ACTE I
Au lever du rideau, Raymond s’apprête à sortir, il s’est mis sur son 31, style un peu vieillot quand même. Il a l’air impatient. Pépé dort dans son lit, presque assis tellement il a d’oreillers derrière la tête. On voit ses pieds sales qui dépassent au bout du lit, face au public.
Raymond, s’agitant dans tous les sens. – Qu’est-ce qu’il fout ? Mais, qu’est-ce qu’il fout ? Non mais, qu’est-ce qu’il fout ? On va rater le début, enfin !
Claudine, entrant côté couloir, balayant tout en douceur, caressant le sol avec le balai en chantonnant. – Un jour, mon prince charmant reviendra… Un jour, mon prince charmant reviendra…
Raymond, un peu vexé, se raclant la gorge assez fort pour montrer qu’il est là. – Oui, ben, je suis là, moi… (Et voyant qu’elle ne lui prête guère d’attention.) Oh, oh, Claudine, je suis là…
Claudine, elle prend son balai en guise de cavalier et se met à valser avec lui. – Un jour, mon prince charmant reviendra… Un jour, mon prince charmant reviendra…
Raymond, la stoppant net. – Stop !... T’es tombée amoureuse de ton balai, ou quoi ?!
Claudine. – On peut rêver un peu, non…
Raymond. – C’est vexant, Claudine, je t’assure ! Voilà maintenant quarante ans qu’on est mariés, et tu fredonnes : « Un jour, mon prince charmant reviendra », comme si… Avoue que c’est un peu… Enfin, pas très…
Claudine. – Ah, mais c’est pas contre toi, Raymond ! C’est juste que, quand je regarde le DVD de Blanche-Fesse et les p’tits nains, ça me rend… ça me rend…
Raymond. – ça te rend… toute bizarre ! D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils ont été l’appeler « Blanche-Fesse » ? Avoue que c’est un drôle de nom quand même !
Claudine. – Rapport à qu’elle sort jamais de chez elle, donc elle voit jamais le soleil ! Tu comprends bien que c’est très imaginé.
Raymond. – Mais, pourquoi elle y sort jamais de chez elle ?
Claudine. – Parce qu’elle y attend son prince charmant qui est parti combattre un dragon !
Raymond, pas convaincu. – Pffuuu ! N’importe quoi…
Claudine. – Et toi, on dirait que t’attends quelqu’un aussi ?
Raymond. – Pas le prince charmant, j’t’assure ! J’attends le maire !
Claudine. – Ah oui, c’est vrai, on est dimanche après-midi… (Balayant autour de lui maintenant.)
Raymond, que ça fait éternuer. – At… Atchoum !
Claudine, s’arrêtant de balayer. – Comme le nain !
Raymond, ne comprenant pas. – Comme le nain ?
Claudine. – Oui, le nain, dans Blanche-Fesse, il s’appelle Atachoum !
Raymond, éternuant à nouveau. – Atachoum !
Claudine. – C’est ça, Atachoum…
Raymond, éternuant une fois de plus. – At… Atchoum ! Ah, mais, tu fais voler la poussière, là ! Arrête de balayer cinq minutes !
Claudine. – Et toi, arrête de grogner un peu ! (Et pensant tout haut.) Grognon…
Raymond. – Quoi encore ?
Claudine. – Comme le nain !
Raymond. – Comme le nain ?
Claudine. – Oui, le nain, dans Blanche-Fesse, il s’appelle Grognon !
Raymond, éternuant. – At… Atchoum !
Claudine. – Et Atachoum aussi, oui !
Raymond, agacé. – Je vais finir par te confisquer ce DVD, ça ne va pas trainer !
Claudine. – T’as pas intérêt ! L’histoire est tellement belle… T’es bien beau, toi aussi, je trouve…
Raymond. – Je suis toujours bien beau…
Raymond regarde sa montre nerveusement et se met à siffloter, un peu pour se détendre.
Claudine. – Pis t’as l’air content aussi…
Raymond. – Moi, content ? J’ai plus le droit de siffler, c’est ça ?
Claudine, pensant tout haut. – Content…
Raymond. – Quoi encore ?
Claudine. – Comme le nain !
Raymond. – Comme le nain ?
Claudine. – Oui, le nain, dans Blanche-Fesse, il s’appelle Content !
Raymond. – Oui, bon, tu ne vas pas tous me les passer un par un, là ! Tu l’as regardé quand ce DVD ?
Claudine. – Je l’ai regardé ce matin, après la messe !
Raymond. – Eh ben, on voit le résultat ! (Et consultant à nouveau sa montre.) Résultat, on va être en retard !
