SCÈNE 1
Paul X seul en scène
Paul X : Quelle tristesse quand on lit les informations à propos des migrants ! (Il lit différents journaux) « Une embarcation avec une centaine de migrants a chaviré en mer, il semble qu’il n’y ait pas de survivants. Un millier de migrants restent bloqués à la frontière dans des camps de transit et ne savent pas quand ils pourront repartir. Les réfugiés ont dû quitter leurs campements de fortune, ils sont montés dans des cars pour se rendre vers une destination inconnue. » J’imagine que les familles de ces migrants sont la plupart du temps sans nouvelles de ceux qui ont choisi de quitter leur pays. (réfléchissant) Imaginons qu’un de ces jours une famille me demande de retrouver un mari, un frère, une fille qui ont émigré. (Une courte pause) Allons c’est stupide, car ce serait pour ces pauvres gens un luxe de se payer un détective alors qu’elles ont déjà tellement économisé pour rétribuer les passeurs. (s’adressant au public) Oh, excusez moi je ne me suis pas présenté. C’est moi, le luxe avec un grand X. Je m’appelle Paul X, je suis détective privé. Pourquoi Paul X ? C’est pour garder l’anonymat sur toutes les affaires que je traite et pour que mes clients soient assurés de ma discrétion. (pour lui-même) Je voudrais bien pouvoir mener une enquête pour retrouver une de ces personnes disparues. (pour lui-même et au public) Mais pour le moment on me demande de rechercher Miss Minette la chatte de l’épicière qui a quitté le domicile de sa maîtresse, Titi le canari de la mamie du cinquième étage qui s’est envolé, le compagnon de la blonde hystérique du troisième qui lui aussi s’est envolé tel un oiseau migrateur. Autant dire que je n’ai aucune affaire intéressante à traiter et que je m’ennuie copieusement. (Il commence à bailler) L’inaction me pèse et m’entraîne souvent à la somnolence. Bon, je vais faire une petite sieste en attendant un éventuel client. (Il baille et il s’endort, on entend des ronflements. La musique baisse et une musique l’accompagne)
SCÈNE 2
La cliente, Paul X
Voix off de la cliente en coulisses : Monsieur Paul X ! Monsieur Paul X ! (Elle entre en scène)
Paul X : (Il se réveille en sursaut) Hein ? Quoi ? Qu’est ce qui se passe ?
La cliente : Vous êtes bien Monsieur Paul X le détective privé ?
Paul X : Tout à fait. Que voulez vous ?
La cliente : Mon amie Alice est partie depuis plus d’un mois et je n’ai plus de ses nouvelles. Je suis inquiète. Je voudrais que vous la retrouviez, car j’ai peur qu’il ne lui soit arrivé malheur.
Paul X : Calmez- vous. Calmez-vous. Si votre amie est partie en vacances elle doit profiter de celles-ci et elle reviendra en pleine forme. N’ayez aucune crainte, elle vous enverra prochainement une carte postale.
La cliente : Elle n’est pas partie en vacances, elle est partie travailler au pays des merveilles, comme elle disait.
Paul X : Au pays des merveilles ?
La cliente : Elle est partie là-bas (geste vague) en me disant qu’elle pourrait mieux réussir sa vie là-bas qu’ici. Alice est modiste et elle a vu sur Facebook qu’un chapeler proposait du travail de création artistique là-bas. Elle a noué des contacts avec lui et elle est partie, depuis elle ne m’a pas contacté. S’il vous plaît, retrouvez-la. (Elle sort des billets qu’elle donne à Paul X) Tenez voici une avance sur vos frais.
Paul X : Oh, c’est beaucoup.
La cliente : (Elle reprend 1 ou 2 billets) Bon, j’en reprends un peu.
Paul X : (pour lui-même) J’aurais mieux fait de me taire. (à la cliente) Auriez-vous une photo de votre amie ?
La cliente : J’ai trouvé une photo d’Alice à son domicile. Tenez. (Elle lui donne la photo)
Paul X : (Paul X prend la photo et la regarde recto et verso) Elle a été déchirée. Il y a écrit Cha (Il épèle) c-h-a et 000123. C’est peut être le début d’un numéro de téléphone ? (à la cliente) Mais comment me rendre là bas ?
La cliente : Chez les gens d’ici ?
Paul X : Je ne comprends pas. Là-bas (faisant un geste vague) les gens s’appellent les gens d’ici ? Et ici comment s’appellent donc les gens ?
La cliente : Les gens d’ici bien sûr.
Paul X : (sur un ton fataliste) Bien sûr.
La cliente : Pour vous rendre là bas…
Paul X : (sur un ton ironique) Chez les gens d’ici.
La cliente : Tout à fait…. il suffit de fermer les yeux très fort et de faire preuve d’un peu d’imagination. (s’enflammant) Oh, ramenez Alice, Monsieur Paul X, je vous en prie.
Paul X : Je ferai tout mon possible, soyez en certaine. (Elle sort)
Quelle drôle d’histoire. (Un temps) Mais comme je n’ai pas d’autres affaires en ce moment je ne peux qu’accepter celle-ci. Partons chez les gens d’ici. Fermons les yeux… (Il ferme les yeux. Un court temps, puis il dit) quant à l’imagination… on verra ça plus tard.
NOIR
SCÈNE 3
Panneau : COMITÉ D’ACCUEIL
Les 2 contrôleurs et Paul X
(Les contrôleurs entrent en scène en discutant)
Le contrôleur : (s’adressant à la contrôleuse) Tu vois le problème avec les nomades c’est qu’on ne sait jamais où ils sont et où ils vont. Moi, je pense qu’il faudrait les parquer dans un endroit sûr afin qu’on puisse surveiller de plus près leurs agissements.
La contrôleuse : Comme qui dirait un camp de concentration, chef ?
Le contrôleur : Eh, doucement, doucement, je n’ai pas utilisé ce mot là. Il faut faire attention avec les appellations non contrôlées. Non, vois tu, il faudrait une espèce de campement dans un emplacement réservé aux gens qui aiment le voyage.
La contrôleuse : Du camping sauvage en quelque sorte.
Le contrôleur : Si tu veux, mais un camping sauvage surveillé.
La contrôleuse : Evidemment.
Le contrôleur : Attention nous avons de la visite. (Entrée de Paul X en trottinette portant un petit sac à dos) Stop, individu non identifié, tu es en train de pénétrer par effraction volontaire sur un territoire étranger. (à Paul X) Descends de ton véhicule. (à la contrôleuse) Fouille-le tout en respectant les règles du gentleman’s agreement, telles qu’elles sont rappelées dans notre code de bonne conduite policière. Vérifie qu’il n’a sur lui ni ceinture d’insécurité bourrée d’explosifs, ni bombe à raser à retardement, ni kriss, ni rasoir, ni canif.
La contrôleuse : Il n’a rien chef.
Le contrôleur : Bien. (à Paul X) Montre-nous les papiers du véhicule. Dis, tu as vu comment ils débarquent chez nous maintenant ? En trottinette ! (Il s’esclaffe ainsi que la contrôleuse) C’est incroyable.
La contrôleuse : Vous croyez qu’il parle notre langue, chef ?
Le contrôleur : (dubitatif) Eh bien…
Paul X : Tenez, voici le certificat de location du « véhicule ».
La contrôleuse : (s’exclamant ravie) Il parle notre langue, chef !
Le contrôleur : Oh, ils sont très forts, tu sais, ils peuvent parler plusieurs langues pour nous embrouiller sur leur réelle nationalité.
La contrôleuse : Je trouve qu’il parle franglais avec un léger accent.
Le contrôleur : Ah oui ? et quel accent ?
La contrôleuse : Un accent plutôt … européanisant.
Le contrôleur : Ma foi, tu as raison. Tu as de l’oreille, toi. (à Paul X) Puisque tu parles notre langue, étranger européanisant, dis nous où tu as trouvé ça ? (Il montre la trottinette)
Paul X : On me l’a loué à la frontière.
Le contrôleur : Véhicule confisqué. On ne peut pas rouler avec ce genre d’engin sur notre territoire. Et as-tu ton permis de conduire ?
Paul X : Pour une trottinette ?
Le contrôleur : Bien sûr.
Paul X : Non, je n’en ai pas. Le service de location ne me l’a pas demandé.
Le contrôleur : (à son adjointe) Evidemment ils savent fort bien qu’il est formellement interdit de circuler avec une trottinette. (à Paul X) Tu t’es fait arnaquer par ce service de location… (à son adjointe) certainement clandestin.
La contrôleuse : (approuvant) Certainement.
Le contrôleur : D’où viens-tu ?
Paul X : Eh bien …
Le contrôleur : Je suppose que tu viens… de là-bas ?
Paul X : En effet et je…
Le contrôleur : Et tu viens ici pour retrouver un parent, un ami qui doit t’héberger … (à son adjointe) le refrain habituel.
Paul X : Eh bien …
Le contrôleur : Et, évidemment, tu n’as pas de papiers d’identité, hein ? (à son adjointe) Ils ont l’habitude de les déchirer et d’en faire des confettis pour qu’on ne sache pas d’où ils viennent.
Paul X : Si, si, j’ai ma carte d’identité. Tenez. (Il tend une carte d’identité)
Le contrôleur : Il a dû la voler. Voyons voir ça. (Il lit la carte d’identité) Paul …X. Tu te moques de nous. Tu appelles ça des papiers d’identité.
Paul X : Je suis détective. Si je m’appelle Paul X c’est pour garder l’anonymat sur toutes les affaires que je traite. Je recherche…
Le contrôleur : (l’interrompant et s’adressant à son adjointe) Il croit que nous allons croire à ces balivernes. Détective ? Ah, oui. (à son adjointe et à Paul X) Monsieur le détective est en fait venu ici pour rechercher … de vrais papiers d’identité, mais quand je dis rechercher je veux plutôt dire chaparder.
Paul X : Mais je croyais qu’il y avait la libre circulation des individus d’un pays à l’autre.
Le contrôleur : Ah, tu veux parler des accords de chewing-gum sur les frontières. (à son adjointe) Il parle des accords de chewing-gum. (Ils rient)
Paul X : Les accords de chewing-gum ?
Le contrôleur : A cause de ces accords de chewing-gum la frontière est devenue molle et élastique. Si tu mets du chewing-gum dans le trou d’une serrure tu ne pourras plus passer une clé, d’accord, mais tu peux faire sauter la porte. On va supprimer les accords de chewing-gum.
La contrôleuse : Ah, oui alors !
Le contrôleur : Bon, allez, assez rigolé, réalisons la fiche d’identité. (La contrôleuse rédige une fiche) Sexe. A première vue sexe masculin.
La contrôleuse : Tout à fait.
Le contrôleur : Signes particuliers. Néant.
La contrôleuse : Moi, je dirai nez en trompette, chef.
Le contrôleur : Quoi, nez en trompette ?
La contrôleuse : Ben oui, vous avez dit nez en ? Moi, je trouve qu’il a le nez en trompette.
Le contrôleur : J’ai dit néant et pas nez en. Néant ça signifie rien, nada, nothing. Cet X n’a aucun signe particulier. Tu comprends ?
