Textes de théâtre en ligne

Fake News de comptoir

Au comptoir de l’unique bistrot d’un village dépeuplé par l’exode rural, pour échapper à leur destin mortifère, patrons et clients inventent pour blaguer de fausses nouvelles… dont certaines pourraient être des prophéties autoréalisatrices.

Une comédie politique mordante qui explore l’ère de la désinformation, le déclin du débat démocratique et la manipulation des masses par les médias et les réseaux sociaux.

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Liste des personnages (10)

RobertHomme • Adulte/Senior
Bistrotier
GinetteFemme • Adulte/Senior
Bistrotière
ClaudeIndifferent • Age indifferent
Croque-mort
JackieIndifferent • Age indifferent
Croque-mort
NickyIndifferent • Jeune adulte
Etudiant(e)
MorganIndifferent • Jeune adulte
Etudiant(e)
FredIndifferent • Age indifferent
Politique
AlexIndifferent • Age indifferent
Politique
SamIndifferent • Age indifferent
Journaliste
MaxIndifferent • Age indifferent
Journaliste

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Un bistrot. Derrière le comptoir Robert, le patron, feuillette un journal en pestant de temps en temps. Ginette, la patronne, essuie des verres. Deux jeunes, Nicky et Morgan, sont assis à une table devant un Coca. Ils portent des tee-shirts affichant leurs convictions écologistes et véganes. Un journal est posé sur leur table.

Ginette – Tu as l’air énervé. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Robert – Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu me demandes ce qui ne va pas ?

Ginette – Ben oui, Robert, qu’est-ce qui ne va pas ?

Robert – Mais il n’y a plus rien qui va, dans ce pays, ma pauvre Ginette ! Rien !

Elle regarde sous le comptoir.

Ginette – En tout cas, le lave-vaisselle, il ne marche plus. Tu devrais y jeter un coup d’œil.

Robert – Tous pourris, je te dis.

Elle jette un coup d’œil par la vitrine du bistrot.

Ginette – Ouais... Même la météo, elle est pourrie.

Robert – Quoi ?

Ginette – Pour un mois d’avril, il fait un temps de merde, non ?

Robert – Ouais...

Ginette – On s’est mariés il y a trente ans. C’était au mois d’avril. Tu te souviens ? Il faisait un temps magnifique.

Robert – Réchauffement climatique, mon cul. On se les gèle, et puis c’est tout.

Ginette Ou alors c’est nous...

Robert – Nous ?

Ginette – Avec l’âge, on se refroidit.

Robert jette un regard aux deux jeunes attablés.

Robert – Regarde-les ces deux petits cons, ils sont en tee-shirts.

Les deux jeunes échangent un baiser.

Ginette – Eux ils ne se refroidissent pas, au moins.

Robert – Ouais...

Ginette – Ils sont jeunes...

Robert – Ça leur passera.

Ginette – Ils ont encore des illusions...

Robert – Tu parles... Ça se dit végan et ça boit du Coca-Cola.

Ginette – Pourquoi ? Il y a de la viande, dans le Coca-Cola ?

Robert – Ouais, je me comprends.

Ginette – Tu es bien le seul...

Robert – Et dire que c’est sur eux qu’on doit compter pour payer nos retraites.

Ginette – Il faudrait d’abord qu’ils trouvent du travail. C’est que par ici, il n’y en a plus beaucoup... Depuis qu’ils ont fermé l’usine de pneus pour la délocaliser en Biélorussie...

Robert – Pour en trouver, du boulot, il faudrait encore qu’ils en cherchent !

Ginette – Ils ont bien raison d’en profiter. Quand ils auront notre âge...

Robert – Quoi, quand ils auront notre âge...?

Ginette – Je me suis toujours demandé pourquoi les ouvriers brûlaient des pneus, quand ils faisaient la grève. Tu le sais, toi ?

Robert ne l’écoute pas.

Robert – Des pneus ?

Ginette – Pourquoi ils brûlent des pneus ? À chaque fois qu’on voit des grévistes à la télé, ils brûlent des pneus. Tu le sais, toi, pourquoi ?

Robert – Dans leur usine de merde, au moins, ils pouvaient brûler des pneus neufs.

Ginette – Brûler des pneus, franchement... Ça ressemble à quoi ?

Robert – Qu’est-ce que tu veux qu’ils brûlent...?

Ginette – Ça doit être une tradition.

Robert – C’est ça. Ça doit remonter au Moyen-Âge...

Ginette – Je suis sûre qu’aujourd’hui, Jeanne d’Arc, ils la brûleraient sur un tas de pneus au milieu d’un rond-point.

Robert – Jeanne d’Arc... Tu préférerais qu’ils la cuisent au feu de bois, à l’ancienne ?

Ginette – Les jeunes d’aujourd’hui, au moins, ils ne brûlent pas de pneus.

Robert – Non, tu as raison, ils ne brûlent pas de pneus... Ils brûlent des voitures...

Ginette – En ville, peut-être, mais ici... La seule fois où notre voiture a brûlé, c’est parce que tu avais oublié les cendres du barbecue dans le coffre.

Robert – Je te jure... Si c’était moi, je rétablirais le service militaire, oui... Et pas seulement pour douze mois, je te prie de croire.

Ginette – Tu l’as fait, toi, ton service militaire ?

Robert – J’ai été réformé...

Ginette – Ouais... Et tu ne m’as jamais dit pourquoi...

Robert – Crois-moi, il vaut mieux que tu ne le saches pas...

