Double Axel-le

Maude et Roger sont désolés : leurs deux enfants, Jeanne et Pascal, à plus de trente ans, ne sont toujours pas en couple. Mais, enfin, ils viennent passer ce week-end à la maison pour leur présenter pour la première fois Axel et Axelle, leurs deux conjoints respectifs. Ce que les enfants n’ont pas encore osé dire à leur maman hypersensible et leur papa pour le moins vieille France, c’est qu’ils sont tous deux homosexuels. Dès l’arrivée des quatre jeunes, les parents vont forcément confondre les couples. La vérité doit être dite avant dimanche soir, ce qui va entraîner confusion, quiproquos, sous-entendus et surtout rires dans la salle.




Double Axel-le

ACTE I

Scène 1

Maude, Roger

Au lever du rideau, la scène est vide. Le téléphone sonne. Après quelques sonneries, Maude arrive de la cuisine. Elle porte un tablier de cuisine et des moufles anti-chaleur. Elle essaie d’attraper le combiné et après quelques tentatives elle enlève une de ses moufles.

Maude. – Allô !… Jeanne, c’est toi, ma chérie !… Alors, ça a bien roulé ?… Eh bien, nous, on vous attend. Vous pensez arriver dans combien de temps ?… Déjà ! Mais vous êtes où ?… Ah oui ! En effet ! Mais je ne suis pas prête, moi, et ton père est encore dans son jardin. Passez donc par le château du Breuil… Voilà, faites-leur visiter les coins pittoresques de la région… Comment ?… Mais si, cela me fait plaisir de vous avoir tous les quatre à la maison, mais je n’ai pas fini ma cuisine, alors prenez votre temps. Roulez doucement ! À tout à l’heure, ma chérie ! (Elle raccroche, renfile sa moufle et va à la porte-fenêtre qu’elle essaie d’ouvrir. Elle retire de nouveau sa moufle et ouvre. Elle appelle son mari.) Roger ! Roger ! Les enfants arrivent dans quelques minutes ! Va te changer ! Comment ?… Ah non ! Tu ne vas pas les recevoir dans cette tenue !

Roger est sur le pas de la porte. Il porte une casquette, des grosses chaussures en plastique, un pantalon sale, une chemise à carreaux à moitié sortie de son pantalon et une paire de gants verts de jardin.

Roger. – Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma tenue ? (Il pose le râteau qu’il tient dans la main et va pour entrer.)

Maude. – Ah non ! Tu ne rentres pas dans la maison avec tes chaussures de jardin. Regarde, tu as cochonné toute la terrasse. Moi qui voulais que tout soit impeccable pour leur arrivée, c’est réussi !

Roger. – On ne reçoit pas la reine d’Angleterre, tout de même ! (Il va pour entrer.)

Maude, le retenant, une main sur le torse de son mari. – Retire tes chaussures !

Roger. – Tu ne vas pas te mettre dans cet état à chaque fois que Pascal et Jeanne reviennent de Paris passer un week-end ! (Il va pour entrer.)

Maude. – Retire tes chaussures ! (Roger s’exécute.) Cela t’est peut-être égal de salir ta terrasse que tu as nettoyée ce matin, mais tu ne saliras pas ma maison avec tes souliers crottés !

Roger, entrant. – Maude, ma chérie, tu ne changeras jamais ! On est à la campagne, ce n’est que de la terre !  C’est « noble » la terre ! 

Maude. – La terre, c’est très « noble » dans ton potager, peut-être, mais sur mon tapis de salon, c’est très moche. Et tu me rangeras ton râteau, là.

Roger. – D’accord ! J’y vais !

Maude. – Non ! Va te changer d’abord !

Roger. – Faudrait savoir ce que tu veux, ma chérie !

Maude. – Ce que je veux, c’est le bonheur de mes enfants. Et là, ils viennent ce week-end nous présenter leurs petits amis. Je crois que tu ne te rends pas compte. Et tous les deux en même temps. Alors depuis le temps que l’on attend ce moment, ne va pas tout gâcher !