La contrôleuse : (pas convaincue) Oui, oui.
Le contrôleur : Quand à sa race ? Je dirai race plutôt indéfinie.
La contrôleuse : Moi, je dirai qu’il semble plutôt appartenir à la race humaine blanche.
Le contrôleur : A pois rouge (Ils rient)
Paul X : Mais il n’y a pas plusieurs races humaines, il n’y en a qu’une.
Le contrôleur : Tiens donc, c’est nouveau ça. C’est ce qu’ils t’ont dit de dire là-bas pour pouvoir rentrer chez nous tranquillement. Et pourtant, nous, nous avons toute une liste : (Ils commencent à lire une liste) Race négropolitaine
La contrôleuse : Race landaise.
Le contrôleur : Race hollandaise.
La contrôleuse : Race islandaise,
Le contrôleur : Race afroarmoricaine
La contrôleuse : Race amérindochinienne.
Le contrôleur : Et sa nationalité, hein ?
La contrôleuse : Je dirai nationalité… cosmopolite.
Le contrôleur : Tu as raison. On ne sait jamais d’où ils viennent. Ah, maintenant c’est plus compliqué, quel est son statut ? Migrant, migrateur, immigré, réfugié.
La contrôleuse : Attention, chef, il ne faut pas confondre les réfugiés économiques et les réfugiés politiques.
Le contrôleur : Je le sais bien, mais je suis sûr qu’il va nous dire qu’il sort d’un pays en guerre pour qu’on s’apitoie sur son sort afind’ obtenir le statut de réfugié politique alors qu’il vient juste ici pour profiter des avantages sociaux que nous leur offrons : sécurité sociale, sécurité civile…
La contrôleuse : Sécurité du chômage. On ne peut tout de même pas accueillir toute la misère du monde, hein chef ?
Le contrôleur : Evidemment. Dis, combien t’a demandé ton passeur ?
Paul X : Mon passeur ?
Le contrôleur : Celui qui t’a permis de venir jusqu’ici. Combien ?
Paul X : Mais je vous l’ai dit je suis détective et j’ai été sollicité pour retrouver une jeune fille nommée Alice qui est venue ici pour trouver du travail.
Le contrôleur : (dit en riant à la contrôleuse) Ah, ah, une Alice qui croit qu’elle va trouver ici monts et merveilles.
La contrôleuse : (riant) Ouais, on peut toujours y croire.
Paul X : Voici sa photo.
Le contrôleur : On dirait une fille d’ici : blonde avec le type occidental. Tu es sûre qu’elle vient de là-bas ? Et elle s’appelle Alice comment ?
Paul X : (pour lui-même) C’est vrai que je n’ai pas demandé son nom. Euh, Alice… Alice.
Le contrôleur : C’est un nom et un prénom bien de chez nous … (sur un ton ironique) ici au pays des merveilles. (puis prenant un ton sérieux) Dis, tu penses sérieusement qu’on va croire à ton histoire ?
Paul X : C’est pourtant la vérité.
Le contrôleur : Ta vérité, mais sache que toute vérité n’est pas bonne à dire ici. En tous cas si tu veux poursuivre ta route il faudra que tu fasses un petit effort financier.
Paul X : Que voulez vous dire ?
Le contrôleur : Tu m’as très bien compris. Car, si nous le voulons, nous pouvons te refouler hors de notre territoire.
Paul X : (dépité) Combien ?
Le contrôleur : Allez cinquante pour elle et cinquante pour moi. Vois tu nous pratiquons un métier à risques, mais nous sommes sous payés pour l’exercer, il faut bien quelques contreparties financières. (Il tend un livret à Paul X) Tiens, voilà ton livret d’accueil que tu dois présenter pour le contrôle médical. Il suffit que tu suives ce chemin balisé et tu parviendras au cabinet de la sécurité de l’hygiène. (Paul X sort)
Le contrôleur : Nous devons prévenir les autorités compétentes qu’un individu masculin venant de là-bas est venu pour rechercher une individu féminine qui vient de là-bas aussi.
La contrôleuse : (toute émoustillée) Oh, chef, c’est peut-être une histoire d’amour ?
Le contrôleur : Mouais, ça m’étonnerait. Ce loustic ne me fait pas l’effet d’un Roméo, mais plutôt d’un drôle de numéro. (Ils sortent)
SCÈNE 4
Les 2 journalistes
1er journaliste : Bonjour à toutes et à tous. Nous sommes vos informateurs qui vous apportons chaque jour sur vos smart-phones
2e journaliste : Sur vos chaînes télé
1er journaliste : Sur vos tablettes une information unique en son genre
2e journaliste : Une uni-informisation sans équivoque.
1er journaliste : Sans intermédiaire.
2e journaliste : Sans mal entendu.
1er journaliste : Ni quiproquo afin d’éviter toute controverse. Les dernières news : une embarcation en difficulté de touristes étrangers s’est échouée sur nos plages. On ignore encore s’il s’agit d’une erreur humaine ou d’une tempête. Plusieurs centaines de victimes seraient à déplorer.
2e journaliste : Une embarcation… tu parles d’une embarcation, il s’agit d’un zodiac qui transportait trop de passagers et qui a crevé loin de nos côtes.
1er journaliste : Chut, il faut éviter toute polémique. Et maintenant la suite de notre programme. Et d’abord une page de pub.
(Entrée d’une hôtesse publicitaire)
L’hôtesse : Vous voulez naviguer sur la grande bleue à grande vitesse en sentant les embruns sur votre peau cuivrée ? Choisissez donc le zodiac Odyssée. Avec le zodiac Odyssée vous pourrez voguer d’îles en îles. Le zodiac Odyssée vous entraînera à l’aventure. Le zodiac Odyssée fera de vous un nouvel Ulysse. (Elle sort)
1er journaliste : (son portable sonne) Allo ? (s’adressant au 2e journaliste) Oh, un autre scoop. Un bateau de croisière au bord duquel se trouvaient des personnalités de la jet-set se serait échoué sur nos côtes. On compterait trois morts.
2e journaliste : Trois morts ! C’est affreux.
1er journaliste : (s’adressant au portable) Allo ? D’accord. Nous nous rendons sur place immédiatement.
2e journaliste : Evidemment !
1er journaliste : (au 2e journaliste) Nous devons nous rendre sur les lieux du drame où a échoué le yacht. Tous les médias sont sur place.
1er journaliste : Trois morts tu te rends compte, ce doit être des people : des vedettes du showbiz, des animateurs télé, des sportifs. Ce sera un super reportage qui augmentera le nombre des ventes.
1er journaliste : Notre directeur des news va aussi en profiter pour augmenter le prix des pages publicitaires auprès des sponsors.
(Ils sortent en riant)
SCÈNE 5
La doctoresse, l’infirmière, Paul X
PANNEAU : Cabinet de la sécurité de l’hygiène
(Tableau avec des photos de portrait type, d’oreilles, de nez, de mains, etc… reliés par des flèches comme dans un commissariat de police)
La doctoresse : Je vous rappelle que nous avons des consignes très strictes. Nous devons nous montrer très vigilants dans nos examens médicaux pour éviter qu’ils nous ramènent de là-bas toutes leurs maladies : la malaria, le choléra, le … le coryza.
L’infirmière : (sur un ton péremptoire) Le phylloxéra.
La doctoresse : (interloquée) Euh oui… si on veut. Et ils nous transmettent gentiment en passant tous leurs virus, leur typhus, leur… leur algus valgus.
L’infirmière : (sur un ton péremptoire) Et leur détritus. (prononcer détritusse)
La doctoresse : (interloquée) Euh, oui… aussi.
L’infirmière : J’ai entendu dire que certains de ceux qui viennent de là-bas pouvaient nous contaminer juste en nous serrant la main, comme on a dit qu’on pouvait attraper le sida en s’embrassant sur la bouche.
La doctoresse : Tout est possible. Pour cela, soyez prudente et portez toujours vos gants médicaux pendant une consultation.
L’infirmière : J’y veillerai, Docteur, soyez en sûre.
(Sonnerie du portable de la doctoresse. Elle répond)
La doctoresse : Allo ? Commission de surveillance hygiénique, je vous écoute. Un individu, étranger bien sûr, vient de passer le poste frontière et vous nous l’envoyez. Parfait. Il parle franglais. Très bien. Ce sera plus facile pour la visite médicale. Ah, le voici.
(Entrée de Paul X. La doctoresse et l’infirmière mettent leur masque d’hôpital)
La doctoresse : Pouah ! Qu’est ce qui pue comme ça ? (à Paul X) C’est vous ? Vous sortez d’une poubelle ?
L’infirmière : Qu’est ce que je disais, ils amènent leur détritus.
Paul X : Excusez-moi, mais je me parfume à l’eau de toilette « Monsieur » de chez Nior.
La doctoresse : Nior ? De chez Dior pendant que vous y êtes. (Elles rient. La doctoresse à l’infirmière) C’est encore un de ces parfums de contre façon qu’ils ramènent chez nous pour concurrencer notre production nationale. Vite, utilisez le neutraliseur d’odeur que l’on puisse respirer normalement. (L’infirmière asperge avec un aérosol) Donnez-moi votre livret d’accueil. (Paul X lui donne son livret, la doctoresse le lit) Vous vous nommez Paul X ? Vous êtes né sous X ?
Paul X : Non, c’est parce que …
La doctoresse : Bon, peu importe commençons le contrôle sanitaire. (Elle prend un dossier qu’elle annotera au fur et à mesure que l’infirmière lui apportera les informations) Vous devez d’abord laisser vos empreintes. Empreintes digitales. Allez-y. (Elle fait poser ses empreintes digitales à Paul X) Empreinte vocale. On verra cela tout à l’heure. Empreinte dentaire. Elle demande à l’infirmière) Vérifiez sa dentition. (L’infirmière ouvre la bouche de Paul X et l’inspecte avec une lampe de poche)
Paul X : Eh, doucement je ne suis pas un esclave.
L’infirmière : (à la doctoresse) Trente deux dents et deux dehors (Elles rient toutes les deux)
La doctoresse : La pesée.
L’infirmière : (à Paul X) Montez sur la balance. (Elle montre à Paul X un espace sur le sol)
La doctoresse : Alors quel est son poids ?
L’infirmière : Plume !
La doctoresse : Bien sûr, c’est un drôle d’oiseau migrateur. (Elles rient)
(La doctoresse demande à l’infirmière) Sa taille ?
L’infirmière : A vue de nez : X…L (Elles rient)
La doctoresse : Procédez à la prise de sang
Paul X : Eh, attendez, je n’aime pas les piqûres.
La doctoresse : Evidemment chez eux ils ne connaissent pas les piqûres, sauf celles d’insectes ou de serpents. Ça ne vous fera aucun mal.
(L’infirmière pique Paul X avec une grosse aiguille. Il crie)
L’infirmière : Ça y est, il est décontaminé, docteur.
Paul X : Mon sang était contaminé ? Mais… par quoi ?
