Jeanne s’en va-t-en guerre

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Jeanne d’Arc en Ciel vient d’être adoubée chevalière et est prête à combattre et à bouter les Anglais hors de France, elle est accompagnée d’un troubadour qui doit vanter ses aventures héroïques. Ils se retrouvent dans un château pendant une trêve en attendant que Jeanne parte guerroyer. Dans cette période de guerres que nous vivons je me suis demandé comment il était possible qu’une jeune femme puisse vouloir s’enrôler comme combattante dans une armée et être prête à tuer et à se faire tuer au nom de Dieu. C’est ce cheminement vers l’enrôlement de cette chevalière qui est proposé dans cette pièce où elle rencontrera tant des combattants que des victimes de la guerre de cent ans, des personnels hospitaliers et des profiteurs de guerre, des nobles et des gueux. Ces rencontres l’amèneront à réfléchir sur son engagement.

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SCÉNE 1

 

Le troubadour : Gentes dames, damoiselles, gentilshommes et damoiseaux, je vous salue bien bas. Je vous souhaite la bienvenue dans ce château qui appartient à sa seigneurie le duc de la Roche du Mont. Ce château a été bâti en pierre de taille durant dix longues années. Protégé par ses murailles colossales il fut plusieurs fois assiégé, mais a toujours résisté aux envahisseurs. C’est du solide. (Un temps) Bien, j’arrête là ma présentation. Ne craignez rien je ne suis pas guide touristique et ne vous importunerai pas davantage avec mes commentaires. Je me présente Guilhem de Massac, je suis troubadour et j’ai l’insigne honneur d’accompagner la chevalière Jeanne d’Arc en Ciel pour narrer ses exploits épiques. (Un temps. Il reprend en étant un peu gêné) Cependant je dois vous dire que la chevalière n’a pas encore participé à un combat guerrier et de ce fait n’a pu montrer toutes ses capacités belliqueuses. Mais cela ne saurait tarder, soyez en sûrs. Car, figurez-vous, nous sommes en pleine guerre... en pleine guerre de cent ans. Vous vous rendez compte ? Remarquez les historiens parlent de cent ans pour faire un compte rond mais on ne sait pas exactement quand elle a commencé et l’on ne sait pas combien de temps elle va durer. Si la chevalière se trouve ici c’est parce qu’elle souhaite être enrôlée dans l’ost du duc de la Roche du Mont. (s’adressant au public) Contre qui nous battons nous ? Auprès de qui nous battons nous ? Eh bien, c’est difficile à dire, car sur cent années les alliances et les ruptures entre les belligérants changent constamment. (Entrée de Jeanne) Nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard, car voici la chevalière qui vient vers nous. (Jeanne entre énervée le troubadour la présente au public) La chevalière Jeanne d’Arc en Ciel … (en a parte) qui me semble bien excitée. (à Jeanne) Que se passe-t-il, chevalière ?

Jeanne : Où qu’ils sont ?!

Le troubadour : Qui ?

Jeanne : Mais les anglais, bien sûr !

Le troubadour : Calmez-vous. Calmez-vous, chevalière. Je pense que les anglais se trouvent sur le champ de bataille en train de guerroyer. Pourquoi demandez-vous cela vous avez des amis anglais ?

(Entrée du sergent recruteur en fond de scène)

 

SCÉNE 2

 

Jeanne : Ne te moque pas, troubadour, tu sais bien que j’ai une mission à remplir : (sur un ton lyrique) Je dois bouter les anglais hors de notre cher pays catholique et apostolique et faire en sorte que le dauphin devienne roi de France. C’est pour cela que nous sommes ici pour rejoindre les troupes du roi de France et mettre flamberge au vent !

Le troubadour : « Mettre flamberge au vent ». Que voulez vous dire ?

Jeanne : Tu ne connais pas cette expression, troubadour ? Toi, un lettré parait-il. Je vais dégainer mon épée et la mettre au service du seigneur de ces lieux.

Le sergent : (Le sergent recruteur s’adresse à Jeanne) Je vous ai entendu, jeune homme, ainsi vous cherchez à rejoindre les troupes de notre seigneur. C’est tout à votre honneur.

Jeanne : (offusquée) Jeune homme ! Je suis une chevalière !

Le sergent : Une chevalière ! C’est la première fois que j’en vois une. Dans les campements nous avons des lingères, des cantinières, des cuisinières, des filles …de joie pour le repos du guerrier…

Jeanne : Un guerrier n’a pas besoin de repos et sa joie doit être de servir son seigneur.

Le sergent : Très bien, très bien je vois que vous êtes une jeune femme téméraire. C’est vrai que les temps changent. Les femmes veulent être égales aux hommes même sur un champ de bataille. Je me présente Philibert Chaumière sergent recruteur de sa seigneurie pour son armée.

Le troubadour : Et moi je suis Guilhem de Massac, troubadour. J’ai été choisi par son seigneur (montrant Jeanne) pour suivre la chevalière et narrer ses futurs exploits épiques. Je serai en quelque sorte le témoin des combats et je les transcrirai sur parchemin.

Le sergent : Fort bien. Vous êtes en quelque sorte un reporteur de guerre.

Le troubadour : Tout à fait. (en a parte ) Mais ce sera tout nouveau pour moi.

Le sergent : Mais, dîtes moi, chevalière, d’après ce que je vois, vous êtes une chevalière… sans cheval. Bizarre.

Jeanne : Il faut dire que mon cheval… mon beau destrier … m’a été …volé.
Le sergent : Comment cela ?

Jeanne : Nous … nous avons chevauché pendant des heures sous le soleil pour venir jusqu’ici. J’étais fatigué, il faisait tellement chaud que j’ai voulu me rafraichir dans une rivière. (au troubadour). Pas vrai ?
Le troubadour : (hésitant) Si, si, il faisait tellement chaud.

Jeanne : J’ai attaché mon cheval à un arbre. Et pendant que nous nous rafraichissions…

Le sergent : (l’interrompant et disant sur un ton narquois) Oh, oh, ainsi vous vous « rafraichissiez » tous les deux. Ce devait être un bien agréable moment je suppose.

Jeanne : Je crois comprendre ce que vous suggérez. Non, Messire, nous nous sommes rafraichis point final sans penser à la moindre folâtrerie.

Le sergent : Très bien. Très bien.

Jeanne : Je continue. Pendant que nous nous rafraichissions deux bandits que je n’avais pas vus… (au troubadour) Toi, non plus ?

Le troubadour : Non, non, moi non plus

Jeanne : Deux bandits sont venus détacher mon cheval et se sont enfuis sur son dos au triple galop

Le troubadour : Je dirai même au quadruple galop

Le sergent : Les deux voleurs étaient montés sur votre cheval ?

Jeanne : Bien sûr c’était un bel étalon fort puissant. (au troubadour) Pas vrai ?

Le troubadour : Tout à fait. Tout à fait. Souvent nous montons tous les deux sur ce cheval.

Le sergent : Ah, ah, vous chevauchez tous les deux comme deux amoureux.
Jeanne : Mais non, qu’allez vous croire ? Le plus souvent le troubadour marche à côté du cheval.

Le troubadour : (fataliste) Eh oui, la plupart du temps… et c’est bien fatigant.

Jeanne : Voilà pourquoi je n’ai pas de cheval. Il a été volé.

(Le troubadour sort des parchemins d’une sacoche et les donne au sergent recruteur)

Le troubadour : Voici, Messire, les parchemins qui prouvent que la chevalière a été adoubée par le comte Guillaume de Neuville.

Jeanne : C’est le seigneur de mon fief.

Le troubadour : C’est lui qui m’a demandé de suivre la chevalière
Le sergent : Voyons cela. (Il lit les parchemins pendant que le troubadour s’adresse au public)

Le troubadour : (en a parte au public) Quelle menteuse, elle a perdu son cheval hier en jouant à une partie de dés avec des malandrins. Je l’avais prévenu que c’était des filous. Elle n’a pas voulu m’écouter et voilà on n’a plus de cheval. Il faut dire néanmoins que c’était un vieux canasson cet alezan.

Le sergent : Ces parchemins donnent foi à vos dires, Chevalière.

Jeanne : Mais je n’ai pas besoin forcément de cheval pour me battre, j’ai été formée par un maitre d’armes qui m’a appris à manier l’épée. Si vous voulez en avoir le cœur net nous pouvons jouter tous les deux.

Le sergent : Du calme, chevalière, je vous crois. Mais nous devons effectuer le recrutement dans les règles. Toutefois pour le maniement de l’épée, ce n’est pas un duel qui montrera vos capacités belliqueuses. C’est sur un champ de bataille qu’il faudra vous voir les mettre en œuvre. Nous vous trouverons un cheval et vous pourrez intégrer l’armée du duc de la Roche du Mont, seigneur de ce fief et vassal du roi de France.

Jeanne : Je suis venue pour cela.

Le troubadour : Pardon, sergent, c’est sans doute une calomnie… mais j’avais entendu dire …(hésitant) mais ce sont sans doute des propos malveillants… (hésitant) ou des mensonges …  ou des racontars…

Jeanne : Eh bien, parle au lieu de tourner autour du pot.

Le troubadour : J’avais entendu dire que le duc de Rochedumont fut l’allié du roi d’Angleterre.

Jeanne : Quoi ? Tu es fou ? tu sais bien que le duc est le vassal du roi de France, comme l’a dit le sergent, sinon nous ne serions pas ici.

Le sergent : Il ne faut pas écouter toutes les histoires comportées et vous, les troubadours, avez l’habitude de faire courir des rumeurs de château en château… (Un temps) Néanmoins…(hésitant) c’est vrai qu’il y a quelques années de cela notre seigneur a fait alliance avec le roi d’Angleterre. Mais convenez avec moi que, lorsqu’une guerre dure des dizaines d’années on ne sait plus très bien à quel moment les évènements se sont déroulés.

Le troubadour : Vous avez la mémoire sélective ?

Le sergent : Parlons franc. Nous avons en effet été les alliés du roi d’Angleterre dont les troupes nous ont aidés à occuper le territoire du Vermondois que notre seigneur désirait depuis longtemps et qui agrandissait les terres du roi de France. Il faut dire que sur ce territoire étaient cultivés le froment, l’orge, le seigle, l’avoine par des paysans chevronnés. De belles rivières poissonneuses y coulaient, de grandes forêts giboyeuses s’y étendaient. Mais une fois le territoire occupé par les Anglais, ils s’y sont installés comme s’il leur appartenait et le roi d’Angleterre les a soutenus. Lors d’une bataille les troupes anglaises nous ont chassés. Le duc a alors fait appel au nouveau roi de France qui a promis que, si nous reconquérions le Vermondois, le duc obtiendrait sa seigneurie. De plus il nous envoyait des hommes armés. Voilà pourquoi nous sommes les alliés du roi de France. Vous avez compris ?

