités

BERENICE – Oui : au lit

BERANGERE – Ah ?

BERENICE – Malheureusement pour lui, il confond culture et culturisme

BERANGERE – Il va bien prendre votre rupture ?

BERENICE – Je sais que ça va lui faire un coup

BERANGERE – Après celui qu’il vient de recevoir

BERENICE – Il rejoindra la collection de mes ex

BERANGERE (soupirant) – Les hommes sont bien mal partagés sur cette Terre

BERENICE – Pourquoi ?

BERANGERE – Pour rien… Aidez-moi : on va le porter dans une chambre

BERENICE – Vous croyez ?

BERANGERE – Allez !

Bérénice s’apprête à soulever Tony.

BERANGERE – Pas lui voyons !

BERENICE – Ah…

BERANGERE – Rien à carrer de ce sauvage !

BERENICE – Il va quand même se réveiller ?

BERANGERE – A un moment ou à un autre, c’est certain

BERENICE – Vous êtes sûre ?

BERANGERE – Je crois que je suis sûre…

Bérangère et Bérénice grimpent l’escalier, en portant Archibald, toujours groggy.

BERANGERE – Vous êtes Bérénice, pas vrai ?

BERENICE – Oui… Et vous ?

BERANGERE – Bah voilà… Comment dire…Ca dépend…

Bérangère et Bérénice ont disparu.

 

 

SCENE 6

PATRICE, TONY

 

Retour de Patrice.

PATRICE – Béré… Tu es là ? (Au public.) Béré ?

Tony se relève en se tenant la tête.

PATRICE – Monsieur…

TONY – Oh ! Ma tête

PATRICE – Ca n’a pas l’air d’aller ?

TONY – Si : à merveille…

PATRICE – Laissez-moi vous aider

Patrice aide Tony à se relever.

TONY – Merci… (Serrant la main de Patrice.) Tony

PATRICE – Je ne crois pas qu’on se connaisse

TONY – Non : ta tronche ne me dit rien

PATRICE – Alors vous, vous avez le tutoiement facile… Et ça me plaît !

TONY – C’est déjà ça

PATRICE – Et j’ai comme l’impression qu’on va bien s’entendre

TONY – A voir. Moi, je suis sympa avec tous ceux qui ne me cherchent pas

PATRICE – Alors faut pas jouer à cache-cache !

TONY – J’en connais une autre qui a intérêt à se cacher

PATRICE – Qui donc ?

TONY – Bérénice

PATRICE – Bérénice ?

TONY – Tu la connais ?

PATRICE – Bah bien sûr ! (Toujours sous le charme.) Ah ! Bérénice !

TONY – Et t’es qui par rapport à elle ?

PATRICE – Bérénice !... Bah… Je dois vous dire qu’elle et moi…

TONY – Ouais…

PATRICE – Bah… C’est ma copine

TONY – Quoi ?

PATRICE – Je sais : ça peut surprendre

TONY – Vu ta tronche, ouais

PATRICE – Oui… Enfin… copine, si on veut

TONY – Qu’est-ce que tu veux dire ?

PATRICE – Je… Je ne peux pas en révéler davantage

TONY – Attends : t’es quand même pas architecte ?

PATRICE – Si… Enfin… Là aussi…

TONY – Et tu t’appelles Patrice ?

PATRICE – Pour ça oui ! Et depuis tout petit

TONY – Mais alors l’autre ?

PATRICE – Quel autre ? (Au public.) C’est marrant : cette réplique, ce n’est pas la première fois qu’elle apparaît dans la pièce, non ?

TONY – Celui à qui j’ai mis mon poing dans le groin

PATRICE – Ca rime

TONY – Peu importe d’ailleurs !

PATRICE – Si : une bonne rime, c’est toujours appréciable

TONY – Hein ? Moi, je te parle du guignol que j’ai assommé

PATRICE – Ce serait quand même important de savoir de qui il s’agit, même si le choix est limité… Une confusion est si vite arrivée… Et je suis bien placé pour le savoir

TONY – Et de confusion à contusion, il n’y a pas grand-chose, non ?