La doctoresse : Vous êtes tous contaminés par votre mauvaise alimentation, par votre sale éducation, par vos médications et votre religion. Il faut donc vous décontaminer quand vous débarquez sur un territoire sain comme le nôtre. Compris ? (à l’infirmière) Température ambiante ? (L’infirmière met un thermomètre dans la bouche de Paul X)
L’infirmière : Estivale.
La doctoresse : C’est normal, il vient du sud. Son pouls ?
L’infirmière : Ou ses poux ?
La doctoresse : Les deux.
L’infirmière : D’abord l’épouiller (Elle asperge Paul X avec un aérosol)
Paul X : Ah, c’est malin, mes cheveux sont trempés. Je n’ai jamais eu de poux.
L’infirmière : C’est ce qu’on dit, mais nous préférons prévenir.
La doctoresse : Son pouls cardiaque ?
L’infirmière : Il bat la chamade.
La doctoresse : Ah, ce pouls là est bien impertinent, il va falloir qu’il batte comme il faut tel un pouls civilisé.
La doctoresse : Quelle activité exerciez vous là-bas ?
Paul X : Je suis détect…
La doctoresse : N’ayez pas d’inquiétude, votre détection est programmée. En tant que fonctionnaire de la prévention organique nous détectons les anticorps étrangers
L’infirmière : Les microbes clandestins
La doctoresse : Les cellules malignes
L’infirmière : Les parasites terrorifères
La doctoresse : Nous menons campagne contre les anticorps étrangers avec l’arsenal thérapeutique à notre disposition, afin qu’ils ne deviennent pas expansionnistes et ne migrent pas vers les tissus sains et normaux de nos autochtones pour les …
Les 2 ensemble : (exaltées) con-ta-mi-ner.
La doctoresse : Nous éradiquerons le mal. Nous combattrons sa mauvaise influence sur des corps valides et salubres.
L’infirmière : Tout à fait !
La doctoresse : (se calmant) Bien. Continuons l’examen médical. (à Paul X) Faites : « AH ! »
Paul X : Ah !!!
La doctoresse : (à l’infirmière) Avez-vous entendu son « Ahhh ! » ? Qu’en pensez-vous ?
L’infirmière : Il me semble que ce « Ah » n’est pas un « Ah » habituel d’un habitant habitué de chez nous.
La doctoresse : Tout à fait. Je note sur son dossier qu’il lui faudra lui apprendre à prononcer les voyelles sans accentuation.
Paul X : Mais je parle correctement votre langue.
La doctoresse : C’est incroyable ! Ce sont eux qui vont nous donner des leçons de linguistique maintenant. Bon, ça suffit. Vous avez le cœur qui palpite. Les poumons qui s’époumonent
L’infirmière : Et la rate qui se dilate. (Elles rient)
La doctoresse : Tout va donc pour le mieux. Vous avez cinq doigts à chaque main, cinq orteils à chaque pied, deux bras et deux jambes vous êtes donc, cher Monsieur X, un OVNI.
Paul X : Un OVNI ?
La doctoresse : Un Objet Vivant Non Identifié tout à fait normal et capable de travailler. Et le travail …
Les 2 ensemble : C’est la santé et la liberté.
La doctoresse : Sachez que ma collaboratrice et moi-même poursuivons des recherches demandées par le Ministère de l’immigration et de la sécurité pour déterminer le portrait robot des types de votre genre.
L’infirmière : C'est-à-dire un type de sexe masculin venant de là bas.
La doctoresse : D’après nos travaux les caractéristiques principales de l’individu migrant sont : un faciès anguleux.
L’infirmière : Patibulaire.
La doctoresse : Ou rond.
L’infirmière : Mais néanmoins patibulaire.
La doctoresse : Des mains fourchues.
L’infirmière : Ou courtes. En tous cas des mains qui peuvent être celles d’un assassin.
La doctoresse : Un nez crochu.
L’infirmière : Ou épaté.
La doctoresse : Des cheveux crépus.
L’infirmière : Ou raides.
La doctoresse : Une bouche lippue.
L’infirmière : Ou pincée.
La doctoresse : Des oreilles en pointe.
L’infirmière : Ou en chou fleur.
Paul X : Mais votre portrait robot correspond à n’importe qui.
La doctoresse : C’est n’importe qui… (Un temps, puis elle montre Paul X du doigt) comme vous, Monsieur X, qui ressemblez à tout le monde et à personne. Vous avez tout à fait la tête de l’emploi.
Paul X : Quel emploi ?
La doctoresse : Celui qui correspond à votre portrait robot monsieur X, c’est à dire n’importe quel emploi. Mais ce n’est pas à nous de décider le type d’emploi auquel vous serez affecté. Pour nous vous êtes bon pour le service voilà tout.
L’infirmière : (sur un ton coquin) Nous n’avons pas vérifié les coucounettes, Docteur.
La doctoresse : (en souriant) Allons, soyez sérieuse, chère amie, nous ne sommes plus au temps béni des colonies.
L’infirmière : Dommage. (Elles rient)
La doctoresse : (à Paul X) Voici votre certificat médical. (Elle remet un document à Paul X) Vous pouvez aller déambuler.
Paul X : Mais où ?
La doctoresse : Les forces de l’ordre environnemental, que vous allez rencontrer, vous le diront. Allez ouste, dehors. Prenez la première allée côté jardin.
Paul X : (en sortant, pour lui-même et au public) Quel accueil ! On m’envoie balader d’un point à un autre, sans me demander ce que je suis venu faire ici. (Il sort)
L’infirmière : Que pensez-vous de cet individu, docteur ?
La doctoresse : Un cas typique de trouble de la personnalité. II se fait appeler X parce qu’il craint que l’on découvre sa véritable identité.
L’infirmière : A moins que ce X ne soit un récidiviste classé S qui a appris là-bas le B A BA du terrorisme et qui revient ici pour commettre un attentat.
La doctoresse : Allons, allons, il ne me semblait pas du tout agressif.
L’infirmière : Oh, il faut se méfier, Docteur, il faut se méfier. On ne s’y reconnait plus avec les terroristes étrangers. Il y en a qui se rasent la barbe et d’autres qui se la laissent pousser, on dirait qu’ils le font exprès.
L’infirmière : Je reconnais que vous n’avez pas tort. Aujourd’hui on ne sait plus trop faire la différence entre un terroriste en mission suicidaire et un émir en vacances d’affaires.
(Ils sortent)
SCÈNE 6
Les 2 journalistes et 2 hôtesses publicitaires
1er journaliste : Dis donc, c’est de pire en pire ! Je crois qu’il faut informer nos concitoyens sur ce fait divers .
2e journaliste : Bien sûr, on ne peut pas leur cacher cette monstruosité.
1er journaliste : Nous allons donc tout vous dire. Un jeune migrant de couleur plutôt sombre a agressé sexuellement une sexagénaire de couleur franchement blanche sur le parking du supermarché de notre ville.
2e journaliste : Il demandait à sa victime des « bisous » - quel sadique - il l’a embrassé plusieurs fois et il était prêt à exhiber son …
1er journaliste : Fort heureusement l’agressée n’a pas eu peur et a prévenu les forces de l’ordre. L’agresseur a pris la fuite.
2e journaliste : Quand je te disais que c’était tous des délinquants sexuels.
1er journaliste : (sur un ton ironique) Le jeune migrant était peut-être en manque d’affection après toutes ses péripéties et la sexagénaire était peut-être contente de recevoir ces marques de tendresse.
2e journaliste : (s’exclamant) Ne te moque pas ! Il s’agit d’une tentative de viol caractérisé.
1er journaliste : (au public) Le jeune migrant a été placé en garde à vue et mis en examen.
2e journaliste : C’est la moindre des choses. Fort heureusement la population de notre bonne ville a réagi à cet acte scandaleux et a manifesté solennellement devant le centre d’accueil des migrants en demandant sa fermeture. (s’exclamant ) Ici nous ne sommes pas chez les sauvages où l’on peut violer à longueur de journée. Ah, je te le dis ici on ne se sent plus chez nous.
1er journaliste : Allons ! Calme-toi, calme-toi. (s’adressant aux coulisses) Vite une page de pub !
(Entrée de 2 hôtesses publicitaires)
1ère hôtesse : Vous voulez vous protéger des perturbateurs subversifs.
2e hôtesse : Des agitateurs nuisibles et des aliens étrangers.
1ère hôtesse : Louez donc les services de notre brigade de surveillance :
Les 2 ensemble : Sécuritas Sécuritas.
1ère hôtesse : Sécuritas Sécuritas, c’est une équipe jeune et dynamique qui saura vous défendre contre les malfrats étrangers.
2e hôtesse : Si vous voulez protéger votre Porsche Cayenne 4X4 des trafiquants d’automobiles de marque
1ère hôtesse : Si vous voulez protéger votre caniche des trafiquants d’animaux de collection
2e hôtesse : Si vous voulez vous protéger contre les trafiquants d’organes.
1ère hôtesse : Sécuritas Sécuritas vous propose un large choix d’alarmes en tous genres et de tapettes anti-souris.
2e hôtesse : Des caméras de vidéo surveillance et des pièges à loups
1ère hôtesse : Des gilets père balles tricolores et des barbelés aux couleurs pastel.
Les 2 présentatrices ensemble : Sécuritas Sécuritas est à votre service vingt quatre heures sur vingt quatre … (Un court temps) et même plus si affinités. (Elles sortent)
SCÈNE 7
Panneau : ZONE NATURELLE PROTÉGÉE
Les 2 agents de sécurité, Paul X
(Les agents de sécurité entrent en discutant)
1er agent de sécurité : S’ils ont décidé en haut lieu d’interdire la chasse et la pêche dans la réserve naturelle, c’est parce qu’ils se méfient de tous les chasseurs-cueilleurs-pêcheurs qui viennent sur nos terres, car ils pourraient faire des dégâts écologiques monstrueux sur notre faune et notre flore.
2e agent de sécurité : Pourquoi ?
1er agent de sécurité : Pourquoi ? Mais parce qu’ils chassent et pêchent comme des sauvages. Depuis que nous leur avons apporté la civilisation, ils ont troqué leurs sagaies contre des fusils et depuis ils braconnent et tirent sur tout ce qui bouge. Cela n’a rien à voir avec nos safaris organisés là-bas où, nous, nous respectons les animaux en voie de disparition. Nous n’en tuons qu’un certain nombre autorisé. Je t’assure qu’en tant que membre du club « chasse, pêche et tradition culinaire » si jamais je vois un de ces zoulous qui essaie de tirer avec un lance pierre sur un de nos piafs ou d’égorger un de nos rouges-gorges il aura affaire à moi.
2e agent de sécurité : Vous ne voulez tout de même pas dire que vous pourriez ouvrir une chasse à l’homme, capitaine ? 1er agent de sécurité : Mais non, voyons, c’était pour plaisanter. 2e agent de sécurité : Ah, d’accord.
1er agent de sécurité : Je pense néanmoins qu’il serait souhaitable d’édifier un mur entre ici et ailleurs, afin d’empêcher tous ces chasseurs clandestins de venir exterminer notre faune préservée.