Le troubadour : J’ai compris qu’il vaut mieux se méfier de son allié, car il peut un jour devenir un jour votre ennemi

Le sergent : Vous savez les guerres sont longues et il y a toujours des surprises dans les alliances et les mésalliances.

Jeanne : Pour moi le principal c’est de me battre contre les ennemis du roi de France, qui tient son pouvoir de Dieu.

Le sergent : La chevalière a raison, nous sommes des soldats et nous n’avons pas à chercher qui est l’allié ou l’ennemi de l’autre. On nous demande de nous battre, nous nous battons. Il faut reconnaître que fort heureusement les chevaliers de chaque camp ont leur blason sur leur écu cela permet de reconnaitre ses alliés et d’éviter d’embrocher les siens… mais parfois il y a des dommages collatéraux.

Le troubadour : Que voulez vous dire ?

Le sergent : Il arrive que dans le feu de l’action on ne reconnaisse plus les siens et que l’on n’entende plus le cri de ralliement proféré par le chevalier de notre armée. Cela devient un vrai carnage on ne sait plus contre qui se battre et on manie l’épée contre n’importe quel assaillant.

(changeant de ton) Bien. Pour votre examen médical vous allez rencontrer notre chirurgien qui soigne les blessés : le docteur Merlin.

Jeanne : Le docteur Merlin ?  Vous voulez dire l’enchanteur Merlin, celui des romans de chevalerie ? Il soigne les blessés grâce aux effets de sa magie ? Mais quel âge peut-il avoir ? Il est au moins centenaire. Je croyais que c’était une légende.

Le sergent : (riant) Merlin. C’est le surnom que nous avons donné à notre médecin qui officie dans ce château. Il a l’habitude de soigner nobles ou pauvres. Il a des compétences en médecine, en chirurgie, en apothicairerie et en … (à voix basse) alchimie qui nous sont utiles pour soigner les blessés qui sont charriés ici. Et, vous allez être sans doute étonnés, le docteur Merlin a souhaité pour l’assister une fée et une sorcière qu’il connaissait.

Jeanne : Une fée !

Le troubadour : Une sorcière ! Mais dans quel but ?

Le sergent : Merlin estime qu’elles ont, elles aussi, des compétences médicales reconnues. Elles connaissent des baumes, des remèdes permettant de soulager les blessés. Elles sont aussi un peu guérisseuses ou rebouteuses car elles savent réparer par des massages ou des manipulations les corps blessés. Mais il faut reconnaitre que notre équipe médicale est dépassée, car on ne compte plus le nombre de blessés et de victimes ramassés sur le champ de bataille…quant aux morts ils sont enterrés dans des charniers ou abandonnés sur place pour être dévorés par les charognards

(Entrée du docteur Merlin)

SCÉNE 3

 

Merlin : Bonjour, sergent. Tiens vous ne m’amenez pas d’estropiés aujourd’hui ? Il y a eu un arrêt des combats momentané ? Ces personnes me semblent encore en bonne santé.

Le sergent : Ce sont de nouvelles recrues, docteur.

Jeanne : Une nouvelle recrue.

Le sergent : (montrant Jeanne) En effet. Cette damoiselle, soi-disant chevalière

Jeanne : Je ne suis pas soi-disant chevalière. Je suis une che-va-lière à part entière vous avez vu mes références. La chevalière Jeanne d’Arc en Ciel

Le sergent : La chevalière donc voudrait s’engager dans notre armée.

Merlin : Bravo ! Bienvenue dans le grand massacre. Ainsi manquant d’hommes pour s’entretuer les seigneurs recrutent maintenant des femmes enfants.
Jeanne : Dites, c’est moi que vous appelez la femme enfant ? Je peux vous montrer comment elle se bat la femme enfant. (Elle tire son épée)

Le troubadour : Calmez vous, chevalière. (à Merlin) Calmez vous. Elle est un peu susceptible.
Merlin
 : J’ai remarqué. Ainsi, (insistant) chevalière, vous avez décidé de venir ici pour vous faire tuer.

Jeanne : Pas du tout. Je veux apporter la paix dans ce pays comme tout bon chevalier et j’ai une mission à remplir : je dois bouter les anglais hors du royaume de France. Les voix me l’ont demandé.
Merlin : Les voix ? Quelles voix ?

Jeanne : Entre autres celle de l’Archange Saint Michel, le saint patron de notre paroisse.
Merlin : Allons, voyons, soyez raisonnable, chevalière, les anges… n’existent pas.

Jeanne : Comment osez-vous dire ça, mécréant ! L’archange saint Michel veille sur moi c’est mon ange gardien et il pourrait bien vous faire disparaître et vous envoyer en Enfer si je l’appelais.

Merlin :  Oh, oh, je dois faire attention de ne jamais le rencontrer. Mais quelle langue parlait donc votre ange ? Anglais, français, hébreu ?

Jeanne : Français bien sûr.

Merlin : Bien sûr, bien sûr. Les anges parlent français. Mais, dites-moi, selon vous j’aurais moi aussi un ange gardien ?
Jeanne : Evidemment.
Merlin : Imaginons que mon ange gardien soit anglais et rencontre le vôtre qui est français. Ils risquent de se battre et de se voler dans les plumes. S’ils se battent, quel ange sera le vainqueur et qu’en dira Dieu le tout puissant ? Sur lequel pariera-t-il, d’après vous, l’ange anglais ou l’ange français ??

Jeanne : (gênée) Je ne sais pas, il va privilégier l’ange de chez nous, je suppose… (en colère) Ah, vous m’embrouillez. Et d’abord les anges ne se battent pas entre eux.
Merlin : (ironique) Je plaisantais

Jeanne : On ne plaisante pas avec les anges. Et je sais que l’archange Saint Michel m’a parlé.

Merlin : En français. D’accord, d’accord.  Ainsi donc l’archange saint Michel, le grand patron des anges, l’ange exterminateur, vous a confié la mission de vous battre …

Jeanne : (criant) Et de bouter les anglais hors de France !

Merlin : Voyez vous cela, une mission ! Vous savez, chevalière, tous les héros chevaliers que j’ai connus proclament qu’ils ont une mission à remplir et qu’ils se battent vaillamment pour cela. Et bien souvent ils terminent leur mission dans l’infirmerie des estropiés ou dans le carnage des combats. Remarquez ce sont plutôt les hommes d’armes : les piqueurs, les archers, les fantassins qui finissent leur vie ici que les chevaliers. Eux n’ont pourtant pas demandé d’être missionnés. Et moi et mon équipe médicale nous n’avons pas de pouvoirs «magiques» pour les remettre sur pied, quoique la plupart le croit. J’entends souvent de la part des blessés et des malades : « Vous allez me guérir, docteur ? Hein, vous allez me guérir ? » Que voulez- vous leur répondre sinon : « Je vais vous soigner et nous verrons ensuite ce qu’il adviendra » (s’adressant à Jeanne) Bien, commençons notre examen médical, chevalière, puisque vous voulez jouer les héroïnes. Ouvrez la bouche. (Il se recule quand Jeanne  ouvre la bouche) Oh, dites donc, ça pue là dedans. Qu’est ce que vous mangez ?

Jeanne : De l’ail, des oignons, des échalotes. On m’a toujours dit que c’était bon pour la santé

Merlin : Certes, mais jusqu’à une certaine limite. Je vois qu’il vous manque des dents.

Jeanne : On m’en a arraché quelques unes qui pourrissaient. Je prends un bain de bouche à l’eau de temps à autre.

Le troubadour : Cependant la chevalière a toujours un sourire agréable.

Merlin : C’est un point de vue. (Regardant Jeanne) Vous mesurez environ cinq pieds. Et vous devez peser une quarantaine de kilos. Vous êtes un peu petite, mais légère. Un cheval peut facilement vous porter.

Le troubadour : Un cheval peut même en porter deux.

Merlin : Pour le combat ou pour la promenade ?

Le troubadour : (gêné) Eh bien…

Merlin : Ici nous ne nous sommes pas les personnages d’une chanson de geste où l’on a l’habitude de représenter le preux chevalier qui, après avoir combattu, chevauche lentement vers le soleil couchant, sa bien aimée assise sur la croupe de son cheval et blottie contre lui. Ici quand nous parlons de cheval de combat, nous parlons d’un destrier. Pas d’un palefroi qui est chevauché pour la parade ou les fêtes. Ici les chevaliers tuent et n’ont pas le temps de roucouler auprès de leurs belles.

(à Jeanne) Bien, revenons à notre examen médical. Respirez à fond …comme ça (Il lui montre) Puis soufflez … comme ça ! (Il pose son oreille sur la poitrine de Jeanne) Respirez ! Soufflez ! Respirez ! Soufflez ! Toussez !

Jeanne : Qu’est ce que vous écoutez ?

Merlin : Votre respiration. Il semble que vous ayez des poumons sains, il vaut mieux car vous aurez à vous déplacer rapidement, voire à courir.

Jeanne : Je suis une bonne coureuse. Pas vrai, troubadour ?
Le troubadour : Je l’ai vu courir avec des garçons, elle courait plus vite qu’eux et elle se défendait fermement quand on l’attaquait pour lui prendre la balle.
Jeanne : Le troubadour m’a vu jouer à la soule.

Merlin : La soule ?
Jeanne : Ben oui, la soule. Vous ne connaissez pas la soule par ici ? Ce sont deux équipes qui s’affrontent pour déposer une balle faite d’une vessie de porcs remplie d’air, de paille ou de son dans un but qui aura été défini à l’avance. Ça peut être un mur, un arbre, un poteau. On peut utiliser les mains et les pieds pour jouer. Sûr qu’on prend des coups et qu’il faut courir vite. Mais qu’est ce qu’on se marre. Moi j’aime bien la soule. Comme on dit chez moi la soule ça défoule.

Merlin : Je vois que vous êtes une sportive.
Jeanne : Ah ça oui.

Merlin : Bien. Quant au cœur…

Jeanne : Oh, pour avoir du cœur, pas de problème, Docteur, j’ai bon cœur. Pas vrai troubadour ?
Le troubadour : Je confirme, elle fait l’aumône et cherche toujours à donner une pièce aux pauvres… quand elle a de l’argent…

Jeanne : (à Merlin) Vous voyez

Le troubadour : (en a parte et au public) Et qu’elle ne le joue pas.

Merlin : Vous vous appelez donc Jeanne d’Arc en Ciel. Vu votre nom, vous devez être une archère talentueuse. Une amazone en quelque sorte.

Jeanne : Quoi une nana zone ?! Pas d’injure s’il vous plait.

Merlin : Je ne vous injurie pas, je voulais parler des Amazones. D’après les légendes dans l’antiquité grecque les Amazones étaient un peuple composé uniquement de femmes guerrières. Elles entraient souvent en conflit avec les armées masculines de leur pays. D’après les légendes c’étaient de bonnes cavalières et d’excellentes archères. Elles tiraient des flèches tout en chevauchant.

