Début de fin de soirée

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Félix et Mathilde viennent de recevoir 37 personnes. C’était une belle fête… Enfin, pour Eric, leur meilleur ami : C’est une belle fête ! Comme il le dit si bien, il peut rester encore deux heures… Et c’est ça le problème ! Apparemment la soirée est terminée… Enfin, c’est ce qu’ils croient. Arrive le moment où on voudrait aller se coucher, mais en même temps c’est délicat de mettre les gens dehors… Ce moment où on ne tient plus debout, mais où on s’efforce de rire encore. Ce moment où il faudrait ranger les bouteilles, les assiettes, les cendriers… Pour leur faire comprendre qu’il faut qu’ils rentrent chez eux maintenant ! Quand la soirée est terminée, “il y a toujours une autre soirée qui attend son heure, une soirée invisible, virtuelle… Une soirée dans la soirée !”

ACTE I

SCÈNE 1

Mathilde, Félix et Eric

 

Un appartement. Visiblement, il y a eu une grande soirée. Depuis le couloir, on entend la porte d’entrée se fermer.

Mathilde et Félix arrivent dans le salon. Ils sont plutôt élégants.

Mathilde - Ils sont vraiment sympas.

Félix - J’ai cru qu’ils partiraient jamais.

Mathilde - T’es fatigué ?

Félix - J’en peux plus !

Mathilde - Elle est vraiment marrante Cécile. (Félix, mort de fatigue, acquiesce.) Tu trouves pas ?

Félix - Très… Qu’est-ce qu’elle est bavarde, quand même…

Mathilde - Ecoute, ça lui fait plaisir d’être venue. Au moins, ça se voit quand elle est contente.

Félix - Ça s’entend, surtout.

Mathilde - Pourquoi tu dis ça ?

Félix - Elle parle fort.

Mathilde - Ah bon ?

Félix - C’est de la folie ! Je t’assure, sur le palier, j’étais gêné.

Mathilde - T’exagères.

Félix - Je t’assure, elle parle très fort. Elle parle trop fort. C’est marrant cette manie que vous avez, à chaque fois, de discuter de mille choses sur le palier. On a l’impression que vous vous êtes dit que des conneries pendant toute la soirée et que d’un seul coup, au moment de partir, tous les trucs indispensables arrivent et c’est parti pour une heure.

Mathilde - On va pas ouvrir la porte, les foutre dehors et refermer la porte !

Félix - Non, on va pas faire ça. Mais entre discuter une demi-heure sur le palier et les balancer à coups de pied au cul dans l’ascenseur, je suis sûr qu’il y a un intermédiaire. Et c’est ça qu’il faut qu’on trouve : le fameux intermédiaire.

Mathilde - T’es d’une mauvaise foi, quand même ! T’as passé vingt minutes à parler de foot avec Fred, je te signale.

Félix - J’allais pas le laisser tout seul à vous écouter ! Je le voyais, il était crevé.

Félix ramasse des verres qui traînent sur le plateau de la table basse et les rapporte à la cuisine.

Mathilde commence à ranger le buffet, à l’avant-scène.

Félix revient.

Félix - On fera ça demain… Je suis crevé, moi. (Il regarde sa montre.) Deux heures trente-sept ! Je me lève dans cinq heures. (Doucement.) Il est où ?

Mathilde - Aux toilettes.

Félix (doucement) - On lui dit qu’on va se coucher, j’en peux plus.

Mathilde - Il va y aller, t’inquiète pas.

Félix - Si, si, je m’inquiète… Je le connais, il peut rester encore deux heures.

Félix rejoint Mathilde et, ensemble, ils rangent le buffet (assiettes en carton, bouteilles, verres…).

La chasse d’eau retentit. Eric les rejoint dans le salon.

Eric - Bon, je vais peut-être y aller, moi. Vous êtes crevés, non ?

Très faux-cul, ils font mine d’être moyennement fatigués.

Mathilde - Moi, ça va…

Félix - Un peu quand même…

Mathilde - Oui, un peu.

Eric enfile sa veste. Comme il est sur le départ, l’humeur de Félix est plus gaie.

Eric - J’ai honte, je pars toujours le dernier, je suis super mal élevé…

Félix (rire faux) - Il en faut bien un.

Eric - De quoi ? Un dernier ou un mal élevé ?

Félix -

Eric - Faut me le dire quand vous voulez vous coucher. Tu me connais, moi je suis bien chez vous.

Félix - Attends, mais ça nous fait plaisir aussi, Eric. Je vais te dire : une soirée où tu pars le dernier, ça veut dire que c’était réussi.