2e agent de sécurité : Sûr que ça aurait un effet dissuasif, capitaine.
1er agent de sécurité : (le portable du 1er agent de sécurité sonne) Allo, ici le réseau social 34. Un individu contrôlé doit passer par ici bientôt. Très bien. Vous lui avez délivré son certificat médical d’hygiène sociétale. Parfait. A quoi ressemble-t-il ? A n’importe qui. OK, c’est noté, nous allons l’intercepter.
(Entrée de Paul X)
2e agent de sécurité : Je crois que ce doit être lui, capitaine.
1er agent de sécurité : En effet il ressemble bien à n’importe qui. (arrêtant Paul X) Stop ! Tu es en train de pénétrer dans une réserve naturelle protégée où il est interdit de se déplacer sans certificat de déambulation autorisée.
Paul X : (montrant son certificat médical) C’est ça ? 1er agent de sécurité : Non, ça c’est ton certificat médical d’hygiène sociétale. C’est nous qui délivrons le certificat de déambulation sur ce territoire. Nous faisons partie des forces spéciales de surveillance et d’intervention pour le contrôle et la protection de l’environnement. 2e agent de sécurité : Nous sommes les agents de sécurité du patrimoine végétal et de la couche d’ozone verte. 1er agent de sécurité : Et avant que tu ne poses le pied sur notre espace réservé et préservé nous devons t’informer des règles à respecter à l’égard de notre environnement, car nous protégeons la nature contre certaines espèces envahissantes. Tu me comprends ? Paul X : Euh, non.
1er agent de sécurité : C’est pourtant évident. Certains « grécologistes » (il ricane ainsi que son adjointe) voudraient bien laisser la nature en liberté en créant des « open-spaces » comme ils disent. 2e agent de sécurité : Des espaces non sécurisés sans permis de végétaliser. Et nous, notre devoir c’est de surveiller de près le développement de la nature et de la protéger. 1er agent de sécurité : C’est pour cela qu’une réserve naturelle et écologique a été créée. C’est en fait un périmètre de sécurité pour éviter la contamination des herbes folles sur nos parterres. 2e agent de sécurité : Et que les plantes vivaces ne deviennent voraces. 1er agent de sécurité : Nos pelouses sont interdites, afin qu’elles ne soient pas piétinées par des traines savates… 2e agent de sécurité : Par des vandales en sandales sales. 1er agent de sécurité : Par des porteurs de tongs cradingues. 2e agent de sécurité : On ne va tout de même pas les laisser marcher sur nos platebandes. Hein, capitaine ? 1er agent de sécurité : Bien sûr que non. Il y en a aussi qui voudraient bien se vautrer sur nos pelouses. S’ils ne savent pas où se loger, ce n’est pas notre problème. 2e agent de sécurité : (réaffirmant) Ce n’est pas notre problème. Nous, nous devons interdire l’accès à nos pelouses si propres et si soignées où l’herbe pousse à hauteur centimétrée. Hein, capitaine ? 1er agent de sécurité : Tout à fait. Nous devons éviter que tous les errants nous pompent notre CO2 et bouffent notre oxygène. Tu comprends ? (Paul X ne répond pas. L’agent de sécurité insiste) Tu comprends ? Paul X : Oui, oui, j’ai compris que vous manquiez d’oxygène. Mais n’est ce pas à cause des gaz à effets de serre ? 1er agent de sécurité : (s’écriant) Non, Monsieur, « ces fameux gaz à effets de serre » c’est une invention de ceux qui veulent laisser la nature en liberté. 2e agent de sécurité : Tout à fait. 1er agent de sécurité : Depuis des millénaires la nature a poussé n’importe comment et aujourd’hui nous sommes là pour la maitriser et la protéger contre ceux qui viennent nous pomper l’air. Nous ne les laisserons pas jouer les Tarzans bâtisseurs de jungle dans nos jardins publics avec des briques et des broques, des parpaings et des tôles, des bâches et des cartons 2e agent de sécurité : D’autre part vous devez respecter la propreté des lieux où vous vous déplacerez et les laisser aussi propres après votre passage qu’ils l’étaient avant votre arrivée. 1er agent de sécurité : Nous te rappelons bien gentiment qu’il est interdit de cueillir des fleurs ici, d’ailleurs par précaution elles ont été électrifiées. 2e agent de sécurité : Et elles envoient un parfum asphyxiant si on y touche. 1er agent de sécurité : Tu n’as pas de clébard avec toi ? C’est heureux. Car nous n’aimons pas les chiens errants qui chient partout sous l’œil narquois de leurs maîtres qui les laissent faire. Nous les arrêtons souvent pour les mettre hors d’état de nuire. Ce sont des espèces d’espagnols bretons. 2e agent de sécurité : Ou de sales bergers allemands. 1er agent de sécurité : Ou de drôles de loulous de Poméranie. Par ailleurs sache que toutes les plantes que nous protégeons sont des plantes bios de production locale. Elles sont équipées d’un scanner qui vérifie les protéines, le taux de croissance et surtout … leur provenance. 2e agent de sécurité : Car certaines espèces végétales exotiques voudraient bien s’immiscer dans notre production locale. 1er agent de sécurité : Pour cela nous luttons contre l’invasion des productions étrangères en utilisant des insecticides. 2e agent de sécurité : Des fongicides ! 1er agent de sécurité : Des herbicides ! 2e agent de sécurité : (s’écriant) Des homicides ! Il faut tuer la vermine ! 1er agent de sécurité : (au 2e agent de sécurité) On se calme, sergent, on se calme. (à Paul X) Pour éliminer les parasites étrangers et nettoyer notre belle nature nous utilisons des pulvérisateurs. Des atomiseurs ! 2e agent de sécurité : Des karcheurs ! 1er agent de sécurité : Des bombes aérosols à retardement ! (Un temps, puis le 1er agent de sécurité s’adresse au second agent de sécurité) 1er agent de sécurité : Bon. De prime abord cet individu en situation d’errance ne semble pas présenter de danger d’agression pour notre environnement. Qu’en penses-tu ?
2e agent de sécurité : De prime abord peut-être. Mais au second babord, allez savoir. De toute façon il sera surveillé de près. 1er agent de sécurité : Tu as raison. (à Paul X) D’un commun accord nous t’accordons le certificat de déambulation. (Le 2e agent de sécurité sort un document de son sac en bandoulière, ils apposent leur signature et elle le remet à Paul X) Ce certificat est à présenter à toutes les autorités que tu rencontreras. Maintenant tu vas suivre ce chemin balisé avec sa haie d’arbres bien taillés et protégé par des barbelés fleuris de liserons. Attention, tu n’as pas intérêt à sortir du chemin balisé. 2e agent de sécurité : De toute façon il sera sous l’œil de la caméra de surveillance. 1er agent de sécurité : Et tu arriveras au bureau des rêves. Paul X : Le bureau des rêves ? 1er agent de sécurité : Bien sûr. Chaque migrant a un rêve en arrivant ici et nous devons le connaître pour savoir si ce rêve est réalisable ou non. Les hôtesses du bureau des rêves te donneront des conseils à ce sujet. (poussant Paul X) Allez, ouste. (Paul X sort)
1er agent de sécurité : (à sa collègue) Encore un qui nous arrive avec le dernier anticyclone. Je me demande s’il pourra s’acclimater à notre température ambiante.
2e agent de sécurité : Ah, s’il veut se faire naturaliser, il a intérêt à respecter nos lois de la nature civilisée. (Ils sortent)
SCÈNE 8
Les 2 journalistes
(Entrée des 2 journalistes)
1er journaliste : Dernier scoop : compte tenu des efforts que doit faire notre pays et sa population pour la réduction des dépenses énergétiques, notamment en électricité, nos autorités compétentes ont décidé que le rechargement des téléphones mobiles des migrants serait désormais supprimé. Tout contrevenant à cette décision se verrait infliger une coupure d’électricité pendant un laps de temps indéterminé
2e journaliste : Voilà une sage mesure pour l’environnement.
(Le portable du 1er journaliste sonne. Ce dernier informera au fur et à mesure son collègue des informations qui lui sont transmises au téléphone)
1er journaliste : Oui… oui… (étonné) Oh ! Ce n’est pas vrai ?!
2e journaliste : Que se passe-t-il ?
1er journaliste : (au 2e journaliste) Notre agence de presse nous informe qu’une poule … de luxe a été enlevée.
2e journaliste : C’est dingue !
1er journaliste : Il s’agit d’une poule de concours international.
2e journaliste : Ah, aujourd’hui les voleurs de poule se sentent bien protégés pour perpétrer leurs forfaits.
1er journaliste : Les propriétaires de la poule aux œufs d’or promettent une forte récompense à celles et ceux qui pourront apporter des renseignements sur les malfaiteurs.
2e journaliste : Ouais, ouais, voleurs de poules, moi, je sais où on peut les trouver.
1er journaliste : Allo ! Quoi ? Nos forces de l’ordre sont déjà sur une piste qui semble fiable.
2e journaliste : Ça ne m’étonne pas, ils sont si efficaces. J’adore les flics de chez nous. J’ai envie de les embrasser.
1er journaliste : Un individu de type rom… (cherchant) rom…anesque aurait été vu rôdant près de la haute cour.
2e journaliste : Et voilà ! Plus on fait dans le rom …antisme plus c’est l’anarchie. Il y a tout de même des espaces réservés exprès pour les gens du voyage, qu’ils y restent ou qu’ils retournent d’où ils viennent.
(Ils continuent de discuter en sortant)
1er journaliste : Mais il faudrait savoir d’où ils viennent.
2e journaliste : (geste vague) Ils viennent de par là.
1er journaliste : (geste vague) Ou de par là-bas.
2e journaliste : En fait il faudrait fermer les portes de nos frontières à double tour. (Ils sortent)
SCÈNE 9
Panneau : BUREAU DES RÊVES
Les hôtesses du bureau des rêves, Paul X
(Les hôtesses portent un tee-shirt où est écrit : I love chez nous (avec un cœur)
1ère hôtesse : Alors comment s’est passé ton voyage là-bas ?
2e hôtesse : C’était… magique ! Quel dépaysement ! Nous avions du soleil tous les jours. Quelle chaleur ! Heureusement qu’à l’hôtel nous avions des rafraichissements à volonté et une piscine. Ce qui gâchait un peu notre plaisir c’était le quartier populaire qui jouxtait l’hôtel. Tu es obligée de flipper un tant soit peu en voyant ces gens qui vivent dans des conditions d’hygiène … - comment dire- quelque peu insalubres. Mais ils sont si gentils, ils n’ont rien et ils sont prêts à partager avec toi le peu qu’ils ont. Je leur ai acheté, en marchandant bien entendu - ils adorent ça, ce sont de grands enfants - je leur ai acheté des sacs en raphia, des sandales en bambou, des colifichets réalisés avec des boîtes de conserve. Ils ont un réel talent, si, si, si.
1ère hôtesse : Allo, oui ? (à la 2e hôtesse) Nous avons un nouvel arrivant. (s’adressant au téléphone) Il parle franglais. Ah très bien, cela facilitera la communication.