Le troubadour : Il n’y avait pas d’hommes.
Jeanne : Il parait qu’elles capturaient des hommes pour leur faire des enfants, des filles de préférence. Une amazone était en quelque sorte une chevalière guerrière.
Jeanne : D’accord. J’ai compris.

Merlin : Je dois vérifier votre vue. Vous allez viser la cible qui se trouve là-bas. (Il lui donne un arc et une flèche. Jeanne le bande et le dirige vers la salle). Non, pas par là. (montrant le côté cour) La cible se trouve côté cour du château.

Jeanne : Je peux m’approcher un peu ?

Merlin : Certes, mais pas trop près.

(Jeanne sort en coulisse et revient)

Jeanne :  Voilà j’ai tiré

Le troubadour : Je ne vous ai jamais vue tirer à l’arc. Ce sera pour moi une surprise.

Homme 1 : (entrée d’un personnage avec une flèche et une selle) Qui c’est qui a envoyé cette flèche ?

Jeanne :  Euh, c’est moi. Excusez-moi.

Homme 1 : Si je n’avais pas porté cette selle, j’étais percé. Faites attention où vous visez. Ce n’est pas avec des archers comme vous qu’on pourra gagner des batailles. (Il sort)

Jeanne : (à Merlin) Je reconnais que j’ai parfois des problèmes de vision… mais au combat on est au corps à corps les yeux dans les yeux. Et je ne suis pas une archère, je suis une chevalière.

Merlin : Certes, mais ne montrez pas trop votre déficience visuelle en évitant de participer à des concours de tirs à l’arc. Sachez que les anglais ont recruté des archers gallois de grand talent qui grâce à leurs grands arcs peuvent atteindre une cible à cinq cents pieds (152 mètres). Ce sont eux qui entre autres ont décimé les troupes françaises à Azincourt. (Un temps)  Dîtes moi, Jeanne, je voulais vous poser une question intime, une question de docteur. Êtes vous toujours …comment dire…demoiselle comme qui dirait :  pucelle.
Jeanne : Bien sûr.

Le troubadour : Je peux en témoigner

Merlin :  Ah oui ? Et comment le savez vous ?

Le troubadour : (gêné) Je… je  veux dire que Jeanne… la chevalière n’a pas connu de relations amoureuses, d’après ce que je sais.

Jeanne : Il ne manquerait plus que ça. Vous ne croyez tout de même pas que j’ai commis le péché de luxure, je suis avant tout la servante de Dieu.

Merlin :  Mais une chevalière avec un troubadour on peut s’imaginer que …

Jeanne : (l’interrompant) Vous croyez qu’avec mon troubadour nous avons copulé ensemble !  Même si nous partageons la même couche nous ne jouons jamais à touche-touche.
Le troubadour : (un peu déçu) Eh non !

Jeanne : Je garde sur moi toutes les nuits ma cotte de maille

Le troubadour : Je peux en …

Merlin : Vous pouvez en témoigner évidemment. Je suis bien obligé de vous croire, mais je demanderai à une de mes assistantes de vérifier si l’un et l’autre vous ne mentez pas. Par ailleurs, je m’interroge, chevalière, comment une jeune personne comme vous peut avoir envie de se battre.
Jeanne : N’est ce pas la mission du chevalier ? Se battre pour Dieu et pour son roi ! Se battre en tournoi ! Se battre au combat ! J’ai été entrainée à me battre. J’ai eu la chance d’être adoubée chevalière par mon seigneur qui, bien que je sois une bergère, m’a pris sous sa houlette. J’avais treize ans quand je suis entrée à son service. Il avait repéré que j’avais la force physique d’un garçon et que j’étais capable de devenir une guerrière. Mais, entre nous, je pense que c’est l’archange saint Michel qui l’a convaincu de me prendre à son service.

Merlin : Bien sûr, bien sûr.

Jeanne : J’ai commencé comme domestique dans le château de mon seigneur. Je n‘avais pas à me plaindre. J’aimais les chevaux et j’ai appris à les soigner. J’aidais aussi à la préparation des repas. J’ai appris l’escrime et l’équitation. Après maints exercices je suis devenue son écuyère portant son écu et sa lance lors des tournois. J’avais appris à pratiquer la lutte et à combattre à l’épée, à me servir de l’écu pour parer les coups qu’il pourrait recevoir au combat, à lui fournir de nouvelles armes si son épée ou sa lance venaient à se briser, à le relever s’il était désarçonné. Je devais le suivre au combat, mais …

Merlin : Mais ?

Jeanne : Mais malheureusement j’étais encore trop jeune. Mais maintenant j’ai l’âge pour aller me battre et défendre mon pays.

Merlin : (au troubadour) Et vous, vous venez pour vous battre, vous aussi ?

Le troubadour : Mon rôle c’est plutôt de narrer les exploits de la chevalière.

Merlin : Je vois. Vous resterez bien au chaud dans votre lit douillet à composer des vers en attendant le retour hypothétique de votre héroïne.

Le troubadour : Ne raillez pas, je me rendrai avec la chevalière sur le champ de bataille et serai le témoin de ses actes de bravoure.

Merlin : Planqué derrière un arbre

Le troubadour : Pas du tout, nous avons décidé avec la chevalière que je serai son écuyer et la servirai en tant que tel.

Merlin : Ah fort bien. C’est courageux, jeune homme. Vous serez donc un poète soldat.

Le troubadour : Tout à fait. J’écrirai de la poésie guerrière pour soutenir nos combattants.
Merlin : Moi, je préfèrerai que la poésie puisse arrêter les guerres. Mais dites-moi, Jeanne, que pensent vos parents de votre … vocation ?

Jeanne : Ils sont fiers et heureux pour moi. Mes parents sont laboureurs. Ils possèdent deux chevaux, pas des destriers évidemment, mais des chevaux de labour, nous sommes les seuls à en avoir dans mon village. Et j’ai appris à monter à cheval sur ces canassons. (Elle rit) Mes parents ont aussi des bœufs pour les travaux des champs. Mes frères, eux, élèvent des moutons. Les terres leur appartiennent. Nous avons toujours mangé à notre faim à la maison. Ce n’était pas le cas de tout le monde, j’apportais de la soupe aux mendiants et aux nécessiteux qui se retrouvaient près de l’église. Pour remercier mes parents de me confier à ses soins notre seigneur leur a loué une petite maison et accordé une pension en ducats dont ils sont satisfaits et cela leur a permis d’acheter des terres.

Merlin : Vos parents n’auraient-ils pas préféré que vous vous vous mariez, que vous ayez des enfants et …

Jeanne : Faire des besognes ménagères, filer la laine, garder les moutons, pousser la charrue pendant les moissons. Non, merci, je l’ai fait, je laisse ce plaisir à d’autres femmes. Et d’ailleurs pourquoi serait ce uniquement les femmes qui devraient accomplir ces tâches. On disait au village que j’étais un garçon manqué, ma mère, elle, disait que j’étais une fille pas réussie (Elle rit) Quant à avoir des enfants, je suis trop jeune et je ne pourrai pas m’en occuper. Moi, je veux bouger, partir pour connaitre mon beau pays de France et combattre les Anglais qui occupent la plus grande partie de mon pays d’après ce que disaient des voyageurs à qui nous accordions l’hospitalité. Par deux fois nous avons été obligés de quitter le village car il y avait des escarmouches avec des habitants du village voisin se trouvant sur l’autre rive de la rivière qui coulait près de chez nous. Ils avaient pris parti pour les Bourguignons qui considéraient le roi d’Angleterre comme leur souverain. Vous vous rendez compte : des Français alliés des Anglais ! Je ne pouvais pas le croire. C’étaient des traîtres, des félons, des collaborateurs. ! Et suite à ces combats du bétail était tué ou volé. C’était là leur but premier. Cela a renforcé ma conviction qu’il fallait résister aux Anglais et à leurs comparses les Bourguignons. Je leur criais sur le bord de ma rive : « Vous n’aurez pas ma Lorraine ! Nous resterons français ! Jamais vous ne me ferez parler l’anglais ! »

Merlin : Mais, dites-moi, comme vous êtes une bonne croyante, vous auriez pu entrer au couvent et prier votre Dieu pour qu’il donne la victoire à votre roi.

Jeanne : J’aime prier Dieu, certes, mais pas enfermée entre quatre murs sous la surveillance d’une supérieure. Je n’avais pas envie d’entrer au couvent, ni de rester à la maison. Ni nonne, ni bonne. (Elle rit) Si je porte un pourpoint c’est pour montrer ma différence et c’est plus facile pour se déplacer qu’avec des jupes.  Si j’ai une coupe de cheveux à l’écuelle comme beaucoup d’hommes, c’est parce que ça dégage le cou et les oreilles et l’on peut bouger. Vous me voyez avec ces coiffures extravagantes que portent les châtelaines ? Moi, je suis une femme d’armes. Vous comprenez ?

Merlin : Tout à fait. Je commence à vous comprendre, Jeanne. Mais…je reviens là-dessus, quand on est jeune comme vous, on a envie de vivre, surtout en ce moment où le printemps débute, ne craint-on pas la mort ?

Jeanne : Non, je n’ai pas peur de la mort. Qu’elle vienne et si je succombe j’irai retrouver là-haut notre seigneur Jésus Christ. Dieu m’a donné la vie, c’est lui qui décidera quand il me la reprendra.

Merlin : (Entrée de Morgane et Mélusine au fond de la scène) Oui, oui. Quand on est jeune on se croit tellement invincible, rien ne peut vous arriver…mais, cependant méfiez-vous, car tout à coup il suffit qu’un trait d’arbalète vous transperce ta poitrine, qu’une masse d’armes vous assomme, qu’une épée vous coupe un bras, qu’une hallebarde se plante dans votre œil et …à Dieu. Mais quand on est jeune on est sûr que l’on va échapper à tous ces périls uniquement parce qu’on est jeune.

Maintenant Je vous laisse avec mes collaboratrices : Dame Morgane et Dame Mélusine, qui vous expliqueront leurs fonctions. (à Mélusine) J’aurai deux mots à vous dire. Venez.

(Morgane touille un breuvage dans un chaudron)

 

SCÉNE 4

Morgane : Bonjour.

Le troubadour et Jeanne : Bonjour.

Morgane : Je m’appelle Morgane, j’ai la réputation d’être une sorcière, mais je suis aussi apothicaire aux armées.
Le troubadour : Une sorcière apothicaire ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Morgane : (riant) Une sorcière qui a été reconnue apte par le corps médical et militaire à préparer des remèdes !

Jeanne : Je ne peux pas le croire ! Le docteur Merlin vous a choisie pour faire disparaitre les blessés en buvant vos potions.