Mathilde - Bien sûr ! Tu nous connais, si on veut que tu nous laisses, on te le dira…

Félix - … On te le dirait ! Non, parce que comme là tu t’en vas, ça compte pas. Mais, pour la prochaine fois, on te le dira…

Eric - En fait, c’est toujours pareil : tu fais le tour de tout le monde et t’as le temps de voir personne. J’ai même pas parlé avec François… Ils sont partis très tôt tous les deux. Je l’ai trouvé en petite forme, non ?

Mathilde - Il t’a rien dit ?

Eric - Non, pourquoi ?

Mathilde - Ça se passe mal en ce moment, entre eux.

Eric - Ah bon ? Merde. (Il s’assied.) Raconte-moi… Vous voulez peut-être vous coucher ?… Je m’en fume une dernière et puis je file. Il est où le cendrier ?

Félix - J’ai dû le ramener à la cuisine.

Mathilde - Je vais te le chercher.

Eric - Bouge pas, j’y vais. Tu vas me raconter, ça craint cette histoire…

Eric se lève et va dans la cuisine. Félix fait la gueule. Il regarde Mathilde et applaudit.

Félix - Pourquoi tu l’as relancé ? Il allait partir…

Mathilde - Il fume une cigarette et il s’en va, il vient de te le dire.

Félix - Tu le connais, Eric ! Il dit toujours qu’il fume une cigarette et qu’il s’en va. Alors, je sais pas s’il a des cigarettes spéciales qui font vingt mètres de long, mais à chaque fois il reste deux heures. S’il te pose une question, tu ne réponds pas. Surtout pas à deux heures quarante-deux. Faut pas le relancer ! Dès qu’il te pose une question, tu acquiesces avec un grand sourire, c’est tout. Sinon, on en a pour toute la nuit. Tu paries qu’il débarque un verre à la main ?

Mathilde - T’es mauvaise langue.

Eric revient. Il a un verre à la main et une bouteille de rouge.

Eric - Je me suis permis. Ça vous dérange pas ? (Mathilde, crispée, regarde Félix. Ils acquiescent tous les deux en souriant à Eric. Celui-ci s’assied sur le canapé. Mathilde l’accompagne.) Hein ? Je peux ?

Félix - Bien sûr, vas-y.

Eric - Alors ça chie entre François et Sophie ? (Mathilde acquiesce bêtement à chaque question d’Eric.) Mais, heu… c’est qui ? C’est elle ? (Mathilde acquiesce bêtement.) Hein ? C’est elle ? (Mathilde acquiesce bêtement.) J’ai rien vu, moi. Rien du tout. Il m’a rien dit. (Mathilde acquiesce bêtement.) Ça va, Mathilde ? (Mathilde acquiesce bêtement.) Non, je sais pas, tu dis plus rien…

Félix - Bah ! oui, finis ton histoire. T’as commencé, tu termines. Tu fais vite parce que Eric voulait partir.

Eric - Non, mais c’est bon, ça me dérange pas. Je suis pas fatigué.

Mathilde - Oui, c’est elle… Enfin, c’est lui… C’est… Y’a un peu des deux, c’est un couple.

Eric - Il l’a trompée ?

Mathilde - Non, non, c’est pas ça. Mais il est insupportable. Il est planté du matin au soir devant sa télé. Il se lève à midi tous les jours. Elle en peut plus, elle. Elle en peut plus. Tu te rends compte que ça fait quand même huit mois qu’il a pas de boulot ?

Félix - Tu sais qu’ils sont plusieurs millions dans le même cas…

Eric - Moi, par exemple…

Léger malaise.

Eric se sert un autre verre. Il finit la bouteille.

Un silence un peu gênant s’installe.

Félix s’assied avec eux. Il semble impatient d’aller se coucher, il est très insistant sur ses bâillements.

Eric - Et c’était qui le couple ?… Lui, il est… il est très grand et elle est… elle est très grande aussi. En fait, ils sont très grands tous les deux…

Mathilde - Marc et Eloïse ?

Eric - Marc, c’est ça. Il est très sympa, lui. Il est avocat, c’est ça ?

Félix - Informaticien.

Eric - Informaticien, c’est ça. Il est sympa ce type-là, il est très sympa. J’aime bien ce genre de type. Elle, elle plus discrète, non ? Plus effacée…

Félix se lève pour ranger la bouteille.

Mathilde - Ah non ! Pas du tout. Eloïse ?… T’entends, Félix ?

Félix (off) - Hein ?

Mathilde - Eric trouve qu’Eloïse est effacée.

Félix revient et s’assied sur le canapé.

Félix - Ah non ! Elle est carrément chiante.

Mathilde - Elle est pas chiante.