(Entrée de Paul X. Il regarde le panneau et le lit à haute voix)
Paul X : « Bureau des rêves ». C’est ici. 1ère hôtesse : Bien sûr que c’est ici, puisque vous êtes au pays d’ici.
2e hôtesse : Bienvenue chez les gens d’ici et au bureau des rêves. La traversée pour venir de là-bas a dû vous paraître longue, non ? ((à la 2e hôtesse) Nous, nous avions mis trois heures pour aller jusque là-bas, nous volions en avion bien sûr. (à Paul X) Mais vous, il paraît que vous naviguez jusqu’à quinze heures sur vos embarcations bricolées.
1ère hôtesse : (à la 2e hôtesse) Moi, je me souviens être arrivée en voilier sur une île au sud de là-bas. Ah, c’est vraiment superbe quand tu découvres la côte, ses plages de sable, ses palmiers. C’est comme cela que l’on voit mieux les villes de bord de mer plutôt que d’arriver en voiture. Et la nuit sur un voilier quelle sérénité sous un ciel étoilé ! (à Paul X) Je tiens néanmoins à vous dire que débarquer sur nos plages en pleine saison touristique sans prévenir n’est pas du meilleur goût et montre un manque de savoir vivre.
2e hôtesse : C’est comme si tout leur était déjà permis.
1ère hôtesse : Vous pourriez quand même attendre qu’il y ait moins de monde sur les plages.
2e hôtesse : Et arriver tout… dépenaillés devant nos enfants en train de construire des châteaux de sable il n’y a rien de plus… de plus choquant.
1ère hôtesse : Parfois certains débarquent avec leurs propres enfants qui sont à moitié mourants. Quel exemple pour les nôtres !
2e hôtesse : Moi, je connais des plagistes qui ont dû fermer boutique à cause des vagues de migrants déferlant sur les côtes.
1ère hôtesse : (à Paul X) C’est tout de même un miracle que vous soyez arrivé ici sain et sauf, alors que tant d’autres ont… (Un temps) vous me comprenez ?
2e hôtesse : Et on croit que l’on est enfin arrivé sur la terre promise en espérant que ce sera toujours mieux ici que là-bas, mais en fait…
1ère hôtesse : Chut ! Il vaut toujours mieux qu’ils rêvent d’une vie meilleure et notre job c’est de ne pas les dissuader … pour le moment.
Paul X : Je ne suis pas venu en bateau, Mesdemoiselles, je suis arrivé en trottinette.
1ère hôtesse : En trottinette ? Vous vous moquez de nous.
Paul X : Pas du tout. C’est vrai que cela peut paraître ridicule, mais c’est la réalité. (pour lui-même et au public) La réalité… en fait je me demande en ce moment si je ne rêve pas tout éveillé, comme si je me trouvais sur une scène de théâtre.
1ère hôtesse : En tous cas vous êtes là. Montrez votre dossier. (Paul X lui tend son dossier) Paul X. (Elle lit) Nationalité… indéfinie. (à la 2e hôtesse) Malgré tout je pense qu’il a un profil européanisant méditerranéen, car il est un petit peu basané. Non ?
2e hôtesse : C’est le type africain du Nord.
1ère hôtesse : Tu crois ? Pourtant il ne porte pas de djellaba.
2e hôtesse : Ils n’en portent pas tous.
1ère hôtesse : (un court temps) C’est vrai. Je trouve qu’il parle franglais avec un léger accent eurasien, il doit être issu d’une ethnie saxonne. Mais c’est charmant. Il a dû prendre des cours de langue pour venir ici. (à Paul X) Maintenant venons-en à vos rêves. Vous avez toujours rêvé de venir ici, je suppose ?
Paul X : Eh bien….
1ère hôtesse : Nous vous proposons un grand panel de rêves. Si vous avez envie de bâtir un château en Espagne, nous pouvons vous donner une brique de sable pour commencer votre projet. (Elles rient)
2e hôtesse : Si vous souhaitez rejoindre l’Eldorado nous vous proposerons quelques pesos pour vous y rendre. (Elles rient)
1ère hôtesse : Si vous désirez gagner le pays de cocagne, nous vous ferons d’abord monter à son mât. (Elles rient)
2e hôtesse : Si vous voulez tirer des plans sur la comète. Voici une règle millimétrée pour débuter. (Elles rient)
Les 2 ensemble : Nous plaisantons. Mais sachez que tout rêve peut devenir réalité, cela dépend uniquement de vous.
Paul X : Je ne cherche pas particulièrement de rêve. Je me suis toujours méfié des marchands de rêves qui sont aussi marchands de sommeil.
1ère hôtesse : Pas ici, Monsieur. Nous, nous vendons du rêve à des prix raisonnables.
2e hôtesse : Des prix de « reviens-y » dont on tire bénéfice au bout du compte.
Paul X : Très bien. En fait je suis détective et je recherche…
1ère hôtesse : (étonnée et ironique) Détective ? Ah, vous pouvez toujours rêver.
2e hôtesse : Oh, oui !
Paul X : Mais je vous assure…
1ère hôtesse : Si c’est votre projet d’insertion professionnelle, parlez-en à la psychologue des services d’orientation professionnelle et au conseiller d’insertion professionnelle. Nous, nous notons seulement le projet du candidat à l’immigration. Voici votre dossier (Elle remet un dossier à Paul X) Leur bureau se trouve 3, rue du Bois Vert, c’est juste en sortant côté cour.
Paul X : Merci. (Il sort)
1ère hôtesse : Détective ! Qu’est ce qu’il cherche ici ? Des ennuis ?
2e hôtesse : Ou il cherche l’âme sœur. (changeant de ton) Ce doit être excitant d’avoir une relation amoureuse avec un exotique.
1ère hôtesse : Moi, quand j’étais en vacances là-bas, j’ai rencontré un indigène qui était en pleine forme. Tu vois ce que je veux dire…
(Elles sortent en riant)
SCÈNE 10
Les 2 journalistes, le contrôleur de la scène 3 et deux hôtesses publicitaires
2e journaliste : Je sais bien qu’ici tout le monde peut rêver et a le droit s’exprimer librement, mais il ne faut tout de même pas exagérer, car, sous prétexte de les laisser exprimer leur identité culturelle, il faudrait supporter que nos murs tricolores soient tagués, il faudrait accepter que notre belle littérature soit rapée, que notre hymne national soit reggae, que nos traditions soient zappés.
1er journaliste : Tu as raison nous devons garder notre identité des gens d’ici.
2e journaliste : Les gens d’ici ne sont pas plus fiers ou plus beaux, mais ils sont d’ici, les gens d’ici, comme le poète l’a écrit.
(Entrée du contrôleur)
1er journaliste : Et parmi ces gens d’ici, nous avons la chance de pouvoir interviewer aujourd’hui l’un de nos vigiles toujours aussi vigilant veillant chaque jour sur la sécurité de nos frontières.
2e journaliste : Bonjour Monsieur, vous êtes là pour nous faire part d’une anecdote qui en dit long sur la situation de l’immigration sur notre territoire.
Le contrôleur : En effet. J’ai constaté que de plus en plus de nombreux migrants utilisaient des pseudonymes pour éviter de nous communiquer leur véritable identité. Ainsi récemment un migrant est passé au poste frontière en me disant qu’il s’appelait X.
Les 2 journalistes ensemble : X ?!
Le contrôleur : Tout à fait. Que pouvais je faire, il avait des papiers d‘identité à ce nom ?
2e journaliste : Ainsi des X, Y ou Z peuvent entrer chez nous sans être refoulés.
Le contrôleur : Si leur carte d’identité est en règle, ils peuvent en effet pénétrer chez nous.
2e journaliste : C’est dément ! Mais que fait donc le Ministère de l’immigration et de la sécurité ?
Le contrôleur : Il a été prévu de mettre en place au niveau international un système automatisé d’information sur les voyageurs qui franchissent nos frontières. Ceux qui ne seront pas dotés de puces électroniques, où seront consignées toutes leurs coordonnées, quand ils poseront le pied sur notre sol, seront irrémédiablement rejetés.
2e journaliste : Ah, enfin. Vivement que cela soit mis en place le plus vite possible.
1er journaliste : Monsieur le contrôleur, nous vous remercions sincèrement pour votre témoignage.
2e journaliste : Et nous vous remercions aussi pour votre contribution, ô combien indispensable, à la sécurité de notre territoire.
Le contrôleur : Je ne fais que mon devoir : faire en sorte que tous ces drôles d’oiseaux migrateurs ne soient pas des oiseux de malheur. (Il sort).
1er journaliste : Et maintenant un peu de liesse dans cette vallée de larmes de crocodiles. Nous vous proposons Mesdames et Mesdemoiselles, une page de mode bien de chez nous. (Ils sortent)
(Entrée de deux hôtesses)
Les 2 hôtesses ensemble : Mesdemoiselles, cet été vous adopterez toutes, nous en sommes sûres, la nouvelle mode Sécurity. (prononcer à l’anglaise)
1ère hôtesse : Vous porterez toutes des pantalons de treillis moulants.
2e hôtesse : Des strings camouflage.
1ère hôtesse : Des shorts kakis.
2e hôtesse : Des trikinis bleu marine.
1ère hôtesse : Des bodys bleu aviation.
2e hôtesse : Sans oublier de chausser de jolis rangers à talons.
Les 2 hôtesses ensemble : En portant la mode Security vous ferez partie de celles qui veulent montrer à tous que vous voulez défendre nos valeurs et notre si belle culture occidentale.
(Elles sortent)
SCÈNE 11
Psyché, L’enquêteur, Paul X
(Un bureau et 3 sièges seront amenés sur scène par des comédiens. Psyché entre le téléphone à la main)
Psyché : Oui, allo ? Ici, Psyché. Vous avez un problème relationnel avec votre environnement familial ? Un conflit psycho-cognitif ? Une blessure à l’âme ? Vous avez trouvé la bonne adresse. Je saurai trouver avec vous des solutions à vos problèmes. Mes horaires de consultations sont entre dix heures et dix huit heures avec une pause déjeuner et elles sont, bien évidemment, payantes. Le tarif …
L’enquêteur : (Voix off de l’enquêteur l’interrompant) Arrête ton baratin, Psyché, c’est moi qui t’appelle (L’enquêteur entre en scène suivi de Paul X) pour te prévenir que nous avons un nouveau client (montrant Paul X) que voici.
Psyché : Tu aurais dû m’interrompre et me le dire plus tôt.
L’enquêteur : T’interrompre ? Une fois que tu as commencé à faire ta publicité personnelle au téléphone, on ne peut plus t’arrêter.
Psyché : Entrez, Monsieur. Asseyez-vous. (Un temps) Bien. Avant tout je souhaiterais vous faire part de certaines règles de savoir vivre qu’il vous faudra bien assimiler. Maintenant que vous êtes arrivé chez nous - il va falloir faire avec, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous vous accueillons, vous le savez bien - vous allez devoir vous familiariser avec nos codes de vie en communauté et respecter nos us et coutumes.
L’enquêteur : Et nos valeurs !