Le troubadour : Calmez vous, chevalière. Je suis sûr que le sieur Merlin a recruté Dame Morgane pour soigner les blessés et non pour les faire périr. Cependant je trouve bizarre que vous vous prétendiez sorcière, car vous ne ressemblez pas à une sorcière !

Jeanne : Oui, c’est louche. D’habitude une sorcière est vieille et laide avec un nez crochu, elle vole sur un balai et concocte des poisons à base de plantes, d’insectes et d’animaux répugnants pour faire disparaitre les personnes qu’elle déteste.

Morgane : Effectivement c’est le portrait de la sorcière dans les fabliaux. Car celle qui connait les plantes médicinales, les différents insectes, les oiseaux nocturnes, celle qui réalise des breuvages dans ses chaudrons, celle surtout qui n’a pas trouvé de mari puisqu’elle est mariée avec le diable, celle là est suspecte et considérée comme sorcière. Mais vous aussi, chevalière, vous êtes différente des autres femmes. Car pourquoi une jeune femme soldat célibataire ne pourrait pas être considérée un jour comme sorcière puisqu’elle ne ressemble pas à l’image de la femme au foyer soumise et travailleuse. En tous cas ici Monseigneur le duc n’a pas eu ses idées préconçues, il appréciait ma connaissance des plantes et des animaux, il m’a engagée dans ses cuisines, sorcière ou pas. J’ai réalisé pour le duc et son entourage des recettes culinaires. Tenez en ce moment je suis en train de préparer une soupe pour ce soir. Je pourrai vous en donner deux bols car vous devez avoir faim.

Le troubadour : Non, merci, très peu pour moi. Je n’ai pas envie d’être empoisonnée par votre soupe aux crapauds et aux chauves-souris avec en accompagnement de la cigüe et de la belladone.

Morgane : Comme vous avez de l’imagination. C’est tout simplement une soupe au lard, accompagnée de bonnes carottes, de fèves, de bettes et de choux. Tant pis pour vous si vous n’en voulez pas.
Jeanne : Moi j’ai faim, j’en prendrai un bol tout à l’heure. Ça me rappellera les soupes que préparaient ma mère.

Morgane : J’ai aussi réalisé des boisons (prononcer boizons), pardon des boissons aromatisées, par exemple du vin où macère des plantes et des épices qu’apprécient nos maitres. Je n’ai jamais empoisonné qui que ce soit. C’est parce qu’il savait que je connaissais des plantes médicinales que le docteur Merlin m’a demandé de l’assister en utilisant ces plantes afin de tenter de guérir les malades et les blessés.

Mais dans l’état où arrive ici la plupart des blessés il est difficile de voir les effets de nos remèdes ou breuvages. Les malheureux croient, parce que nous nous occupons de médecine, que nous avons des pouvoirs surnaturels et que nous allons les guérir. Et si un de ces malheureux guérit il ne croit pas que c’est par la médecine, mais que ce sont les effets de la magie ou un miracle réalisé par le saint du calendrier qu’il a prié. C’est affreux à dire mais les guerres servent aussi à faire avancer les progrès scientifiques. Le docteur Merlin, par exemple réalise des autopsies des cadavres pour mieux connaitre l’anatomie humaine en vue de travaux de chirurgie. Demain nous saurons mieux comment est composé notre corps et comment éviter des épidémies come la lèpre par exemple. (Entrée de Mélusine)

 

SCÉNE 5

Morgane : Ah voici mon amie la fée Mélusine. Je vous laisse avec elle. (à Jeanne) Je vais préparer ma soupe et vous en laisserai une écuelle.
Jeanne : (à Mélusine) Une fée ! C’est magique ! J’ai toujours rêvé d’en rencontrer une qui m’aiderait à réaliser mes rêves. Dites-moi, madame la fée, pourriez-vous voler pour moi, s’il vous plait ?

Mélusine : Voler qui ?

Jeanne : Je veux dire voler dans les airs.

Mélusine : Je n’ai pas d’ailes, voyons, je n’ai jamais volé.

Jeanne : Alors pourriez-vous transformer mon troubadour en grenouille, on va rire.

Le troubadour : Eh doucement, chevalière, je ne sais pas nager.

Mélusine : Ne craignez rien, je n’ai jamais transformé qui que ce soit en quoi que ce soit.

Jeanne : Je ne comprends pas. Que faites-vous donc ici, Madame la fée, vous devriez résider dans votre château de cristal comme je l’ai lu dans un fabliau.
Mélusine : (riant) Je n’ai jamais eu de château. Ce sont des légendes, chevalière. Vous savez les fabliaux ne racontent pas la vérité, ce sont des contes.

Jeanne : Moi, j’y ai cru. Quand j’étais petite avec les enfants de mon âge nous allions danser sous un hêtre le quatrième dimanche de Carême, car on disait que la nuit les fées venaient à leur tour danser sous cet arbre. Une nuit avec une amie nous sommes venues pour les surprendre…nous avons attendu longtemps sans les voir.

Le troubadour : (mi amusé) Par contre vous avez vu des anges.
Jeanne : Bien sûr. (sur un ton sévère) Qu’est ce que tu veux dire, troubadour ?
Le troubadour : Non, non, rien. Je constate, c’est tout.

Mélusine : Les habitants d’ici m’appellent « fée », mais je ne le suis pas tel qu’on l’entend. Comme mon amie Morgane je connais des plantes médicinales et je réalise des baumes et des onguents qui soulagent les douleurs articulaires des villageois qui s’adressent à moi. Je suis aussi un peu rebouteuse et remet une épaule déboitée ou une entorse. Ainsi pour eux, s’ils peuvent de nouveau marcher sans trop boiter et se servir d’outils comme avant, c’est parce que j’ai des dons « magiques » et que mes mains sont celles d’une fée. Il faut dire qu’en les soignant, pour entretenir leur croyance, je marmonne des phrases en latin de mon cru. (Entrée de Merlin) Le docteur Merlin, qui connaissait mes élixirs et mes capacités de guérisseuse m’a demandé de l’accompagner pour soigner les malades et les blessés de cette guerre interminable. J’ai tout de suite accepté. J’en avais assez de rester chez moi à jouer les fées du logis. De toute façon je suis seule, je suis veuve, mon compagnon qui s’était engagé dans les armées du duc a été tué. Je peux donc me rendre utile pour tous ces pauvres malheureux qui s’entretuent pour leur seigneur.

 

 

SCÉNE 6

 

Merlin : Merci mes amies. (Elles sortent) Vous connaissez maintenant mes collaboratrices et vous savez désormais que vous pouvez compter sur elles pour des soins. (à Jeanne) Après les avoir écoutées pensez vous que ces femmes sont des sorcières aux doigts de fée, ou des fées devenues sorcières, des saintes ou des damnées ?

Jeanne : Je ne saurais dire. Je crois qu’elles font le nécessaire pour soigner tous ces malheureux.

(Morgane et Mélusine sortent)

(Entrée de Séraphin)

Merlin : Ah voici le chevalier Séraphin de Rais qui est chargé de la défense du château avec quelques hommes de troupe pendant que le seigneur des lieux est parti guerroyer.

Séraphin : (clamant) Dieu est grand, Dieu est plus grand que grand. Que dieu vous ait tous en sa sainte garde.

Jeanne : Que le Seigneur soit avec vous.

Séraphin : (s’adressant à Merlin) Alors, où en sommes-nous aujourd’hui, Merlin ? Y a -t-il davantage de victimes. Pourra-ton soigner tous les blessés ?

Merlin : Vous croyez, vous aussi, que je suis un mage comme le prétendent certains et que je lis l’avenir dans les astres. Pas besoin de lire dans les astres, ce dont je suis sûr est très simple : avec ces guerres incessantes le monde va à sa perte et l’homme vers sa mort. Nous ne comptons plus les morts et les blessés. Nous n’avons plus les moyens de les soigner.  Le Seigneur Dieu devait être en train de faire la sieste pendant ce carnage. Mais en fait je crois que c’est un pacifiste, il dit aux humains : « Cachez-moi ce sang que je ne saurais voir. Et après tout c’est vous qui cherchez à vous entretuer en mon Nom. Moi, je ne vous ai rien demandé, fichez-moi la paix »

Séraphin : Ne blasphémez pas Merlin vous pourriez finir sur un bûcher comme mécréant.

Jeanne : Brûler sur un bûcher, quelle horreur ! C’est pour les mécréants, les païens, pas pour de bons chrétiens.

Merlin : Vous savez, chevalière, beaucoup de paysans ont malheureusement brûlé dans leurs chaumières après le passage de reitres et de pillards qui leur avaient volé bétail et récolte. Mais il faut que je vous présente le chevalier Séraphin de Rais qui vient souvent nous aider à soigner les blessés… après avoir abattu un grand nombre d’adversaires sur le champ de bataille.

Séraphin : Je ne fais que mon devoir au service de Dieu.

Merlin : Le chevalier Séraphin est un moine soldat. Il a un prénom d’ange -vous qui les appréciez tant. Il est pour la paix divine tout en étant le premier à se rendre au combat.

Le troubadour : Je ne comprends pas. Vous êtes moine et soldat.

Séraphin :  Effectivement. J’ai toujours voulu être chevalier et me confronter à l’art de la guerre, tout en recherchant la paix de mon âme et l’amour de Dieu. Ainsi j’ai allié la vie monastique avec le métier des armes. Je prie pour ceux qui défendent la vraie foi et avec le soutien de Dieu je combats auprès d’eux pour exterminer les mécréants. Je suis son bras, je suis sa force, je suis son envoyé  au combat.                                                                                                                                                                                                           Et vous, vous êtes une che-va-lière, d’après ce qu’on m’a dit. Je n’en crois pas mes yeux. Depuis quand le seigneur Dieu accepte-t-il des femmes dans nos rangs ? La Bible nous dit que les femmes ne doivent pas porter d’armes, ni de vêtements masculins. Le rôle des femmes est de mettre des enfants au monde.

Merlin : Pour qu’ils aillent se faire tuer dans des guerres fratricides.

Séraphin : Elles doivent rester dans leur demeure avec leurs enfants et prier le Seigneur. Vous êtes stérile ?

Jeanne : Je…je ne sais pas. Je suis la servante de Dieu et je veux rester pucelle pour être à son service.

Séraphin : La servante de Dieu… Et pourquoi Dieu vous aurait choisi ,vous, plutôt qu’une autre ?

Jeanne : Je ne sais pas, c’est un mystère. Depuis que je suis enfant j’entends les voix des anges qui me commandent d’aller bouter els anglais.

Séraphin : Et qui nous dit que vous n’êtes pas une émissaire de Satan, une sorcière, et qu’il vous envoie pour ensorceler nos hommes pour les rendre vulnérables au combat.