Roger. – Avec des chaussures de jardin et un râteau ?

Maude. – Roger, c’est la première fois que Pascal nous présente une possible fiancée !

Roger. – À trente-quatre ans, il va être temps ! Je me suis souvent demandé si notre fils n’allait pas finir curé ou pédé… Remarque : l’un n’empêche pas l’autre !

Maude. – Voilà ! Voilà ce que je ne veux pas, ce week-end ! Ce genre de réflexions déplacées ! On ne va pas décourager cette demoiselle en se comportant n’importe comment. Pour le copain de Jeanne, c’est pareil : pas de réflexions machos dont tu as l’art de pimenter les soirées.

Roger. – Oui mais moi, je n’aime pas être hypocrite, et tu ne vas pas me faire jouer le rôle du beau-papa gâteau et gâteux.

Maude. – Fais juste un petit effort, Roger ! On va enfin voir nos enfants s’épanouir en couple, et peut-être aura-t-on un jour des petits-enfants…

Roger. – C’est surtout ça qui t’intéresse. Tu rêves plus d’être une grand-mère que ta fille d’être une mère.

Maude. – C’est vrai, mais j’ai tellement hâte de pouponner de nouveau !

Roger, moqueur. – Et quand ça arrivera, tu préfères qu’on t’appelle mémé ou mémère ?

Maude. – Oh non ! Quelle horreur ! Je préférerais tout simplement Maude ou mamie Maude. Allez ! Va te changer et retire-moi ces gants ridicules !

Roger, plaisantant. – J’avais pensé que pour recevoir la reine d’Angleterre et le prince de Monaco ce serait la moindre des choses. Tu portes bien des moufles, toi !

Maude. – Mais je travaille, moi, monsieur !

Roger. – Madame la future grand-mère, permettez que je vous baise la moufle ! (Il se met à genoux et lui embrasse la moufle.)

Maude, riant. – Tu es bête !

Roger, se levant avec difficulté. – Ouh ! Mes reins !

Maude. – Alors, on veut jouer les jeunes hommes et on a des douleurs de grand-père ! Allez, papy Roger, va te changer ! Je t’ai préparé ta chemise bleue et ton pantalon noir. J’ai posé tout ça sur notre lit.

Roger, se dirigeant vers la chambre. – Merci. (Fronçant les sourcils et humant l’air.) Oh ! ça ne sent pas le brûlé, là ?

Maude. – Oh ! flûte ! Mes gâteaux ! (Elle sort en courant.)

Roger, au public, en riant. – Ça fait trente ans que je lui fais le coup du « ça ne sent pas le brûlé » et ça marche à chaque fois ! (Il sort.)

Scène 2

Jeanne, Axel, Maude, Pascal, Axelle, Roger

Jeanne et Axel arrivent par la porte-fenêtre avec chacun un sac de voyage. Axel est un peu efféminé mais sans être caricatural.

Jeanne, appelant. – Maman ! Papa ! Hou ! hou ! Il y a quelqu’un ? (À Axel.) Papa est sûrement à l’intérieur, je vois qu’il a laissé ses chaussures ici. Viens, entre, Axel ! Pose ton sac là !

Axel. – C’est vachement grand, dis-moi ! Et le terrain, il est immense !

Jeanne. – Ah oui ! Ça c’est le domaine de mon père. Sa pelouse, son potager, il y passe plus de temps que devant sa télé !

Axel. – Au moins, c’est plus sain et ça prouve qu’il ne s’ennuie pas. Ça fait longtemps qu’ils sont à la retraite tes parents ?

Jeanne. – Papa cinq ans, et maman ça fera deux ans en janvier.

Axel. – Pascal m’a dit que ta mère était assez émotive…

Jeanne. – Oui, elle a la larme facile, si tu vois ce que je veux dire… (Appelant.) Maman ! (Elle ouvre la porte de la cuisine.) Maman, tu es par là ?

Maude, de la cuisine. – Ah ! vous êtes arrivés ! (Elle entre en s’essuyant les mains sur son tablier.) Bonjour, ma chérie !