Psyché : Et nos valeurs, bien sûr. Nos valeurs républicano-démocrates …et religieuses.
L’enquêteur : Et nationales !
Psyché : Bien sûr. Ici personne ne crache, pète, rote en société. Ici on ne se met pas les doigts dans le nez et on ne mange pas le riz ou le hamburger avec ses phalanges sales. Ici on mange proprement sa soupe avec une cuillère. Et on ne lèche pas son assiette quand on a fini. Ici on ne crache pas dans la rue, ni dans la soupe. Ici on ne joue pas avec les allumettes pour mettre le feu aux poudres.
L’enquêteur : Ici on baisse les yeux devant son supérieur hiérarchique.
Psyché : (à Paul X) C’est compris ?
Paul X : (doucement) Oui, oui.
Psyché : C’est ainsi que l’on vit dans les pays civilisés. Vous devez suivre nos modes de vie sans renâcler. Revoyons votre dossier. Donnez le moi (Paul X donne ses documents à Psyché. Elle lit) Paul X. Evidemment vous avez refusé de donner votre véritable identité.
Paul X : Non, non, X c’est mon nom, c’est parce que je …
Psyché : (l’interrompant) Bon passons, ce n’est pas grave on vous attribuera un nom : Untel, Tartempion, Machin, Truc. Pour l’instant vous avez un numéro : 435678, retenez le bien c’est votre numéro d’entrée sur le territoire. Etat civil. Célibataire ? Marié ?
Paul X : Célibataire.
Psyché : Très bien. (à l’enquêteur) Il n’y aura qu’une seule bouche à nourrir tant mieux. Domicile fixe : sans. Evidemment. Véhicule : sans. Bien sûr. Emploi : sans. Naturellement. Religion ?
Paul X : Sans
Psyché : Quoi ? Vous n’êtes ni déiste ? Ni polythéiste ? Ni animiste ?
Ni monothéiste tendance orthodoxe presbytérien ?
Paul X : Non.
Psyché : Vous seriez donc … (baissant le ton) Athée ! Je ne peux pas écrire cela dans votre dossier. Tout le monde est plus ou moins croyant. (à l’enquêteur) Je laisserai un blanc. (à Paul X sur le ton de la confidence) Surtout ne le dîtes à personne, car vous pourriez être poursuivi pour insulte aux religions et cela pourrait vous coûter cher. On ne badine pas avec la religion. Continuons. Profession : sans. Bien sûr.
Paul X : Pardon, je suis détect…
Psyché : Détecteur de fumées ?
L’enquêteur : Détecteur de mensonges ?
Paul X : Non, je suis détective et je …
Psyché : (s’exclamant) Détective ! Et vous vous imaginez que vous pourrez retrouver le même métier ici. Il faut être raisonnable ce sont des emplois réservés aux autochtones.
L’enquêteur : Tu ne crois tout de même pas que nous pourrions te confier une enquête ? C’est bien trop sérieux. (à Psyché) Tu le vois mener une enquête de voisinage ou une enquête de moralité.
Psyché : (levant les yeux au ciel) Oh, lala, ce serait de la folie !
L’enquêteur : Un drôle de citoyen, comme toi, qui vient de là-bas est tout juste bon à mener une enquête de satisfaction auprès d’un client par téléphone.
Psyché : Je pense qu’avec votre expérience de là-bas - à savoir laquelle – vous pourriez envisager d’occuper ici un poste d’agent de sécurité. (à l’enquêteur) Qu’en penses-tu ? Il a l’air propre sur lui, il ne semble pas agité du bocal et il parle notre langue.
L’enquêteur : (à Psyché) C’est vrai qu’en général les services de sécurité des grandes surfaces recrutent des agents de sécurité parmi les individus originaires de là-bas. Ils pensent qu’en engageant des migrants leurs collègues issus de l’immigration nés ici ne leur créeront pas d’ennuis et éviteront donc de voler dans les rayons. (à Paul X) Mais peut-être qu’un jour tu pourras accéder au poste d’enquêteur. Cependant, moi qui suis enquêteur - je travaille auprès de l’association « Les voisins sentinelles », afin de repérer toutes les manigances des troubleurs d’ordre - je tiens à te dire qu’il te faudra développer de sacrées compétences pour exercer ce métier. Il faut d’abord faire preuve de circonpsection…
Psyché : (le corrigeant) De circonspection.
L’enquêteur : C’est ça. Il faut avoir un sens développé de l’observation et être sperpicace.
Psyché : (le corrigeant) Perspicace.
L’enquêteur : Tout à fait.
Psyché : (à Paul X) Il vous faudra aussi apprendre les rudiments de la psychologie physionomiste.
L’enquêteur : Et ça, c’est pas du tout cuit. Il faut faire fonctionner tes petites cellules grises pour distinguer celui qui a un bon ou un mauvais faciès. Mais, je te le dis, il vaut mieux avoir un faciès européanisant septentrional qu’exotique subsaharien. Tu dois aussi apprendre la technique protectionniste des personnes. (Il dit en riant) Moi, ma technique c’est le coup de boule.
Psyché : (le morigénant en souriant) Allons, Mathieu.
L’enquêteur : Je plaisantais, Psyché. (à Paul X) Ça arrive rarement, mieux vaut utiliser les sports de combat classiques. Mais des fois il faut parer au plus pressé, alors … (Il fait le geste avec la tête d’un coup de boule)
Psyché : L’agent de sécurité doit aussi être capable d’évoluer en société en connaissant la législation en vigueur dans son domaine.
L’enquêteur : Et je te dis pas, y en a de la législation, une vraie prise de tête. Moi je trouve qu’on législative un peu trop. (à Psyché) Pas vrai, Psyché ? Par exemple si un mec vole dans un supermarché. Pas besoin de législativer. Au trou !
Psyché : (à Paul X) Donc, agent de sécurité c’est une possibilité qui vous est offerte. Vous savez nous avons accueilli ici des électroniciens, des informaticiens, des médecins venus de là-bas.
L’enquêteur : Qu’ils disaient.
Psyché : Mais nous n’avions à leur proposer que des emplois de vendeur de fruits et légumes, d’ouvrier du bâtiment ou d’éboueur et ils les ont acceptés. Si on veut travailler il faut prendre ce que l’on vous propose.
L’enquêteur : Sinon « dehors ! » et retour à la maison vite fait.
Psyché : Ah, si vous veniez d’un pays d’ailleurs subtropical et pratiquiez le foutchebol, vous pourriez plus rapidement être naturalisé et pouvoir un jour vous enrouler dans notre drapeau national à l’occasion d’un match de foutchebol international. A ce propos si vous voulez déposer une demande officielle de naturalisation auprès des services concernés vous devrez remplir les formulaires adéquats en apportant les justificatifs appropriés de votre démarche d’intégration.
L’enquêteur : Mais ce n’est pas demain la veille que tu pourras déposer ton dossier, il faut déjà faire ses preuves.
Psyché : Evidemment.
Paul X : Là-bas, chez moi, on m’a parlé de l’entreprise Lechapelier.
Psyché : Ah, très bien. Lechapelier est en effet une entreprise d’insertion sociale et professionnelle spécialisée dans le couvre-chef.
Paul X : Pensez-vous qu’il recruterait un agent de sécurité ?
L’enquêteur : C’est possible nous leur présenterons votre candidature.
Psyché : Mais auparavant vous devrez passer des tests de logique, de mémoire visuelle, de personnalité, de résistance aux intempéries.
L’enquêteur : Puis on t’apprendra à rédiger correctement un …
(il cherche) un curricubum…
Psyché : (le corrigeant) Un curriculum.
L’enquêteur : C’est ce que je voulais dire. Un curri … (butant sur le mot)
Paul X : (complétant) Un curriculum vitae.
L’enquêteur : Ah, tu connais. C’est déjà ça. Et tu rédigeras une lettre de motivation.
Psyché : Ensuite nous aurons un entretien de recrutement relatif à votre nouvel emploi afin de vérifier votre aptitude à remplir les fonctions auxquelles vous pourriez être destiné.
L’enquêteur : Tache d’être à la hauteur, si tu veux décrocher ce job et devenir un jour, qui sait, l’un des nôtres.
Paul X : Mais je suis l’un des vôtres.
Psyché : Je me permets de vous rappeler que vous ne serez l’un des nôtres que lorsque vous aurez satisfait à tous nos examens de bonne conduite et de savoir être en société civilisée. Nous vous rappellerons pour ce job. Pour le moment vous êtes attendu pour la remise de colis aux primo arrivants, c’est sur le côté cour à droite. (Paul X sort)
Psyché : (Reprenant les propos de Paul X) « Je suis l’un des vôtres. » Ils sont incroyables ! Dès qu’ils ont mis le pied chez nous ils se croient déjà nos égaux.
L’enquêteur : Ne t’inquiète pas ce n’est pas demain la veille que leur égo sera à notre égal.
(Ils sortent)
SCÈNE 12
2 vendeuses, Paul X
Panneau : CADO, RESTO, DODO
(Entrée des 2 vendeuses)
1ère vendeuse : (Montrant le panneau) Pourquoi ont-ils écrit cadeau avec cette orthographe ?
2e vendeuse : Le service communication a estimé que c’’était un slogan plus accrocheur en l’écrivant de cette façon là. C’est surtout pour se faire connaître du grand public quand les chaînes télé viennent filmer nos actions humanitaires. Cado, resto, dodo ça marque les esprits, non ?
1ère vendeuse : (désabusée) Moui, même la misère se vend.
2e vendeuse : Eh, oui, que veux tu… et elle se vend bien.
(Entrée de Paul X)
2e vendeuse : Approchez, approchez, cher réfugié. Vous avez de la chance aujourd’hui c’est une journée cadeau pour tous nos chers réfugiés. (Elles donneront à Paul X des bons cadeaux) Ecoutez bien, grand veinard, nous vous offrons un bon cadeau pour un jogging de marque Emmaüs et une paire de tennis de marque Secours Pop, mais un beau jour j’en suis sûre vous pourrez vous offrir un costume trois pièces en alpaga de marque sino-italienne et des mocassins made in India.
1ère vendeuse : Voici pour vous un bon cadeau pour un pack de coca, mais un beau jour je suis persuadée que vous pourrez vous offrir une caisse de champagne.
2e vendeuse : Voici un bon cadeau pour une jolie casquette de joueur de base-ball, mais un beau jour vous pourrez vous offrir une casquette de capitaine de yacht.
1ère vendeuse : Voici pour vous un bon cadeau pour une serviette, un gant et une bassine en plastique pour votre toilette, mais un beau jour vous pourrez vous laver dans une baignoire balnéo.
2e vendeuse : Voici un bon cadeau pour trois casseroles et une poêle, mais un beau jour vous aurez une cuisine américaine.
1ère vendeuse : Voici un bon cadeau pour une chaise en plastique, mais un beau jour vous pourrez vous asseoir sur cinq, six, huit chaises en teck dans le jardinet de votre pavillon protégé par un signal d’alarme avec un tapis brosse Welcome à l’entrée.