Jeanne : Je vous l’ai dit ? Je suis la servante de Dieu qui m’a choisi et je suis une bonne chrétienne (Elle sanglote)

Merlin :  Allons, soyez raisonnable Séraphin. Vous voyez bien que cette jeune fille ne peut pas être une sorcière.

Séraphin : Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort. (à Jeanne) En tous cas sachez que vous allez côtoyer des hommes, des hommes d’armes. Vous risquez le viol ou sinon de devenir leur …leur objet de plaisir.

Merlin : Calmez vous Séraphin ! La chevalière m’a dit qu’elle était très prudente… mais il faut avouer qu’elle n’a pas encore connu un champ de bataille et son casernement. Par contre vos réticences à ce qu’une femme ne peut être une combattante me semblent injustifiées. (sur un ton humoristique) Car je suis sûr qu’avec un bon entrainement ces dames pourront tuer aussi bien que ces messieurs.

Jeanne : (à Séraphin) Moi, j’ai cet entrainement. Je suis croyante comme vous et je respecte le code de l’honneur de la chevalerie. Je suis comme vous une guerrière en tout cas je le serai bientôt et comme vous je veux maintenir la paix ou la rétablir et pour cela il n’y a pas d’autre solution que de faire la guerre à nos ennemis.

Séraphin : Très bien, très bien. Que Dieu et la paix soit avec vous

Jeanne : Et avec vous aussi.

Merlin : Dites-moi, Benjamin, je me suis toujours demandé si vous vous confessiez de vos crimes à votre hiérarchie ? (montrant le ciel)

Séraphin : De quels crimes ?

Merlin : Mais de ceux que vous réalisez en combattant.
Séraphin : Ce ne sont pas des crimes, Merlin, ce sont des actions guerrières pour défendre nos valeurs et nos territoires. Je fais pour cela mon devoir de chevalier. Je me défends des attaques de mon ennemi, je le fais reculer et c’est le plus fort qui gagne dans l’affrontement. Mais ensuite bien sûr je vais me confesser et prier pour le repos de son âme… sauf si c’est un mahométan bien sûr.

Merlin : Evidemment.

Séraphin : En général mon confesseur me pardonne car il sait que c’est au nom de Dieu tout puissant que je me suis battu et que j’ai tué mes adversaires.

Merlin : Comment avez-vous vécu la première fois où vous avez tué un homme surtout quand on est un moine qui doit respecter les dix commandements de la Bible, dont « Tu ne tueras point »

Séraphin : La première fois, je m’en souviens bien. J’ai tué un sarrasin dans un combat au corps à corps lors de la première croisade à laquelle je participais. C’était lui ou moi. Chacun se battait avec acharnement pour son dieu.

Merlin : Je suppose que vous deviez avoir une protection divine supérieure à votre adversaire puisque votre dieu était occidental et que vous meniez une juste croisade.

Séraphin : Non, pas vraiment. Ce fut un coup de chance. Il a glissé et est venu s’embrocher sur mon épée. (Un court temps) Quelque temps plus tard j’ai repensé à lui et à tous ceux à qui j’avais ôté la vie. Je me suis demandé si ces hommes avaient un enfant qui pleurait son père, une épouse qui espérait leur retour, une mère qui attendait son fils. (Un temps) Voilà, j’ai ôté des vies, Dieu m’est témoin que c’est en son nom que je l’ai fait. Je sais que la mienne pourra être aussi facilement arrachée. Notre seigneur dieu est mort pour nous et nous devons être digne de cette mort.

Merlin : (sur un ton humoristique) Dieu est mort ? On ne m’avait pas informé.

Séraphin : Cessez vos blasphèmes. Il s’agit de son fils. Le fils de Dieu.

Merlin : Donc un dieu est mort.

Séraphin : Je ne vous écoute plus, Merlin. Sachez que, nous, nous sommes à son service pour prodiguer sa parole auprès des incroyants. Il nous incite à frapper fort nos ennemis et il promet le paradis pour ceux qui meurent pour lui.

Jeanne : Tout à fait. Ceux qui guerroient contre le royaume de France guerroient contre notre seigneur Jésus roi du ciel et de tout le monde. Jésus est fils de Dieu et le fils de Marie la très sainte.

Merlin : Je ne comprends pas. Comment Dieu peut il avoir une mère alors qu’on dit qu’il est le créateur et comment peut il être tout à la fois fils de dieu.

Séraphin : C’est un mystère.

Jeanne : Bien sûr c’est un mystère.

Merlin : Ah, si c’est un mystère je comprends que vous ne vouliez pas me répondre. Mais dans vos prières, dites bien au Seigneur tout puissant qu’il soit mortel, esprit ou pourquoi pas femme, puisque c’est elle qui a enfanté le fils de dieu. Dites-lui que la plupart des gens qui meurent pendant ces guerres sont innocents. Peut-être vous écoutera-t -il ? Car il est sourd à mes prières.

Séraphin : En guerre il n’y a pas d’innocents il y a des combattants bien sûr, des témoins et des victimes qui subissent des dommages collatéraux.

(Entrée de Morgane)

Morgane : Voilà de nouveaux blessés, Docteur, on ne sait pas à quel camp ils appartiennent.

Merlin : Peu importe nous devons tous les accueillir. (à Séraphin) Dieu reconnaitra les siens, n’est ce pas ? Mais les familles de ces hommes les reconnaitront elles ?

 

NOIR 

 

SCÉNE 7

 

Voix off : De l’autre côté du château des paysans préparaient le repas du soir

(3 femmes assises)

Femme 2 : (épluchant des légumes) Ah quel beau soleil ! Les plantes et les arbres commencent à pousser et à sentir l'approche du soleil.

Femme 1 : (cousant) Ah, oui, quelle belle journée. Et nous ne sommes qu’au début du printemps. Dans les bois poussent déjà des primevères couleur soleil, des pervenches couleur ciel.

Femme 3 : (épluchant des légumes) dans les champs poussent des coquelicots… couleur sang. C’est le début du printemps… Le printemps c’est la saison de l’année où ce devrait être l’amour qui prédomine et pourtant on n’entend plus parler que de haine. Le printemps aujourd’hui c’est l’époque où les hommes reprennent leurs combats.

Femme 1 : Mais pourquoi ?

Femme 2 : Au printemps, ils ont la sève qui monte et ils ont envie de montrer leur virilité en s’entretuant.

Femme 3 : Oh, c’est plus simple que ça : au printemps ils peuvent trouver du fourrage pour leurs chevaux, ce qui n’est évidemment pas le cas en hiver.
Femme 1 : Je n’y avais pas pensé.

Femme 3 : Et on appelle ça la belle saison…Mais quel triste printemps ! Les arbres sont en fleurs et des hommes y sont pendus.

Femme 1 : Allons, Mesdames, faisons en sorte d’oublier cette guerre. Comme vous le dites la nature revit, s’éveille, s’emplit de couleurs, d’odeurs, de bruits. Moi, je veux sortir de ce château et rentrer chez nous au village pour pouvoir profiter de cette nature en fête.

Femme 3 : Moi aussi je voudrais entendre les chants d’oiseaux et non les hurlements des soldats mourants. Si nous pouvions avoir un peu la paix, un peu du silence de la paix. Pouvoir vivre en paix avec nos voisins, peu importe leur pays ou leur langue.

Femme 1 : C’est le printemps, et nous ne pouvons pas sortir pour ne pas être prises en otage par des pillards. Nous sommes obligées d’attendre d’être assiégées.

Femme 2 : Ne parlez pas de malheurs. De toute façon ici nous sommes à l’abri. Le château est solide, vous avez vu l’épaisseur des murailles et les assaillants devraient franchir les fossés qui sont autour du château, réussir à ouvrir le pont levis. Et nous, du haut des machicoulis nous pourrons faire couler sur eux de la poix brûlante. Vous voyez nous sommes en sécurité.

Femme 3 : En sécurité c’est vite dit. Il y a des canons qui peuvent envoyer des boulets de pierre pesant plusieurs quintaux m’a-t-on dit.

Femme 1 :  Allons, ne soyons pas pessimistes. Je suis sûre que la guerre finira rapidement. Elle ne durera pas cent sept ans. (Elle rit)

Femme 3 : Elle dure déjà depuis trop longtemps, on ne sait plus quelle a été la durée des conflits.

Femme 1 : Moi, le printemps me donne envie de bouger, de me remuer, de … de… danser. Oui, de danser ! (Elle tourne sur elle -même, puis un temps) Mais avec qui ? Les jeunes hommes sont partis à la guerre.

Femme 2 : Comment pouvez vous penser à danser quand la plupart des hommes sont en train de se faire tuer pour le seigneur.

Femme 3 : Pour quel seigneur ? Celui pour qui nous travaillons la terre ou celui du ciel qu’on ne voit jamais.

Femme 2 : Chut. On pourrait nous entendre. On ne plaisante pas avec la religion.

Femme 1 : J’ai tellement envie de vivre. Mais n’est ce pas normal quand on a seize ans ? Ah, quand pourrons nous danser de nouveau. (Un temps) Je suis seule maintenant. Mon père a été enrôlé dans l’armée du seigneur. Il travaillait dans les champs quand deux soldats sont venus le chercher pour aller guerroyer comme piqueur. (Un temps) Je ne sais pas si je le reverrai. Il est déjà âgé, il ne s’est jamais battu, il n’a jamais porté d’arme. Après toutes ces années de labeur il n’a pas la force d’un jeune au combat. Ils ont aussi enrôlé mon frère en l’accusant d’avoir braconné dans les forêts du seigneur. Il ne faisait que des collets pour attraper des lapins, des perdrix, cela nous permettait d’améliorer notre repas quotidien.

Femme 3 :  Par contre les nobles ont le droit, eux, de chasser le cerf et de chasser les serfs que nous sommes.

Femme 1 :  Les soldats ont demandé à mon frère de choisir entre le cachot et l’armée. Il n’avait que l’embarras du choix. Il est parti à la guerre. Ma mère est morte d’une sale maladie il y a quelques années. Je suis venue ici pour trouver asile. Je ne pouvais pas rester au village. Des bandes de pillards infestent la région et ont investi notre village.

Femme 2 : Qu’est ce que je vous disais, nous sommes plus en sécurité ici.

Femme 1 : Mais pour combien de temps ?

Femme 2 : (s’adressant à la femme 3) Et vous, vous n’avez personne dans les armées du seigneur.
Femme 3 : Non. (Un temps) Mon fils … (Un temps) Mon fils a choisi de s’enfuir et de se cacher quand il a su qu’on venait le chercher pour être enrôlé dans l’armée ducale. Il disait : « Je ne peux pas tuer un homme, je ne m’en sens pas capable, je ne suis pas venu sur terre pour cela et dans l’Evangile ne dit on point aimez-vous les uns les autres ? »

Femme 2 : Vous citez l’Evangile quand ça vous arrange.