Jeanne. – Bonjour, maman ! (Elles se font la bise.)

Maude. – Bonjour, jeune homme ! Alors vous, vous êtes Axel, forcément !

Axel. – Oui, c’est bien ça. Bonjour, madame ! (Ils se serrent la main.)

Maude, à Jeanne. – Où est ton frère ?

Jeanne. – Avec Axelle. Ils arrivent, ils sortent les autres bagages de la voiture.

Axel. – Ben tiens, les voilà !

Pascal, entrant. – Bonjour, ma petite maman ! (Pascal aussi est assez maniéré mais sans exagération.)

Maude. – Bonjour, mon poussin !

Pascal. – Oh ! tu as l’air en forme ! Depuis le temps que l’on n’est pas revenus, vous nous avez manqué avec papa !

Maude. – Mais vous aussi, mes trésors, vous nous avez manqué ! (Elle sort un mouchoir et essuie une petite larme au coin de son œil.)

Jeanne. – Oh non ! Maman, tu ne vas pas te mettre à pleurer…

Maude. – Je suis si heureuse de vous revoir ! (Elle range son mouchoir. Axelle entre par la porte-fenêtre.) Bonjour, mademoiselle !

Axelle. – Bonjour, madame ! Moi, c’est Axelle.

Maude. – Oui, oui ! J’ai bien cru comprendre que nous allions avoir deux « Axel » sous notre toit ce week-end. C’est quand même une sacrée coïncidence que mes deux enfants trouvent un et une amie qui portent le même prénom !

Roger revient de la chambre. Il s’est changé.

Roger. – Ah ! mais oui, ils sont là ! Il me semblait bien que j’avais entendu des portes de voiture claquer ! Bonjour, les enfants !

Jeanne. – Bonjour, mon petit papa !

Pascal. – Bonjour, papounet !

Roger. – Alors laissez-moi deviner : vous, c’est Axelle, et vous, Axel ?

Axel. – C’était pas trop dur ! Bonjour, monsieur Louvin !

Roger. – Oh non ! Vous allez commencer par m’appeler Roger et on va pas se faire de cinéma, d’accord ?

Axel. – Ça marche, Roger !

Axelle. – Bonjour, Roger ! (Elle lui serre une poignée de main ferme.)

Roger. – Oh ! mais vous avez de la poigne, dites-moi ! En fait, avec les demoiselles, moi, je préfère la bise. (Il lui fait deux bises.)

Maude. – Alors, pas trop de bouchons sur l’autoroute ?

Jeanne. – Si ! À la sortie de Paris, sur dix kilomètres. Ensuite jusqu’à Chartres c’était assez chargé, mais après on est arrivés jusqu’ici sans encombre.

Roger. – C’est toi qui as fait toute la route ?

Jeanne. – Non, non ! Axelle m’a relayée à mi-parcours.

Maude, à Axel. – C’est bien de se partager les tâches, dans la vie. C’est une preuve de respect mutuel.

Axel. – Ah ! mais ne me regardez pas comme ça ! C’est pas moi qui ai pris le volant !

Roger. – Comment ça ?

Axelle. – Non ! C’est moi qui ai fait les deux cents derniers kilomètres.

Pascal. – Oui, Axelle a l’habitude, elle est routière !

Axelle. – Routier ! Pascal, même pour une femme qui conduit un camion on dit « routier ».

Roger. – Ah bon ! Alors ce sont les deux filles qui ont conduit ?

Maude. – Eh oui ! Les temps ont changé, mon chéri.

Roger. – Eh ben, je peux te dire que moi, à mon époque…

Jeanne. – Oui, on sait, papa : tu ne te serais pas laissé conduire par une femme.

Axel. – Même pas par la vôtre ?

Pascal. – Surtout pas par la sienne !

Maude. – Il dit « à mon époque », mais c’est toujours le cas aujourd’hui.

Roger. – Oui mais quand tu conduis, ça me stresse.

Maude. – Non, quand je conduis, tu me stresses !

