Acte I
Scène 1
Benjamin, Lucie
Lorsque le rideau se lève, on découvre Lucie courant après Benjamin autour de la table.
Lucie - Avoueras-tu, à la fin?
Benjamin - Tout ce que tu voudras ma douce Lucie, encore faudrait-il savoir ce que je dois avouer !
Lucie - Tu ne le sais que trop bien !
Benjamin - Oui-da, quand tu me l’auras dit.
Lucie - Ah cela ! Te prendrais-tu à jouer au malin ?
Benjamin - Nenni, ma charmante femme, nenni !
Lucie (court après lui) - Si je t’attrape…
Benjamin (en l’évitant) - Au secours !
Lucie - Je te calotte !
Benjamin - À l’aide !
Lucie - Trompeur ! Fourbe! Violeur !
Benjamin - Tant d’amour à mon égard, vraiment c’est trop !
Lucie - Fi ! Tes traits d’esprit, Benjamin, je sais ce que je dis et je dis ce que je sais !
Benjamin - Et réciproquement.
Lucie - Je suis au courant de tout, va.
Benjamin (s’arrête brusquement et fait face à Lucie) - Diantre ! Et que sais-tu, ma douce Lucie ?
Lucie - La vérité !
Benjamin - La vérité ?
Lucie - Oui-da, vilain époux libertin !
Benjamin - Mais enfin, m’expliqueras-tu ?
Lucie - Tu la sers joliment bien la comtesse !
Benjamin - Je demeure son serviteur.
Lucie - Ainsi tu avoues !
Benjamin - J’avoue, j’avoue, comme tu y vas ! Ne sommes-nous, toi et moi, ma tendre épouse, serviteurs du comte… et de la comtesse ? M’en tiendrais-tu grief ?
Lucie - Ne joue point au sot.
Benjamin - Ce n’est point mon fait, je t’assure, et voudrais fort comprendre ta colère envers moi !
Lucie - Ma colère est que tu cours après la comtesse !
Benjamin - Moi ?
Lucie - Si fait.
Benjamin - Ah cela !
Lucie - Tu crois que je n’ai pas compris ! Ta façon de la regarder, de lui adresser la parole, Madame la Comtesse par ci, Madame la Comtesse par là, je suis votre serviteur en tout. Un mot de vous et j’accours, je suis à vos pieds, à vos genoux, aux heures de jour comme de nuit et allez donc, mon cher Benjamin de mari s’avère un fidèle de notre belle comtesse, prétextant toute occasion pour se trouver où elle se trouve, béat de platitude et écœurant d’obséquiosité, jouant au finaud avec son épouse et au galant avec la femme du comte, prévenant en toutes choses et en tous lieux, mais oui, mais non, il sera ainsi fait, de suite, avant, après… ah !… Vous pouvez l’en croire, Madame la Comtesse, Benjamin, pour l’heure, s’avère pour vous un chevalier servant, une manière de Don Quichotte et vous sa Dulcinée oui-da, tu me crées fort du souci, et causes bien de la peine. (Elle s’assied.)
Benjamin (un temps) - Ainsi tu penses que je courtise la comtesse ?
Lucie - Oui-da !
Benjamin - Et si je te disais que tout ceci n’est que calomnie…
Lucie - Je te dirais que de plus tu es un fieffé menteur !
Benjamin - Me voilà bien vêtu !
Lucie - Entre nous, mon pauvre Benjamin, que peux-tu espérer ? Si tu parvenais à tes fins, je te prédis un coup d’épée de la part du comte ; n’oublie pas qu’il est très fine lame et que je n’aurais gage d’avoir un mari trépassé ou estropié dans le meilleur des cas.
Benjamin - Mais voilà, si je ne m’abuse, un avenir fort divertissant !
Lucie - Tu prends toutes choses à la légère, Benjamin.
Benjamin - Et toi ne serais-tu point jalouse ?
Lucie - Et toi serais-tu en devoir de me le reprocher ?
Benjamin - Certes non mais, ne t’en déplaise, tu es jalouse !
Lucie - Soit, mon fidèle époux, soit, mais la jalousie ne fait-elle point partie de l’amour ? Si je ne l’étais point, jalouse, peut-être serais-je femme infidèle, et je crois assez bien te connaître pour te déplaire en ce domaine ; d’ailleurs, un infidèle au sein d’un couple suffit amplement à affliger le bonheur de l’autre, non ?
Benjamin - Et bien entendu c’est moi qui afflige !
Lucie (se relève et court de nouveau après Benjamin) - Pour sûr, brigand !
Benjamin (en s’enfuyant) - Encore !
Lucie - Je n’arrêterai point…
Benjamin - Hélas !
Lucie - … tant que tu n’avoueras pas.
Benjamin - Me voilà en fort fâcheuse posture car en vérité je ne trouve rien à avouer !
Lucie - Tu contes fleurette à Madame !
Benjamin - Nenni je te dis !
Lucie - Ne dis point.
Benjamin - Bien.
Lucie - Si je te rejoins tu auras volée de bois vert.
Benjamin (s’arrête brusquement) - Écoute, je connais le moyen de me disculper.
Lucie - Ah oui !
Benjamin - Et toute simplicité !
Lucie - Je t’écoute.
Benjamin - Demande à la comtesse !
Lucie - D’accord, mais quoi ?
Benjamin - Eh bien, si je la poursuis de mes assiduités ! Tu vois, je ne crains rien et demeure serein, sûr de sa réponse et de ses effets ! Madame me rendra grâce à tes yeux et j’ose croire que ses dires me serviront de gage de fidélité à ton égard ! Tiens, voilà que tu ne dis plus rien ! Tu es surprise, n’est-ce pas, que je puisse te proposer tel remède à tes maux ! Apprends dès lors, ma tendre et jolie Lucie, que l’honneur d’un homme se lit sur son front. Tiens, regarde mon front et dis-moi s’il rougit !
Lucie - Je ne regarde point.
Benjamin - Craindrais-tu autant d’y découvrir mon honnêteté que ton égarement ?
Lucie - Certes non, car je ne prise guère ces affaires de charlatan. Par contre ton idée de demander à la comtesse me semble des plus raisonnable, quoiqu’il puisse y avoir...