PATRICE – Ah ?

TONY – En somme, avec ton pote, vous êtes du genre partageur

PATRICE – Mon pote ?

TONY – C’est bien connu : quand il y en a pour un, il y en a pour deux !

PATRICE – Plus on est de fous, plus on rit !

TONY – C’est ça ! Mais j’en connais un qui va rire jaune dans deux minutes

PATRICE – Ah ? Pourquoi ?

TONY – Parce que je suis vert de jalousie et je vois rouge !

PATRICE (reniflant) – Et on boit rouge aussi il me semble

TONY – Fous-toi de ma gueule par-dessus le marché !

PATRICE – Je ne m’y risquerais pas ! Une gueule comme celle-là, c’est fait pour monter sur les planches

TONY – Et toi, il ne te reste plus qu’à toucher du bois

PATRICE – Dans les rôles de brutes ou de gangsters, elle ferait des ravages !

TONY – Je vais en faire sous peu

PATRICE (clamant) – Tony truand ! Quel slogan ! Ca s’est envoyé, hein ?

TONY – Mais je vais t’envoyer autre chose moi !

PATRICE – Avant toute confrontation inutile, il faut savoir que Bérénice et moi, c’est comment dire… du chiqué

TONY – Vous vous êtes passé le mot ou quoi ?

PATRICE – Pardon ?

TONY – Même pas capable d’assumer ! Bravo !

PATRICE – Si si j’assume mais…

TONY – Et moi j’assomme ! Et il n’y a pas de mais !

Tony donne un coup de tête à Patrice, qui vacille.

 

 

 

 

 

 

 

SCENE 7

BERANGERE, PATRICE

 

Une nouvelle fois, Bérangère est entrée sans bruit ; elle assomme Tony avec la bouteille qu’elle avait laissée sur la table basse ; la bouteille se brise. Tony s’écroule derrière le canapé.

BERANGERE – Et de deux ! Je commence à me faire la main, moi… C’est ce qu’on appelle avoir de la bouteille… Bon : cette fois-ci, ce sera moins grave… Le Beaujolais, c’est pas trop cher

PATRICE (se relevant péniblement) – Mais ça monte vite à la tête !

BERANGERE – Ca va ?

PATRICE – Moui…

BERANGERE – Je suis arrivée à temps

PATRICE – Oui

BERANGERE – Il était moins deux avant qu’il ne vous massacre complètement

PATRICE (consultant sa montre) – Non : moins cinq

BERANGERE – Oh !

PATRICE – Une minute de plus, et je ne répondais plus de moi

BERANGERE – Tiens donc !

PATRICE – Il allait voir de quel bois je me chauffe le gazier

BERANGERE – Sûrement

PATRICE – Le souci, c’est que je suis à l’électricité

BERANGERE – Toujours le mot pour rire

PATRICE – Malgré tout, je reconnais que je vous dois une fière chandelle

BERANGERE – La chandelle, d’habitude, je la tiens

PATRICE – Finalement, je ne sais pas si j’allais me débarrasser si facilement de cet ours mal léché

BERANGERE – Un triste sire

PATRICE – C’est normal de parler de sire après la chandelle

BERANGERE – Vous le connaissez ?

PATRICE – Je n’ai pas cet honneur

BERANGERE – Ah ?

PATRICE – Jamais vu sa bobine auparavant

BERANGERE – Bah pourquoi s’en est-il pris à vous ?

PATRICE – J’avoue que je n’ai pas tout compris… Il avait bu, assurément

BERANGERE – En tous les cas, il ne vous a pas manqué

PATRICE (un brin dragueur) – Et moi, je vous ai manqué ?

BERANGERE – Au lieu de dire des bêtises, suivez-moi dans la chambre d’amis… Je vais m’occuper de vous. (Au public.) Je n’ai peut-être pas mon diplôme de secouriste, mais le bouche-à-bouche, je ne demande qu’à essayer !

Bérangère et Patrice gagnent la terrasse.

 

 

SCENE 8

BERENICE, ARCHIBALD

 

Retour de Bérénice et d’Archibald. Archibald a un bandage à la tête.