Jeanne. – Sujet tabou ! On parle d’autre chose ?

Axelle. – Oh ! mais alors nous, ils ne nous ont pas emmerdées ! Ils se sont assis tous les deux à l’arrière et on les a pas entendus.

Roger. – C’est parce qu’ils étaient trop angoissés !

Jeanne. – Je ne pense pas, non !

Axelle. – Tu parles ! Ils roupillaient à peine sortis de Paris !

Pascal. – Non, moi je ne dormais pas vraiment. Je me suis peut-être assoupi cinq minutes, et encore !

Jeanne. – Oui, bien sûr ! À un moment j’ai même failli m’arrêter, je trouvais qu’il y avait un bruit bizarre dans la voiture, comme un sifflement…

Axelle. – On aurait dit comme si la courroie de l’alternateur patinait. Et en fait, c’était Pascal qui ronflait comme un quatre cylindres !

Pascal. – Alors ça, ça m’étonnerait !

Jeanne. – Si, je t’assure !

Axelle. – Quand je me suis retournée, tu avais la joue plaquée contre la vitre de la portière avec un filet de bave qui coulait sur ton tee-shirt !

Pascal, vexé. – Sûrement pas ! Ben, dis-leur, Axel ! Défends-moi, au moins !

Axel. – Moi, j’en sais rien, figure-toi ! J’ai dormi dès la porte de Saint-Cloud ! La voiture, ça me berce… À chaque fois, au bout de cinq minutes, paf ! j’suis dans les vapes !

Roger, moqueur. – Alors, quand vous conduisez, mettez un oreiller sur le volant, ce sera plus confortable !

Axel. – Au volant ? Moi ? Ça risque pas, j’ai pas de permis !

Roger. – C’est pas vrai ! Vous vous l’êtes fait piquer ? Ça m’étonne pas, avec tous les radars qu’ils nous collent partout ! Eh ben, je peux vous dire que moi, à mon époque…

Jeanne. – Oui, on sait, papa : il n’y avait pas de limitations et tu roulais comme un fou.

Roger. – Et on risquait pas de se faire gauler à chaque coin de rue ! Alors, Axel, il y a longtemps que vous êtes sans permis ?

Axel. – Oh oui ! Cela fait pas mal de temps, en fait. Depuis ma naissance ! (Il rit.)

Roger. – Quoi ? Vous n’avez jamais passé le permis ? Mais comment c’est possible ça ?

Maude. – Oui, Axel, que voulez-vous, mon mari est persuadé que pour être un homme, un vrai, il faut savoir faire ce genre de chose…

Roger. – Oui mais sans permis, on est quand même handicapé !

Axel. – À Paris, c’est plutôt les conducteurs, bloqués dans les bouchons, qui ont l’air d’être handicapés !

Pascal. – Et puis, dans la capitale, entre le bus, le métro, le RER, le TGV et l’avion, tu n’as que l’embarras du choix pour te déplacer, papa.

Roger. – Oui mais ici, à la campagne, celui qui n’a pas de permis il est coincé dans son village. Il ne mange pas. La boulangerie : neuf bornes. Le supermarché : vingt-sept bornes. Si tu conduis pas, tu maigris très vite !

Maude. – Et vous, Axelle, avec votre camion, ce n’est pas trop compliqué dans les rues de Paris ?

Axelle. – J’y vais jamais dans Paname. De toute façon, avec mon magnum, je n’ai pas le droit d’y entrer.

Pascal, étonné. – C’est pas vrai ! T’as un flingue dans ton camion ?

Axelle. – Ben non ! Pourquoi tu dis ça ?

Pascal. – Tu viens de dire que tu avais un magnum.

Axel. – Mais il est bête, lui ! T’as rien compris, mon grand ! Un magnum c’est pas un pistolet, c’est un esquimau !

Axelle. – Oh ! les blaireaux ces deux-là ! Mon magnum c’est mon gros cul, enfin mon bahut, quoi : un Renault Magnum, cinq cents chevaux sous le capot, boîte...

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