Femme 3 : Je ne sais pas où il se cache et je ne veux pas le savoir sinon j’irai le retrouver. J’espère qu’ils ne le retrouveront pas… sinon c’est la mort assurée après lui avoir fait subir des tortures. De toute façon qu’ils soient combattants ou déserteurs c’est la mort assurée. (Un temps) Je me demande quelle haine anime les hommes pour pouvoir tuer un de leur semblable sans sourciller. (aux autres) Pas vous ?

Femme 2 : Votre fils devrait avoir honte et vous aussi. Ce n’est pas un patriote et il mérite un châtiment.

Femme 3 : Un patriote, mais de quelle patrie parlez vous ?
Femme 2 : La nôtre

Femme 3 : La nôtre ? La patrie ça veut dire la terre de nos pères. C’est vrai que mon fils et moi sommes nés sur une terre française… mais qui était devenue anglaise il y a deux ans avant de redevenir française. Alors quelle patrie ? Demain cette terre risque de redevenir anglaise selon les alliances entre les seigneurs de la guerre. Lors de la prochaine trêve ils négocieront entre eux pour se répartir les terres et les villages. Notre patrie ils l’achètent et ils la vendent avec le sang de nos hommes. Ils échangeront des prisonniers et paieront de fortes rançons pour libérer les nobles de leur camp qui sont captifs. Mais pour payer ces rançons c’est nous qu’ils viendront rançonner en prenant nos ressources et une partie de nos récoltes. La guerre n’a pas de patrie, du moment qu’il y a du butin à gagner c’est ce qui compte le plus. (Un temps) Autant vous le dire je comprends le choix de mon fils.

Femme 2 : J’avais compris.

Femme 3 : Pourtant il m’a laissé sa femme et leurs deux enfants. (Un temps) Mon mari n’est plus là, il est mort il y a quelques années victime de la peste. Nous ne savons pas ce que nous allons devenir. Le duc a ordonné que nous partions d’ici au plus tôt. Mais nous ne pouvons plus revenir au village car nous serons considérés comme des traitres, les villageois s’empresseront de dire que mon fils a déserté pour rejoindre le camp adverse. Pourtant nous sommes nés dans ce village, nos parents, nos enfants sont nés dans ce village et nous ne pouvons pas y retourner. Dire que nous avions notre vie là-bas. Nous n’avions pas grand-chose, mais aujourd’hui nous n’avons plus rien, plus de toit, plus de terre. Alors nous nous déplaçons d’un endroit à l’autre. Nous ne savons pas où nous rendre. Notre maison c’est la route. Nous sommes des déplacées. Déplacées pour aller où ? Où est notre place ?  Nous sommes des réfugiées… sans refuge.

Femme 2 : Je comprends votre douleur. Moi aussi je suis réfugiée dans ce château bien que ma situation soit différente des vôtres. Je suis ici parce que …parce que …mon mari s’est engagé dans l’armée du duc. Il pense que son avenir est dans l’armée. Il a toujours envié ceux qui combattaient et qui touchaient une solde qui leur permettait de faire vivre leur famille. Il s’est dit : « Pourquoi pas moi ? » Il faut dire qu’il en avait assez de la culture de la terre. On cultivait un peu de blé et d’orge sur notre petit champ.  Il répétait tous les jours : « A quoi bon se crever pour des résultats médiocres qui nous donnent à peine de quoi vivre ? »

(Entrée de Merlin, de Jeanne et du troubadour au fond de la scène)

 

SCÉNE 8

 

Femme 2 : Ce qui a aussi décidé mon mari à s’engager c’est le fait qu’il y a six mois notre village a été occupé par les ennemis. Nous avons réussi à fuir et personne n’a été tué par ces soudards. Mon mari a décidé de se venger et de revenir avec les troupes du duc pour les éliminer. J’ai respecté le choix de mon mari, malgré les conséquences. Je me retrouve moi aussi seule ici avec notre fils de cinq ans.

Je prie tous les jours et toutes les nuits pour que Dieu le protège et qu’il demeure en vie. Fort heureusement pour mon fils et moi le seigneur nous abritera dans son château tant que durera le conflit pour remercier mon mari de son engagement dans ses troupes. Nous devrons néanmoins lui payer sa protection, cela va de soi. Elle sera prélevée sur la solde de mon mari.

Merlin : Excusez moi, Madame, mais qui sont les ennemis dont vous avez parlé ?
Femme 2 : Ceux qui ont occupé notre village.

Merlin : Mais vous ne savez pas réellement qui ils sont.

Femme 2 : Ce sont des anglais, bien sûr.
Merlin : Pas si sûr que cela. Ce pourrait être des mercenaires au service des anglais, payés par eux, mais qui ne sont pas forcément anglais

Femme 2 : S’ils se battent avec les anglais ce sont des anglais.

Jeanne : Elle a raison.

Merlin : C’est fort possible, mais sachez que certaines de ces bandes armées qui pillent et tuent se réclament aussi de notre suzerain.

Femme 2 : Ce n’est pas possible. Vous mentez. Comment le savez vous ?

Merlin : Il suffit d’écouter les blessés qui, voyant leur mort prochaine, se confient à nous. Notre suzerain a beau dire qu’ils ne font pas partie de son armée, il n’empêche qu’ils disent qu’ils lui ont appartenu et qu’ils étaient payés en sous-main par certains nobles.

Femme 2 : En tous cas, mon mari n’est pas un soudard, lui, il se bat pour que les villageois que nous sommes reviennent chez eux et vivent en paix.

Jeanne : Et il se bat aussi pour le roi de France.

Femme 2 : (hésitant) Euh…Oui, bien sûr, mais il ne le connait pas. Il ne connait que notre seigneur et les gens du village.

Merlin : Mesdames, je vous présente la chevalière Jeanne d’Arc en Ciel qui vient ici pour être enrôlée comme votre mari dans les troupes du seigneur

Femme 2 : (étonnée) Une femme chevalière !

Femme 1 : Et bien jeune.

Femme 3 : Quel courage ! (pour elle-même) Et quelle folie…
Jeanne : Bien que je sois jeune, Mesdames, je suis prête à me battre pour notre seigneur roi de France et pour notre Seigneur roi du ciel et de la terre (Elle se signe)

Femme 2 : (Elle se signe) Vous êtes en effet bien courageuse, chevalière. (Montrant Jeanne à la femme 1) Voilà des jeunes de votre âge qui n’ont pas envie de danser mais de défendre leur pays.

Femme 1 : Il faut aussi des femmes jeunes pour travailler la terre.

(Entrée d’Homme 1 et 2)

SCÉNE 9

 

Homme 1 : (s’écriant) Bien le bonjour, gentes dames.

Femme 2 : Tiens voilà notre héraut, notre porteur de mauvaises nouvelles.

Homme 1 : Aujourd’hui bonne nouvelle, ne vous en déplaise : c’est la trêve. Les combats vont cesser.

Femme 2 : Pourtant ils viennent juste de reprendre

Homme 1 : Oui, mais c’est le carême et pendant le carême on cesse les combats

Femme 3 : (ironique) Merci mon dieu !

Homme 1 : Mais il faut vous dire que ce sont les armées ducales qui ont gagné. Car ce sont les anglais qui ont demandé une trêve parce qu’ils allaient perdre leur territoire.

Homme 2 : Tout à fait. Nos troupes ont repris le territoire de trois kilomètres que les anglais avaient occupé il y a deux jours.

Homme 1 : Et nos troupes ont repris un village … (plus bas) en ruines fumantes.

Femme 1 : Vous croyez que nous allons pouvoir retourner chez nous.
Homme 1 : Doucement, doucement ce n’est qu’une trêve. Les seigneurs vont négocier entre eux, cela ne signifie pas qu’ils vont faire la paix demain. (changeant de ton) Bon, cette guerre c’est bien joli, mais je commence à avoir la pépie. (s’adressant au deuxième homme) Pas toi, compère ?

Homme 2 : C’est vrai j’ai la gorge sèche

Homme 1 : Ne peut on pas avoir à boire ici. Mais où est donc ma mie ?

Voix de femme off : Je suis là. Je prépare la soupe.

Homme 1 : Viens donc nous servir à boire. On a eu une rude journée. Pas vrai, compère ?

Homme 2 : Ça on peut le dire

Homme 1 : Nous arrivons du champ de bataille. Comme je vous l’ai dit les combats ont cessé. Chaque armée est retournée dans son camp. Mais que de morts encore aujourd’hui.  La Camarde a pris encore bien du plaisir à faucher des vies.

Homme 2 : Et des jeunes !

Homme 1 : Nous avons attendu qu’ils ramassent leurs blessés, mais il faut dire que le plus souvent ils les laissent agoniser sur place. Nous avons donc attendu avant d’intervenir. Ce n’était pas agréable de patauger dans tout ce sang et ces cadavres d’hommes et de chevaux. Mais, nous, nous sommes vivants, nous n’avons pas à nous lamenter.

Homme 2 : Pour sûr quand on voit tous ces gens qui se sont massacrés.
Jeanne : Que faisiez vous sur le champ de bataille ?

Homme 1 : On ramasse tout ce qu’on trouve et qui peut encore servir. (à Jeanne) Alors c’est vous la chevalière à ce qu’il parait, on ne parle que de vous au château.

Jeanne : Chevalière Jeanne d’Arc en Ciel

Homme 1 : Ouais, ouais, une chevalière…Mais d’après ce que m’a dit le sergent recruteur vous n’avez pas de cheval, pas d’armure, pas de lance, pas d’épée…  Ah, si vous avez au moins une épée. Mais pas d’étendard. C’est bien fâcheux pour une chevalière ou soi disant telle. Comment voulez-vous que les soldats de votre camp vous repèrent dans la bataille si vous n’avez ni cheval, ni étendard.

(La tavernière apporte un pichet et 2 verres)

Homme 1 : Merci, ma mie. (Il sert la boisson dans les 2 verres)

Jeanne : (d’abord gênée puis prenant un ton plus ferme) Je …je vais trouver un cheval et fabriquer un étendard, soyez en sûr.

Homme 1 : Allez, ne vous fatiguez pas, le sergent recruteur m’a demandé de vous aider. Et avec mon compère nous vous avons trouvé un beau destrier. (à Homme 2) Pas vrai ,compère ? A notre santé, tant que Dieu nous prête vie.

Jeanne : Où avez vous trouvé ce destrier ? Sur le champ de bataille ?
Homme 1 : Oh, non. Sur le champ de bataille les pauvres destriers sont soit estropiés et attendent la mort, soit ils sont en carcasses que dévorent les prédateurs. Ce destrier vient de l’élevage d’un ami. Mais nous ne pouvons pas dévoiler son nom.