BERENICE – Je pense qu’il vaut mieux que je me tire

ARCHIBALD – Et moi qu’il ne vaut mieux pas que je vous…

BERENICE – Oui : je vais mettre les bouts

ARCHIBALD – Alors que moi, je n’ai pas mis mon… Oh là là ! Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? (Après un temps.) Vous avez raison : vu le contexte, il est préférable que vous partiez

BERENICE – Je regrette que nous n’ayons pas pu aller plus loin

ARCHIBALD – Et moi donc

BERENICE – Et plus profond

ARCHIBALD – Oh là là !

BERENICE – Dans nos échanges sur le théâtre

ARCHIBALD – Oui : dans nos…

BERENICE – Ce qui me gêne, c’est ma tenue

ARCHIBALD – Elle vous va merveilleusement bien

BERENICE – Je ne peux pas rentrer chez moi comme ça

ARCHIBALD – Vos voisins risquent d’être surpris

BERENICE – Oh non : eux, ils sont habitués

ARCHIBALD – Ah ?

BERENICE – J’aimerais quand même mettre la main sur ma robe

ARCHIBALD – Et moi mettre la main sur…

BERENICE – Les clés de ma voiture sont dans la poche

ARCHIBALD (allusif) – Quand elles ne sont pas dans une valise

BERENICE – Vous ne sauriez pas où elle est ?

ARCHIBALD – Je l’avais cachée sous un coussin… Là…. (Il retrouve la robe.) Ah bah ça ! J’étais pourtant sûr que… Il se passe vraiment des choses étranges dans cette maison

BERENICE – C’est le moins qu’on puisse dire

ARCHIBALD – Tenez !

Archibald tend la robe à Bérénice, qui se rhabille aussitôt.

BERENICE (à un homme du public) – Fini de vous rincer l’œil ! Le spectacle est terminé

ARCHIBALD (rectifiant) – Pas tout à fait : il reste encore quelques minutes avant que le rideau ne tombe

BERENICE – J’y pense : ça tient toujours de m’offrir un rôle dans une de vos pièces ?

ARCHIBALD – C’est comme vos clés : c’est dans la poche

BERENICE – Pas besoin de passer un casting ?

ARCHIBALD – Vous avez largement fait vos preuves, non ?

BERENICE – Merci ! Alors il n’y a plus qu’à me faire la belle

Bérénice se dirige vers la sortie.

ARCHIBALD (amusé et chagrin à la fois) – Et moi je ne me suis pas fait la belle !

Tony se relève au moment au moment où Bérénice quitte la pièce.

TONY – Bérénice ! C’était elle !

ARCHIBALD – Ca m’en a tout l’air !

TONY – Bérénice ! Attends-moi ! Ne me quitte pas ! S’il y en a pour deux, il y en a pour moi !

Tony quitte péniblement les lieux, à la poursuite de Bérénice.

 

 

SCENE 9

ARCHIBALD, MAUD puis PATRICE

 

Retour de Maud, au moment où Bérénice et Tony ont quitté les lieux.

MAUD (à Archibald) – Tu pourrais m’expliquer ce qui se passe ?

ARCHIBALD – J’aimerais bien…

MAUD – C’était qui ?

ARCHIBALD – Oh ! Un pauvre gars !

MAUD – Et c’est quoi ce pansement ?

ARCHIBALD – Disons que je me suis heurté à la dure réalité

Retour de Patrice.

MAUD – Ah ! Patrick !

PATRICE (rectifiant) – Patrice

MAUD – Décidément, je ne m’y ferai jamais !

ARCHIBALD – Rassure-toi : moi non plus

MAUD (montrant le bandage de Patrice) – Eh bien dites donc ! On se croirait dans une infirmerie !

ARCHIBALD (bas) – Après l’asile d’aliénés

PATRICE – Comme dirait Régis, c’est une maison où on bande beaucoup

MAUD – Hum…

PATRICE – Je sais : ce n’est pas très fin

ARCHIBALD – A ce propos, j’ai un petit creux

MAUD (allusive) – Effectivement : il serait temps que tu passes à table, non ?