Claudine, déplorant. – Eh oui, on est dimanche après-midi… Et comme le vendredi soir et le samedi soir, le dimanche après-midi, tu te fais beau pour aller… pour aller…
Raymond. – Oui, au club, et alors ?
Claudine. – Oui, mais pas à un club du troisième âge !
Raymond. – J’ai bien le droit de me cultiver !
Claudine. – Je ne vois pas ce qu’il y a d’intelligent à aller voir des filles se pavaner sur scène en tenues légères ! Enfin, quand tenues il y a !
Raymond. – T’y connais rien, les numéros des danseuses sont très élaborés, tu sais…
Claudine. – Des danseuses ? Des strip-teaseuses, oui ! Parce que c’est bien d’un club de strip-tease dont on parle ! « Strip », qui veut dire se déshabiller et « tease », attirer l’attention !
Raymond. – T’es bilingue, maintenant ? Tu m’étonneras toujours ! Mais, pour ta gouverne, sache que ce n’est pas du strip-tease, mais de l’effeuillage !
Claudine. – Attends, tu me prends pour une idiote, là ! De l’effeuillage ? Je ne vois pas le rapport ?!
Raymond. – L’effeuillage c’est une opération consistant à supprimer le feuillage qui fait de l'ombre aux fruits.
Claudine. – D’accord, le fruit étant la fille, et les feuilles, ses vêtements, si je comprends bien ! Je vois que ce club t’inspire…
Raymond. – Et toi, à part Blanche-Fesse, c’est quoi qui t’inspire ?
Claudine. – Au moins, Blanche-Fesse, elle danse pas cul nu, elle !
Raymond. – C’est artistique !
Claudine. – Franchement, qu’est-ce qu’elles ont l’air cucul de danser cul nu ! Et pis alors, appeler cet endroit Le Club des poulettes, c’est d’un goût ! Pourquoi pas La Cage aux poules, aussi !
Raymond. – Je trouve ce nom très joli, Le Club des poulettes. Ça fait très rural… Et puis, tu parles sans savoir, t’es jamais venue !
Claudine. – ça, si c’est pour aller voir des culs nus, j’irai jamais poser mes fesses là-bas !
Raymond. – Tu devrais ! Moi, je participe aux activités de la commune au moins !
Claudine. – Toi, participer aux activités de la commune ?! C’est bizarre, je ne t’ai jamais vu donner un peu de ton temps pour aider… (Elle réfléchit.) Pour aider à monter la scène pour le théâtre, par exemple !
Raymond. – J’aime pas le théâtre !
Claudine. – Forcément, ils sont moins… dénudés ! Et si c’étaient des mecs qui se pavanaient les fesses à l’air dans ton club là, Le Club des coquelets par exemple, tu irais aussi souvent ?
Raymond, l’air moins emballé du coup. – Souvent, souvent… Je… Comment dire…
Claudine. – Ah ! Tu vois ! Ce serait moins intéressant, hein…
Raymond. – Non, non, j’irais pareil…
Claudine. – Menteur !
Raymond. – Ah, Menteur, comme le nain !
Claudine. – Quoi, le nain ?
Raymond. – Y’a pas un nain dans Blanche-Fesse qui s’appelle Menteur ?
Claudine, se moquant de lui. – Pas du tout ! Tu ferais mieux de regarder un peu plus souvent Blanche-Fesse au lieu d’aller reluquer celles des autres ! (Elle sort côté couloir.)
Raymond. – Mais enfin, quand elle va se distraire deux fois par an voir la troupe de théâtre de la commune, je dis rien ! Moi, par contre, j’ai pas le droit d’aller me distraire au club tous les week-ends !
Le maire, entrant côté cour, un peu speed. – Salut Raymond ! Tu parles tout seul ?
Raymond. – Ah, te v’là quand même ! Je commençais à désespérer !
Le maire. – Je sais, je sais… Mais j’avais un dossier à terminer à la mairie…
Raymond. – Tu travailles le dimanche maintenant ?
Le maire. – Tu sais, quand on est maire, on l’est toute la semaine et surtout à Champcrotteux !
Raymond. – Moi, je voudrais pas prendre ta place ! S’occuper de tout un village, je ne sais pas comment tu fais ?
Le maire. – C’est vrai que, quand on est maire, on est aussi un peu la mère de tout le monde dans le village !
Raymond. – Quand les gens auront fini de se plaindre aussi ! Enfin, de se plaindre et de réclamer !
Le maire. – ça réclame, ça réclame et après ça se plaint de payer trop d’impôts locaux ! On n’a rien sans rien !