Homme 2 : C’est trop risqué.
Le troubadour : C’est un cheval volé ?
Homme 1 : Oh, comme vous y allez ! Volé. Tu entends, compère ? Pas du tout c’est un cheval que le sergent m’a demandé d’acheter pour vous.

Le troubadour : (pour lui-même) Ça ne m’étonnerait pas que ce soit le cheval qu’elle a perdu aux dés. (s’adressant à l’homme 1) C’est un alezan ?

Homme 1 : Euh, oui. Il faut dire qu’il a beaucoup d’alezans dans son élevage. Pas vrai ?
Homme 2 : Tout à fait.

Jeanne : On m’a volé un alezan
Le troubadour : Votre destrier alezan est un peu âgé ?

Homme 1 : Evidemment, il a combattu maint et maint fois. Dites ne faites pas la fine bouche, d’après ce que je sais vous n’avez pas les moyens de vous payer un destrier fringant. Vous avez bien de la chance que le sergent vous l’ait acheté. Bon parlons de votre équipement maintenant. Nous avons ramassé sur le champ de bataille ces deux épées. Qu’en dis-tu, compère, toi qui es forgeron ?

Homme 2 : Regardez la qualité de cette épée. Le fil de la lame est tranchant mais non cassant. Elle est rigide, tout en étant souple, légère et maniable. Croyez-moi elle vaut bien Excalibur ou Durandal. Elle n’a rien à voir avec la vôtre.

Jeanne : C’est celle de mon père.

Homme 2 : Il était chevalier ?

Jeanne : Euh… non. Mais c’est une bonne épée.

Homme 2 : Montrez la moi. (Jeanne lui montre son épée) C’est une vielle épée à la lame toute émoussée. Et qui fait son poids. Vous serez vite transpercée par votre adversaire, car vous mettrez un temps fou à sortir votre épée de son fourreau. Ces épées n’ont pas dû être utilisées bien longtemps car la première épée était encore dans les mains d’un jeune chevalier qui est mort sous nos yeux et l’autre était enfoncée dans le ventre de son adversaire.

Jeanne : Vous n’avez pas essayé de sauver le chevalier agonisant.

Homme 1 : Comment voulez-vous faire ? Nous n’avons pas de connaissances médicales. Et nous n’avions pas le temps, nous devions ramener des denrées ici pour nourrir tout ce beau monde. Parfois il faut savoir faire des choix : ce jeune homme n’en avait plus pour longtemps, vous savez. Quant à l’autre il était déjà parti et nous avons pensé que leurs armes pouvaient servir à d’autres. Nous avons ramassé aussi des heaumes et même des hauberts.
Homme 2 : Et, croyez-moi, ce n’est pas facile à enlever ces cottes de maille surtout sur des morts qui sont rigides.

Homme 1 : Je peux vous les revendre à un prix intéressant

Jeanne : Vous vendez ces armes et ces vêtements ?

Homme 1 : Evidemment. Comment faire autrement ? Je ne suis pas chevalier moi et je ne vais jamais m’en servir. Par contre des gens comme vous en auront besoin. Pas vrai ? C’est comme les denrées alimentaires, en temps de guerre elles se font plus rares que d’habitude. Les champs de céréales sont devenus des champs de bataille ou bien ils sont incendiés, les silos sont pillés ou brulés.

Homme 2 : Le bétail est volé ou tué.

Homme 1 : Il faut faire preuve d’audace et de témérité pour se procurer des denrées pour pouvoir manger et ne pas crever de faim. Mais l’audace et la témérité ça a un prix, évidemment. Avec mon compère nous ravitaillons celles et ceux qui sont réfugiés ici au château. Nous rapportons des victuailles pour eux si jamais nous sommes assiégés et ne pouvons plus sortir.

Femme 1 : Oh non !

Homme 1 : Il faut penser à tout, jeune fille. Les boulangers et les bouchers ont disparu des villages alors, d’après vous, où se trouvent-ils ?  Hein ? (à l’homme 2) Dis leur.

Homme 2 : Ils sont sur les champs de bataille. Ils ont été réquisitionnés pour alimenter les soldats.

Homme 1 : Alors nous allons chercher sous les tentes des campements le pain et la viande … souvent c’est de la viande… de cheval. On va finir par manger de la viande humaine. Remarquez, on n’a que l’embarras du choix. Ne sommes nous pas les acteurs d’une grande boucherie héroïque ? (changeant de ton) Tout ça m’a donné faim. Qu’y a-t-il pour diner

Femme 2 : Nous avons préparé un bon ragout

Homme 1 : Un ragout …un ra…gout de rat comme son nom l’indique ? (Les 2 hommes rient)

Femme 3 : Ce n’est pas risible, toi tu peux encore manger à ta faim, mais beaucoup de gens ne peuvent plus se nourrir. A cause de leur guerre, il n’y a pas eu de moisson tu le sais. Le prix du blé va augmenter nous devrons manger du pain à l’orge pour apaiser notre faim

Femme 2 : Ou au seigle

Femme 3 : Pendant que nos seigneurs auront gardé de l’épautre dans leur grenier.

Femme 2 : Dans le ragout nous avons mis des tranches de lard et des légumes

Femme 3 : Pendant ce temps les seigneurs doivent manger du cerf, du chevreuil ou du sanglier.

Homme 1 : Je les ai vus manger aussi des paons et des cygnes

Femme 1 : Des paons et des cygnes ?  Pourquoi ? Leur chair est plus tendre que celle d’un poulet.
Homme 1 : Non, le seigneur m’a expliqué (prenant un ton prétentieux) que le paon symbolisait le soleil et l’immortalité de l’âme il est donc raffiné d’en avoir à sa table. (Tous rient) Allez, ma mie, apporte nous encore du vin pour fêter la trêve.

 

SCÉNE 10

 

 

Voix off : La trêve permettait aux belligérants de se rencontrer

 

(Entrée du duc de Larochedumont et de Robin de Luxley)

Le duc : (s’écriant) Robin de Loxley ! Ah, ça alors ! Je ne t’ai pas reconnu sous ton heaume. Dire que j’ai failli t’occire de mon épée en combat singulier. Heureusement que j’ai reconnu ton blason.

Robin : Ah oui ? C’est moi qui allais t’envoyer dans l’au-delà, cher Arnaud.

Le duc : Allons, Robin, reconnais que tu étais en bien mauvaise posture.
Robin : Si tu veux, pour nous départager nous pouvons reprendre ici le combat sans tes hommes d’armes qui m’ont capturé. Redonne moi une épée.
Le duc : Calme toi, Robin, calme-toi. Tu sais que mes hommes auraient pu te tuer. Je leur ai donné l’ordre de ne te faire aucun mal. Je leur ai expliqué que nous étions frères d’armes depuis que nous avons combattu ensemble les mahométans aux dernières croisades.

Robin : Il est vrai qu’à l’époque nos deux pays étaient alliés et nous allions à l’assaut côte à côte.

Le duc : Tu sais, Robin, tu as de la chance que nous soyons frères d’armes, car je pourrais demander une rançon pour ta capture.

Robin : Capturer…capturer… je t’ai laissé me faire prisonnier.

Le duc : Tu étais bien seul. Tes hommes étaient ou morts ou prisonniers ou enfuis.

Robin : Et qui pourra payer cette rançon, d’après toi ? Mes vassaux qui sont restés en Angleterre ont peu de moyens financiers pour pouvoir payer une rançon et ceux qui sont venus guerroyer avec moi en France ont dépensé la majorité de leurs deniers pour s’équiper en armement et recruter des hommes d’armes.

Le duc : Alors tu resteras ici comme prisonnier et nous te garderons le temps nécessaire pour obtenir l’argent de ta rançon.

Robin : Tu ferais ça, mon cher ami ? Sache que je dois rentrer au plus tôt chez moi en Angleterre car je ne sais pas ce qui a pu se passer pendant mon absence. Je sais que mon comté de Sherwood intéressait le shérif de Nottingham et qu’il pourrait le réquisitionner et me destituer.

Le duc : Je plaisantais je ne te garderai pas prisonnier, Robin. Comme je te l’ai dit nous avons combattu ensemble pendant les croisades où nous avons tué des infidèles. A la fin de ces croisades chacun d’entre nous est retourné dans son pays. Et il a fallu cette guerre fratricide pour que nous soyons à nouveau des frères d’armes mais … ennemis

Robin : Tu sais, en y réfléchissant bien, je me demande pourquoi je suis venu guerroyer en France. Je n’ai pas de territoire à défendre, ni d’ennemis reconnus. Je n’ai pas envie d’avoir un territoire en France je voudrais déjà garder mes terres de Sherwood en Angleterre. Mais je suis un homme de devoir et de parole. Quand mon roi a appelé toute la noblesse à le suivre pour qu’il prenne la couronne de roi de France, ce qui était légitime, j’ai répondu à son appel. Je suis un guerrier alors je me bats.

Le duc : Moi aussi je me bats pour que mon roi soit reconnu roi de France. (Un temps) Mais, quelle est notre place réelle ? Nous escortons ceux qui veulent s’entretuer sur fond de rivalités familiales, de successions jugées injustes, de fantômes à venger, d’orgueil et de désir du pouvoir. (changeant de ton) Mais profitons de la trêve. Nous sommes encore vivants, grâce à Dieu. (ironique) Mais tu aurais pu ne pas en profiter

Robin : Toi, aussi, heureusement que tes hommes d’armes t’ont protégé.

Le duc : (riant) Allons arrêtons de nous chamailler. (criant vers les coulisses) Tavernière, apporte nous à boire pour fêter notre entente cordiale. Sers nous de l’hypocras … et du bon.  (Un temps) Tu sais, Robin, je me pose la question de savoir comment je pourrai gérer un territoire que j’occupe et qui appartenait à l’ennemi.
Robin : Tu veux dire aux anglais.

Le duc : Non, aux bourguignons, les alliés des anglais. Je me demande comment je pourrai régner sur une région que j’ai fait incendier. Comment pourrai je me faire accepter par les paysans dont les villages ont été pillés, les femmes violées et les enfants égorgés par des soldats de mon ost. Je suis chevalier, toutes ces exactions sont contraires au code de la chevalerie. Il y est prescrit : tu seras partout et toujours le champion du Droit et du Bien contre l'injustice et le Mal.