ARCHIBALD – Hum… (Détournant la conversation.) Vous restez toujours dîner avec nous ?

PATRICE – Bah oui pourquoi ?

MAUD – Parce que Bérénice est partie

ARCHIBALD (très bas) – Hélas !

PATRICE – Ah ! Partie partie ?

ARCHIBALD – Je le crains, je le crains

PATRICE (contrarié, mais sans plus) – Tant pis ! Tant pis !

MAUD – Et elle n’est pas partie seule

PATRICE – Ah ?

MAUD – Tony la suivait… Il s’appelle bien ainsi ?

PATRICE – Je crois

MAUD (à Patrice) – Vous le connaissez ?

PATRICE – Vaguement

MAUD – Vous savez pourquoi il a quitté les lieux ?

ARCHIBALD – Sans doute sur un coup de tête

PATRICE – Je dirais même deux

MAUD – Au théâtre, pourtant, on frappe les trois coups

PATRICE – Que voulez-vous : c’est un petit joueur

MAUD – Le départ de Bérénice n’a pas l’air de vous chagriner plus que ça

ARCHIBALD – Bah si, un peu

MAUD – Je parlais à Patrice

PATRICE – J’ai fini par comprendre qu’elle n’était pas faite pour moi

MAUD – Et vous pour elle

PATRICE (philosophe) – Oui, aussi

 

 

SCENE 10

Les mêmes, BERANGERE

 

Retour de Bérangère, rayonnante. Elle porte la chemisette colorée et le bermuda fleuri de Patrice.

BERANGERE – Et il a trouvé nettement mieux !

Bérangère vient se blottir contre Patrice.

MAUD – Ah bah ça !

ARCHIBALD – Qui l’eût cru ?

MAUD – Comme quoi tout arrive

BERANGERE – Il m’a fallu attendre longtemps

PATRICE – Plus c’est long, plus c’est…

MAUD (le coupant) – Oui oui : on connaît

ARCHIBALD – C’est beau de retrouver son amour de jeunesse

PATRICE – N’allons pas jusque-là

BERANGERE – D’humour à amour, il n’y a qu’un pas

ARCHIBALD – Et avec Patrice, vous êtes servie

BERANGERE – Tout le contraire de mon quotidien

PATRICE – Après tout, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes

BERANGERE – Et tant pis si ce n’est pas avec des jeunes carottes !

MAUD – C’est plus qu’imagé

BERANGERE – Vous réalisez ? Cavaillon et Arras réunis

PATRICE – En parlant de ça, Bérangère a promis de me faire goûter ses melons

BERANGERE – Et Patrice son endive à la crème

PATRICE – A part à la piscine, c’est le seul plat que je réussisse

ARCHIBALD – A propos, il va être l’heure de dîner

MAUD – Bonne idée ! (A Archibald.) Pendant le repas, tu auras tout le temps de m’expliquer pas mal de choses

ARCHIBALD – Aucun souci

MAUD – Parce qu’il y en a quand même qui m’échappent

ARCHIBALD – Quand ce ne sont pas des filles qui s’échappent !

MAUD – A commencer par Bérénice

PATRICE – Ah ! Bérénice !

BERANGERE (sur un ton de réprimande) – Dis-donc !

ARCHIBALD – Et après le repas, qu’est-ce que vous diriez d’une partie de bridge ?

BERANGERE – Le bridge, ça me connaît ! Le dentiste m’en a mis trois !

PATRICE – Elle, c’est les chicots et moi, les chicons ! Chacun son truc !

BERANGERE – On est vraiment complémentaires

MAUD – C’est dingue !

PATRICE – Moi, c’est la belote de comptoir que je préfère

MAUD – Surtout le comptoir, non ?

ARCHIBALD – Et un poker ?

MAUD – D’accord, mais poker menteur alors ! Mon mari y excelle ! (A Archibald.) N’est-ce pas ?

 

 

 

RIDEAU

 

 

 

On pourra à nouveau passer la chanson « Les comédiens » de Charles Aznavour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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