Raymond, jetant un rapide coup d’œil à l’extérieur. – Euh, j’y pense là, tu ne pourrais pas me faire mettre un p’tit lampadaire devant chez moi, juste à l’entrée de ma cour, j’y vois rien la nuit…
Le maire, pas spécialement emballé. – Un lampadaire ? Je ne sais pas… Il faudrait que j’en parle à la prochaine réunion du conseil, je sais pas si tout le monde va voter pour !
Raymond. – Tu fais pas voter, tu dis rien à personne !
Le maire. – Ah oui, et comment je vais expliquer le fait qu’un lampadaire ait poussé devant chez toi comme un champignon ?
Raymond. – Tu l’expliques pas !
Le maire. – Je fais l’ignorant, en quelque sorte…
Raymond. – Voilà… Tu fais celui qui n’a rien vu. (Consultant sa montre.) Bon, par contre, t’as vu l’heure ? On devrait y aller, là, non…
Le maire. – Tu vois Raymond, Le Club des poulettes, c’est ce que j’aurais fait de mieux pour Champcrotteux ! Quand monsieur Bonichon est venu me parler de son projet de construction d’un tel lieu dans la commune, personne n’y croyait au conseil ! Alors, pour convaincre tous les conseillers, et en accord avec ce cher monsieur Bonichon, on a refilé à chacun d’eux un abonnement pour le club donnant droit aux entrées et aux consommations gratuites à vie. Tout le monde a voté pour, après !
Raymond. – T’as qu’à faire pareil pour mon lampadaire !
Le maire. – Quoi, je leur offre un abonnement à vie pour venir boire un coup chez toi ?
Raymond. – Non, c’est vrai que c’est pas…
Le maire. – Et touristiquement parlant, les gens se déplacent de loin, j’ai encore croisé des Chinois aujourd’hui !
Raymond. – C’est bizarre, ils travaillent 200 heures par semaine ces gens-là et ils trouvent encore le temps de venir jusque-là ! à quoi ils carburent ?
Le maire. – Au saké !
Raymond. – C’est quoi le saké ?
Le maire. – De l’alcool de riz fermenté ! Ils en raffolent, parait-il !
Raymond, pas convaincu. – Ben moi, je préfère mon saké à moi !
Il prend une bouteille de vin rouge sur la table et sert deux verres qu’ils avalent cul sec. Prévoir deux ou trois bouteilles déjà sur la table.
Le maire. – C’est vrai qu’il est sakément bon !... Et puis, j’te disais des Chinois mais surtout des Américains !
Raymond. – Des Chinois américains ?
Le maire. – Non, des Américains d’Amérique !
Raymond. – Des Américains américains, quoi !
Le maire. – Voilà… Et c’est que le début car si le club venait à attirer encore plus de monde, je suis déjà en train de réfléchir à un complexe…
Raymond. – C’est vrai qu’elles sont pas complexées les danseuses…
Le maire. – Un complexe avec un casino, un restaurant, une discothèque…
Raymond. – Ah oui, d’accord, pour danser la musette, quoi…
Le maire. – Pas la musette, mon pauvre Raymond, faut vivre avec son époque ! Les jeunes se trémoussent sur des sons électroniques maintenant, pas sur de l’accordéon !...
Raymond. – Moi, tu sais, à part l’accordéon…
Le maire. – Par contre, les gens ont tendance à tourner en rond dans le village avant de trouver le club. En fait, ça manque de panneaux indicateurs, faut que j’en fasse installer aux endroits stratégiques.
Raymond. – Et t’en profites pour faire installer mon lampadaire en même temps ! De toute façon, une fois qu’il sera là, tes conseillers, là, ils vont pas venir l’enlever !
Le maire. – Non, c’est sûr, mais bon… Je me demande s’il faudrait pas construire un hôtel aussi, pour héberger tous ces nouveaux touristes... Euh, au fait, en parlant d’héberger, tu n’oublies pas pour ce soir…
Raymond. – Oh, je ne risque pas d’oublier ! Accueillir chez soi des jolies danseuses, ça n’arrive qu’une fois dans sa vie !
Le maire. – Merci de t’être proposé ! Je ne sais pas où elles allaient crécher sinon !
Raymond. – Je leur dois bien ça, j’ai tellement de plaisir à les regarder…
Le maire. – C’est juste le temps qu’on finisse les travaux pour les loger ! Le succès du club a été tellement fulgurant que monsieur Bonichon a été obligé de rembaucher des filles !
Raymond. – Elles vont être bien là en attendant, t’inquiète…
Le maire. – Justement, je m’inquiète un peu, on leur a promis des petits nids bien douillets, alors tu nettoieras un peu ici avant qu’elles arrivent ! J’ai peur qu’elles prennent...