ACTE 1
La radio est sur la table, elle diffuse de la musique des années 1960. Arrivée du fond de la salle d’un homme qui vient de s’évader, vêtu d’un costume de prisonnier. Il entre en scène, aux abois ; de toute évidence, il est poursuivi. On entend quelques bruits de sirènes.
Il entend le paysan qui va entrer, il se cache derrière le fauteuil. Le paysan, qui ne l’a pas vu, arrive en grognant, il cherche sa pipe, appelle sa femme Berthe qui lui répond (des coulisses) sur le même ton. Le paysan sort toujours en grognant (propos à l’appréciation des acteurs).
Le prisonnier réapparaît, sort de son sac un pantalon assez grossier et une veste. Il les enfile par-dessus son costume. À nouveau il entend des pas, il ne trouve pas mieux que de se précipiter parmi les vêtements dans une penderie pour se cacher.
Le paysan qui cherche sa pipe revient, éteint la radio. Il se sert un verre de cidre.
Émile (se parle à lui-même, de mauvaise humeur) - Et l’autre là, le gars qui doit venir voir le matériel, toujours pas là !… Ah ! si y veut m’reprendre ma charrue, y va falloir qu’il y mette le prix ! C’est du bon matériel l’tracteur. D’la bonne occasion. Et puis y a la jument, la Câline.
Entrent sa femme Berthe et sa fille Lise. Il repose la bouteille de cidre sur la table.
Émile - Évidemment, tu ne sais pas où se trouve ma pipe !
Berthe - Mon pauvre bonhomme, ta pipe, elle est où tu l’as mise.
Émile - C’est certainement toi, avec ta manie de tout ranger !
Berthe - S’il n’en tenait qu’à toi mon pauvre Émile, on vivrait comme tes cochons ! Dans une souette !
Émile (en grommelant) - En tout cas, mes cochons, ils sont plus aimables que toi !
Lise - Je crois, mon petit papa, que j’ai vu ta pipe dans la laiterie.
Berthe (en haussant les épaules) - Près des seaux, où tu l’as toi-même laissée. (Émile sort en haussant les épaules et en grommelant.) Ah ! ton père ne changera jamais ! C’est pas un mauvais bonhomme, mais faut qu’y ronchonne, faut qu’y grogne. Il est comme ses cochons ! Et maintenant qu’il prend sa retraite, c’est pire.
Lise - Maman, faut que je te parle.
La mère se met à éplucher des légumes.
Berthe - Ah ?
Lise (un peu excitée) - Cet après-midi, quelqu’un va venir.
Berthe - Ah !
Lise - Un homme.
Berthe - Ah, ah !
Lise - Arrête de dire « ah, ah »… C’est agaçant !
Berthe (lève un peu les yeux de ses légumes) - Un homme ? Je le connais ?
Lise - Non. Enfin, je ne crois pas.
Berthe - Ah !
Lise - Pas n’importe quel homme.
Berthe - Ah, ah !
Lise - Ce que tu peux être énervante !
Berthe (arrête d’éplucher ses légumes) - Tu veux me présenter un homme, enfin un amoureux, et tu ne sais pas comment me le dire. Tu as peur qu’il ne plaise pas à ton père, et tu préfères que je me charge de lui annoncer. Mais c’est formidable ! Tu as tout de même bientôt trente-cinq ans ma petite. Allons, voyons, grande bête, ta mère a été jeune avant toi. (Elle embrasse sa fille, et reprend ses légumes.)
Lise (surprise, ne sachant plus quoi dire) - Ah, ah… Tu as tout compris, tu es formidable maman. Tu vas voir, il est extraordinaire… et tellement beau ! Bien habillé, toujours impeccable. Normal, il est avocat ! C’est vrai qu’avec papa, c’est pas gagné. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas le même style.
Berthe - Ne t’inquiète pas, ton père je m’en charge.
Lise - Je t’adore maman. (Elle l’embrasse.) Je monte vite me doucher et me refaire une beauté. Il faut que je sois prête quand Louis-Raymond va arriver.
Berthe - Et moi je vais rechercher des patates et je vais préparer un bon coq au vin. Il aimera ça un coq au vin. (Elle monte le ton.) Et puis ton père, il a pas intérêt à monter sur ses grands chevaux quand tu vas nous présenter ton futur. Sinon il aura affaire à moi. (Elle montre un couteau menaçant.) Au fait, comment tu as dit qu’il s’appelle ?
Lise - Louis-Raymond Gournon de Fenouillac. (Elle sort.)
Berthe (seule et dubitative) - Louis-Raymond Gourn… de Machin… Oh là là ! Je sais pas si ça va être le genre d’Émile. Avocat ! Eh bien, si y en a qui parlent seulement en leur présence, je suis pas sûre qu’avec l’Émile… Enfin !… Faudra bien qu’il s’y fasse, cette fois. (Elle sort.)
Le prisonnier profite de l’absence pour sortir de sa cachette et va se changer. Il sort d’un sac quelques vieilles affaires : pull, veste, pantalon qu’il enfile. Une perruque et un béret accentuent l’aspect ridicule. Il cache le sac sous le buffet. Il entend du bruit et se cache en catastrophe dans une penderie à côté d’un meuble. Il a le nez...