Claude et Jackie arrivent, en tenue d’employés des pompes funèbres.

Claude – Messieurs-dames...

Ginette – Ah, voilà les croque-morts.

Jackie – Aujourd’hui, on dit agents des pompes funèbres.

Robert – On devrait dire vautours, oui. Quand on les voit quelque part, ceux-là, c’est qu’il y a un macchabée dans le coin qui commence à sentir.

Ginette – C’est vrai. Chaque fois que vous passez la porte du bistrot, je me demande toujours si ce n’est pas moi que vous venez chercher.

Claude – Ça arrivera bien un jour, va. Chez nous, tout le monde est client une fois dans sa vie.

Jackie – Sinon vous n’avez dire : Tiens, voilà le maire et son premier adjoint. Ce sera plus gai.

Robert – Plus gai ? Tu parles... Quand dans un bled le maire et son premier adjoint sont des croque-morts, c’est que ça sent déjà le sapin, non...?

Claude – Tu as raison. On n’est déjà plus qu’une trentaine, ici. Si ça continue, ça va devenir un village fantôme.

Ginette – Il y a plus de monde au cimetière qu’à la messe, c’est sûr.

Robert – Et il y a encore moins de monde au bistrot qu’à la messe.

Claude – Eh oui... Il n’y a plus que des vieux, ici.

Jackie – Le curé n’arrive même plus à trouver des enfants de chœur.

Ginette – En même temps... qui serait assez dingue pour confier son gosse à un curé.

Jackie – En tout cas, avec ce virus qui continue à muter toutes les semaines, je peux te dire qu’en ce moment, on ne chôme pas.

Ginette – En somme, vous êtes de ceux qui profitent de la crise, quoi.

Claude – Ouais... Il faudrait même qu’on embauche. Mais c’est comme dans la restauration. Dans nos métiers, on a du mal à trouver du personnel qualifié.

Jackie – Qu’est-ce que tu veux... Croque-mort, c’est un métier qui n’attire pas les jeunes.

Robert désigne les deux jeunes du menton.

Robert – Tiens, justement, tu en as deux qui cherchent du boulot, là...

Jackie – Attention, on ne prend pas n’importe qui, non plus. Une incinération, c’est délicat. Ce n’est pas aussi simple que de mettre une pizza au four ou d’allumer un barbecue.

Ginette – Même un barbecue, tu sais... Il y en a qui sont assez cons pour mettre les cendres dans le coffre de leur voiture...

Claude – Ouais... Quand on va partir à la retraite, je ne sais pas qui va nous remplacer.

Robert – Des pizzaïolos biélorusses, peut-être.

Jackie – En attendant, on va boire un coup.

Claude – Allez, Ginette, mets-nous une dose de pastaga. Il paraît que ça immunise contre tous les variants.

Ginette – Ricard ou 51 ?

Jackie – Comme d’habitude, va. L’autre, il paraît qu’il y a des effets secondaires.

Claude – Ouais... On a signalé des cas de cirrhoses du foie et de comas éthyliques.

Robert – Tu vois ! Ces deux-là, c’est des vrais patriotes. Ils boivent français, au moins.

Ginette leur sert deux pastis. Depuis leur table, les jeunes commencent à discuter.

Morgan – Qu’est-ce qu’on se fait chier, dans ce bled.

Nicky – C’est le seul café à trente kilomètres à la ronde.

Morgan – Est-ce qu’on peut encore appeler ça un café ? Si au moins il y avait un juke-box, un flipper ou un billard, ça ferait un peu rétro. Là on se croirait dans un film de zombies.

Nicky – Eux, en tout cas, ils s’ennuient jamais.

Morgan – Ouais... Ils ont l’air bien chargés, dès le matin...

Nicky – Il n’est même pas encore huit heures, et ils en sont déjà à l’apéro.

Morgan – Non mais regarde leurs tronches de dégénérés...

Nicky – Ou alors c’est l’effet de ce virus...

Morgan – Va savoir, ça leur est peut-être monté au cerveau.

Nicky – Ça doit être un variant résistant à l’alcool, alors. Parce qu’avec eux, même le cerveau, il doit déjà être bien imbibé.

Morgan – Le liquide hydro-alcoolique, ils le prennent par voie orale. Une goutte d’eau pour deux doses de Pastis.

Nicky – Ils sont peut-être en train de muter, eux aussi. Comme le virus.

Morgan – Tu sais comment ils mutent, les virus ?

Nicky – Non.

Morgan – Normalement, ils se multiplient à l’identique, mais à chaque fois, il y a des erreurs dans le processus de reproduction.

Nicky – Le principe de la sélection naturelle de Darwin, quoi. Sauf que là, c’est toujours les ratés qui finissent par s’imposer.

Morgan – Tu as raison, ils sont de plus en plus cons...

Nicky – Et le virus de la connerie, il n’a pas fini de muter...

Morgan – Tu sais à quoi ils me font penser ?

Nicky – Non... Des cafards ? Il paraît que les cafards peuvent continuer à vivre après que tu leur as coupé la tête.

Morgan – Tu as raison, leurs têtes, ils n’ont pas l’air de s’en servir beaucoup. Non, je pensais plutôt à des termites.

Nicky – Je vois ce que tu veux dire.

Morgan – Des animaux sociaux, qui se nourrissent de la charpente de leur propre maison.

Nicky – Jusqu’au moment où le toit leur tombera sur la tronche...

Morgan – C’est une bonne définition du genre humain, du réchauffement climatique et de la fin du monde programmée.

Soupirs.

Nicky –...

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