Robin : Je comprends ton désarroi mais tu sais bien qu’une fois la paix revenue le village reprendra vie, les maisons seront reconstruites en effaçant les derniers restes des combats. Les paysans retourneront aux champs. Des enfants naitront. Des hommes mourront de mort naturelle. Et nous, nous reprendrons nos joutes et nos banquets. C’est la vie. La paix peut revenir aussi vite que la guerre éclate

Le duc : Tu as sans doute raison. (Un temps) Finalement je crois que je cèderai ce fief à un de mes chevaliers à la fin de la guerre, car il l’a bien mérité. Il a mené ses hommes à la victoire sur ce territoire… qui en plus agrandit mon domaine. Ce sont de bonnes terres qui lui rapporteront des revenus. Il est un peu désargenté, ce fief lui donnera les moyens de se nourrir et de s’équiper militairement. Je lui fais confiance, mais il sait qu’il me doit fidélité et assistance en échange de ma protection. Il sait que je ferai appel à lui pour guerroyer et défendre mes fiefs contre des ennemis éventuels et lui permettre d’accroitre ses propres terres. (sur un ton autoritaire)  Mais gare à lui, s’il lui prenait l’idée d’agrandir son propre territoire en me combattant !(Les 2 rient)

 

SCÉNE 11

 

NOIR

 

Femmes 1, 2 et 3, Hommes 1 et 2, Jeanne

Femme 3 : (s’adressant à Jeanne) Ainsi, chevalière, vous voulez reprendre aux anglais nos villes et villages pour le roi de France. Fort bien, mais si nous revenons dans nos villages avec les troupes du roi de France qui ont renversé l’envahisseur, comment serons-nous accueillis par ceux qui sont restés sur place. Allons nous les faire disparaitre parce qu’ils ont restés. Allons nous nous entretuer entre villageois, voire membre d’une même famille, nous qui vivons la même misère. Et nous entretuer pour qui ?  Pour défendre notre lopin de terre qui en fait appartient au seigneur

Femme 2 : Il paraît que les anglais ravagent des villes abandonnées sans défense comme pour les faire se repentir de s’être alliées avec les troupes du roi de France ou tout au moins les avoir laissés s’installer.

Femme 3 : Et vous avez pu voir que ça provoque sur les routes des exodes massifs de vieillards, de femmes, d’enfants, de malades, d’estropiés qui n’ont plus de toits et qui crèvent de faim.

Femme 1 : Je crois qu’en revenant chez moi, ce ne sera plus chez moi.

Femme 2 : Pourquoi ?

Femme 1 : J’ai entendu dire que les vainqueurs quels qu’ils soient changent le nom des rues, font disparaitre des échoppes, détruisent des maisons, en construisent d’autres. Le nom du village lui- même risque d’avoir disparu. Comment pourrai je me retrouver chez moi comme avant la guerre.

Homme 1 : Il parait que dans le village de Bompierre non loin d’ici il y a des archers cachés dans les arbres ou sur les toits qui attendent ceux ou celles qui reviendraient chez eux après s’être enfuis pour les percer d’une flèche.

Femme 1 : Vous dites ça pour nous faire peur.
Homme 1 : Non, non, c’est la réalité. Je ne sais pas de qui ils sont à la solde.

Homme 2 : Au village de Chantepie on dit que les bourguignons ont demandé aux habitants de porter un foulard de couleur rouge pour ne pas être confondus avec ceux qui viendraient chercher refuge.
Femme 3 : Quelle triste époque où nous devons nous méfier à la fois  des alliés du seigneur qui se nourrissent de nos réserves et de ses ennemis qui brûlent nos récoltes pour affamer les soldats du camp adverse. Mais au bout du compte c’est nous qui finirons par crever de faim. Alors, que pensez vous de cette situation, chevalière ?

Jeanne : Je…je ne sais pas.

(Elle sort rapidement)

Femme 3 : Eh bien, si les chevaliers ne savent pas pourquoi ils se battent, nous voilà bien avancés nous les gueux que nous sommes.

 

 

NOIR

 

SCÉNE 12

 

 

(Retour sur la table des nobles)

Le duc : Mais je ne t’ai pas parlé d’une nouvelle qui va sans doute te laisser pantois.

Robin : Dis toujours.
Le duc : J’aurai bientôt une chevalière dans mon armée

Robin : J’ai mal entendu. Une chevalière. Tu te moques de moi ou tu es devenu fou. Qu’est ce que c’est que cette farce ?

Le duc : Ce n’est pas une farce. La jeune personne dont je te parle est une vraie chevalière. Elle a été adoubée par le seigneur de son comté. J’en ai la preuve. Par ailleurs elle proclame qu’elle a été envoyée par Dieu le père qui lui a demandé, par l’intermédiaire de l’archange saint Michel, d’aller se battre dans l’armée du roi de France, dont je suis l’un de ses vassaux, afin de bouter les anglais de notre pays. (sur un ton ironique) Messieurs les anglais, vous voilà prévenus, Dieu n’est pas à vos côtés, Dieu est des nôtres .

Robin : N'importe quoi. Tu vas avoir près de toi une sainte guerrière ! Mais pourquoi pas ? Ce monde est devenu fou. Il faut dire que cette guerre interminable a apporté tant de souffrance chez les pauvres gens qu’ils croient en des héros providentiels qui vont ramener la paix… tout en faisant la guerre. On rencontre de plus en plus de ces illuminés qui font croire qu’ils vont sauver le pauvre monde.
Le duc : Dans le cas de ma chevalière elle veut seulement sauver la France. J’ai décidé qu’après la trêve je la prendrai dans mon armée. J’ai déjà fait en sorte qu’elle soit équipée : armure, armement et destrier. Car elle est venue jusqu’ici à pied et avec une vieille épée.

Robin : Voilà une drôle de chevalière. Je te souhaite bien du courage pour en faire une vraie guerrière.

Le duc : Je verrai rapidement si elle est capable d’affronter l’ennemi et la mort.

Robin : Je ne peux y croire…une femme soldat …

Le duc : Je ne la comprends pas. Elle est jeune et elle ne s’aperçoit pas que l’esprit et le modèle de la chevalerie sont en déclin. L’artillerie bouleverse les règles de la guerre. Les armes à feu remplacent de plus en plus les armes en fer. Les canons, bombardes, couleuvrines sont plus efficaces et tuent plus sûrement plusieurs adversaires en une seule fois. On peut tuer l’ennemi à distance sans corps à corps. Bientôt nos assauts de cavalerie avec nos lourdes armures n’auront plus lieu d’être.

Robin : A mon avis l’être humain trouvera toujours de nouvelles armes pour tuer son semblable

Le duc : (Un temps) Dis-moi, d’après toi, quelle est la justice humaine devant la mort ? Quand on tue un ennemi au combat on a fait son devoir et l’on est félicité. Par contre quand l’un des nôtres meurt au combat, on dit que c’est injuste, que c’est l’œuvre du mal, que l’ennemi est un tueur abominable à éliminer. Et l’ennemi est parfois un familier, un membre de ta propre famille, (montrant Robin) un frère de combat. De plus nous, les petits vassaux, ne sommes guère informés sur la stratégie de nos supérieurs. Dans toutes ces guerres on ne sait jamais exactement dans quel camp il vaut mieux se trouver.

Robin : C’est vrai on ne sait pas ce qui va se dégager suite à cette trêve : nos ennemis d’hier deviendront ils nos alliés ? Et nos alliés deviendront ils nos ennemis ?
Le duc : Ce ne serait pas la première fois que cela arriverait. Allons, pour l’instant buvons à notre entente cordiale ! (Ils rient et trinquent)

 

NOIR

SCÉNE 13

Jeanne, le troubadour

(Musique mélancolique. Un spot sur Jeanne seule en scène.)

(Entrée rapide du troubadour)

Le troubadour : Jeanne, Jeanne, écoutez voici le début de votre chanson de geste. Je dois dire que je ne suis pas mécontent de moi.

(Le troubadour clame son texte, Jeanne l’écoute sans réagir)

« Le champ de bataille est souillé de sang et de cervelle. Jeanne broche son cheval, lâche les rênes et s’engage à plein élan dans la bataille. Mais au cœur de la bataille, en pleine chevauchée, lors de corps à corps au milieu d'une piétaille grouillante, il n'est de combattant qui ne ressente de la confusion. Assourdi par le choc des épées, des dagues et des masses sur les boucliers et les heaumes, les cors qui sonnent, les hurlements des piqueurs, les cris des chevaliers, les hennissements des chevaux, mais aussi les gémissements de la piétaille écrasée, Jeanne n'arrive même plus à discerner qui affronter. On ne s’entend plus. Les cors qui sonnent, les hurlements des piqueurs on ne sait plus qui est l’ennemi. Alors Jeanne crie : « Lorraine » et tous ses hommes se rallient à ce cri de guerre. Bien que son heaume fracassé pende sur son dos, que son haubert soit déchiré, que son écu soit dépecé, son épée ébréchée elle frappe d’estoc et de taille ses bras sont trempés de sang et de sueur. Elle tient son oriflamme de son poing gauche et travaille vaillamment de l’épée. Mais on la presse, on l’étouffe, on l’accable, son cheval tombe sur elle, elle se relève et repart au combat. » Quelle héroïne, mes seigneurs ! Quelle héroïne ! (Un temps)

Qu’en pensez vous, Jeanne ?

Jeanne : Tu peux rentrer ta plume et ton parchemin, troubadour.

Le troubadour : (vexé) Je vois bien que ça ne vous plait pas.

Jeanne : La question n’est pas là. Cependant je trouve que c’est un peu exagéré, surtout que je n’ai jamais été combattre. Tu sais, troubadour, je suis troublée par tout ce que j’ai vu et entendu depuis que je suis ici. Je me demande maintenant où est ma place. Au combat ? Pour tuer et encore tuer des êtres humains ou rester ici auprès de ces femmes pour leur prêter main forte et les défendre si un ennemi assiégeait le château et donnait l’assaut ? il y a trop de sang d’innocents versé.si j’avais des enfants je souhaiterais qu’ils ne soient pas des guerriers comme moi, qu’ils ne deviennent pas de la chair à bombarde. Je veux la paix.

(Jeanne vient à l’avant-scène et crie)

Arrêtez les guerres !  Arrêtez les guerres !

(Au fur et à mesure les comédiens et les comédiennes viennent sur scène pour dire avec Jeanne le texte final)

Arrêtez les guerres ! Arrêtez les guerres !

Rendez les armes pour que cessent les larmes

Arrêtez les guerres, ne tuez pas vos frères

Ne partez pas en guerre, même pour Dieu le père

Vous nous aviez dit que c’était la der des ders

Alors qu’il y aura encore plus de morts demain qu’hier

Voyez toutes ces vies dans les cimetières

Toutes ces vies qui nous étaient nécessaires

Ne vous laissez pas abuser par les militaires ces va t- en guerre

La mort est leur métier, la haine est leur affaire

Ils disent qu’ils défendent nos frontières

En fait ils envahissent des terres étrangères

Les seigneurs de la guerre agrandissent leurs terres avec votre sang

Que les champs de bataille redeviennent champs de blé

Que les rivières ne soient plus ensanglantées

Que vos enfants ne voient plus vos épées

… et qu’ils soient les messagers de la paix

 

Arrêtez les guerres ! Arrêtez les guerres !

 

 

FIN

 

 

 


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