2e vendeuse : (Elle donne à Paul X un tee-shirt) Et enfin un tee-shirt avec le portrait de notre sponsor, Monsieur Lechapelier que vous porterez toujours, j’en suis certaine, en remerciement à notre bienfaiteur. Vous avez sans doute faim, gros gourmand. Vous avez de la chance, nous vous avons préparé des plats typiques de chez nous …
1ère vendeuse : (ajoutant) Et gratuits.
2e vendeuse : (reprenant) Et gratuits qui plus est. Il faut remercier Restoduc la chaîne de restaurant caritative. (à Paul X) Allez, on dit « Merci Restoduc ! »
Paul X : Mer… merci Restoduc
2e vendeuse : Le menu du jour : en entrée des sushis cassoulet.
1ère vendeuse : Ou des sushis choucroute.
2e vendeuse : Une pizza aux 4 camemberts et aux pommes de terre.
1ère vendeuse : Ou un casse croûte bœuf carottes.
2e vendeuse : Et en dessert une glace parfum moules-frites
1ère vendeuse : Ou parfum confit de canard.
2e vendeuse : Vous rendez vous compte des efforts que l’on fait pour vous restaurer ? Alors que si vous étiez resté là-bas, vous crèveriez de faim.
1ère vendeuse : Et demain, vous pourrez vous payer de nos petits plats individuels micro-ondables de cuisine franglaise.
2e vendeuse : Vous pourrez vous empiffrer de kebabs drive
1ère vendeuse : Vous pourrez gloutonner des cuisses de poulets chicken strips.
2e vendeuse : Vous pourrez vous hamburger les papilles. Bien, après le couvert passons au gîte. Comme nous ne reculons devant aucun sacrifice pour accueillir les migrateurs de votre espèce, vous serez logé avec quelques uns de vos congénères dans une zone habitable d’hébergement sécurisée dans un superbe appartement doté d’un coin kitchenisette.
1ère vendeuse : D’un coin télé en couleur.
2e vendeuse : D’un coin toilette
1ère vendeuse : D’un coin studette
2e vendeuse : Et d’un petit coin de verdure que vous pourrez apercevoir de votre vasistas. Alors qu’est ce qu’on dit à notre gentil donateur ?
(Paul X reste muet)
1ère et 2e vendeuse ensemble : Merci, Monsieur. Répétez.
Paul X : Merci, Monsieur …
1ère et 2e vendeuse ensemble : Merci, Monsieur Lechapelier
Paul X : Merci, Monsieur Lechapelier.
2e vendeuse : Allez dehors et allez chercher vos bons cadeaux. Vous récupérerez vos cadeaux quand aura lieu la grande braderie pour les pauvres le mois prochain. (Paul X sort) Tu te rends compte, ils arrivent sans rien, nous leur donnons tout ce que nous avons, alors que des nécessiteux de chez nous en auraient beaucoup plus besoin, et ils ne savent même pas dire « Merci »
1ère vendeuse : C’est une honte ! Je ne vois pas pourquoi on devrait continuer à faire autant d’efforts pour ces mal polis qui mordent la main que l’on tend vers eux.
(Elles sortent)
SCÈNE 13
Les 2 journalistes et les 2 vendeuses
1er journaliste : Chers informés, nous vous le disons franchement, il y en assez des spécialités à l’espagnolette
2e journaliste : A la portugèche
1er journaliste : Ou à la ritaline
2e journaliste : Fini le steak tartare !
1er journaliste : Le steak barbare !
2e journaliste Le rom steak à la sauce tzigane !
1er journaliste : Le steak hallal !
2e journaliste : Le steak kacher !
Les 2 ensemble : Revendiquons de manger un steak des halles et pas cher bien de chez nous. Et le pinard …toutes catégories.
(Entrée des deux hôtesses publicitaires)
1er journaliste : Et maintenant c’est le moment de placer une page de publicité pour la maison...
Les journalistes et les vendeuses ensemble : Lechapelier !
1ère hôtesse : Si vous êtes teuton, nous vous proposons une casquette à pointe.
2e hôtesse : Si vous êtes breton, un chapeau rond.
1ère hôtesse : Si vous êtes grand breton, un chapeau melon.
2e hôtesse : Achetez nos casquettes Us Army.
1ère hôtesse : Et nos casquettes forces spéciales.
2e hôtesse : Sans oublier nos bérets basques pour les basketteurs.
1ère hôtesse : Nos bérets rouges pour les hommes de troupe.
2e hôtesse : Nos bérets bleus pour les biffins.
1ère hôtesse : Nos bérets verts pour les paras.
Les 2 vendeuses ensemble : Et bien sûr tous nos bérets sont des bérets franglais !
SCÈNE 14
Panneau : ENTREPRISE LECHAPELIER ET LAGARENNE
Lechapelier et Lagarenne, puis Paul X
(Lechapelier et Lagarenne sont confortablement installés dans des fauteuils, ils boivent dans des tasses tout en fumant de gros cigares. Sur une table basse se trouvent une théière et une bouteille de whisky. Ils semblent un peu grisés)
Lechapelier : Oui, mon vieux, j’ai décidé d’offrir un job à trois francs six sous à ceux qui obtiendront le droit d’asile. Je préfère que les migrants travaillent plutôt que de les laisser au désœuvrement avec tout ce que cela comporte : l’oisiveté.
Lagarenne : (baillant) La paresse
Lechapelier : Et (épelant) la cri-mi-na-li-té. Ils devront pour cela travailler quinze à trente heures par semaine. Mais, en cas de refus, le revenu minimum minimorum garanti leur sera supprimé.
Lagarenne : Evidemment, ils ne peuvent tout de même pas avoir le beure et l’argent du beuure et le baiser de al crémière.
Lagarenne : (réfléchissant) En tant que chef d’entreprise, ma mission, vois tu, c’est de pouvoir créer des emplois.
Lagarenne : Et de faire du profit, non ?
Lechapelier : Evidemment, Lagarenne, c’est essentiel.
Lagarenne : Ah, tu m’as fait peur.
Lechapelier : Néanmoins j’ai charge d’âmes.
Lagarenne : C’est beau, c’est généreux d’être un saint patron.
Lechapelier : Ne te moque pas. Mais j’ai aussi des charges …patronales
Lagarenne : Ah, les charges patronales, il devrait les supprimer, s’ils veulent que nous créions des emplois !
Lechapelier : Et nous sommes surchargés d’impôts. Ils en trouvent toujours de nouveau : impôts sur les bénéfices…
Lagarenne : (au public) Quels bénéfices ? Hein ?
Lechapelier : Impôts sur la fortune.
Lagarenne : (au public) Mais quelle fortune ? Hein ?
Lechapelier : Impôt sur la vingt-cinquième heure.
Lagarenne : (surpris) Impôt sur la vingt-cinquième heure ? Tes salariés travaillent vingt quatre heures ?
Lechapelier : Pas tous les jours. Mais ceux qui veulent travailler vingt cinq heures le peuvent. Et ils voudraient m’imposer sur cette heure supplémentaire, alors que je rends service à ceux qui veulent toucher quelques kopecks de plus sur leur salaire !
Lagarenne : Moi, mes filles travaillent six jours par semaine, mais elles ont droit au repos dominical. Néanmoins certaines en profitent pour travailler à leur compte et viennent à la maison le dimanche pour réaliser des petits couvre-chefs qu’elles revendent sur le marché. Ça leur fait un petit complément salarial. Elles en ont tellement besoin, les pauvres.
Lechapelier : Attends. Qu’est ce que ça veut dire : « Elles viennent à la maison le dimanche.» ? Tu veux dire que le dimanche tu reçois chez toi des salariées de l’entreprise ? Cela n’a jamais été prévu dans notre contrat d’entreprise. (Lagarenne prend un air embarrassé) Réponds.
Lagarenne : (gêné) C’est … c’est arrivé quelque fois. Mais elles ont si gentilles que je ne peux pas leur refuser.
Lechapelier : Méfie-toi, Lagarenne, un jour tu risques d’être dénoncé pour avoir fait travailler chez toi ces filles si gentilles et alors… (Sonnerie du portable de Lechapelier) Allo, oui. Ah, c’est pour le recrutement de l’agent de sécurité. Il est là. Faîtes le entrer.
(Entrée de Paul X et d’un garde qui remet un dossier à Lechapelier)
Le garde : Voici son dossier, Monsieur.
Lechapelier : (Lechapelier prend le dossier) Merci. (Il le regarde distraitement) Ainsi vous vous appelez Paul X, il semble bizarre pour nos services de surveillance qu’une lettre représente un nom.
Paul X : Permettez-moi de vous interrompre, Monsieur Lechapelier, je dois vous dire que suis détective privé et si je me nomme X c’est pour garder l’anonymat sur les affaires sensibles que je traite. Je viens de là-bas pour retrouver une jeune fille prénommée Alice qui est venue chercher du travail ici.
(Lagarenne s’étrangle en buvant son thé. Paul X et Lechapelier le regardent étonnés.)
Lechapelier : Et pourquoi vous adressez vous à moi ? Comment voulez vous que je connaisse cette personne, c’est stupide.
Paul X : (sortant une photo et la présentant à Lechapelier) Voici sa photo.
Lechapelier : (Il regarde la photo et dit fermement) Connais pas.
Lagarenne : (Il prend la photo à Lechapelier, la regarde et dit) Elle a de jolies bouclettes, de charmantes fossettes, une petite jupette.
Paul X : (à Lagarenne) Comment voyez-vous qu’elle porte une jupette sur cette photo où il n’y a que son portrait ?
Lagarenne : Euh, je …
Lechapelier : (Il reprend la photo brutalement à Lagarenne) Il imagine…il imagine. Et il faut dire qu’il a un peu exagéré sur le thé arrosé, hein Lagarenne ?
Lagarenne : Oui, oui.
Lechapelier : Vous savez, on voit tellement de filles comme celle-ci dans l’entreprise qu’il a confondu. Nous ne la connaissons pas.
Paul X : Pourtant derrière cette photo déchirée il y a le début d’un mot et d’un numéro de téléphone. Regardez et lisez.
Lechapelier : Cha… pourquoi n’y a-t- il pas de t au bout du mot ? C‘est peut-être le début du mot « château »!
Lagarenne : Ou cha…pelure
Paul X : Ou cha… pelier.
Lechapelier : Qu’insinuez-vous ?
Paul X : Le début du numéro de téléphone sur la photo correspond au début du numéro de téléphone de … votre entreprise. Je pense que cette jeune fille avait écrit votre nom sur la photo pour venir se présenter ici pour un travail qu’elle avait repéré sur Facebook.
Lechapelier : Qu’est ce que vous racontez ? Vous divaguez. Vous avez bu ? Attention, je ne tolère pas que mon personnel s’enivre pendant les heures de travail. Je vous dis que nous ne l’avons jamais vu, cela devrait vous suffire. Mais dîtes moi êtes-vous venu ici pour mener une enquête stupide ou pour trouver un emploi ? (Un temps) Bien. Malgré vos insinuations, je veux être bon prince, je prends sur moi de vous embaucher à l’essai comme agent de sécurité dans mes ateliers. Mais gare à vous ! Au moindre problème, vous retournez chez vous manu militari.