Félix - Je l’aime beaucoup, mais c’est une emmerdeuse. Elle est jamais contente, elle râle tout le temps…

Mathilde - Ça te va bien de dire ça !

Félix - Quoi ? C’est vrai.

Mathilde - Non, mais que tu traites quelqu’un de râleur, toi, c’est quand même le comble.

Félix - On parle pas de moi, là.

Mathilde - Je sais bien, mais avoue que t’es assez mal placé pour critiquer les gens qui râlent.

Félix - Je critique personne, je constate. A la question : « Eloïse est-elle une emmerdeuse ? », je réponds « oui », c’est tout.

Mathilde - Mais personne t’a posé cette question. C’est toi qui fais cette réponse.

Félix - Bon, j’ai rien dit. Eloïse est pas chiante du tout. Je suis fatigué, on va pas se prendre la tête avec ça maintenant.

Mathilde - T’as raison, on peut pas discuter. T’es toujours en train d’esquiver. Toi, tu râles jamais, t’es l’exemple même de la tolérance. D’ailleurs tous tes potes t’appellent Gandhi, c’est bien connu.

Félix - Mathilde, tu déformes tout.

Mathilde - Non, mais t’as raison.

Félix - Tu vois, Eric, Mathilde trouve que je suis un être tellement exceptionnel qu’on ne peut pas parler de quelqu’un sans que le sujet me retombe systématiquement dessus. C’est fatigant. C’est flatteur, mais c’est fatigant.

Eric - En tout cas, moi, je lui ai pas parlé à elle, mais lui, il est très sympa.

Eric se lève.

Félix et Mathilde se lèvent juste derrière lui, pensant qu’il va partir.

Eric prend la bouteille de whisky sur le buffet et se sert un nouveau verre.

Il se retourne et se trouve nez à nez avec eux.

Félix fait mine de ranger, Mathilde va à la cuisine.

Eric - T’en veux un peu ?

Félix - Non.

Eric remplit son verre.

Ils s’asseyent tous les deux.

 

 

 

SCÈNE 2

Félix, Eric et Mathilde

 

Eric est sur le canapé, Félix sur un pouf près de la table basse.

Félix - Trois heures ? Non !

Eric - Déjà ?

Félix - Eh oui, déjà.

Eric - Ça passe vite.

Félix (pas convaincu) - Ça passe vite, oui.

Eric - J’ai pas vu passer la soirée, moi. Rien du tout. L’impression d’être arrivé y’a dix minutes. Tu l’as vu passer toi ?

Félix - Qui ça ?

Eric - La soirée. Tu l’as pas vu passer toi non plus ?

Félix - Non, non plus. Enfin, là, depuis une heure ou deux, quand même un peu.

Eric - Vous devriez en faire plus souvent, des fêtes, avec Mathilde. C’est vrai, à chaque fois c’est réussi.

Félix - En même temps, on en a fait une y’a deux semaines.

Eric - Ouais, c’est vrai. Je l’avais oubliée celle-là. (Très sérieux et impliqué.) Tu veux que je te dise ?

Félix - Dis-moi.

Eric - J’ai une grosse préférence pour cette fête-là. Je sais pas, un bon esprit, un truc qui se fait… Tu vois, y’avait quoi… quinze, vingt personnes tout à l’heure…

Félix - Trente-sept.

Eric - Trente-sept ? Eh bien, ça se sentait pas. Mais alors pas du tout. Un bon esprit, un truc qui se fait… C’est rien. Ça se joue à rien. Complètement inexplicable… J’ai rien dit pour la dernière fois, mais, heu… c’était pas ça.

Félix (s’en foutant complètement) - Ah bon ?

Eric - Ah non ! Pas du tout ! Je dirais pas qu’on s’est ennuyé. D’abord c’est pas vrai, puis en plus, si je le pensais, je te le dirais pas.

Félix - Ecoute, j’apprécie.

Eric - Le pire, c’est que je doute pas une seule seconde de la bonne volonté que vous y aviez mis… Pas une seconde. Je connais Mathilde, c’est toujours les petits plats dans les grands, c’est fabuleux. Fabuleux… Elle se décarcasse, elle se met en quatre, elle a toujours fonctionné comme ça, Mathilde, toujours… C’est fabuleux… Je sais pas pourquoi je te dis ça maintenant.

Félix - Moi non plus.

Eric - Vous êtes bien, là, tous les deux, dans votre petit nid. Ça se voit, c’est fabuleux. C’est vrai, vous êtes bien ?

Félix - Oui, oui.

Eric - En tout cas, pour la dernière fête, quand ça veut pas prendre, ça prend pas. C’est dingue. Alors que là, ce soir, il est quoi… trois heures, c’est ça ? Mais moi je peux rester encore...

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