La policière et le policier
La policière se trouve assise derrière un bureau.
Le policier entre.
La policière - Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
Le policier - Je viens t’aider, te donner un coup de main.
La policière - Je n’ai besoin de personne pour faire mon boulot… À moins que tu penses qu’en tant que femme je ne suis pas capable de me débrouiller toute seule. Le machisme habituel de la flicaille masculine auquel tu n’échappes pas !
Le policier - Arrête, toi aussi, avec ton féminisme galopant ! Ici, il s’agit d’un dossier particulier puisqu’il est question d’un double meurtre. Il y a de la place pour deux enquêteurs.
La policière - Deux meurtres, ça ne veut pas dire obligatoirement deux assassins.
Le policier - Une victime tuée d’une balle dans la tête et l’autre empoisonnée, ça désigne deux meurtriers.
La policière - Je ne vois vraiment pas pourquoi.
Le policier - À cause du mode opératoire, pardi ! Les serial killers utilisent toujours la même méthode, c’est d’ailleurs comme ça qu’on finit par les repérer. Un individu qui se sert d’un flingue pour tirer un seul coup ne va pas le mettre dans sa poche pour se servir ensuite d’un poison. Je le vois mal se compliquer l’existence de cette façon.
La policière - Justement, un malin qui compte sur la balourdise de la police pour ne pas se faire piéger avec leur croyance dans ce fameux « mode opératoire ».
Le policier - Quel intérêt ? Un meurtre ou deux, c’est le même tarif aux assises. Et puis de toute façon c’est le commissaire qui a décidé de nous mettre deux sur ce coup. Un ordre de ton supérieur, cher inspecteur… oh pardon, chère « inspecteuse » !
La policière - N’en rajoute pas. Tu peux dire « inspecteure » avec un « e ».
Le policier - Le « e », il ne s’entend pas.
La policière - Si, à condition d’y mettre de la bonne volonté, dire « inspecteureu » ! Tu l’as entendu cette fois-ci ?
Le policier - D’accord, « inspecteureu ». Alors, il dit quoi ton dossier double ?
La policière - Parce que tu ne l’as même pas lu avant de venir ? Tu débarques comme ça, avec tes gros sabots. En dehors du flingue et du poison tu ne sais rien de plus sur cette affaire ?
Le policier - Le commissaire m’a dit que tu me rencarderais. Il a même ajouté que tu étais plus maligne que tu en avais l’air.
La policière - Le con !
Le policier - Rassure-toi, ça ne sera pas répété. J’espère que tu n’avais pas mis en marche la Webcam des interrogatoires.
La policière - Non ! Dommage, il saurait au moins ce que je pense de lui.
Le policier - Bon, ça va ! Allez, mets-moi au parfum.
La policière - O.K. ! Ben voilà, deux types qui se connaissaient, qui travaillaient même ensemble depuis plus de vingt ans et qui s’appréciaient ont été tués le même jour à quelques heures d’intervalle. Et comme tu le sais, l’un d’une balle en pleine tête et l’autre empoisonné.
Le policier - Et ils faisaient quoi comme boulot tes deux lascars ?
La policière - L’un était chirurgien et l’autre son anesthésiste réanimateur ; ils faisaient équipe dans la même clinique. Un truc privé, genre chic, autrement dit genre pompe à fric.
Le policier - Médecine et fric, c’est un mélange détonant. Pas étonnant que ça ait fini par leur péter à la gueule !
La policière - Ce n’est pas parce que tu as la bombe que tu as celui ou ceux qui l’ont posée !
Le policier - D’accord ! Mais c’est le genre de truc qui me botte. Asticoter le corps médical friqué ça ne me déplaît pas.
La policière - C’est ton côté « lutte de classes ».
Le policier - Appelle ça comme tu veux, mais quand le boulot permet de jouir un peu faut pas s’en priver.
La policière - Ah oui, au fait, tu fumes toujours autant ?
Le policier - Ben évidemment !
La policière - Tu sais que c’est interdit sur les lieux de travail ? Nul n’est censé ignorer la loi.
Le policier - Sauf les flics, on est là pour aider à la faire respecter par les autres, pas pour se l’appliquer à soi. T’as déjà vu un flic se passer les menottes et se tabasser lui-même ?
La policière - Plaisante si tu veux mais pas question de fumer en ma présence. J’ai arrêté, je ne veux pas prendre le risque de repiquer au truc. Que ce soit bien clair !
Le policier - La mentalité stalinienne des anciens fumeurs à l’égard de ceux qui continuent à se goinfrer de nicotine… Bon, ça va, j’irai dans les chiottes comme au bon vieux temps du lycée !
La policière - Allez, assez de gamineries ! Comment on fait pour se partager le boulot ?
Le policier - Facile. Toi tu prends l’assassin au poison et moi celui qui utilise un revolver.
La policière - Pour quelle raison ce partage ?
Le policier - Le poison c’est un truc de femmes, les armes à feu leur font peur…
La policière - Encore une idée toute faite !
Le policier- Pas une idée toute faite, une statistique.
La policière - Des chiffres, rien que des chiffres, il n’y a que des mecs pour croire qu’ils ont un sens.
Le policier (après un soupir de lassitude) - Bon alors, comment tu vois notre collaboration ?
La policière - Rien de systématique, à l’intuition, celui, ou bien sûr celle, qui au cours de l’interrogatoire sent quelque chose, pose sa question. Ça te va ?
Le policier - Ça risque de faire un peu brouillon. Mais marchons comme ça. Commençons par faire la liste des suspects.
La policière - C’est fait.
Le policier - Quoi, déjà ?
La policière - Décidément, vous me prenez pour qui, toi et le commissaire ?...