Paul X : Pouvez-vous me rendre la photo ?
Lechapelier : Non, je la garde. Je la montrerai aux autorités compétentes, puisque vous dîtes qu’elle a disparu. Cela ne vous concerne plus, c’est une affaire qui doit être prise en charge ici. Sortez et demain soyez à votre poste à deux heures quarante sept précises
Paul X : L’après midi ?
Lechapelier : L’après-midi ! (Il ricane) A deux heures quarante sept du matin. Vous croyez qu’on se la coule douce ici ? Un agent de sécurité doit être vigilant vingt quatre heures sur vingt quatre. Sortez.
(Paul X sort)
Lechapelier : (Un temps, puis il s’adresse à Lagarenne) Qu’est ce que tu as fait avec cette Alice, car c’est chez toi qu’elle travaillait.
Lagarenne : Je… je lui ai juste demandé, un dimanche où elle est venue travailler chez moi, de me … de me caresser le poil. Elle n’a pas voulu - il est pourtant doux mon poil - alors je l’ai un peu poussé - un peu rudement – et elle est tombée en se cognant la tête à un meuble et elle est… elle est…
Lechapelier : Morte ! Ce n’est pas vrai ! Quel sale animal, tu fais ! Mais quand perdras-tu tes sales instincts bestiaux ? Ecoute-moi bien, Lagarenne, je vais t’aider à faire disparaître le corps. Si je t’aide, c’est parce que tu es encore mon ami et mon associé… et que je n’ai pas envie d’être mêlé à cette affaire. Mais, méfie-toi, un jour peut-être je déciderai de te larguer et alors tu finiras en civet. Je vais m’occuper de cette affaire et toi, fais profil bas. Viens, allons chez toi chercher le corps. Espérons que le fouille-merde n’ira pas s’adresser aux autorités avant moi.
SCÈNE 15
Les 2 journalistes
(Entrée des 2 journalistes)
2e journaliste : Encore un crime crapuleux : une jeune femme a été retrouvée sauvagement égorgée dans un atelier des établissements Lechapelier.
1er journaliste : Heureusement le criminel a vite été retrouvé par les services de surveillance. Il s’agit d’un migrant, récemment arrivé, et qui venait juste d’être embauché comme agent de sécurité par Monsieur Lechapelier.
2e journaliste : C’est quand même incroyable nos patrons leur offrent généreusement du travail et à peine embauchés ils se livrent aux pires férocités dans les locaux mêmes de l’entreprise qui les accueille.
1er journaliste : Ce sont vraiment de dangereux sauvages criminels.
Il faudra rétablir la peine de mort pour ce genre de criminels.
2e journaliste : Tout à fait. Notre justice est trop laxiste.
(Ils sortent)
SCÈNE 16
Le juge, l’avocat général, l’avocat de la défense, 2 gendarmes, Paul X, 3 témoins, la doctoresse, le contrôleur, une hôtesse du bureau des rêves, Psychè
(Salle de tribunal : fauteuil pour le juge au milieu, fauteuil pour l’avocat général, fauteuil pour l’avocat de la défense, barre des témoins côté jardin et Paul X dans un box)(Entrée du juge et des avocats, ils s’installent)
(Paul X entre menotté entouré par 2 gendarmes)
Le juge : Bon dépêchons, l’affaire me semble claire. Il y a donc eu meurtre et (montrant Paul X) et c’est lui le coupable.
Un gendarme : Nous l’avons arrêté près du lieu du crime.
Paul X : Je suis innocent. C’est un coup monté, Monsieur le juge.
Le juge : Allons, assez de mensonges. Vous avez dit à tout le monde que vous recherchiez une jeune fille qui avait disparu. Vous l’avez retrouvée et vous avez fait disparaître la jeune fille disparue. Qui sont les parrains qui vous ont engagé pour commettre ce crime ?
Paul X : Mais je n’ai pas de parrains et je ne connais pas la jeune fille dont vous parlez.
Le juge : On a trouvé sa photo dans votre poche.
Paul X : On a dû l’y mettre, Monsieur le juge. C’est Monsieur Lechapelier qui était en sa possession.
Le juge : Quoi ! Vous osez accuser le bienfaiteur qui vous a trouvé un emploi.
Paul X : C’est pourtant la vérité, Monsieur le juge. Voyez vous, je me suis endormi pendant que je faisais ma ronde… j’ai dû être drogué.
Le juge : (ton ironique) Ouais, ouais, je vous crois sur parole Monsieur X. Car vous vous faîtes appeler X - n’est ce pas Monsieur Personne ? -afin de passer inaperçu pour perpétrer vos crimes.
Paul X : Mais non, si je m’appelle X, c’est parce que …
Le juge : (l’interrompant) On vous a pourtant reconnu, Monsieur l’inconnu. Faîtes entrer les témoins. (Entrée de 3 personnes portant des loups)
Le juge : (s’adressant aux témoins) Vous le reconnaissez ?
Les 3 personnes ensemble : Oui c’est lui, c’est bien lui. Nous déposons plainte contre X.
Paul X : Mais je ne les connais pas !
Le juge : Par contre eux vous connaissent et vous reconnaissent. Merci, pour votre témoignage spontané, Messieurs-dames. (Les 3 personnes sortent)
L’avocat général : (s’écriant) Qu’on le condamne à une mort certaine !
Le juge : Attendez, cher ami, il faut faire appel à d’autres témoins et il faut respecter les procédures.
L’avocat général : Ah, les procédures ! Cela nous fait perdre un temps fou.
Le juge : Faîtes entrer le docteur de la commission de surveillance hygiénique. (Entrée de la doctoresse) Docteur, qu’avez vous remarqué concernant l’accusé ?
La doctoresse : J’ai découvert à partir de mes recherches que ce X avait un profil criminogène dû à son origine incontrôlée et à son ethnie différenciée. Je me doutais que cela devait l’amener immanquablement au passage à l’acte criminel.
Paul X : Mais vos recherches n’ont rien de scientifiques !
Le juge : Taisez-vous ! Merci, Docteur. (La doctoresse sort) Faîtes entrer le contrôleur au frontière. (Entrée du contrôleur) Pouvez-vous nous dire ce que vous avez constaté concernant Monsieur X ?
Le contrôleur : J’ai bien vu qu’il voulait me cacher son identité d’assassin. Moi, je vous le dis, Monsieur le juge, cet X Man est un mutant sanguinaire et un vrai danger pour notre démocratie. Il faut éliminer tous ces mutants avant qu’il ne soit trop tard.
Paul X : (démoralisé) N’importe quoi !
Le juge : Merci pour votre témoignage et votre patriotisme. (Le contrôleur sort) Faîtes entrer Mademoiselle l’hôtesse du bureau des rêves. (Entrée de l’hôtesse des rêves) Qu’avez-vous à déclarer, Mademoiselle ?
L’hôtesse : Cet homme est un vrai cauchemar, j’ai tout de suite remarqué que cet individu était un élément subversif qui voulait détruire le rêve amérindien, notamment quand il a déclaré qu’il refusait de vivre dans notre société libérale avancée et qu’il la combattrait en réalisant un attentat. Et voilà, il est passé à l’acte. Il faut éradiquer de notre sol ces (ton snob) indésirâbles.
Paul X : Mais… mais je n’ai jamais dit cela.
Le juge : (l’interrompant) Silence. Merci, Mademoiselle. Faîtes entrer Miss Psyché, la psychologue. (Entrée de Psyché) Bonjour, Miss Psychè, quelles sont vos conclusions ?
Psyché : J’ai observé que cet individu était un déviant, en fait ce Paul X est un hominidé bipolaire : d’un côté Paul X prime apparaît doux et paisible, par contre Paul X seconde peut tout à coup exprimer sa cruauté. Vous réunissez les deux et vous avez le résultat de l’équation : Paul X prime plus Paul X seconde égal : un meurtrier qui se tient là devant nous.
Paul X : Mais c’est complètement délirant, il n’y a pas la moindre analyse.
Le juge : (l’interrompant) Silence. Merci Miss. (Un temps) Bien, nous avons entendu tous les témoins. Comme nous sommes dans un pays civilisé l’accusé a le droit d’avoir un avocat pour sa défense
L’avocat général : Encore des frais inutiles.
Le juge : (s’adressant à l’avocat de la défense) A vous la parole, Maître.
L’avocat : Votre haute autorité, je n’irai pas par quatre chemins… je ne chercherai pas midi à quatorze heures… je tournerai sept fois ma langue dans ma bouche… avant de vous dire que pour moi les faits sont clairs comme deux et deux sont quatre et quatre et quatre sont huit… Donc en un mot comme en cent, j’ai le regret de vous dire que cet individu en personne est coupable. Voilà. Excusez-moi, mais on m’attend pour jouer au loto. (Il sort en courant)
Paul X : (s’exclamant) Mais c’est un simulacre de procès !
Le juge : (aux gendarmes) Faites le taire. (Les 2 gendarmes se saisissent de Paul X et le bâillonnent) Sans l’ombre d’un doute vous êtes reconnu coupable de l’assassinat de la jeune fille retrouvée dans l’atelier de monsieur Lechapelier. Vous êtes donc condamné à la réclusion perpétuelle. Allez, vite, au trou ! (Paul X est emmené fermement par les 2 gendarmes) Affaire suivante.
L’avocat général : Tu sais bien qu’il est innocent.
Le juge : Evidemment. Mais il faut une condamnation exemplaire afin de prévenir les migrants qui veulent venir chez nous que notre justice est sévère, rigoureuse et irréprochable. Il vaut mieux anticiper, car on ne sait jamais ce que ces gens là sont capables de faire… un jour ou l’autre ils peuvent commettre l’irréparable.
L’avocat général : Tu as raison, nous devons être implacables. (ricanant) En attendant que dirais tu d’aller boire à la santé de tous ces (ton snob) indésirâbles que nous avons envoyé à la Santé ?
Le juge : Bonne idée, cela nous fera oublier pendant quelque temps la misère du monde. (Ils rient en sortant)
NOIR
SCÈNE 17
Paul X
(Retour au bureau de Paul X. Il se réveille en sursaut sur son fauteuil et crie)
Paul X : Je suis innocent ! Je suis innocent ! (Un temps, puis il reprend conscience) Ah, c’était un cauchemar ! Tant mieux. (Un temps, puis il s’adresse au public) Mais j’imagine quel cauchemar cela peut être pour tous ces X inconnus mutants, migrants, immigrés, appelez les comme vous voudrez, qui cherchent à trouver refuge ici. Tous ces X fuient la guerre, la misère, la faim, le trafic de marchandise humaine, la soumission aux tyrannies politiques, militaires, religieuses. Ils veulent vivre normalement comme tout un chacun. Car si nous étions nous mêmes ces migrants, et non plus « les gens d’ici », comment vivrions nous cet accueil ? Certains d’entre nous les nourrissent ou les reçoivent chez eux ou les accompagnent dans leur parcours de réinsertion, je tiens à leur rendre honneur. Nous, accordons leur seulement un peu de place dans notre cœur. Bonsoir.
FIN